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L’Événement du jeudi : Comprenez-vous la démission de Jean Gandois ?
Christian Sautter : Je n’ai pas à commenter une décision interne au CNPF.
L’Événement du jeudi : Vous méritez bien votre surnom, « la Carpe ».
Christian Sautter : Lorsque j’étais secrétaire général adjoint de l’Élysée, je ne me livrais pas au jeu des petites phrases. Mitterrand disait : « Je n’ai pas de cabinet », j’en ai tenu compte. Mais, aujourd’hui, je suis ministre. Il va falloir me trouver un autre surnom.
L’Événement du jeudi : L’ex-patron des patrons n’a pas eu de mots assez durs pour condamner l’attitude du gouvernement, à l’issue de la conférence. Il a parlé de « complot ». Franche ou une feinte colère ?
Christian Sautter : J’ai été surpris par la vivacité du ton de Jean Gandois à la sortie de la conférence. Il ne pouvait que feindre d’être étonné d’apprendre la décision de Lionel Jospin, puisqu’il avait été mis au courant. Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn s’en étaient ouverts à certains membres de la délégation patronale pendant le déjeuner. Il n’y a pas eu de surprise.
L’Événement du jeudi : Le CNPF vous reproche de privilégier l’affichage politique au mépris des contraintes de la mondialisation et de la compétition internationale. Avec le risque d’affaiblir les entreprises françaises. Et donc de créer du chômage.
Christian Sautter : C’est étonnant comme ce sont les patrons qui, aujourd’hui, brandissent des pancartes idéologiques ! Il y a deux ailes au sein du patronat français. D’un côté, celle qui, à force de parler de mondialisation, en vient à considérer que le modèle unique sur lequel il faut s’aligner est le modèle Harvard. C’est-à-dire, la combinaison de la technologie du XXIe siècle et des rapports sociaux du XIXe. D’autre part, celle pour qui l’organisation de la production est une prérogative de droit divin des patrons. Et pour laquelle toute ingérence de l’État est un crime de lèse-majesté. Mais, entre ces deux ailes, il y a le corps de la très grande majorité des entreprises qui, lui, est pragmatique. Celles-ci peuvent avoir intérêt à passer d’une équipe de travail à deux équipes, à ce que chaque salarié travaille moins, à ce que toutes les machines travaillent plus. C’est cette approche intelligente de la réduction du temps de travail que nous avons voulu privilégier. En faisant en sorte que l’État les incite à franchir le pas.
L’Événement du jeudi : Avec une date butoir, le 1er janvier 2000, qui donne des cauchemars au patronat.
Christian Sautter : Nous ne forçons personne. L’État n’est pas en mesure d’imposer quoi que ce soit. Au contraire, Lionel Jospin l’a bien dit : « Ce n’est pas à l’État de se mettre à votre place. C’est à vous, partenaires sociaux, de négocier. » Ce que nous disons, c’est qu’une loi fixera dans le code du travail la durée légale du travail au 1er janvier 2000, à 35 heures au lieu de 39. Ce qui ne signifie pas que tout le monde devra travailler 35 heures. Il s’agit de la durée légale et non de la durée effective, j’y insiste. Cela veut dire que, dans deux ans, les 36e, 37e, 38e, 39e heures, deviendront des heures supplémentaires. Si elles sont majorées de 25 %, sur 4 heures, cela représentera 2,5 % de hausse. La loi fixera en 1999 e montant de ce coût supplémentaire. Quand on a relevé le Smic de 4 % au début de l’été, personne n’a poussé de cris terribles. Alors...
L’Événement du jeudi : Avez-vous une idée du nombre d’emplois que pourrait créer la réduction du temps de travail ? Et quel coût pour l’État ?
Christian Sautter : Pour 1998, nous avons mis de côté une provision budgétaire de 3 milliards de francs. Ce qui permettra de verser une aide de 9 000 F par salarié aux entreprises qui accepteront de baisser d’au moins 10 % le temps de travail en accroissant leurs effectifs d’au moins 6 %. La prime sera ensuite dégressive, mais elle sera durable après l’an 2000. Nous escomptons que 700 000 personnes seront incluses dans des accords d’entreprise à la fin de l’année prochaine. Ce qui permettra au total de créer 42 000 emplois à la fin 1998. Si l’on ajoute les 200 000 nouveaux emplois induits par une croissance de 3 %, nous pouvons espérer quelque 250 000 emplois nouveaux en 1998. Ce n’est pas la révolution mais un progrès significatif.
L’Événement du jeudi : Si le patronat déclare la guerre aux 35 heures, tout cela ne va-t-il pas tomber à l’eau ?
Christian Sautter : Au niveau des branches, il est possible qu’il y ait des difficultés de négociation, car, c’est là que les organisations professionnelles sont les plus fortes. Mais ce n’est pas le niveau le plus important pour la réduction du temps de travail, qui se négocie à l’échelle de chaque entreprise. Les branches font du prêt-à-porter et les entreprises feront du sur mesure. La réduction du temps de travail se fera sur mesure.
L’Événement du jeudi : La discussion budgétaire a débuté mardi à l’assemblée. Les Français ont plutôt le sentiment qu’ils paieront autant sinon plus d’impôts en 1998. N’avez-vous pas d’ores et déjà perdu la bataille pédagogique du budget ?
Christian Sautter : Cette « bataille », comme vous dites, ne fait que commencer. Il est vrai que certaines catégories limitées paieront plus. Mais nous partons de l’hypothèse que le pouvoir d’achat après impôts progressera en moyenne de 2,3 % l’année prochaine. N’oubliez pas qu’en 1996, le pouvoir d’achat, selon une enquête de l’Insee, avait baissé de 1,6 % en moyenne et de 3,1 % pour les cadres après la très forte ponction fiscale décidée en 1995.
L’Événement du jeudi : Après avoir annoncé que l’aide pour la garde d’enfant à domicile, l’Aged, serait réduite de moitié, Martine Aubry semble prête à transiger. Comprenez-vous l’indignation des familles ?
Christian Sautter : Si l’Aged n’est pas diminuée de 50 %, il faudra prendre l’argent autre part. La branche famille est déficitaire de 13 milliards de francs. Cette économie, ainsi que celle dégagée par le plafonnement des allocations familiales et par la limitation à 22 500 F au lieu de 45 000 F des déductions fiscales pour les emplois à domicile, n’est pas tombée dans un trou. Grâce à elle, nous avons quadruplé l’allocation de rentrée scolaire, permis que tous les enfants mangent à la cantine, même quand leurs parents ne peuvent pas payer. Nous avons majoré l’aide personnalisée au logement. Voilà à quoi sert l’argent que l’on prend à quelques familles aisées.
L’Événement du jeudi : Autre volte-face en vue : la suppression des abattements professionnels de quelque 104 professions, dont les journalistes, les pilotes de ligne. Ne conviendrait-il pas d’étudier la situation de ces professions au cas par cas ?
Christian Sautter : Il se trouve que la commission des finances a adopté les amendements des députés de droite, MM. De Courson et Devedjian, visant à supprimer ces abattements. Le Gouvernement examine un à un les amendements présentés par la commission. Si cette suppression était adoptée, il faudrait prévoir un fonds de compensation pour les journalistes les plus touchés.