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La guerre des hypers
La limitation des créations, décidée par le gouvernement Juppé, a conduit les grandes chaînes de distribution à se déchirer pour le contrôle des hypermarchés existants.
Casino, Promodès, Rallye… à coup de pages de publicité la guerre fait rage. Après le rapprochement tendu entre Auchan et Docks de France, ou les rapports de forces entretenue entre Carrefour et Cora, « la guerre des hypers » a bien lieu. Est-ce la conséquence des lois de maîtrise du grand commerce, engagées par précédent gouvernement ? partiellement, je le pense.
Ne sous-estimons pas, évidemment, les phénomènes mondiaux qui s’illustrent notamment par la multiplication des OPA, la dernière initiative du genre, aux États-Unis, porte sur une somme de 180 milliards de francs, ou par la généralisation de la concentration commerciale, déjà réalisée en Allemagne, au Royaume-Uni et en cours aux États-Unis.
Toutefois, l’agitation des géants de la distribution nous confirme dans nos analyses.
Les principales chaînes de distribution persistent à faire de l’augmentation de leur nombre d’hypermarchés un objectif prioritaire. Le risque d’assister à de nombreuses ouvertures de nouveaux hypermarchés était donc bien réel.
Ainsi, la limitation des créations, générée par la nouvelle loi, a conduit les pionniers de la grande distribution à se déchirer dans une guerre interne pour la possession des hypermarchés existants. La création de nouveaux « hypers » semble maintenant maîtrisée. Et tout compte fait mieux vaut, pour l’équilibre du commerce, des changements d’enseignes plutôt qu’un nouveau boom des magasins géants.
Cette conviction est, semble-t-il, partagée par les Français si on en croit le patron du Credoc, Robert Rochefort, qui écrit dans son dernier et excellent livre, Le Consommateur-entrepreneur : « Finalement, l’opinion est majoritairement favorable au contrôle de la grande distribution, c’est-à-dire à la quasi-interdiction de nouvelles grandes surfaces. » De nombreuses études confirment cette analyse.
Pour les PME du commerce comme pour les consommateurs, « la guerre des hypers » n’est pas tragique, même si elle ne dispense pas le petit commerce de sa nécessaire modernisation. Elle déplace toutefois les conflits sur des nouveaux champs de bataille, l’international notamment.
Pour les PME, fournisseurs de la grande distribution, la concentration n’aggrave pas vraiment la situation. En effet, contrairement à la situation dans les pays voisins, il restera encore pour longtemps en France au moins 6 à 8 groupes nationaux, de taille internationale, très concurrentiels entre eux.
Rappelons que, ces dernières années, les PME ont été particulièrement victimes d’abus de rapports de forces nés d’une compétition très agressive entre les distributeurs. C’est la responsabilisation du secteur, notamment grâce à l’internationalisation, qui conduira à la « civilisation des pratiques ». Des initiatives récentes vont dans le bon sens (médiateur PME, contrats pluriannuels…).
On peut se réjouir que, depuis que le président de la République a affiché dans le pays « la priorité PME », les évolutions soient positives.
Ainsi, cette « guerre des hypers » ne doit pas nous masquer les véritables défis auxquels les professionnels du commerce sont confrontés. Cinq dossiers me paraissent prioritaires :
– La promotion de l'emploi dans le commerce, notamment par davantage de social dans les hypers et plus de souplesse pour les petits ;
– La réforme fiscale qui, notamment, devra assouplir le lien d’intérêt qui existe entre l’hypermarché et le commerce d’accueil, grâce à la taxe professionnelle ;
– La revitalisation des centres-villes, l’embellissement des entrées de ville et la défense du multiservice rural, notamment par la revalorisation du Fisac (Fonds d’intervention et de sauvegarde de l’artisanat et du commerce) en liaison avec l’action régionale ;
– La valorisation de la « qualité artisanale », pour lutter contre les excès de la banalisation et valoriser les « savoir-faire ». On peut maintenant élargir à d’autres professions et renforcer l’expérience des artisans boulangers ;
– La modernisation du commerce, notamment par le suivi des premières expériences de commerce électronique (à Parthenay par exemple) mais aussi par la nouvelle organisation des espaces commerciaux… et par vigilance vis-à-vis de certaines promesses commerciales, qui cherchent par exemple, à vendre un « frigo » 8 580 francs, avec un crédit qui en fait, coûte plus cher que le frigidaire.
Grâce à l’énergie des entrepreneurs de la consommation et à l’intelligence des « consommateurs-entrepreneurs », l’avenir du commerce n’est pas sombre… avec beaucoup de libertés et un peu de droit.