Texte intégral
France 2 : 25 juin 1993
France 2 : La guerre ou la paix ?
F. Bayrou : La paix bien sûr. C'est très simple : en 1850, on a pris une disposition qui interdisait aux communes ou aux départements d'aider les écoles privées. Depuis 150 ans, il y a beaucoup d'eau qui est passé sous les ponts. Au début de la cinquième République, avec M. Debré, on a permis que l'État prenne en charge les maîtres puis une partie du fonctionnement. Aujourd'hui, il faut naturellement faire en sorte que les enfants, des écoles privées soient traitées exactement comme les autres. Un département ou une commune a le droit de tout faire en France, la seule chose qui lui soit interdite, c'est de refaire le toit d'une école maternelle. Est-ce normal ? On est vraiment loin de la modernité. On essaye de faire une petite guerre autour de tout ça, ça ne durera pas. La guerre est au cœur du PS puisque M. Emmanuelli attaque M. Lang en disant qu'il souhaite nous aider dans cette affaire. Ce n'est pas très important.
France 2 : Donc si votre proposition est adoptée par la majorité des députés, la commune pourra aider davantage l'école privée. Avec quel argent ? Les opposants disent que vous allez prendre au public pour donner au privé.
F. Bayrou : C'est une des affirmations qui me gêne le plus. Les parents des enfants qui sont scolarisés dans des écoles privées paient leurs impôts comme les autres, ce sont des citoyens comme les autres. Ça fait des années que leurs impôts servent à construire l'école publique et donc il faut maintenant aussi que l'impôt puisse servir à leurs enfants. Il y aura une disposition essentielle : on ne pourra pas faire plus pour l'école privée que pour l'école publique. S'il y a 20 % des enfants d'une commune ou d'un département qui est scolarisé à l'école privée, l'effort d'investissement sera limité à 20 % des dépenses. Pas un Franc qui soit pris aux uns pour donner aux autres, simplement la juste considération, le traitement normal qui doit revenir à tous les enfants parce que tous les enfants sont égaux devant l'école.
France 2 : Vos amis politiques eux-mêmes se demandent comment faire pour trouver cet argent.
F. Bayrou : On leur donne la liberté de faire. S'ils souhaitent ne pas faire, s'ils ont le sentiment qu'ils ne peuvent pas, ils le diront. Au moins, les choses seront d'une transparence très grande. Il faut que les élus assument leurs responsabilités. Personne n'oblige les élus à investir pour l'école publique plus que ce qu'ils peuvent faire. Donc, ils n'investiront pas plus pour l'école privée que ce qu'ils peuvent faire. Les écoles privées sont en France dans un état comme celui de l'école publique il y a 4 ans. Quelquefois, les conditions de sécurité elles-mêmes sont en cause.
France 2 : Allez-vous demander des contreparties aux écoles privées ?
F. Bayrou : C'est déjà le cas. On ne va pas propager cette idée complètement stupide et fausse selon laquelle il n'y a que des privilégiés qui seraient à l'école privée. Aujourd'hui, l'école privée accueille des enfants de gens qui ont des difficultés, de gens qui sont au chômage exactement comme l'autre école. Il est normal qu'il en soit ainsi. Il est normal qu'en échange d'une aide venue du contribuable, les écoles privées aient des charges, des responsabilités de service public. C'est normal et légitime et la loi l'imposera.
France 2 : Vous êtes bien dans ce gouvernement, vous trouvez une cohérence ?
F. Bayrou : Je suis très bien dans ce gouvernement, j'en trouve la cohérence. Il faut relativiser les petits incidents regrettables qui font croire qu'il n'y a pas une volonté commune d'avancer.
Le Journal du Dimanche : 27 juin 1993
Le Journal du Dimanche : Comment distribuer ces aides nouvelles à l'enseignement privé sans nuire au financement de l'enseignement public ?
François Bayrou : Ne reprenez pas ces accusations sans fondement ! Nous étions dans une situation absurde. Songez que les collectivités locales ont toute liberté pour financer n'importe quel équipement, depuis une usine appartenant à un groupe privé jusqu'à une patinoire, un circuit automobile ou un concert de rock. La seule chose qui leur soit interdite était d'aider à réparer les toits percés d'écoles maternelles ou de collègues sous prétexte qu'ils appartenaient à l'enseignement privé. Ce n'est pas voler de l'argent au public que d'aider le privé à faire face à ses urgences. Les collectivités locales seront libres d'aider. Elles ne le feront que si c'est l'intérêt public de le faire.
Le Journal du Dimanche : Il y avait une trêve en ce domaine entre privé et public. Pourquoi rouvrir ce dossier ?
François Bayrou : On ne rouvre pas un dossier, on ouvre une liberté ! Ce que vous ne voyez pas, c'est que l'état de nombreuses écoles privées est désastreux. Vu le prix de la construction, les familles ne peuvent plus assumer les charges. À cause de la loi Falloux, la scolarité dans le privé revient trois à quatre fois plus cher que dans le public. C'est aujourd'hui qu'il y a inégalité quand une famille paie deux fois l'enseignement de ses enfants : par les impôts, elle finance l'enseignement public, par ses propres deniers, l'école privée. Les choses doivent devenir plus justes : les impôts de toutes les familles doivent servir à tous les enfants.
Le Journal du Dimanche : Honnêtement, ne craignez-vous pas une guérilla permanente entre privé et public au moment des votes de budget ?
François Bayrou : Absolument pas ! Je fais confiance à la sagesse des élus. Ils sauront évaluer les urgences et répartir les charges dans le temps. Et de toute façon, les excès sont impossibles. Chaque dépense engagée pour le privé sera compensée par une dépense proportionnellement égale pour le public. Tous les six ans, le bilan sera fait des sommes dépensées pour l'un et l'autre. Celles affectées au privé ne pourront pas dépasser celles affectées au public, alors que l'inverse n'est pas obligatoire. Vous voyez bien qu'on ne déshabille pas Paul pour habiller Pierre.
Le Journal du Dimanche : Et que pensez-vous de l'obstruction engagée par l'opposition ?
François Bayrou : Elle fait partie des règles du jeu parlementaire. Mais je ne peux accepter les séries d'amendement qui cherchent à assimiler les églises chrétiennes aux sectes les plus odieuses, telles la secte Moon ou les Chevaliers du Lotus d'Or. Au nom du gouvernement, j'ai demandé leur retrait.