Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 26 juillet 1999, sur les reproches faits au gouvernement concernant la nécessité de repenser le mode de financement des retraites et le projet d'une seconde loi sur les 35 heures.

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Le Figaro : « Il faut des fonds de pension », a dit Jacques Chirac le 14 juillet, en exposant une conception à la française de l’épargne retraite et en soulignant les risques venus de l’étranger qui pèsent sur le système actuel. Le président a-t-il raison ?

Philippe Douste-Blazy : Oui. Le Président de la République a répondu ainsi à l’impératif de sa fonction : garantir, prévoir, protéger l’avenir et la prospérité de la France et des Français.
Quand on sait que 35 % du capital des entreprises françaises présentes sur les marchés financiers appartiennent déjà aux fonds de pension anglo-saxons, quand on sait qu’il faudra trouver chaque année deux cents milliards supplémentaires pour assurer l’équilibre de notre système de retraite à partir de 2015, il est urgent de trouver le moyen de répondre à ces deux défis. C’est ce que propose le Président de la République.
Pourtant, depuis deux ans, le Gouvernement n’a toujours rien fait. Il se trompe. Le problème est de nature démographique et appelle des mesures immédiates. En 2005, il sera hors de question d’augmenter dans l’urgence les cotisations et de diminuer de manière drastique les pensions. 2005, c’est le moment où un seul actif cotisera pour un seul retraité. C’est le moment où la répartition ne pourra plus fonctionner. Si rien n’est fait aujourd’hui, les responsables politiques de 2005 se retrouveront devant une équation impossible à résoudre. Qui acceptera alors de faire vivre une majorité de retraités en dessous de l’actuel minimum vieillesse ? Cette perspective nous oblige à repenser le mode de financement des retraites.

Le Figaro : On a parfois le sentiment que, sur ce sujet, l’opposition est plus prudente que le chef de l’État. Certains ne réfléchissent-ils pas à une procédure de type « ni-ni » pour une réforme des retraites ?

Philippe Douste-Blazy : En aucun cas ! Face à l’avenir des retraites, l’opposition s’est montrée unie et inventive, en alliant l’impératif de cohésion sociale et l’efficacité économique. En décembre 1998, j’avais déposé au nom du groupe UDF, et en accord avec les deux autres groupes de l’opposition, une proposition de loi sur des plans d’épargne retraité. À la rentrée, la majorité sénatoriale relancera le débat par une proposition de loi sur le même sujet. Ces deux propositions de loi ont la même inspiration : créer des fonds de pension complémentaires et non pas concurrents ou remplaçants du système de retraite par répartition. Dès lors que l’introduction d’un échelon supplémentaire dans le financement des retraites, la capitalisation, ne remet nullement en cause les principes de solidarité, un consensus est possible. La capitalisation doit faire l’objet d’un inlassable travail de pédagogie afin de lever les tabous et de comprendre qu’elle n’est qu’une technique financière et en rien une réponse idéologique.

Le Figaro : Diriez-vous que le Gouvernement de Lionel Jospin joue la montre ?

Philippe Douste-Blazy : Certainement, et les faits parlent d’eux-mêmes. Le 28 janvier 1999, le Gouvernement et sa majorité ont refusé le débat en rejetant le texte que nous leur proposions, sans même en avoir étudié les articles. Comment interpréter ce refus de débattre, sinon qu’il signifie clairement que, pour le Gouvernement, il est urgent d’attendre ? Je le regrette profondément, car ce projet raisonnable était fait dans l’intérêt général et laissait ouverte la possibilité d’amendements, aussi bien à nos partenaires de l’opposition qu’à nos adversaires de la majorité. J’avais voulu un texte souple, car un consensus est nécessaire sur un sujet aussi central de la société française, les retraites. Le Gouvernement a préféré continuer à occuper le pouvoir plutôt que de prendre le risque de l’exercer en décidant.
Aujourd’hui, nous ne savons pas quelle politique le Gouvernement compte mettre en place pour éviter l’explosion du système des retraites, comme nous ne savons toujours pas si le Gouvernement approuve ou non les conclusions du rapport Charpin. Ce rapport formera-t-il la base de la concertation avec les partenaires sociaux ? Concertation promise, mais dont nous ne savons pas si elle donne lieu à une réflexion, à des rencontres, à des comptes rendus et des avant-projets de décisions.
On peut douter de la volonté politique du Gouvernement de répondre au problème des retraites avant trois ans.

Le Figaro : L’interruption volontaire de grossesse, le remboursement des médicaments, la réduction du temps de travail, la baisse de la TVA : doutez-vous aussi de la pertinence de ces « sujets de réformes » qui font, à gauche, depuis le début de l’été, l’objet de nombreuses déclarations ?

Philippe Douste-Blazy : Discourir sur les phénomènes de société n’est pas suffisant ! Ne pas profiter des rentrées fiscales dues à la croissance retrouvée pour effectuer les grandes réformes dont notre pays a besoin, comme celle des retraites, sera demain le grand reproche fait à ce Gouvernement. Il croit trouver un second souffle dans des effets d’annonce qui restent à la surface des choses et laissent intact le coeur des problèmes. Chacune de ces propositions de réforme donne lieu à des annonces, à des démentis, à des reculs et à des corrections, sans que les Français puissent savoir quelle philosophie anime ces réformes, ni quelles seront leurs conséquences.
« Le Gouvernement préfère continuer à occuper le pouvoir plutôt que de prendre le risque de l’exercer en décidant. »

Le Figaro : Mais le projet d’une seconde loi sur les 35 heures sera étudié plus tôt que prévu, après-demain mercredi, par le Conseil des ministres…

Philippe Douste-Blazy : La seconde loi sur les 35 heures est emblématique de cette façon de gouverner qui consiste à faire croire que la réduction du temps de travail va entraîner une baisse du chômage. En effet, abaisser la durée du temps de travail revient à augmenter le coût, car la baisse des charges annoncée ne compensera pas en totalité le surcoût engendré. À salaire égal, un salarié travaillera moins, et pour faire face aux effets induits, l’entreprise n’aura que deux solutions : ou elle diminuera l’emploi, ou elle augmentera sa productivité. Une fois de plus, ce sont les salariés des entreprises et les entreprises elles-mêmes qui paieront les effets d’annonce d’une mesure gouvernementale qui ne permet pas de lutter efficacement contre le chômage. N’oublions pas que, in fine, c’est toujours la croissance qui crée des emplois durables, et à un coût nul. Cette loi sur les 35 heures est un frein à la croissance, et donc un mauvais coup pour l’emploi. Tout ceci explique que notre pays soit champion toutes catégories des dépenses publiques : 50,7 % chez nous, contre 45,2 % en moyenne dans la zone euro…

Le Figaro : On dit de vous que vous êtes un « UDF chiraco-compatible ». Quarante jours après le chahut électoral des européennes, c’est une étiquette facile à assumer ?

Philippe Douste-Blazy : Sur des dossiers essentiels comme l’avenir des retraites, l’indispensable expérimentation dans le cadre d’une plus grande décentralisation, ou la nécessité de réformer les institutions européennes avant tout élargissement à d’autres pays, l’opposition parlementaire soutient l’action de Jacques Chirac, avec lequel j’entretiens en tant que député et président du groupe UDF des relations de confiance et de travail.
Sachez que l’on peut croire à la diversité et à la pluralité de l’opposition, et soutenir l’action politique et diplomatique du Président de la République. Je ne vois là rien d’incompatible, et la Constitution ne donne pas d’autres lectures de ce que doit être une majorité présidentielle.