Texte intégral
Q - Vous êtes ministre et élu corse. Je voudrais juste vous demander un éclairage : doit-on comprendre de ce qu'a dit le Premier ministre en Corse que, si les nationalistes renonçaient à la violence, officiellement, la porte serait ouverte à une nouvelle réforme du statut de l'île ?
- « Ce que le Premier ministre a dit, c'est qu'il n'y avait pas, de question taboue en matière d'organisation des pouvoirs. La décentralisation est un mouvement continu auquel tout le monde réfléchit en France et en Corse. Il a même dit qu'il était persuadé qu'un jour la Corse aurait des compétences plus vastes encore qu'elle ne les a aujourd'hui, et elles sont vastes, aujourd'hui, dans le cadre du statut Joxe. Mais il a dit également qu'on ne pouvait pas imaginer des avancées en termes de compétences pour la collectivité corse aussi longtemps que la violence régnerait. C'est tout simple. »
Q - Vous, le ministre de la Décentralisation, êtes-vous en faveur, le jour venu, d'une nouvelle modification du statut de l'île ?
- « Je ne me drogue pas au statut comme certains auraient tendance un peu à le faire. Mais c'est vrai que notre pays va, dans les années et les lustres qui viennent, voir s'approfondir la décentralisation. Le mouvement lancé par G. Defferre ne s'est pas arrêté aujourd'hui. »
Q - On a l'impression qu'il y a impasse entre les nationalistes et L. Jospin, que ça s'est mal passé, qu'ils ne sont pas très bien compris ?
- « Les nationalistes – enfin les mouvements représentés à l'Assemblée territoriale – sont dans une situation tout à fait intenable. Ils continuent à ne pas condamner la violence politique, ce qui, dans une démocratie est tout à fait inacceptable. Ils sont dans une situation intenable et le Premier ministre le leur a dit. Et je crois qu'il fallait que cela soit dit comme cela. Et le Premier ministre a annoncé dans un discours – qui était un discours je dirais d'affection pour la Corse – il a dit : "Il n'y a pas et il n'y aura pas de la part de ce gouvernement, de procès collectif envers la Corse." Mais il faut également que la Corse s'inscrive positivement dans la politique du Gouvernement, celle de 97 : application de la loi, développement économique dans le cadre des contrats de plan, et soutien à la promotion de l'identité culturelle de la Corse. Mais le Premier ministre il ajouté : "On ne va pas changer de politique tous les trois mois." Si certains peuvent penser qu'on va changer peut-être sous la pression ou sous la violence, il faut qu'ils abandonnent ce type d'espoir. »
Q - Cela vous inquiète que le voyage du Premier ministre ait été salué par six attentats ?
- « Non, pas du tout. Ce n'est pas un élément nouveau. Les attentats, nous en avons eu jusqu'à 500 par an au cours des années précédentes. Pourquoi voulez-vous que je m'affole parce qu'il y a quelques pétards qui sont mis, comme ça, de manière quasiment rituelle ! Ce n'est ni courageux ni démonstratif de force. »
Q - Des responsables de l'opposition ont laissé entendre que si Y. Colonna, le meurtrier présumé du préfet Erignac, était toujours libre, c'est que la police ne faisait pas son travail et que la population locale protégeait M. Colonna. Vous croyez que c'est vrai ?
- « Les propos de l'opposition sont insanes. Il y a certainement quelques personnes, quelques proches, des amis, qui soutiennent Y. Colonna. C'est certain. Mais je ne pense pas que l'adhésion de la population corse soit là. »
Q - Et la police fait tout ce qu'elle peut pour le retrouver ?
- « Je pense que la police fait tout ce qu'elle peut et qu'elle va aboutir. »
Q - Elle va aboutir ? Rapidement ?
- « La police retrouve toujours les gens. C'est la seule chose dont on peut être assuré. »
Q - Le RPR s'est dit choqué hier quand L. Jospin a reconnu la mise en oeuvre défectueuse de la politique de l'Etat par le préfet Bonnet, en disant qu'un chef de gouvernement ne peut pas se plaindre de ce que fait un fonctionnaire qu'il a lui-même nommé ?
- « Question de morale politique : chacun son style. Le Premier ministre est capable de dire : "C'est vrai, il peut y avoir eu des erreurs commises. Nous les voyons, nous les reconnaissons, nous les corrigeons." C'est une autre conception de la démocratie et de la responsabilité. »
Q - Vous êtes Radical, vous avez même présidé le Parti radical de gauche il y a quelques années. D. Voynet, votre collègue au Gouvernement, se plaint des coups de griffes qui lui ont été donnés par votre parti. On a entendu votre président dire qu'elle est un peu égocentrique.
- « Notre parti quelquefois, a matière à se plaindre de comportements de la part des Verts notamment en matière électorale. Il y a actuellement des discussions qui s'engagent avec le Parti socialiste mais également avec les autres partenaires de la majorité plurielle, pour savoir si nous allons faire des listes communes aux élections-municipales. Hier les dirigeants du PS et du PRG se sont rencontrés. Les Radicaux ont fait valoir qu'ils pouvaient légitimement espérer avoir des têtes de liste dans un certain nombre de communes de plus de 20 000 habitants, par exemple. Ce qu'il faut dire aussi, c'est qu'on peut aller dans un accord avec un ensemble de partenaires que des règles de bonne conduite sont bien placées, bien dites... »
Q - Et respectées ?
- « Et respectées, en sorte que nous n'ayons pas quand même, nous, Radicaux, dans des élections partielles, à souffrir des comportements que le Parti communiste ou les Verts ont pu avoir dans certaines localités : je pense à la Rochelle tout récemment dans une élection cantonale. »
Q - Vous trouvez qu'ils ont trop d'appétit ?
- « Les Verts cherchent à se placer, à se positionner. Personne ne saurait le leur reprocher. Quand J.-M. Baylet parle d' "égo-logie", moi je pense que simplement ça s'appelle "jouer personnel." Un footballeur dans son équipe, il a raison de se faire valoir, d'essayer quand même de plaire au public et au sélectionneur. Mais il ne faut pas que ça compromette le succès de l'équipe. »
Q - La politique et la démocratie c'est quand même que les gens qui ont élu un mouvement voient ce mouvement accéder aux responsabilités. Est-ce que de ce point de vue, le Gouvernement n'est pas un peu fautif d'avoir ignoré le très bon score qu'ont réalisé les Verts. Et c'est vrai qu'avec un ministre au Gouvernement, ils peuvent éventuellement se plaindre d'être un peu négligés.
- « Tout est relatif. Moi j'avoue que je ne suis pas émerveillé par les scores obtenus dans des élections à la proportionnelle intégrale. C'est ma philosophie. Je n'aime pas ce type d'élections et je pense que les électeurs s'y déterminent non pas en fonction de projets, mais en fonction d'avertissements qu'ils veulent donner ici ou là. Pour moi, ce n'est pas très significatif et pas très constructif. Je préfère les autres formes de scrutin. »
Q - Si par exemple, D. Cohn-Bendit se présentait à Paris, ce serait une mauvaise affaire pour la gauche plurielle ?
- « Non, je n'en sais rien. Mais il a parfaitement le droit de se présenter où il veut. »
Q - Je m'adresse maintenant au ministre de la Fonction publique. La deuxième loi sur les 35 heures approche. Est-ce que l'Etat va s'appliquer à lui-même, c'est-à-dire à ses fonctionnaires, les règles qu'il impose à toutes les entreprises de France ?
- « C'était le discours de l'opposition qui dit : "L'Etat martyrise ces pauvres entreprises." »
Q - Pas « martyrise » mais « impose des règles. »
- « Oui, non, bien sûr. Il faut dire les choses comme elles sont. Le Gouvernement a dit : "Si la formule légale dans notre pays, c'est 35 heures, les fonctionnaires sont concernés." Mais ce n'est pas la même logique que dans le secteur marchand. Dans le secteur marchand, on va aux 35 heures pour créer des emplois, parce que ce secteur n'en a pas créés depuis longtemps, alors que la fonction publique, elle, a créé beaucoup d'emplois depuis les dernières années. On n'est pas dans la même logique. »
Q - Y compris les emplois-jeunes, récemment ?
- « D'accord. Mais beaucoup d'emplois aussi de statutaires et donc on n'est pas du tout dans la même logique. On va aller aux 35 heures, mais pas pour les mêmes raisons. On va aller aux 35 heures pour améliorer le service public, améliorer l'organisation, faire bénéficier les fonctionnaires de cette avancée sociale. »
Q - Est-ce que ça veut dire qu'on ne mettra plus longtemps pour arriver aux 35 heures dans la fonction publique, par exemple ?
- « La fonction publique est un domaine extrêmement complexe. Il faut faire attention à la diversité des fonctions publiques. C'est une chose tout à fait extraordinaire. Il a fallu faire d'ailleurs un inventaire, un état des lieux : c'était le rapport Roché qui a été remis il y a quelques mois, et puis, nous continuons. Parce que ma méthode, c'est que les trains arrivent à l'heure, et que les choses se fassent bien, et on va, dans les quelques semaines – le 21 septembre, d'ailleurs – commencer les premières rencontres bilatérales pour commencer avec les syndicats à placer les grands principes généraux pour l'ensemble des fonctions publiques. »
Q - Le calendrier sera le même que pour le privé, oui ou non ?
- « Non, il n'y a pas de raison d'être très décalé. Mais je dis : "C'est un calendrier propre." L'important, c'est que les fonctionnaires aillent aux 35 heures comme les autres citoyens et vous allez voir, notre calendrier sera respecté. A la fin de l'automne, nous aurons défini les grandes lignes, et, après, les autres fonctions publiques mettront tout cela en oeuvre »