Texte intégral
Le Figaro - 18 novembre 1997
Le Figaro : Pensez-vous que la situation de la presse quotidienne nationale justifie une aide à l’exploitation des quotidiens ?
Catherine Trautmann : La presse quotidienne d’information politique et générale joue un rôle particulièrement important dans une société démocratique. Elle doit aussi faire face à des charges importantes tant sur le plan rédactionnel que sur celui de sa fabrication et de sa distribution. Je constate qu’en France, aujourd’hui, nos quotidiens rencontrent des difficultés de diffusion, de rentabilité publicitaire et, finalement, d’équilibre de leurs comptes. Les rapports sociaux au sein des entreprises sont difficiles et marqués par une histoire pesante. C’est pourquoi dès mon arrivée au ministère de la Culture et de la Communication, j’ai voulu entreprendre une action décisive en direction de ce secteur.
Mais pour améliorer l’exploitation des quotidiens nationaux et régionaux, je ne crois pas qu’il faille renforcer les aides qui se contentent de compenser les handicaps. En un mot, de rentrer dans une logique de financement des déficits.
En revanche, il est urgent de s’attaquer aux racines des problèmes, c’est-à-dire la modernisation des structures et des méthodes de travail aussi bien dans la fabrication, le commercial, la publicité et même dans les rédactions. Des groupes de travail sont en cours de constitution entre la presse et les pouvoirs publics, afin de dégager les priorités. Le vote d’une taxe sur la publicité hors média par le Parlement va permettre de financer les différents volets de ce plan de modernisation.
Le Parlement a voté hier la création du Compte d’affectation spécial qui va permettre de recueillir cette taxe, dès la fin 1998, grâce à une déclaration des investissements faits par les annonceurs qui interviendra en juin pour la première année. Ce sont, en fait, les annonceurs qui font plus de cinq millions de chiffres d’affaires qui verseront 1 % de leurs investissements en matière d’imprimés publicitaires adressés, de prospectus, de catalogues et de guides ou de presse gratuite. Il va de soi que ceux qui exercent exclusivement leur activité commerciale par le biais de catalogues – la vente par correspondance – ne seront pas taxés par ceux-ci.
Le Figaro : Avez-vous l’intention d’affecter la taxe créée par l’amendement Le Guen que vous avez soutenu à cette fin ?
Catherine Trautmann : Lors du vote de l’amendement au Parlement, il était clairement indiqué que la taxe sur la publicité sur le hors-média avait vocation à financer la modernisation de la presse quotidienne d’information politique générale, ainsi que les hebdomadaires locaux. Les différents titres présenteront leurs différents projets au SJTI qui est chargé de gérer le Compte d’affectation spécial. Ceux-ci seront donc étudiés afin d’apprécier la nature et l’importance de l’aide qui pourra leur être apportée.
J’ai insisté pour qu’une évaluation de ces actions soit régulièrement faite. Il faudrait se garder de soutenir excessivement un mode de distribution ou une approche publicitaire, alors que celui-ci n’apporterait pas de résultats suffisants.
Le Figaro : Quelle est pour vous la clé de répartition idéale PQN-PQR qui permettrait de soutenir la véritable presse d’information ?
Catherine Trautmann : Je ne crois pas que le problème se pose dans ces termes. Nous avons affaire à des entreprises qui connaissent des situations assez différentes et qui doivent donc réaliser des actions de modernisation qui correspondent à leurs handicaps.
Dans certains cas, il s’agira de soutenir des projets très spécifiques à une entreprise, dans d’autres cas, il sera possible d’accompagner des programmes qui s’adressent à un groupe de titres, voire à l’ensemble des quotidiens. Je pense, par exemple, au développement du portage ou la mise au point de systèmes d’étude du lectorat plus fins et plus poussés, ou encore à des campagnes de sensibilisation à la lecture. Cette énumération n’est pas restrictive. Ce sera le rôle du comité d’orientation de valider les projets. Le montant de l’enveloppe sera fonction de leur qualité. Il faudra enfin juger du degré d’urgence et des moyens dont dispose déjà l’entreprise pour mener à bien son projet.
La référence que vous faites à la notion de « véritable presse d’information » rejoint une préoccupation qui est la nôtre. Je crois que la modernisation technique, commerciale en direction des annonceurs, comme des lecteurs, ne saurait suffire et qu’il faut accorder une grande attention à tout ce qui permettrait de renforcer le contenu rédactionnel de nos quotidiens. J’entends prendre une initiative importante en matière de formation des journalistes. Je suis frappé que moins d’un journaliste sur cinq ait suivi une formation au journalisme. La qualité de l’information passe nécessairement par un excellent niveau de formation.
Il me semble aussi que les moyens documentaires, les archives, restent bien souvent à numériser. Il s’agit pourtant d’une amélioration pour le travail de chaque journaliste, alors même qu’il peut s’agir d’une étape pour préparer le développement d’applications multimédias.
Il serait dommage qu’au moment où les pouvoirs publics annoncent des mesures de mise à disposition des données administratives sur Internet, la presse n’en bénéficie pas.
Le Figaro : Au moment où le Parlement s’apprête à supprimer l’abattement professionnel de 30 % des journalistes au profit d’un fonds de compensation, le gouvernement a-t-il l’intention de demander une seconde lecture sur ce sujet ?
Catherine Trautmann : Le gouvernement avait souhaité rétablir les abattements professionnels pour 1998. Le Parlement ne l’a pas suivi en votant un amendement qui supprime ces amendements. Je crois, en revanche, que le gouvernement serait prêt à suivre une initiative des sénateurs visant à rétablir ces abattements. Le Premier ministre, le ministre de l’Économie et des Finances et moi-même rencontrons l’intersyndicale des journalistes ce matin pour en discuter.
Libération - 20 novembre 1997
Libération : La nomination de Dominique Wallon à la direction du Théâtre préfigure-t-elle une réorganisation du ministère ?
Catherine Trautmann : La mission confiée à Dominique Wallon s’articule en deux temps. Il est nommé à la direction du Théâtre et des Spectacles avec une mission de réflexion sur l’ensemble du spectacle vivant, en liaison avec la directrice de la musique et de la danse. J’ai pour priorité de reconsolider tout l’ensemble. Je ne cherche pas à traiter les choses de façon monolithique, mais j’ai la volonté de faire bouger une administration qui a tendance à s’autoreproduire. Il s’agit de rééquilibrer les différents secteurs du spectacle vivant. Ainsi la danse, qui est en situation de faiblesse alors qu’elle constitue l’un des arts les plus importants et rencontre actuellement beaucoup d’écho. Il s’agit aussi de regrouper les forces. Je m’interroge par exemple sur la séparation entre théâtre amateur (qui dépend du ministère de la Jeunesse et des Sports, ndlr) et théâtre professionnel. De même, il serait bon de mieux coordonner les pratiques et les filières de la formation. Les dossiers sont trop dispersés. Prenez les intermittents du spectacle. Ou les droits d’auteur. Pour le moment, le ministère n’a pas les moyens de traiter globalement ces questions. Il n’est pas en mesure de répondre assez vite aux demandes.
Libération : Beaucoup d’artistes s’inquiètent des effets de la déconcentration généralisée des crédits du ministère. Ils y voient le signe d’un désengagement de l’État…
Catherine Trautmann : L’État ne se désengage pas, il se responsabilise. Il doit être le garant d’un traitement égal pour toutes les structures. Le mouvement en cours au ministère de la Culture a des similitudes avec ce qui se passe pour la réforme de la justice. Il s’agit de développer l’indépendance vis-à-vis de l’exécutif tout en faisant évoluer l’organisation de l’État et son rôle. Il doit pouvoir piloter, initier, évaluer. Et s’il est présent sur toute la filière, c’est une garantie. La réflexion et les orientations de fond doivent venir du ministère. Les directions régionales des affaires culturelles se plaignent souvent que leur expérience n’est pas suffisamment exploitée. Nous devons appuyer d’avantage les Drac et leur fournir en même temps des consignes claires, par exemple en matière de tarification ou d’accès à la culture. Il faut non seulement définir des cahiers des charges mais veiller à leur respect ; il faut instaurer des contraintes d’accueil, envisager un plus grand partage des moyens. En somme, il faut redéfinir le cadre du service public si l’on veut, en particulier, éviter les effets du clientélisme local. Je sais que l’exemple de la région Paca et de Châteauvallon en a traumatisé beaucoup. Raison de plus pour définir de nouvelles garanties.
Libération : Pensez-vous que la fonction de porte-parole du gouvernement soit compatible avec celle de ministre de la Culture ?
Catherine Trautmann : J’ai accepté d’être porte-parole parce qu’on me l’a demandé. Mais, rassurez-vous, ma mission est d’abord d’être ministre de la Culture et de la Communication et j’ai l’occasion de faire entendre ma voix dans ce domaine. Je ne conçois pas mon ministère sans liberté d’action.