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L’aménagement du territoire est une affaire trop sérieuse pour n’en parler que lors des compagnes électorales. À la veille des élections régionales, je m’étonne ainsi que la bataille du rail fasse rage comme si, à cette occasion, notre intention était de donner aux uns les moyens de se développer pendant que les autres resteraient à quai. Certes, et ce n’est un secret pour personne, les deniers publics sont comptés et ils ne sauraient permettre de financer, simultanément, toutes les liaisons ferroviaires à grande vitesse que les édiles réclament à cor et à cri : dans l’Est, le long de l’axe Rhin-Rhône, en Languedoc-Roussillon, entre la Bretagne et le Pays de la Loire, ou encore à travers l’Aquitaine. Au total, ces représentent un investissement de quelque 84 milliards de francs, sans compter la liaison Lyon-Turin ! On mesure la difficulté.
Je ne suis pas hostile aux TGV. Comme tout un chacun, j’en apprécie le confort, la vitesse et la fréquence, autant de qualités qui lui ont permis de rivaliser avec les modes de transports concurrents – la voiture et l’avion – dont les impacts sur l’environnement sont incontestablement plus lourds. Mais la réforme de la SNCF, intervenue en 1997, interdit de poursuivre la fuite en avant, et ces nouveaux investissements ne pourront plus être financés par son endettement. Or, tous ces projets se caractérisent par une faible rentabilité financière. Ils ne pourront se réaliser que grâce au concours des fonds publics. Dans le budget 1998, le Gouvernement a affecté 1 milliard de francs au développement du TGV. J’ai bien conscience que ce n’est pas suffisant pour réaliser les 3 400 km de voies manquantes, pourtant inscrites au schéma national des lignes nouvelles adopté en 1992. L’ambition était démesurée. Il nous faut aujourd’hui reprendre notre copie et faire preuve de plus de discernement.
Il faut en premier lieu rompre avec la pensée unique du tout TGV. Les besoins de transport ne se réduisent pas aux déplacements à grande vitesse entre agglomérations. La vie quotidienne des Français, c’est d’abord les trains régionaux ou périurbains, encore trop souvent bringuebalants et bruyants, dont la modernisation s’est fait attendre. UN effort sur ces transports du quotidien doit être une priorité du développement ferroviaire. L’expérience de régionalisation engagée, l’année dernière, ouvre à cet égard des perspectives prometteuses.
Le transport de marchandises constitue le second enjeu majeur. Le développement accéléré du transport routier, qui en vingt ans a gagné 85 % des parts de marché au détriment du fer, nous conduit dans une impasse. Développer le fret ferroviaire et le transport combiné est une priorité pour qui entend mener une politique soutenable des transports. De premières initiatives vont dans ce sens à l’instar de la décision prise au sommet franco-italien de Chambéry, par les ministres des transports et de l’environnement des deux pays, de développer, prioritairement dans sa dimension fret, l’axe ferroviaire entre Lyon et Turin.
Troisième constat de bon sens, toutes les grandes liaisons ferroviaires n’ont pas vocation à être assurées par des TGV. Pas plus à court qu’à moyen ou long terme. Mais faut-il pour autant renoncer à améliorer le service offert aux usagers ? Ce n’est pas mon point de vue. Je suis convaincue que le développement durable du territoire passe par l’amélioration des lignes classiques, ne serait-ce que pour limiter le développement du tout automobile.
Rompre avec la pensée unique en matière de transports exige que nous ouvrions à nouveau les choix du possible. Sur ma proposition, le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT), qui s’est réuni sous l’égide du Premier ministre le 15 décembre dernier, a décidé de remplacer les schémas d’infrastructures de la loi Pasqua par des schémas de services de transports : un schéma pour les marchandises et un autre pour les voyageurs. Le renversement des priorités est radical : il s’agit en effet de se préoccuper davantage des besoins et du service rendu et moins des projets qui dorment dans les cartons. Notre objectif est de replacer l’usager et le citoyen au cœur des politiques publiques et d’échapper, ce faisant, tant au clientélisme qu’à la juxtaposition stérile des infrastructures. Améliorer la qualité du service ne signifie pas seulement accroître la vitesse ou la capacité de transports mais c’est aussi veiller à la sécurité, à la régularité, à la fréquence, et au confort des passagers. Le transport ferroviaire est un service public. À l’heure des TGV, on a parfois trop tendance à l’oublier.
À l’aube de ces nouvelles priorités, certains projets semblent excessivement coûteux. Le TGV Est, par exemple, a été étudié sur la base d’une vitesse réelle d’exploitation supérieure à 400 km/h masquée sous l’appellation 350*. Cette vitesse de 400 km/h correspond à la recherche d’une prouesse technique mais ne répond pas à la demande des usagers et ne débouche sur aucune possibilité d’exploitation commerciale réelle, à un horizon connu. Il s’agit pourtant d’une contrainte excessivement forte qui se paye très cher en atteintes à l’environnement et en coût inutiles. Autre exemple : le Paris-Limoges. Un projet d’amélioration de la liaison ferroviaire par le recours à la technique du pendulaire a été étudié. Résultat : 2 milliards sont nécessaires pour mettre à niveau l’infrastructure. Une expertise contradictoire a montré que, avec la même technique pendulaire, quelques centaines de millions de francs d’investissements permettraient de réaliser l’essentiel du gain de temps. Les dernières minutes gagnées sont souvent les plus chères. Mais sont-elles vraiment rentables ?
De telles dérives sont inacceptables. Ces projets excessivement coûteux obèrent les budgets et interdisent de satisfaire de nombreux autres besoins. Au nom de quoi devrait-on hypothéquer l’avenir de pans entiers du territoire sous prétexte qu’il faut aller jusqu’au bout d’un équipement démesuré ? Je voudrais qu’on ait une approche plus modeste des projets, qu’ils soient plus efficaces et plus nombreux et servent ainsi un plus grand nombre de nos concitoyens. Et je mets en garde les élus locaux. Le débats sur les TGV ne doit pas occulter une question plus immédiate : la préparation des prochains contrats de plan. Le seul chantier qui puisse démarrer avant la fin du siècle sera celui du TGV Est. Au mieux, en supposant que la concertation et les négociations financières ne provoquent pas quelques retards, les chantiers des TGV Rhin-Rhône et Bretagne-Pays de la Loire ne pourront être ouverts qu’en 2004 et 2006.
Il n’y a donc pas, à mes yeux, d’alternative. Il ne saurait être question d’accélérer des projets qui ne peuvent guère l’être. Pour respecter nos engagements, nous devons en revanche prévoir d’ambitieux volets ferroviaires dans les prochains contrats de plan. Je ne connais pas une région où il ne soit pas envisageable d’élaborer, dans des délais très courts, des projets raisonnables mais d’ampleur suffisante pour améliorer significativement la déserte ferroviaire. Pour ce faire, il faut que tous les acteurs se mobilisent afin que soient rapidement négociés les meilleurs projets. Les prochains contrats de plan débutent le 1er janvier de l’an 2000. Il n’y a donc pas une minute à perdre.