Texte intégral
3 juin 1993
RTL
H. Marque : Pouvez-vous nous préciser ce que vous allez faire des 24 milliards d'aides supplémentaires pour l'emploi décidé par le conseil des ministres ?
M. Giraud : On va faire feu de tout bois, comme le disait le Premier ministre pour apporter un certain nombre de mesures d'urgence à la situation actuelle de l'emploi. Cela ne veut pas dire jouer l'incohérence. Je voudrais souligner le caractère, au contraire, tout à fait cohérent de ce premier plan. Il y aura une loi quinquennale à l'automne. Il s'agit à la fois de favoriser la protection de l'emploi, prendre le problème le plus en amont possible par le chômage partiel ou par la compensation salariale pour éviter les licenciements, favoriser l'accès des jeunes à l'emploi. Il n'est pas tolérable que nous ayons 20 % des jeunes qui soient au chômage : c'est l'ensemble des contrats d'apprentissage, orientation, qualification, favoriser la solidarité par l'emploi notamment pour ceux qui sont les plus démunis, ces sont les contrats de retour à l'emploi, les contrats emploi-solidarité. Et puis, il faut favoriser la démultiplication des relais pour l'emploi. C'est vraiment la guerre pour l'emploi. Et tous les acteurs économiques, publics, syndicaux doivent être mobilisés.
H. Marque : En France, qu'allez-vous faire pour la formation des jeunes et pour leur adaptation aux besoins des entreprises ?
M. Giraud : On parle beaucoup du traitement social du chômage et la formule donne l'impression que le chômage est en perspective et qu'on ne peut pas faire autrement. Moi, je souhaite que l'on joue davantage et le plus possible les actions pour l'accès à l'emploi surtout lorsque les jeunes sont en situation difficile comme c'est le cas aujourd'hui. Et c'est la raison pour laquelle le plan qui a été présenté qui se met en œuvre immédiatement, facilité les contrats d'apprentissage, les contrats d'orientation, les contrats de qualification, les contrats d'adaptation. Faciliter, ça veut dire d'abord simplifier les mesures d'accès et permettre aux entreprises de pouvoir jouer ces contrats dans la mesure où il y a d'une part les réductions de charges, les crédits d'impôt et d'autre part pour chacun d'entre eux une dotation significative. Il faut vraiment que l'ensemble des entreprises fasse l'effort maximum, l'État fait le sien, pour faciliter l'accueil des jeunes, et ce tout de suite à partir du 1er juillet.
H. Marque : Une disposition originale consiste à verser une aide aux salariés qui accepteront d'être moins payé pour éviter des licenciements. Les salaires vont-ils garder leur liberté de choix ?
M. Giraud : Lorsqu'il y a un plan social, avec des perspectives de licenciement, lorsqu'il y a perspective de licenciement économique, et après que toutes les dispositions aient été envisagées dans le cadre de ce plan social, il apparaît qu'en dernier ressort mieux vaut une disposition de prise en compte partielle de la réduction de salaires que les licenciements. Alors j'insiste, ça veut dire qu'il y a débat social obligatoire au sein de l'entreprise, qu'il y a une adhésion volontaire des salariés à la convention, qu'il y a des engagements précis sur les conditions de sorties du dispositif. À partir de ce moment-là, pour éviter les licenciements et sur la base d'un accord de l'ensemble des salariés de l'entreprise, l'État est prêt à prendre sa part, à faire un effort et à assumer la moitié de la différence de salaire pour les salariés qui font cet effort.
H. Marque : Est-ce que le pire n'est pas encore devant nous ?
M. Giraud : Je ne peux pas cacher le fait, que compte-tenu du décalage entre l'annonce d'un plan social et l'enregistrement réel des chômeurs fin de mois, il est tout à fait évident compte-tenu notamment de l'aggravation de la situation à partir du début de l'automne de 92, que les mois qui viennent ne seront pas des mois favorables pour le chiffre du chômage. Ceci étant, pas de fatalité, nous relevons les manches. Votre question me conduit à dire que peut-être nous avons aujourd'hui à corriger une double erreur commise depuis 20 ans. La première erreur, c'est un manque de perspective, de prospective, et notamment au plan social. La deuxième erreur, c'est peut-être un excès de productivité de rattrapage. Et quand ces deux erreurs se cumulent, obligatoirement on crée moins d'emploi que d'autres. Il faut absolument remonter le courant, faire preuve d'imagination, susciter des emplois de service et s'agissant des délocalisations il faut que chaque fois que l'État à la maîtrise du jeu qu'il se garde de toute tentation de facilité. Mais je crois qu'il faut placer le problème sur un plan international. C'est la communauté c'est l'organisation internationale du travail, c'est peut-être l'ONU qui est la tribune qui convient pour faire valoir que dans les règles du commerce international il doit y avoir un aspect moral, humain, droit de l'homme. Il faut surtout conjuguer l'économie de marché avec ses règles qui sont parfois difficiles avec les règles fondamentales du respect des droits de l'homme.
4 juin 1993
RMC
P. Lapousterle : Est-ce que vous vous attendiez, vous et le gouvernement, à voir les chiffres du chômage croître si vite après votre prise de fonction ?
M. Giraud : On était préoccupé, et je l'étais personnellement. Mais ce que l'on a rapidement découvert, c'est quels chiffres qui s'égrenaient mois après mois, risquaient de s'aggraver et de durer pendant un certain moment. Tant il est vrai, qu'entre l'annonce d'un plan de licenciement et sa traduction en nombre de chômeurs, il se passe 4, 5, 6, mois avec les délais de consultations, de négociations, de préavis. Il y a donc un effet retard auquel s'ajoute l'effet des dépôts de bilans des petites entreprises sous-traitantes. Donc, la situation est préoccupante, et manifestement, le constat que nous avons fait c'est qu'elle s'était aggravée depuis quelques mois. Nous avons aujourd'hui à en payer les conséquences.
P. Lapousterle : Vous pensez que les mesures que vous avez prises sont très différentes de celles des gouvernements précédents, et que vous allez pouvoir changer des choses ?
M. Giraud : La première clé pour modifier la situation de l'emploi c'est la clé économique. Aujourd'hui, il n'y a pas de clé économique qui soit une clé nationale. Tout se joue au plan international, et singulièrement au plan européen. D'autre part, j'entends favoriser, le plus et le mieux possible, l'accès de nos jeunes à l'entreprise, à l'emploi. Il n'est pas tolérable que nous ayons 20 % de nos jeunes de moins de 25 ans, qui soient aujourd'hui privés de travail. C'est donc la priorité absolue. L'objectif du gouvernement, et le mien, c'est de favoriser l'accès à l'emploi de tous ces jeunes par les contrats d'apprentissage, par les contrats d'orientation, de qualification et d'adaptation, et de réduire au maximum, ce que l'on appelle le traitement social du chômage. Non pas qu'il n'en faille pas, mais tout faire pour jouer l'accès à l'emploi.
P. Lapousterle : Pensez-vous que les mesures prises peuvent garantir ce qui avait été la promesse d'E. Balladur quand il est arrivé au gouvernement : à savoir contenir l'augmentation du chômage à la fin de l'année ? Est-ce un objectif possible ?
M. Giraud : C'est bien entendu l'objectif visé. C'est ce qui a conduit le gouvernement à accélérer le processus. Certes, il faut un traitement de fond et il viendra dans le cadre de lois quinquennales qui sera présenté, débattu et voté au printemps. Mais avant le traitement de fond, il faut le SAMU. Quand il y a hémorragie, il faut commencer par mettre un garrot. L'ensemble de ces mesures traduit cette volonté de bloquer l'hémorragie. Je ne sais pas si ces mesures seront suffisantes, mais tout est fait pour qu'elles répondent à l'attente de ces millions de mailles qui, aujourd'hui, sont atteintes par le chômage. L'ensemble de ces mesures, c'est le début de la guerre pour l'emploi. Certes favoriser la création d'emplois, c'est la première préoccupation, mais aussi favoriser la protection de l'emploi, éviter les licenciements, favoriser l'accès des jeunes à l'emploi et favoriser la solidarité par l'emploi.
P. Lapousterle : Est-ce que l'appel d'E. Balladur, aux entreprises et au patronat, peut être compris comme un coup de semonce et une certaine impatience du gouvernement devant la lenteur du patronat à réagir ?
M. Giraud : C'est un souhait très fort que l'ensemble des entreprises françaises comprenne que, dans la situation difficile qui est la nôtre, le Premier ministre, le gouvernement, font le maximum en terme de rigueur de gestion, le maximum en terme de relance et d'injection budgétaire, bâtiment, travaux publics, environnement. Le maximum aussi en terme d'allègement des charges : je pense à la suppression du décalage sur le paiement de la TVA. Je pense aussi à l'allègement des charges sur les salaires les plus modestes par la budgétisation des allocations familiales. Beaucoup d'efforts de la part du gouvernement. Je sais bien que les chefs d'entreprise disent : "mais pour nous ce qui compte c'est le carnet de commandes". Mais il y a un moment, où vraiment il faut puiser dans ses réserves pour conjuguer les énergies, et je crois que ce moment est venu.
P. Lapousterle : Donc vous demandez au patronat de puiser dans ses réserves ?
M. Giraud : Je lui demande d'abord de tout faire, tout, pour éviter les licenciements et de tout faire pour aider le gouvernement dans sa démarche qui est une démarche à la fois économique et sociale. Je veux dire une démarche qui évite les brisures du tissu social.
P. Lapousterle : Vous pensez donc que le patronat peut faire des efforts supplémentaires par rapport à ce qu'il a déjà fait ?
M. Giraud : Quelles que soient les responsabilités qu'on assume, que l'on soit un politique, un chef d'entreprise, dans la mesure où on assume une responsabilité, quand les temps sont durs, on peut aller un peu au-delà de ce que l'on considère comme l'effort maximum.
P. Lapousterle : Il y a une mesure qui soulève des réserves : l'incitation que l'État donne aux entreprises qui, pour éviter les licenciements, font que chacun accepterait une baisse de revenu. Est-ce une mesure sur laquelle vous comptez pour contenir le chômage ? Et n'est-ce pas dangereux ?
M. Giraud : La guerre pour l'emploi, ça commence par le souci de protéger l'emploi partout où on le peut. C'est la gestion des plans sociaux et, à cet égard, je rends publique une circulaire qui rappelle les termes de la loi, mais qui souligne toutes les alternatives qu'il y a au licenciement. Et comme nous voulons aider les entreprises en difficulté à éviter les licenciements, nous jouons d'abord sur le chômage partiel qui vaut mieux que le licenciement, en augmentant très sensiblement ce que l'on appelle l'allocation spécifique, la part payée par l'État. Je rappelle qu'elle ne peut s'appliquer que tout autant qu'il y a d'abord eu un débat social au sein de l'entreprise, une adhésion volontaire des salariés, des engagements précis sur les conditions de mise en œuvre de cette mesure. Ça n'est absolument pas une mesure d'intimidation, c'est simplement une mesure de solidarité de dernier ressort. J'ajoute que ça n'est pas sur cette mesure qu'il y a une part importante des crédits ouverts.
P. Lapousterle : Peut-on concevoir qu'on lutte contre le chômage en France, et qu'on laisse les entreprises françaises fabriquer à l'étranger à moindre coût ?
M. Giraud : Il ne doit pas y avoir de facilités quand l'État est le maître du jeu. Au-delà, c'est un problème qui est de caractère international. Il apparaît clairement que l'Europe doit prendre conscience de cette dérive très grave pour l'ensemble de l'économie européenne et pour l'emploi en Europe. Ce qui veut dire qu'il y a des règles du jeu à précise, à observer, par les uns et par les autres. Il appartient aux partenaires de la CEE sur un plan collectif et avec un horizon international, d'assortir les règles du jeu de l'économie de marché, notamment d'un certain nombre de règles sociales qui sont des règles humaines. J'irai souligner cette démarche très importante à l'Organisation Internationale du Travail, où je serai lundi prochain. Je souhaite aussi que l'ONU se saisisse de ce problème, car il y va de l'équilibre social et humain dans les échanges du monde.
5 juin 1993
France 2
P. Amar : Cette méthode ne vous plaît guère M. Giraud ?
M. Giraud : Concertation, négociation : oui. Intimidation : non !
P. Amar : Comment réagissez-vous concrètement ?
M. Giraud : Concrètement, il faut respecter les règles à la lettre et dans l'esprit, dans une situation comme celle-là. Et je comprends que des entreprises soient confrontées à des difficultés importantes. Les temps sont durs. Et il y a des conditions d'élaboration d'un plan social, négociation, concertation, et c'est dans ce cadre que les problèmes doivent trouver des solutions, à la fois pour protéger l'entreprise et pour protéger les salariés. Là, ce n'est pas le cas.
P. Amar : Est-ce qu'il peut y avoir des mesures de rétorsion ou d'empêchement ?
M. Giraud : Rétorsion, non. Mais j'ai demandé à mon directeur d'être sur place dès lundi matin. Il faut remettre les compteurs à zéro et engager une procédure de plan social avec le double souci de l'avenir de l'entreprise mais aussi des conditions de travail des salariés. Vous savez, les préoccupations humaines, ça compte dans une entreprise.
P. Amar : Est-ce que ce n'est pas un effet pernicieux de la mesure généreuse que vous avez prise récemment ?
M. Giraud : Si ça veut être une anticipation par rapport à une mesure qui n'est pas encore votée, c'est totalement à côté. Je veux dire par là qu'il n'y a pas de négociation sociale dans l'entreprise, qu'il n'y a pas d'accord, de consensus de l'ensemble des salariés et qu'il n'y a pas de disposition précisant la façon de mettre en œuvre le processus et la façon d'en sortir.
P. Amar : Donc, vous tenez à être vigilant avant d'accorder éventuellement votre aide ?
M. Giraud : Je tiens à être vigilant. Je tiens à ce que le Code du travail soit respecté et à ce que les relations humaines n'aient pas à souffrir d'une difficulté sérieuse.
P. Amar : Sans revenir à l'autorisation administrative de licenciement ?
M. Giraud : Non, on n'y revient pas.
P. Amar : Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction entre votre philosophie politique qui se réfère au libéralisme et l'interventionnisme quelquefois nécessaire pour éviter l'explosion sociale ?
M. Giraud : Nous sommes dans un économie de marché. Dans l'économie de marché, la règle du jeu c'est la liberté. Mais la liberté n'interdit pas la solidarité. Et quand les affaires sont difficiles, quand le marché est atteint comme il l'est aujourd'hui et pas seulement en France, en Europe et dans le monde, il faut savoir jouer la solidarité. Et toutes les mesures d'urgence qui viennent d'être prises cherchent à concilier le souci du respect de la liberté avec cette volonté de solidarité.
P. Amar : Pas d'attitude volontaire de la part de certains partenaires, notamment les patrons à qui vous reprochez un certain attentisme ?
M. Giraud : Non, je ne reproche rien. Ce que je souhaite, c'est que l'on arrive à créer un climat de confiance dans lequel peut se développer une véritable mobilisation. Tout ce qui peut susciter la défiance est à écarter. Confiance pour mettre en œuvre des mesures qui visent à créer des emplois, à protéger l'emploi partout où il existe, à offrir l'emploi à nos jeunes, et c'est l'ensemble des contrats d'apprentissage, d'orientation, de qualification, et à jouer la solidarité par l'emploi. Pour y parvenir, il faut démultiplier les efforts avec les collectivités territoriales, les régions, qui ont un rôle essentiel de formation, les départements, les communes, les acteurs économiques, les entreprises, les branches, et puis les acteurs du terrain, les associations. Bref, il faut que la France entière, tous les relais de capacité, de volonté, de pouvoir, se mettent sur ce terrain de l'emploi. La guerre pour l'emploi, c'est la mobilisation générale.
P. Amar : Il y a une réunion à Matignon lundi ?
M. Giraud : Plusieurs. Les acteurs économiques lundi, les présidents de conseils régionaux mardi, les présidents de conseils généraux jeudi.
P. Amar : Comment faire en sorte que les patrons jouent plus franchement le jeu ?
M. Giraud : Ils vont le jouer, je leur fais confiance. Ils doivent savoir qu'à partir du moment où la situation s'aggraverait encore sur le plan social, ils supporteraient un poids encore plus lourd. C'est leur intérêt de jouer le jeu avec nous.