Texte intégral
Budget de l’audiovisuel public
Nous vivons l’ère du numérique, une époque de bouleversements technologiques dont le service public ne peut être absent. Le service public, pour continuer à remplir ses missions doit participer, accompagner et pourquoi pas, impulser ces bouleversements. Cette volonté politique forte, il ne suffit pas de l’affirmer, il faut aussi la traduire dans les actes, et plus précisément encore, dans le budget.
Soyons clairs, le budget que je vous présente ici est un bon budget, puisqu’il progresse de 3,3 % et s’établit à 18 milliards de francs, soit 570 MF de plus qu’en 1997, ce n’est cependant qu’une étape. L’ensemble du secteur dont j’ai la charge, celui de la culture et de la communication avait été particulièrement malmené au cours des années précédentes. Il y avait beaucoup à faire pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés. Ces objectifs ne peuvent pas être atteints en un an. Mais, il fallait inverser la tendance. C’est ce que nous avons fait cette année.
Pour en revenir au budget que je vous présente aujourd’hui, celui de l’audiovisuel public, inverser la tendance, cela signifiait sortir d’une spirale infernale, qui menait progressivement mais inexorablement, à la mort du service public, sans que cette orientation soit débattue ou décidée au sein du gouvernement ou du parlement.
En étranglant financièrement les chaînes publiques, le précédent gouvernement les contraignait à se lancer dans une course à l’audience, à chercher à rivaliser avec les chaînes commerciales pour conquérir les ressources publicitaires devenues indispensables à leur survie. En fixant à France Télévision une progression spectaculaire de ses ressources publicitaires en 1997 (+ 7 % pour F2, + 30 % pour F3), le but n’était plus alors de remplir des missions de service public, mais d’atteindre des objectifs commerciaux, de satisfaire les besoins des annonceurs. Il devenait alors facile de montrer que les chaînes publiques n’étaient plus différentes des chaînes privées, et on en justifiait ainsi aisément la disparition programmée.
De même, imposer un montant d’économies considérables à la Sept et la Cinquième (140 MF) en anticipant les conséquences de leur rapprochement revenait à affaiblir l’une et l’autre société.
Il fallait donc casser cet enchaînement. C’est ce que fait le projet de loi de finances pour 1998.
Ce budget est en progression de 3,3 %. Cette augmentation est très supérieure à celle du budget de l’État, ce qui est le résultat de négociations serrées avec le Budget. Lorsque nous avons commencé les discussions, la position du Budget était de partir de la progression du budget de l’État soit+ 1,2 % pour établir la progression des ressources de l’audiovisuel public. C’est ainsi qu’en 1997, cette progression qui s’était arrêtée à 1,3 % (+ 236 M par rapport à 1996), ne couvrait même pas l’actualisation des dépenses au taux d’inflation constaté (1,9 %). C’est là un mauvais calcul, qui repose sur un présupposé faux : les deux termes de la comparaison ne sont pas équivalents. Le budget des organismes audiovisuels doit certes être établi selon la même démarche que les autres budgets publics, mais il doit aussi tenir compte de l’environnement concurrentiel au sein duquel les sociétés se situent : les ressources des chaînes privées progressent très régulièrement (+ 6 % pour TF1) ; si l’on n’y prend garde, le jeu devient vite très déséquilibré.
L’audiovisuel public est un service public à part entière, mais il faut l’aborder selon l’économie propre à ce secteur. Cela signifie que, traitant les organismes audiovisuels comme des entreprises, l’État doit leur assurer la sécurité financière sans laquelle elles ne pourraient vivre. En contrepartie, il faut leur demander une rigueur de gestion sans faille, leur imposer de faire toutes les économies qui peuvent l’être, pour utiliser au mieux les moyens qui leur sont alloués. J’ai pris la responsabilité d’augmenter la redevance de 35 francs, je veux que cet argent serve à améliorer le service rendu aux téléspectateurs. J’ai en outre conditionné l’octroi de ces moyens supplémentaires à la réalisation d’un montant d’économies de 153 MF (soit 0,85 % du budget de fonctionnement global) dont la répartition est laissée à l’appréciation des responsables des sociétés.
En augmentant la redevance, je me suis donnée trois objectifs : assurer la pérennité des ressources des organismes, rétablir progressivement un meilleur rapport entre les ressources publiques et les ressources commerciales des chaînes, et améliorer le service rendu aux téléspectateurs.
D’abord, assurer la pérennité des ressources. J’ai pleinement conscience du fait que ce budget n’est qu’une étape, et qu’il faudra poursuivre nos efforts. L’audiovisuel sort d’une période de récession, qui a fragilisé les entreprises. J’ai souhaité sécuriser leurs ressources, leur donner une visibilité à long terme, qui leur permettre de mettre en place une stratégie dépassant les douze mois. En effet, une partie de l’augmentation de la redevance va servir à compenser une diminution des crédits budgétaires. Mais soyons clairs : ces crédits ont diminué de 798 millions en 96 et de 386 millions en 97. Il est très peu probable qu’ils atteignent à nouveau le montant d’1,4 milliard.
Dans ces conditions, et pour parler franchement, je préfère la pérennité d’une ressource affectée à des crédits que le Budget ne pense qu’à rogner, ou à réguler quand il n’a pu en obtenir une diminution suffisante à ses yeux. Ainsi 35 MF ont été annulés en juillet 1997, au détriment de Radio France et de l’INA. Bercy, autant que vous le sachiez, cherche aujourd’hui à annuler en collectif 45 MF supplémentaires, ce que je ne laisserai pas faire. On ne peut pas gérer aujourd’hui les entreprises publiques de l’audiovisuel, dans un secteur où la concurrence est si vive, en amputant ainsi leurs crédits de façon aléatoire, et parfois en cours de gestion. Le sens de l’histoire, c’est sans doute que ces organismes soient financés entièrement par des ressources qui leur sont propres, qu’il s’agisse de la redevance ou de recettes commerciales. Celles-ci sont à mon sens nécessaires, dans une proportion raisonnable. C’est sur cette proportion qu’il faudra continuer à travailler.
Et c’est là le second but que j’ai poursuivi en augmentant la redevance. J’ai en effet veillé à stabiliser le niveau relatif des ressources publicitaires dans le financement de France Télévision. Celles-ci ont connu au cours des dernières années, et tout particulièrement l’an dernier une forte évolution, due à la croissance du marché publicitaire. Les chaînes publiques ont besoin de ces ressources pour se développer, et il ne serait pas logique, compte tenu du souci de maîtriser les dépenses publiques de les en priver. Mais si la recherche d’une audience forte fait aussi partie des missions du service public, au service de tout le public, il faut trouver, entre le financement public et ces ressources commerciales, un équilibre satisfaisant.
J’aurai bien évidemment préféré vous présenter aujourd’hui un budget montrant une diminution de la part des recettes commerciales dans les ressources totales des chaînes. Compte tenu de la diminution des crédits budgétaires, cela n’a pas été possible. Ce sera la prochaine étape : j’y veillerai et je compte aussi sur le Parlement pour me soutenir dans cette démarche. Mais déjà en 1998, la part de financement public dans le total des ressources du secteur public audiovisuel est maintenue à 69 %.
Troisième objectif : que l’augmentation de la redevance serve à améliorer le service rendu. Pour cela, j’ai retenu deux priorités : la qualité et l’innovation, domaines dans lesquelles le service public doit être une référence.
C’est autour de ces deux axes que s’organisent les mesures nouvelles décidées en 1998.
La qualité des programmes d’abord : la Sept-Arte et la Cinquième avaient été lourdement pénalisées en 1997, et n’avaient plus les moyens de remplir leur mission spécifique, celle de produire ou d’acquérir des programmes culturels et éducatifs. Le budget de la Sept-Arte augmente donc de 7,3 % et celui de la Cinquième de 6,7 %. Avec respectivement, 44,9 et 17 Millions de francs supplémentaires à consacrer à l’amélioration de leur grille, la Sept-Arte et la Cinquième pourront offrir aux téléspectateurs des programmes plus attractifs et plus conformes à leur mission.
France 2 et France 3 voient également progresser leurs ressources, dans le but de développer une politique de programmes de qualité, au service de tous les publics. De même, Radio France bénéficie d’une mesure nouvelle en faveur de la création et de l’innovation dans ses programmes.
Après la qualité des programmes, l’innovation est le second axe de ce budget.
L’évolution technologique nous a fait passer d’une télévision de programmes diffusés à une télévision de programmes choisis. La rapidité avec laquelle le magnétoscope a pénétré dans les foyers en était un premier signe. Je crois beaucoup à la poursuite de ce mouvement qui amènera chacun à utiliser à son rythme, selon ses besoins et ses envies, les programmes qui seront disponibles. Tel est le sens des deux grandes innovations qui seront financées dans le budget pour 1998 : la banque de programmes et des services de la Cinquième, et le centre de consultation du dépôt légal des programmes audiovisuels à la Bibliothèque François Mitterrand.
400 sites, 200 centres sociaux et 200 établissements d’éducation seront équipés en 1998 pour recevoir l’offre de la BPS : les enseignants, formateurs ou animateurs pourront ainsi sélectionner et télécharger les programmes qu’ils souhaiteront utiliser. Cette expérience grandeur nature permettra de préciser les besoins et, le cas échéant, d’améliorer cette offre, qui sera ensuite progressivement étendue.
C’est avec le même souci de valoriser le patrimoine audiovisuel et de répondre aux besoins de l’enseignement et de la recherche scientifique qu’est lancé un plan de numérisation des archives, et que sera ouvert en juillet 1998 le centre de consultation de l’Inathèque à la Bibliothèque François Mitterrand, 42 millions de francs y seront consacrés.
Voilà donc très rapidement présenté le budget de la communication. Bien sûr, il ne répond pas à toutes les demandes des organismes, mais après la période très difficile qu’ont connue les sociétés de l’audiovisuel public, il permet de repartir sur des bases saines. Un certain nombre de projets qui nous avaient été présentés n’ont pu être réalisés cette année, soit parce qu’ils n’étaient pas assez avancés (et je pense à la chaîne des régions), que leurs objectifs n’étaient pas assez précis, comme dans le cas du Mouv’, soit pour de simples raisons budgétaires. Nous commençons dès aujourd’hui à travailler pour que ceux qui présentent un intérêt pour le public puissent être affinés et pris en compte.
Nous avons dû également cette année porter, sans pouvoir les remettre en cause compte tenu de leur degré d’avancement, les projets immobiliers décidés par le Gouvernement précédent, qu’il s’agisse du siège commun de France 2 et de France 3 ou du siège et des installations de RFO en Guyane et Guadeloupe. Le budget que je vous présenterai l’an prochain ne sera plus grevé par ces opérations très lourdes.
Je voudrais à présent vous donner quelques éléments sur les aides à la presse.
Aides à la presse
Pour la presse écrite, mon budget exprime clairement le choix que je fais en faveur d’un plan de développement des quotidiens, ainsi que des hebdomadaires locaux. Ce secteur joue un rôle essentiel pour le pluralisme et la démocratie. Il est également un facteur de la cohésion et du lien social. Il ne faut pas non plus sous-estimer sa contribution dans l’activité économique, notamment locale. Simultanément la presse quotidienne et assimilée supporte aujourd’hui des charges particulières, qui tiennent au poids de ses rédactions, à son histoire sociale, avec ses répercussions dans ses coûts de fabrication, sans parler des contraintes de son transport et de sa distribution, afin d’être disponible pour le lecteur, avant que celui-ci n’entame sa journée de travail.
La presse quotidienne doit absolument réussir la modernisation de ses structures, tout en enrichissant sans cesse ses contenus. C’est pourquoi, j’ai annoncé très tôt ma volonté d’une action délimitée dans le temps, tout à fait significative, un véritable plan, en direction des entreprises. Celle-ci s’est ouverte, vous en avez pris connaissance, par une première étape de concertation menée par moi-même le 2 octobre dernier. Elle se traduit déjà dans les orientations du budget 1998.
Portage et multimédia
À l’intérieur d’une enveloppe qui progresse peu, il est vrai (1 %), nous avons opéré des choix simples et clairs. Ceux-ci s’expriment d’abord en faveur du portage puisque celui-ci se voit doter d’une aide qui triple, passant de 15 millions de francs à 45. En outre les remboursements de cotisations sociales du portage pour les quotidiens nationaux, passent de 2,4 millions de francs à 8 millions. Je vous fais remarquer que je viens de faire déboucher le décret permettant de verser les 15 millions prévus pour cette forme de distribution dans le budget 1997.
Mes orientations prennent également la forme d’une aide au développement du multimédia, plusieurs fois promise par mes prédécesseurs, mais jamais budgétée. Nous dotons cette action essentielle pour l’avenir de nos journaux de 15 millions de francs. Il s’agit là, bien sûr, d’une première étape qui nous permettra de mieux apprécier les besoins dans ce domaine pour les années à venir.
Nos missions traditionnelles
Nous n’avons pas oublié pour autant les missions traditionnelles de l’État en faveur de la presse quotidienne à faibles ressources publicitaires, de même que le soutien à la diffusion de la presse française à l’étranger. Vous noterez également le coup de pouce donné à l’AFP.
SNCF et Télécoms
D’aucuns objecteront que ces choix se font essentiellement par redéploiement. Les remboursements à la SNCF reculent en effet de 45 millions de francs. Il faut savoir que cela permet de maintenir le soutien au transport des quotidiens essentiellement nationaux, à hauteur de 70 %. En revanche, le taux des magazines devrait redescendre de 30 à 22,5 %. Le recul des remboursements téléphoniques enregistre l’ouverture du marché téléphonique, avec l’existence de plusieurs opérateurs, diversifiant chacun leur offre tarifaire, alors que globalement, les niveaux de tarifs ont déjà et devraient encore baisser.
Vous le voyez, ce budget est donc marqué par la contrainte générale que s’est donné le Gouvernement, il permet toutefois d’esquisser clairement une orientation en faveur des quotidiens qui se concentrent sur des leviers de développement.
Date : 24 octobre 1997
Source : Rencontres cinématographiques de Beaune
Je salue à l’occasion de ces rencontres qui nous rassemblent ici ce soir le travail réalisé par l’ARP, par son président actuel, Claude Miller et par son délégué général, Pascal Rogard, interlocuteurs précieux pour le ministère de la Culture et de la Communication. Je me félicite qu’existent ainsi des occasions de débats, de rencontres auxquelles j’ai aujourd’hui le plaisir de participer. Vous avez abordé tout au long de cette journée la question primordiale de la concentration dans la production et la diffusion audiovisuelles. Je regrette de ne pas avoir pu assister à ce débat, au cœur de mes préoccupations – mais, je m’assurerai d’avoir vos conclusions pour les intégrer à ma réflexion.
Depuis mon arrivée rue de Valois, j’ai eu un double souci : mettre en œuvre des réformes qui étaient sur le point d’aboutir (réforme de l’agrément, réforme du soutien automatique à l’exploitation, transformation du statut de la FEMIS) et surtout, prendre la mesure des nouveaux enjeux afin de définir les grands axes politiques du secteur. Est maintenant venu le moment d’intégrer les réformes entreprises dans une réflexion plus générale et plus généreuse en faveur du cinéma. Je profite donc de ces rencontres pour vous présenter quelques points qui retiennent particulièrement mon attention.
Je parle ici comme ministre de la Culture et de la Communication et souhaite donner tout son sens à cette alliance dont on sait quelle est parfois dure à tenir. Je suis très attachée à la préservation de la spécificité du cinéma par rapport au reste de la production audiovisuelle. Plus le cinéma sera conforté dans sa spécificité, plus la télévision qui aujourd’hui est très fortement demanderesse de contenu, pourra offrir des programmes attractifs à son immense public. Le cinéma a donc doublement besoin, pour lui-même et pour son amortissement sur les supports audiovisuels, d’être valorisé comme tel. Mais, je suis convaincue que, pour parvenir à cet objectif, il faut mettre le cinéma en perspective.
Cette introduction est le fondement d’une réflexion qui doit, comme toujours en la matière, tenir à la fois les dimensions culturelle, économique et juridique. Or, ces trois éléments de contexte sont entrés dans une phase de profonde mutation.
Mutation de la dimension économique : les années quatre-vingt auront été marquées par l’arrivée des chaînes privées et de Canal Plus. Le COSIP est alors créé et la participation des chaînes de télévision à la première section du compte est venue abonder les sources de financement du cinéma. Nous vivons toujours sur ce schéma dont tout le monde s’accorde à reconnaître les bienfaits. Les années quatre-vingt-dix ont, quant à elles, vu la naissance des bouquets satellites et la multiplication des chaînes thématiques. Ce nouveau bouleversement, de taille, est de nature à nous inciter à repenser l’économie de l’intervention publique dans l’industrie cinématographique et des programmes audiovisuels.
Mutation juridique : les négociations du GATT se sont soldées par le résultat que l’on sait et dont nous pouvons nous féliciter. Mais, les négociations européennes et internationales se suivent et ne se ressemblent pas aujourd’hui, elles se multiplient et exigent de notre part une véritable réflexion d’ensemble, sur les moyens à prendre pour préserver une industrie cinématographique nationale. Il faut nous préparer dès aujourd’hui à affronter la phase ultime des négociations de l’Accord multilatéral sur l’investissement qui se déroulera entre maintenant et le printemps prochain, et les prochaines négociations du GATT qui débutent dans deux ans. Nous devons le faire au niveau national et européen.
Mutation de la dimension culturelle du cinéma : nous savons tous que les années de la cinéphilie française, celle qui a donné naissance à la Nouvelle vague, est aujourd’hui derrière nous. Je ne m’attarderai pas ici sur les causes, nombreuses et complexes de cette évolution. Mais je me contenterai de dire que ce constat milite très fortement en faveur d’une véritable politique culturelle du cinéma, inexistante aujourd’hui et dont l’ensemble du secteur doit bénéficier.
I. Un des enjeux majeurs, qui rejoint totalement le thème du débat d’aujourd’hui, est de faire face au défi des nouveaux modes de diffusion du film
Derrière les nouveaux modes de la diffusion du film, je vise en réalité deux mutations : la place accordée par la télévision au film sur les chaînes généralistes ou thématiques et l’arrivée des multiplexes. Ces mutations posent aujourd’hui des questions complexes, en particulier en matière de concurrence et de concentration. Elles nous obligent à être prospectifs au risque de voir disparaître tout un pan de notre production.
1. La place du cinéma à la télévision
Un Français voit en moyenne 250 films par an à la télévision contre 2 dans une salle de cinéma. Ces chiffres militent en faveur d’une vraie réflexion sur la place du cinéma sur les écrans de télévision.
La récente polémique autour du film de Bertrand Tavernier L’Appât, finalement déprogrammé par Xavier Gouyou-Beauchamps, est pour moi symptomatique d’une triple question, que je circonscris volontairement à la télévision publique : quelle place pour le cinéma à la télévision, quelle place pour le cinéma français à la télévision et quelle place à la violence sur cette même télévision ?
Sur le premier point la place du cinéma à la télévision , il faut aujourd’hui intégrer dans notre raisonnement l’apparition d’un grand nombre de chaînes thématiques qui, pour certaines d’entre elles, se consacrent exclusivement à la diffusion du cinéma. La taxe sur les chaînes thématiques est la première réponse que j’ai souhaité apporter à cette mutation.
Je rappelle que le CSA a conventionné plus de cent chaînes dont une cinquantaine est susceptible d’acheter ou de coproduire des programmes éligibles au compte de soutien. Simultanément, cette explosion des capacités et la baisse des coûts de diffusion des satellites numériques permettent à la concurrence étrangère de s’implanter plus facilement sur le territoire français. Il m’a semblé de la première importance pour ces chaînes, et pour les producteurs susceptibles de répondre à leurs besoins, que le compte de soutien s’adapte à cette nouvelle situation. Il était urgent de faire voter cette taxe afin d’éviter toute discrimination entre les chaînes d’une part, et entre les producteurs, d’autre part :
Entre les chaînes : la réforme permet de faire entrer dans le champ d’application de la taxe toutes les chaînes, françaises ou étrangères, qu’elles soient diffusées par voie hertzienne terrestre, par câble ou par satellite mais seules les chaînes diffusant des œuvres éligibles aux aides du compte de soutien y seront soumises.
Entre les producteurs : il semble normal que tout producteur doit pouvoir bénéficier du compte de soutien, quelle que soit la chaîne sur laquelle est diffusée son film. Derrière cette réforme, il s’agit bien d’encourager les chaînes thématiques à devenir des acteurs dans la production.
Je vous concède que l’arrivée des chaînes thématiques ne doit pas occulter la question de la diffusion des films sur les chaînes généralistes. Et là j’aborde le deuxième point, la place du cinéma français à la télévision. Cette question est à la fois quantitative et qualitative.
Quantitative : je ne peux que regretter le remplacement d’un film par deux épisodes d’une série dans le nouveau format de 52 minutes, mais globalement, les chaînes utilisent la quasi-totalité des possibilités offertes par leur cahier des charges dans la diffusion de films. Mais la question est surtout qualitative. Par exemple, je regrette que les chaînes n’aient pas ou peu utilisé la possibilité nouvelle qui leur était offerte de programmer 52 films d’art et d’essai en plus de leurs obligations traditionnelles de diffusion. Je regrette également que les ciné-clubs de France 2 et de France 3 soient programmés très tardivement, comme peuvent l’être également des films de grande qualité plus récents.
Ces aspects qui relèvent de la compétence des présidents des chaînes concernent cependant la ministre de la Culture et de la Communication que je suis sur un point bien précis : les obligations de production et de diffusion. Les chaînes remplissent bien ces deux types d’obligations, le rapport du CSA l’a récemment confirmé, mais sans établir nécessairement de liens entre eux. Une chaîne qui coproduit un film peut ne pas ensuite souhaiter le diffuser ou le diffuser très tard.
Cela revient à dissocier ce qui pourtant vise le même objectif : le financement de la production cinématographique française d’une part, démocratiser le lieu de diffusion d’autre part. Or, la télévision sur ces deux aspects joue un rôle essentiel.
Sur le troisième point, la violence à la télévision, elle soulève chez moi deux types d’interrogations : en premier lieu, nous nous heurtons sur cette question à l’impossibilité d’avoir une politique commune entre sortie des films en salles, en vidéo et à la télévision. Récemment, lors du projet de loi sur la protection des mineurs, j’ai pu mesurer la difficulté d’harmoniser ce qui existe dans les salles de cinéma avec la vidéo. J’ai réussi à obtenir que les films qui n’auraient pas fait l’objet d’un classement X par la commission de classification des films du CNC ne puissent pas être interdits au moins de 18 ans par la commission prévue par la loi et qui, très probablement, dépendra du ministère de l’Intérieur. L’enjeu m’a semblé de taille puisqu’il s’agissait de conserver au ministère de la Culture la définition de la pornographie...
Quant à la question de la violence à la télévision, elle est trop importante pour la traiter uniquement sous l’angle d’une discrimination entre films français et films américains ou sous celui d’enjeux économiques même si je suis consciente que ces deux aspects font pleinement partie du débat. Il s’agit d’un véritable sujet de société que je relie à ce que j’appelle l’éducation à l’image. La violence ne peut être définie dans l’abstrait. La violence est différente de se faire violence. Et est encore différente de montrer la violence. Et tous ces aspects sont perçus en fonction à la fois du regard que le réalisateur et le programmateur ont porté sur eux, et de la capacité du spectateur à l’analyser. Si notre société et le monde dans lequel nous vivons sont violents, il faut en parler mais pas n’importe comment. C’est sur toutes ces questions qu’il faut s’interroger et je compte le faire dans le cadre d’une véritable politique culturelle du cinéma.
2. La mutation de la diffusion du film
La mutation de la diffusion du film est liée aux transformations en terme de concentration dans les industries cinématographique et audiovisuelle. Dans l’industrie cinématographique, la question de la concentration se pose à nouveau de manière très claire avec l’implantation des multiplexes.
La transformation du parc de salles est indispensable et personne ne saurait contester que les multiplexes ont apporté une qualité de projection des films inégalée jusqu’alors. Je me réjouis que la salle redevienne un lieu irremplaçable qui ne supporte pas la comparaison avec la télévision. Je ne peux que saluer le dynamisme des exploitants qui ont considérablement investi et pris des risques pour relever ce nouveau défi. Les résultats sont là : la fréquentation est en hausse, la qualité de l’offre a créé une nouvelle demande.
Faire l’éloge de ce dynamisme n’empêche pas de s’interroger sur les implications pour l’ensemble du secteur – et, je souhaite insister sur cet aspect des choses et ne pas limiter la question des multiplexes à la seule exploitation de la restructuration du parc de salles.
Il m’apparaît très clairement que les pouvoirs publics ne sont pas là pour organiser le marché et intervenir dans la politique d’investissement des groupes. Mais il incombe en revanche à l’État une double responsabilité sur cette question :
- en matière d’urbanisme culturel ;
- et de préservation d’une offre de cinéma variée. Or, sur ce second point, on sait par expérience que la préservation d’une offre riche passe par la préservation de lieux de diffusion divers.
À cet égard, il est indispensable d’avoir une approche segmentée de ces questions : ce serait une erreur de raisonner dans les mêmes termes pour les équipements de périphérie et les équipements de centre-ville, pour Paris et la région sans compter que les groupes ont eux-mêmes des approches différentes.
Je souhaite juste rappeler sur ce thème un principe simple mais essentiel : un nouvel ensemble de salles se positionne dans un environnement culturel, et en particulier cinématographique qu’il va nécessairement modifier. Il faut que les élus locaux et les exploitants prennent pleinement en compte cette dimension pour que perdure une vitalité du parc cinématographique. Je n’en dirai pas davantage ici.
II. Autre sujet de taille : se donner les moyens de défendre notre position au niveau européen et international
Vous n’êtes pas sans savoir que courent les négociations sur l’accord multilatéral sur l’investissement et que la France défend la demande d’exception culturelle générale. Trois domaines sont en jeu : l’audiovisuel, la culture et la propriété littéraire et artistique. Les enjeux qui sont derrière sont essentiels pour deux raisons majeures : d’une part, il faut déjà nous mettre dans la perspective des prochaines négociations sur le GATT qui débutent dans deux ans et tout ce que nous perdrons dans les négociations de l’OCDE, c’est autant que nous ne pourrons pas obtenir dans les négociations du GATT.
Les négociations sont abordées sous l’angle souhaité par les Américains qui montrent du doigt les modalités européennes de protection des différents secteurs culturels et audiovisuels. Il est indispensable de montrer d’une part, que nos systèmes permettent une pluralité de l’offre dont bénéficient également les États-Unis, non seulement dans leurs courants culturels majeurs mais aussi mineurs et d’autre part, que les États-Unis, eux-mêmes, sont dotés de moyens protectionnistes très efficaces mais dont la traduction est davantage interne à la profession que réglementé par l’État fédéral. Il ne s’agit pas moins d’une forme de protectionnisme qui s’inscrit en porte à faux avec le libéralisme revendiqué.
Parallèlement, vous savez que la directive télévision sans frontières dans sa nouvelle version adoptée au début de l’été 1997 doit être intégré dans notre droit interne. Là aussi, je souhaite que notre démarche soit claire et rénovée : il n’est plus aujourd’hui possible de faire traîner le sujet en remettant toujours à plus tard cette transposition. En revanche, nous devons travailler à ce que la transposition soit utile à l’ensemble de la profession. D’ici la loi sur l’audiovisuel, nous nous sommes engagés à prendre deux décrets : un premier modifiant le décret câble de 1992 et le second qui est en réalité composé de deux décrets que je sais être très attendus par vous sur les accords que le BLIC a passé avec les différentes chaînes de télévision privées. Ces décrets vont largement au-delà de ce qui est demandé par la directive puisqu’elle prévoit que les chaînes consacrent au moins 10 % de leur budget de programmation à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants.