Texte intégral
Q - Plusieurs dossiers chauds marquent l'agriculture en ce moment, notamment celui des organismes génétiquement modifiés avec le conflit qui nous oppose aux États-Unis, puis un certain nombre d'entreprises agro-alimentaires qui semblent se méfier de ces OGM. On a appris hier qu'une grande marque de fabrication d'aliments pour enfants avait décidé de supprimer, les OGM de ses petits pots. Est-ce que ça donne raison à la position à la fois française et européenne ?
– « Oui, ça lui donne raison. Il y a du côté des consommateurs, de nos concitoyens, une grande méfiance, une grande prudence vis-à-vis de ces organismes génétiquement modifiés. Vis-à-vis de cette prudence, nous avons deux devoirs : le premier, c'est celui d'essayer d'harmoniser les choses au niveau européen parce que l'Europe est un marché unique et qu'on ne peut pas accepter qu'on réagisse tous en ordre dispersé et qu'on ne réagisse pas en Allemagne, en Hollande, en Italie ou en Espagne comme en France, donc, il faut mettre des procédures communes. C'est très difficile parce qu'il faut s'entendre sur ces procédures. Le deuxième devoir que nous avons, c'est de répondre à l'attente des consommateurs avec la traçabilité, la transparence, l'étiquetage. Au fond, si on a du mal à s'entendre les uns et les autres pour savoir, ce qui est dangereux ou ce qui ne l'est pas, ce que l'on doit en tout cas au consommateur, c'est de dire : « Ça c'est OGM, ça c'est non OGM. » Mais cet étiquetage est difficile à faire… »
Q - Il n'est pas fait d'ailleurs !
– « Tout à fait. C'est d'ailleurs pourquoi il ne faut pas non plus que les marques et les industriels disent : « Moi, je suis non OGM. » Il faut que les pouvoirs publics donnent des règles et s'entendent avec eux sur les règles. Ceci est en train d'être construit. Nous sommes en train de travailler sur le sujet. »
Q - Ça pourra être fait dans combien de temps ?
– « C'est très difficile de dire : « Ça, c'est OGM, ça ce n'est pas OGM. » Pour les céréales par exemple, il suffit que, dans un champ, il y ait un peu de vent, que le pollen se répande dans les champs voisins et on ne peut plus dire qu'il y a zéro pourcent d'OGM. Il faut des seuils de tolérance. C'est très difficile. Il faut déterminer ça d'une manière contractuelle avec les producteurs et au niveau européen si possible. En tout cas, c'est dans cette voie qu'on s'oriente. Il faut que les consommateurs puissent savoir pour chaque produit s'il y a eu des OGM ou pas. C'est un travail qui va nous occuper beaucoup dans les mois qui viennent. »
Q - En même temps ce type de politique a des répercussions. On a bien vu les États-Unis puisqu'on refuse justement leurs céréales avec des OGM…
– « On ne les refuse pas mais il y a une grande méfiance. »
Q - Et donc, les États-Unis prennent des mesures de rétorsion en ce qui concerne un certain nombre de produits français…
– « C'est sur le boeuf aux hormones qu'ils nous ont attaqués. En fait sur les OGM, on n'a pas fait encore d'embargo parce qu'on n'a pas la preuve ni le sentiment que telle ou telle céréale OGM est dangereuse. Mais c'est vrai que si on le faisait comme on l'a fait pour le boeuf aux hormones pour lequel on a mis un embargo, les Américains ou les Canadiens seraient en droit de nous dire : « Ce n'est que du protectionnisme car il n'y a aucun risque pour la santé, c'est du protectionnisme pur. » À ce moment-là, c'est à nous de donner la preuve qu'il y a danger et on se trouve dans un conflit, dans un arbitrage au niveau de l'Organisation mondiale du commerce. Nous nous sommes engagés contre le boeuf aux hormones, nous refusons le boeuf aux hormones américain ou canadien parce que nous considérons qu'il y a un danger pour les consommateurs européens. »
Q - Peut-on mesurer un peu plus maintenant les conséquences économiques que ça aura notamment pour certains producteurs comme ceux de Roquefort. Ce sont des productions très ciblées par les Américains. A-t-on une idée des conséquences économiques pour ces filières ?
– « C'est une guerre commerciale qui est terrible. On voit bien que dans ces rétorsions commerciales que les Américains font valoir vis-à-vis de toute l'Europe, pas seulement les Français, les producteurs de porcs au Danemark sont au moins aussi touchés, que les producteurs de foie gras ou de Roquefort en France. On prend en otages des producteurs très particuliers pour leur faire comprendre qu'il faut qu'ils fassent pression sur leurs pouvoirs publics pour que ceux-ci lèvent l'embargo sur le boeuf aux hormones. J'ai rencontré les responsables des différents secteurs pour voir comment on peut les aider ponctuellement. Ce qu'il y a de plus dur pour eux, c'est de prendre le risque d'être retirés du marché américain parce qu'après, pour le reconquérir, c'est très difficile. On est en train de voir avec eux quelles modalités techniques de soutien tous azimuts on peut prendre pour les aider à passer ce mauvais cap. »
Q - Concernant l'affaire du boeuf anglais, les Français s'interrogent. On voit beaucoup de supermarchés qui étiquettent la viande venant de telle et telle région. Les Français ont-ils raison d'être inquiets ou ont-ils tort ?
– « On passe dans notre conversation à un embargo qui est maintenu, celui sur le boeuf aux hormones américain parce que nous considérons qu'il est dangereux, à un embargo qui est levé, celui sur le boeuf britannique suite à la crise de la vache folle. C'est une décision qui date d'il y a de nombreuses années. Maintenant la Commission européenne, parce que c'était de sa compétence, a décidé de lever cet embargo. Il faut vraiment d'abord rassurer les consommateurs français en leur disant que les portes ne seront pas grandes ouvertes au boeuf britannique du jour au lendemain. D'ailleurs, elles ne sont pas encore ouvertes en France contrairement à ce que je lis dans tels ou tels journaux. Parce que, pour transposer cette décision européenne dans le droit français, il faut un arrêté du ministère de l'Agriculture qui ne sera prêt que vers fin août. Donc pour l'instant, de toute façon, il n'y a pas de boeuf britannique qui puisse rentrer en France. Quand il pourra rentrer, les conditions de levée de cet embargo sont extrêmement draconiennes. Je vous donne quelques exemples : on ne peut faire rentrer que de la viande désossée, dénervée, que du muscle pur parce qu'on n'a jamais trouvé de traces de vache folle dans du muscle pur. Il faut que ce soit des bovins qui soient nés après l'interdiction des farines animales, c'est-à-dire après 1996, qu'ils aient au moins six mois et moins de trente mois, qu'ils soient nés d'une mère parfaitement identifiée dans un fichier informatisé comme un état-civil, qu'ils soient abattus dans des abattoirs agréés. C'est vraiment très draconien comme levée d'embargo. Mais il faut rassurer les consommateurs français. De notre côté, en dehors de ce qui se passe en Angleterre, nous devons prendre des mesures – comme pour les OGM – pour éclairer le consommateur, pour lui dire : « Ça c'est du boeuf britannique, ça c'est du boeuf français, ça c'est du boeuf italien. » Nous sommes en négociation parce, qu'en fait, il y a déjà des arrêtés, des décisions qui ont été mises en oeuvre pour l'identification de la viande bovine en France. Vous avez une difficulté avec la restauration collective, avec les cantines scolaires, avec les restaurants d'entreprises. On est en train de négocier avec les syndicats de professionnels dans ce domaine une charte de bonne conduite. Il faut exiger – c'est la recommandation du Gouvernement – exiger des acheteurs qu'ils exigent des vendeurs des traçabilités, c'est-à-dire des informations sur l'origine de cette viande qu'ils achètent. »
Q - C'est à ça que vous travaillez en ce moment, notamment à cette charte…
– « … cette charte qui a fait l'objet d'une discussion avec les professionnels qui doit maintenant être agréée par les pouvoirs publics. Elle est en cours d'agrément. Nous pourrons la mettre à la rentrée. Mais, au 1er janvier de l'an 2000, l'identification sera généralisée en Europe, et là, on pourra savoir d'où vient la viande que l'on mange et de manière extrêmement précise. »