Texte intégral
RPP : Dans un contexte réglementaire très élaboré, pouvez-vous définir les grandes lignes de votre politique dans le domaine de l’environnement ?
Dominique Voynet : Comme vous le savez, mon ministère réunit aujourd’hui deux départements : l’aménagement du territoire et l’environnement. Lorsque vous parlez d’un contexte réglementaire très élaboré, vous n’évoquez que le champ de la protection de l’environnement qui est, effectivement, très encadré par des lois nationales sur l’air, les déchets, l’eau, le bruit, les paysages… et des textes européens. Reste que trop souvent, ces textes ne sont pas appliqués. Il faut qu’ils le soient. C’est dans cet esprit que j’ai entrepris, sans plus tarder, de relancer la directive « Natura 2000 » en élargissant la concertation à tous les acteurs concernés. Une première liste de sites a été concernés. Une première liste de sites a été transmise à Bruxelles qui, une fois réunies toutes les propositions des États membres, sélectionnera les espèces et les espaces qui seront protégés dans le réseau Natura 2000. Les engagements pris par la France dans ce domaine, comme dans les autres, seront tenus. Je m’y engage.
RPP : Cet été, trois plages du Sud de la France ont été interdites à la baignade à la suite d’une pollution bactérienne. Ces phénomènes ne relancent-ils pas la polémique sur l’assainissement de la côte ?
Dominique Voynet : Ce genre de pollution se produit en général lors de fortes pluies, qui excédent les capacités hydrauliques des ouvrages d’assainissement. Celles-ci entraînent alors une pollution bactériologie des eaux de baignade. On en constate malheureusement tous les ans. Or, cette année, grâce au dispositif de surveillance mis en place sous la responsabilité du secrétariat d’État à la santé, cette pollution a pu être décelée et les autorités, élus et fonctionnaires, ont ainsi pu prendre les mesures sanitaires adaptées.
C’est, j’en ai bien conscience, une réponse conjoncturelle. Il nous faut, par ailleurs, poursuivre l’application des textes en matière de dépollution en s’appuyant notamment sur les techniques préventives et alternatives (lutte contre le ruissellement, stockage, infiltration, etc.). Les agences de l’eau, dont les taux d’aide sont librement déterminés par leur conseil d’administration où siègent de nombreuses collectivités, ont défini, dans leur VII programme d’actions, les modalités d’aide aux collectivités littorales : leur effort d’assainissement devra porter sur une meilleure collecte et un traitement plus adapté à la pollution de temps de pluie. Et puis, il faudrait encore améliorer le réseau de surveillance sanitaire des eaux de baignade et l’information des estivants.
RPP : Le littoral n’étant pas seul concerné, n’est-il pas nécessaire de relancer la politique de l’eau ?
Dominique Voynet : En effet, l’enjeu est considérable, puisque malgré les efforts entrepris lors de ces trente dernières années, seulement 40 % de nos cours d’eau respectent par exemple les objectifs de qualité qui leur ont été fixés. Même s’il reste quelques points noirs, d’importants progrès ont déjà été réalités par les industriels, qui ont compris dans leur immense majorité que les normes environnementales n’étaient pas des contraintes administratives arbitraires, mais bien au contraire, des facteurs de compétitivité et d’excellence technologique.
Je veux agir contre les pollutions diffuses d’origine agricole. En étroite collaboration avec mon collègue de l’agriculture, Louis Le Pensec, je m’attache à améliorer les dispositifs réglementaires et financiers en place : programmes d’action au titre de la directive nitrates, programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole (PMPOA), opérations-pilotes de réduction des apports de produits phytosanitaires. La pollution domestique reste toutefois dominante puisqu’elle constitue à elle seule environ deux tiers de la pollution organique totale déversée au milieu.
RPP : Le système de gestion privée est-il en cause ?
Dominique Voynet : Non. La gestion déléguée des services publics d’eau et d’assainissement a permis aux grandes entreprises françaises d’atteindre un haut niveau d’excellence technologique, et d’accomplir des performances spectaculaires à l’exportation. Je ne souhaite pas remette en cause ce système dans son principe, mais je suis extrêmement vigilante à ce qu’il garantisse une parfaite transparence à nos concitoyens, pour la passation des marchés et la fixation du prix de l’eau. ?
RPP : Près de la moitié des villes françaises équipées d’anciens incinérateurs de déchets ménagers ne sont pas conformes aux normes de rejets polluants fixées par les textes de loi de 1991. Quelles sont les directives que vous préconisez pour assainir la situation ?
Dominique Voynet : La circulaire du 30 mai 1997, relative à la mise en conformité des usines d’incinération d’ordures ménagères, rappelle aux préfets qu’il leur appartient d’appliquer la réglementation avec détermination, de mettre en œuvre, pour les installations dont les travaux de mise en conformité n’étant pas engagés, les mesures prévues à l’article 23 de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, et une procédure de consignation. Il a également été demandé aux préfets de prescrire aux exploitants d’usines d’incinération d’ordures ménagères, d’une capacité supérieure ou égale à 6 tonnes par heure, la réalisation d’une mesure annuelle de ces polluants, à compter de 1997. Un nouveau bilan de l’application de la réglementation sera effectué prochainement. Comme pour les précédents, ces résultats seront rendus publics.
Mais il ne faut pas se méprendre : l’incinération ne constitue, à mes yeux, qu’une solution ultime après la réduction des déchets à la source, le recyclage ou le réemploi. Cette hiérarchisation des priorités nous demandera de modifier les critères d’éligibilité du fonds de modernisation de la gestion des déchets (FMGD) qui, jusqu’à présent, favorisaient les investissements en équipements lourds – des usines d’incinération coûteuses et, de ce fait, surdimensionnées. Il faut modifier ces barèmes pour qu’ils favorisent les collectes séparatives et le compostage. De même, cette approche demandera de corriger les plans départementaux d’élimination des déchets ménagers en veillant à ce que le principe de proximités, fixé par la loi, soit respecté. Je souhaite engager, au plus tôt, la révision de ces documents et, à travers eux, la reprise de la concertation locale sur ces questions.
RPP : Parmi vos priorités, il y aussi la maîtrise de la consommation énergétique et la valorisation des énergies renouvelables. Comment comptez-vous y parvenir ?
Dominique Voynet : D’abord en relançant l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). À l’heure où vous oublierez ces lignes, elle aura eu un nouveau Président. La phase expérimentale de ces politiques s’est montrée concluante, la plupart des technologies sont aujourd’hui performantes. Il est temps que le budget de l’Ademe permette de financer l’exploitation de ces nouvelles technologies, qu’il s’agisse de maîtrise d’énergie ou d’énergies renouvelables, à l’échelle industrielle et plus expérimentale.
RPP : Pour la première fois en France, vous avez utilisé la circulation alternée. Malgré un résultat positif, cette mesure, déjà effective en Grèce et en Italie, reste une mesure d’urgence. À long terme, quelles solutions préconisez-vous ?
Dominique Voynet : La circulation alternée, telle qu’elle a été mise en place en Île-de-France, est très différente de celles qui existent en Grèce ou en Italie. En effet, pour ces deux pays, il s’agit de mesures permanentes, qui ont notamment pour inconvénient principal que les personnes qui le peuvent ont deux voitures. En général, une de ces deux voitures est ancienne, ce qui a pour effet une augmentation de la pollution.
En Île-de-France, la mise en œuvre de la circulation alternée n’est prévue uniquement qu’en cas de pic de pollution. C’est ce qui s’est passé le 1er octobre dernier et c’est ce qui se passera lors de pics de de pollution de niveau trois ou lorsqu’il y aura un risque d’atteindre ce niveau. Cette mesure sera rapidement remplacée par le système de la « pastille verte », qui permettra d’identifier les véhicules les moins polluants qui seront les seuls à pouvoir circuler.
RPP : Au-delà de ces mesures conjoncturelles, comment peut-on lutter contre la pollution de l’air ?
Dominique Voynet : Il faudra, tôt ou tard, parvenir à limiter la circulation automobile en ville et donc à renforcer les transports en commun. La loi sur l’air prévoit que les agglomérations de plus de 100 000 habitants devront se doter d’un plan de déplacement urbain au plus tard à la fin 1998. Ces plans permettront de réorganiser la place des différents modes de transport et notamment de limiter le trafic automobile.
La seconde orientation que je préconise est le rééquilibrage des transports de marchandises de la route vers le rail.
Par ailleurs, il faut chercher à limiter la pollution émise par chacun des véhicules. Des négociations sont en cours au niveau européen. Pour la première fois, la France a été en pointe. Cela a permis qu’une position unanime soit adoptée au conseil des ministres de l’environnement, le 19 juin dernier. Cela permettra une diminution de 30 % de la pollution par véhicule en 2000 et de 60 % en (...). Enfin, de façon à ce que les carburants les plus polluants soient plus taxés.
RPP : Dans le domaine de l’aménagement du territoire, quelles sont vos priorités ?
Dominique Voynet : Nous avons ouvert un grand chantier législatif avec la révision de la loi d’orientation et d’aménagement du territoire (LOADT) qui sera soumise au Parlement à la fin du printemps. Ma seconde priorité sera la réforme de l’enquête publique à partir d’une nouvelle approche de l’utilité publique. Cette réforme est urgente : trop souvent, les grands projets comme les infrastructures ou les grands équipements sont en effet décidés et imposés sans véritable concertation, et sans que l’utilité ait été explicitement démontrée. Il s’ensuit une avalanche de contentieux qui, non seulement coûtent cher à la collectivité, mais paralysent tous les projets d’aménagement.
RPP : Comment concevez-vous cette nouvelle architecture territoriale de la France ?
Dominique Voynet : Il s’agit d’initier une politique d’aménagement et de développement du territoire qui soit durable, en rupture avec les conceptions et les pratiques qui ont prévalu jusqu’ici. Le milieu ne doit plus être considéré comme une variable d’ajustement de la croissance économique. Une gestion active doit être engagée pour maintenir la qualité et la diversité de nos espaces et de nos patrimoines. Ma vision du développement durable ne se résume pas, comme on l’entend souvent, à un développement sous la contrainte de la préservation de la nature. C’est au contraire un développement qui prend en compte et optimise l’ensemble des ressources dans le souci de permettre aux générations futures d’en disposer pour leurs propres besoins.
RPP : Concrètement, quels pourraient être les critères de sélection des projets ?
Dominique Voynet : Il faut que cette politique d’aménagement soit simultanément économe et ambitieuse. L’aménagement du territoire ne soit plus servir de prétexte à des opérations dépourvues de justification économique. Un meilleur ajustement des projets aux besoins réels doit être recherché notamment grâce à plus de démocratie. Cela vaut notamment pour la politique de transports qui doit promouvoir un nouvel équilibre intermodal et un meilleur usage des infrastructures existantes. Mais cette politique doit être aussi ambitieuse. Par une réflexion nouvelle sur les agglomérations, elle doit se saisir de l’avenir des villes dont la croissance anarchique et l’étalement dans l’espace posent des problèmes insolubles. Elle doit simultanément permettre de relancer la politique de pays, conçus comme des projets volontaires de développement, et permettre l’accès équitable de tous aux équipements et aux services publics. Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication doit devenir dans ce cadre une priorité de la politique d’aménagement du territoire.
RPP : Certaines de vos prises de position, notamment vis-à-vis des milieux industriels et financiers ont suscité des interrogations. Comment réagissez-vous face à celles-ci ?
Dominique Voynet : Vous faites sans doute allusion à l’abandon du projet du Canal Rhin-Rhône et à la fermeture de Superphénix, annoncés dès mon arrivée. Ces décisions du Premier ministre ont fait dire à certains milieux de l’industrie et du bâtiment que je m’opposais à toute politique de grands travaux. Ils m’ont mal comprise. Ma volonté est que chaque denier public soit investi dans les secteurs utiles d’un point de vue social, économique et écologique. L’arrêt du projet du canal Rhin-Rhône a été décidé parce que sa rentabilité économique n’avait pas été démontrée. Il était en effet extrêmement coûteux en investissements et en fonctionnement. Mon objectif est d’identifier une alternative dont l’investissement se montrera efficace et rentable. Le fret ferroviaire et la multimodalité des transports répondent à ces exigences.
RPP : Pour vous, environnement et développement ne sont pas antinomiques.
Dominique Voynet : À l’évidence, non. J’en veux pour preuve que le secteur de l’environnement est devenu un secteur économique important. Les contraintes environnementales se sont avérée un vecteur de modernisation industrielle, de développement de la recherche pour inventer des procédés nouveaux, pour économiser les matières premières. Et à la clef, il y a de nombreux emplois. Or l’emploi est ma priorité comme pour l’ensemble du gouvernement. Il convient, bien sûr, de distinguer les activités rentables assurées par le secteur privé de celles confiées au milieu associatif, destinées à des publics en difficulté, et de toutes les autres où une impulsion publique s’avère nécessaire pour crédibiliser les nouveaux métiers.
Dans le cadre du plan emplois-jeunes du gouvernement, je vais prochainement signer des conventions avec les principaux partenaires de mon ministère (Agence de l’eau, Ademe, Associations, syndicats professionnels) afin de définir et pérenniser des emplois dans le domaine de la préservation et de la valorisation de l’environnement : 155 000 emplois sont actuellement répertoriés dans les éco-industries. Le domaine des déchets et de la récupération qui représentent 47 % de ces emplois constitue un potentiel de 20 000 nouveaux emplois sur les cinq ans à venir.