Interview de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, à France Inter le 30 septembre 1999 sur la place de l'amateurisme dans le sport et la redistribution des droits de retransmission télévisée.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Le sport laissera-t-il une place à l'amateurisme ? La course à l'argent, et à l'audience qui attire l'argent, est-elle encore contrôlable ? La Coupe du monde de rugby a vu ses droits de retransmission télévisée doubler en quatre ans. La. Coupe 1999 rapportera au moins 400 millions de francs. Le club de Manchester United dispose d'un budget de 880 millions de francs. Le nombre de matchs et d'épreuves en tous genres ne cesse d'augmenter aux dépens de la santé des joueurs et des athlètes – au profit des produits dopants ? Le projet de loi de la ministre de la Jeunesse et des Sports a-t-il les épaules assez larges pour porter les espoirs des amateurs ?

Mme M.-G. Buffet, je vais vous poser la même question que celle que l'on a beaucoup posée à L. Jospin ces derniers temps : peut-on réguler encore ? Est-ce que les enjeux ne sont pas tellement énormes qu'ils sont désormais incontrôlables ?

– « Je crois que l'on peut réagir. D'abord, parce que l'État en a les moyens. En France, entre l'État et le mouvement sportif il y a une complémentarité, il y a des liens très étroits à travers les conventions d'objectifs, les cadres techniques que nous mettons à disposition des fédérations. Je pense qu'il y a une très large majorité du mouvement sportif qui souhaite que l'on arrive à réguler l'arrivée de l'argent dans le sport. »

Q - Vous n'avez même pas présenté votre projet en Conseil des ministres que l'on vous dit : « Voilà un nouvel impôt, le sport étatisé, le sport de gauche…», etc., j'en passe et des meilleures.

– « C'est une vision complètement trompeuse. La mesure de prélèvement de 5 % sur les droits télés pour aider les petits clubs est certainement la mesure la plus populaire dans le mouvement sportif que j'aie présentée depuis deux ans. Bien sûr, il y a deux, trois endroits où l'on émet des critiques : c'est la Ligue professionnelle de football ; j'ai reçu une lettre très constructive, mais en critique, sur ce projet, du président de la Fédération de tennis. Mais, voilà, c'est tout ! »

Q - Cela grogne du côté du Tour de France, du Comité olympique sportif français…

– « Non, le Comité olympique sportif, ce n'est pas sur cette question. C'est sur l'article 8 concernant l'éducation populaire. Non, je pense que, vraiment, pour les bénévoles des clubs, pour les fédérations qui, hélas, ne passent pas à la télévision et qui ont peu de ressources, c'est une mesure tout à fait utile. »

Q - Le Comité olympique sportif français se demande comment vous allez redistribuer ces 5 %.

– « J'ai adressé à M. Sérandour, hier, le président du Comité olympique, une lettre pour lui préciser que dans l'article de la loi de finances qui va instaurer ce prélèvement, il est noté et précisé que ce fonds sera cogéré avec le mouvement sportif, bien sûr avec le CNOSF. Donc, c'est avec eux que nous allons décider où va aller cet argent. »

Q - Il n'a pas l'air convaincu.

– « Il a la lettre depuis hier. Il voulait quelque chose d'écrit, il l'a. »

Q - Quand on voit les chiffres, c'est ahurissant ! Est-ce que les 5 % vont permettre de faire véritablement vivre l'amateurisme ?

– « Seuls non, parce que 5 % aujourd'hui cela représente entre 150 et 180 000 millions sur les droits télés… »

Q - Combien sont-ils les droits télés ?

– « Pour le football, sur quatre ans, c'est un peu plus de 8 milliards. »

Q - Vous vous rendez compte, vous apportez une goutte d'eau !

– « Donc, il ne faut pas crier au loup. Ce n'est rien. C'est simplement un geste de solidarité. Mais, en plus de ces 150 ou 180 000 millions viendront s'ajouter les bénéfices de la Coupe du monde qui vont être redistribués, en partenariat avec la Fédération française de foot, vers les petits clubs. Nous avons augmenté la part régionale du Fonds national du développement du sport. Tout ce qui peut aller vers les petits clubs, je vais encourager pour que cela atteigne réellement ces clubs. De quoi ont-ils besoin ? Ils nous le disent : ils ont besoin d'éducateurs, de moyens pour que les enfants puissent être transportés – souvent ce sont les bénévoles avec leur voiture personnelle qui transportent les enfants –, là cela pourra être un minibus. Ils ont besoin d'un terrain pour accueillir les filles qui veulent faire du foot parce qu'il n'y a pas assez de terrains dans le club. C'est très concret, c'est très précis. On va faire appel à projets et l'on va redistribuer. »

Q - Cette petite goutte d'eau de « solidarité », telle que vous la qualifiez, est-ce qu'elle peut vraiment servir ? Tout le monde se demande si le professionnalisme ne va pas tout absorber, si le pot de fer ne va pas casser le pot de terre.

– « D'abord, il y a beaucoup de sportifs et de dirigeants dans le monde professionnel qui appuient cette mesure et qui sentent bien, qui savent qu'il ne peut pas y avoir de grands professionnels s'il n'y a pas d'abord un petit club qui les a accueillis lorsqu'ils avaient six ans, sept ans, huit ans. Je dis souvent aux enfants : tous les grands joueurs, membres de l'équipe de France, championne du monde de football, ont commencé dans un club avec des bénévoles, dans un quartier, dans une commune. Beaucoup, beaucoup d'acteurs du sport professionnel sont partisans d'aider ce sport de proximité, ce sport qui fait que, demain, il y aura des médailles en France. Donc, je pense que l'on va y arriver. »

Q - Qui va veiller à cela ? Hier, dans Le Parisien, il y avait un article très intéressant et édifiant à propos du club de foot de Nanterre. Je lis : « Sur les 40 responsables du club, l'essentiel est constitué de bénévoles puisés dans les familles et les proches. » Qui va veiller à ce que votre goutte d'eau de solidarité aille vraiment dans les petits clubs, là où on en a besoin ?

– « On va mettre en place un fonds de gestion de cet argent. Nous allons examiner, projet par projet, et nous veillerons avec nos directions déconcentrées que l'argent aille bien aux clubs qui auront présenté le projet. C'est tout à fait simple, c'est tout à fait possible. Par exemple, j'ai vérifié que, cette année, il y a plus de 50 % de la part régionale du Fonds national de développement pour le sport qui a vraiment été en direction des clubs. J'estime que ce n'est pas encore assez, et je vais proposer au mouvement sportif en janvier que l'on monte à 63 %, 64 %. On peut vérifier, contrôler où va l'argent. »

Q - Vous ambitionnez la transparence, tout le temps et partout ?

– « Dans le projet de loi, nous avons une mesure importante : tout sport ayant un secteur professionnel devra créer une ligue professionnelle et devra instaurer, au sein de celle ligue, une commission de contrôle de gestion des clubs professionnels. C'est ce qui s'est passé en foot, c'est ce que réclame maintenant l'UEFA au plan de l'Union européenne – c'est d'ailleurs ce que j'avais proposé au président Blatter lors de la réunion des Quinze à Paderborn avec la famille du foot. Je pense que tout ce qui va vers la transparence de gestion va nous permettre de limiter la course aux transferts faramineux, le fait que des clubs en déficit dans certains pays de l'Union européenne continuent à transférer, continuent à acheter des joueurs. On va essayer, également de réglementer la profession d'agent auprès des sportifs. Je pense que tous ceux qui veulent faire ce travail de façon nette, constructive, vont être satisfaits que l'on puisse reconnaître une véritable profession. »

Q - Pas plus de 10 % de commission pour les agents.

– « Je crois que c'est déjà pas mal. »

Q - La course folle, le train qui s'est emballé : plus de 35 matchs pour certains joueurs de football. Qui peut physiquement encaisser cela ?

– « C'est un véritable problème. Des fois on parle de la lutte contre le dopage comme une lutte en soi. En fait, le dopage est souvent issu de surmenage, de calendriers trop chargés, de blessures que l'on n'arrive pas vraiment à soigner, de mises en dépendance de certains sportifs par rapport à leur avenir. Donc, j'entends bien tous ces sportifs qui, aujourd'hui, prennent la parole de façon très nette, très courageuse pour dire : « Attention, on a trop de matchs, on est en surcharge. » C'est le mouvement sportif, c'est lui qui est chargé des compétitions… »

Q - C'est le business surtout ! On est moins dans le sport que dans le business !

– « Je sais bien que c'est le business, mais il faut bien que tous ceux qui sont en position de responsabilité à l'intérieur du mouvement sportif avec les joueurs eux-mêmes réagissent. Nous, nous pouvons aider, mais c'est de la responsabilité du mouvement sportif. »

Q - Quel type, aujourd'hui, de relations, d'entretiens avez-vous avec les chaînes de télévision. France-Soir faisait sa une hier sur : « Trop de foot à la télé ! »

– « faut faire attention. Le foot est le sport le plus planétaire, le plus populaire, donc il y a formidable demande pour avoir du foot à la télé. Je pense que le match d'hier, Manchester-Marseille, a dû être regardé par des millions et des millions de personnes, hommes et femmes, jeunes. Mais il peut y avoir un effet boomerang : au bout d'un moment, il peut y avoir une overdose. Il faut veiller à ce que les autres sports aussi apparaissent à la télévision. Et quand je dis « les autres sports », cela peut aussi être le sport au féminin. Hier soir, il y avait le match de l'équipe de France de foot féminin pour la qualification à l'Euro 2001, eh bien, cela serait bien que l'on voie quelques extraits. Il y a des matchs importants dans le hand, dans le basket. Il faut que tout cela apparaisse à la télé. »

Q - Il faut aussi que les femmes puissent être responsables de fédération ?

« – Oui, la loi inclut, comme dans la Constitution française, l'accès égal des hommes et des femmes dans les instances dirigeantes du mouvement sportif. Je pense que c'est important, parce qu'elles sont là, elles sont dans les sports, elles pratiquent, très nombreuses, il faut leur donner la place dans les responsabilités. »

Q - G. Roux, hier soir, disait : « C'est un impôt nouveau. » Il ne veut pas entendre vos arguments.

– « Oui, eh bien, je pense que les petits clubs d'Auxerre vont entendre les arguments. »