Interview de M. Brice Lalonde, président de Génération Ecologie, à RMC le 1er décembre 1997, sur son soutien à l'opposition patronale aux 35 heures, les enjeux internationaux de la conférence climatique de Kyoto sur l'effet de serre et la position des Verts, les mesures contre la pollution automobile, et l'autorisation de commercialiser le maïs transgénique.

Prononcé le 1er décembre 1997

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence internationale sur la lutte contre l'effet de serre à Kyoto (Japon) du 1er au 13 décembre 1997

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Un mot sur la loi Guigou sur la nationalité qui va être soumise au vote des parlementaires cet après-midi même au Palais-Bourbon ?

Brice Lalonde : Je déplore que l’affaire de la nationalité fasse le conflit droite-gauche. Je trouve cela absurde et je suis désolé que l’on supprime la manifestation de la volonté. Je trouvais parfaitement normal, parfaitement légitime, qu’un étranger qui veuille être français le dise, dans une cérémonie ou dans une prestation. Je trouve incroyable que l’on supprime cela.

P. Lapousterle : Politiquement vous êtes où ?

Brice Lalonde : Dans l’opposition. Je pense que ce Gouvernement est une variante de beaucoup de gouvernements énarques. On fait tout d’en haut et on a toujours raison de toutes les manières. Alors un jour c’était un Premier ministre qui était aussi très cumulard. Cette fois-ci c’est un gouvernement qui nous explique qu’il faut faire 35 heures et pas autrement et marcher au pas. C’est une erreur et je crois que ce Gouvernement se trompe – j’en suis persuadé –, et qu’il est en train de tuer l’esprit d’entreprise en France. Je suis donc pour faire un comité de défense des patrons parce qu’on en a besoin en France.

P. Lapousterle : Vous êtes pour un comité de défense des patrons ?

Brice Lalonde : Absolument ! On a besoin. C’est incroyable le nombre de déclarations depuis un an qui expliquent que tout est de la faute des patrons, que ce sont des méchants. C’est incroyable. Il n’y a qu’à continuer comme cela et on ira tous pointer aux Assedic.

P. Lapousterle : Ceux qui se souviennent que vous étiez dans un gouvernement Rocard ?

Brice Lalonde : Vous savez, il y a deux tendances dans la gauche et la droite. Il y a une tendance étatiste – c’est cela qui est au pouvoir : malheureusement elle existe aussi à droite – et puis il y a une tendance libérale. La tendance libérale à droite ou à gauche c’est celle qui consiste à dire je fais confiance aux Français, je fais confiance à la personne et j’arrête de donner des ordres à tout le monde. Un grand pays est fondé sur de grands citoyens. Si la France ne comprend pas qu’il faut aider chaque Français à devenir un grand citoyen autonome, indépendant, plein d’initiatives et se sentant responsable de la société, du destin de cette société, alors on n’arrivera à rien. Il y en a assez des énarques qui font tout à la place des Français.

P. Lapousterle : Et l’État ? Le rôle de l’État ? La garantie du citoyen ?

Brice Lalonde : Vous me faites rigoler : depuis combien de temps on voit cela ? Est-ce que l’État français peut se prévaloir de ses succès avec une augmentation continuelle des impôts et une espèce de fuite de la réalité entre les doigts de l’État ? L’État emploie bien sûr. Il faut qu’il y ait un État coordonnateur, il faut qu’il y ait un État qui assume les fonctions régaliennes – l’ordre, l’éducation, la recherche – mais enfin, il faut arrêter de tout faire à la place de tout le monde, de pomper l’argent des Français pour ensuite créer de faux emplois. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

P. Lapousterle : Vous êtes toujours écologiste ?

Brice Lalonde : Plus que jamais.

P. Lapousterle : On va parler de cela parce qu’aujourd’hui à Kyoto s’ouvre une conférence internationale qui a pour but d’établir un protocole international pour réduire, les gaz à effet de serre. Par parenthèse vous étiez à Rio en 1992.

Brice Lalonde : Oui, en effet.

P. Lapousterle : Des engagements avaient été pris et ils n’ont pas été tenus. Est-ce que tout cela est grave au point où on le dit, ou bien est-ce qu’on peut vivre avec l’air qui nous est proposé, finalement ?

Brice Lalonde : La Conférence de Kyoto, pour moi, c’est le prochain siècle qui commence. On est déjà au XXIe siècle et les affaires mondiales, les affaires planétaires commencent à prendre une place de plus en plus importante. Imaginez simplement qu’on est de plus en plus nombreux à la surface de la planète, que l’on a des techniques de plus en plus puissantes et que tout cela finit par avoir une influence planétaire. Alors il est donc normal que tous les peuples de la Terre se consacrent à essayer de maîtriser tout cela et à piloter la planète terre pour qu’elle n’aille pas de travers.

P. Lapousterle : Cela c’est ce qu’on avait dit à Rio.

Brice Lalonde : Exactement. Mais cela commence ; vous savez cela prend du temps. Il faut forcer un peu tout le monde, il faut en parler longtemps, il faut tout d’un coup que l’on voit les premières catastrophes ; et l’on s’y met. Et puis nos enfants sans doute, nous-mêmes en tous les cas, nous essayons d’inventer les outils, la diplomatie du prochain siècle. Comment est-ce qu’on peut se mettre d’accord entre des États ? La Sibérie, elle, est pour l’effet de serre. Elle se dit : si cela va se réchauffer un peu, cela n’est pas plus mal. Tandis que d’autres, au contraire, les îles, sont contre parce que si la mer monte, on risque d’être engloutis. Tous ces États qui ont des intérêts différents, entre les pays riches et les pays pauvres, cela est très difficile à faire. Petit à petit cela avance. Alors Kyoto c’est une étape de plus et la nouveauté de Kyoto, c’est qu’un pays considéré comme particulièrement polluant, les États-Unis, ce sont eux qui ont proposé cette fois-ci que Kyoto soit légalement contraignant. C’est-à-dire que les décisions qu’on prendra à Kyoto s’imposent. Cela est une grande nouveauté. Alors, si cela s’impose, cela veut dire qu’on va vers un Maastricht planétaire pour le climat. Un Maastricht – excusez-moi, je dis cela parce que les Français connaissent –, cela veut dire qu’on va s’imposer des disciplines et puis que l’on ne va pas rigoler. Comme on ne va pas rigoler – ce sera assez dur –, eh bien c’est normal de prendre le temps.

P. Lapousterle : Vous croyez qu’on est à la veille de ce genre de décisions ?

Brice Lalonde : Je n’en suis pas sûr parce que beaucoup d’État disent : on y va et il faudrait qu’il y ait un accord. Et entre nous soit dit, beaucoup d’États sont pour qu’il n’y ait pas d’accord du tout. La France serait plutôt pour qu’il n’y ait pas d’accord. Elle dit comme cela dans les réunions que ce serait bien mais comme elle est assez isolée, qu’elle n’est pas tout à fait d’accord avec les propositions, elle se dit : mon dieu, si je peux encore en prendre pour 20 ans cela n’est pas plus mal. Donc beaucoup d’États trichent. Et donc il faut des leaders, il faut que cela avance. Et s’il y a un accord entre l’Europe, le Japon et les États-Unis alors c’est bon. Et personnellement, je pousse le gouvernement français à accepter une partie de la proposition américaine. L’idée, c’est quoi ? L’idée c’est : OK, on va se mettre d’accord – tous les États de la terre – pour réduire nos émissions de gaz, mais à l’intérieur de cette réduction, créons de la flexibilité. On pourra s’échanger des droits à polluer. C’est très astucieux cela, et une grande compagnie française qui s’appelle Elf a dit : d’accord, moi, Elf-Aquitaine, je suis prêt à réduire de 15 % ma pollution, mais laissez-moi le faire à la manière américaine : j’en réduirai une partie en Afrique, une partie en Europe, une partie en Russie et donc j’y arriverai. Mais si on m’oblige à le faire en France, je ne peux pas le faire.

P. Lapousterle : Que pense l’écologiste Brice Lalonde de l’écologiste Dominique Voynet, puisque c’est elle qui représentera la France à Kyoto ? Est-ce que c’est un bon ministre de l’environnement ?

Brice Lalonde : Je pense que c’est un tigre dans les congrès des Verts et un mouton au Gouvernement. Je crois que comme beaucoup de politiques : on propose des tas des choses, on se battra comme un lion et puis, une fois qu’on est au Gouvernement, on accepte – un petit peu – les centrales nucléaires, le maïs transgénique, la piste de Roissy. C’est comme cela.

P. Lapousterle : Elle s’est écrasée, vous voulez dire c’est cela ?

Brice Lalonde : Elle s’est écrasée. Je crois qu’elle fait un peu de cinéma. En même temps, c’est une personnalité politique qui a du tonus.

P. Lapousterle : Pastille verte : le Gouvernement hésite encore à instaurer les mesures qui seraient draconiennes les jours de pic de pollution. C’est une bonne formule ?

Brice Lalonde : La pastille verte, c’est un peu comme la balladurette et la juppette : c’est « vive les voitures neuves, ou vive la voiture de l’année ! » La voiture de l’année est toujours plus propre que la voiture de l’année précédente. Est-ce que c’est juste ? Pas tellement en réalité. Moi, je pense que la circulation alternée, qui a un côté « tirage au sort » est aussi juste. Et puis, vous savez, n’oublions pas que la moitié de la pollution automobile en ville, ce sont les utilitaires, les petits camions, les voitures de livraison. On n’en parle jamais. C’est toujours le pauvre automobiliste sur lequel on tombe et, en fait, ce n’est pas vraiment lui qui est responsable de toute la pollution. Donc tout cela, c’est beaucoup d’agitation.

P. Lapousterle : Que faire les jours de pic de pollution ?

Brice Lalonde : Les jours de pic de pollution, on remet la circulation alternée : un jour impair et un jour pair. Cela tombe avec une certaine injustice parce que c’est le tirage au sort, mais le tirage au sort dans certains cas c’est ce qu’il y a de plus juste.

P. Lapousterle : Alors le maïs transgénique : la mise en culture a été autorisée par le Gouvernement. C’est une décision qui fait beaucoup de bruit. Noël Mamère a dit que c’était inacceptable ; même Henri Emmanuelli a émis quelques réserves.

Brice Lalonde : Je les comprends tous : le Gouvernement autorise le maïs transgénique et il dit qu’il y aura un débat. C’est quand même curieux parce qu’on se dit : pourquoi est-ce qu’il n’y aurait pas un débat avant de prendre la décision. C’est d’autant plus étonnant qu’il y a en France des entreprises qui commercialisent des insectes qui mangent la pyrale du maïs. Je pensais donc que les Verts étaient favorables à la lutte biologique. Là, on favorise donc le maïs. C’est le maïs Novartis, c’est-à-dire d’une des plus grandes multinationales mondiales. Je pense que le Gouvernement a cédé à la pression des agriculteurs et notamment des producteurs de maïs.

P. Lapousterle : Est-ce qu’il y a un vrai risque sur le maïs transgénique ?

Brice Lalonde : Personne ne sait. On pense que non, parce que le maïs a du mal à se croiser avec des plantes locales. C’est une plante qui vient d’Amérique, qui vient des aztèques. Donc on se dit : il n’y a pas beaucoup de chance. Simplement, celui-là, pour des raisons de commodité, est marqué avec une résistance à un antibiotique. Comme on sait qu’on a des problèmes de résistance aux antibiotiques : est-ce que c’est très malin ? Vous savez, il y a des gens qui s’inquiètent de cela. Peut-être que si l’on avait fait le débat avant, cela n’aurait pas été plus mal.