Interview de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Le Bulletin d'information du ministère de l'agriculture" de février 1998, sur les objectifs de la loi d'orientation agricole notamment dans les domaines de l'emploi, de la sécurité sanitaire des aliments et de l'environnement et sur la position de la France face à la réforme de la PAC.

Prononcé le 1er février 1998

Intervenant(s) : 

Média : Bulletin d'information du Ministère de l'agriculture et de la pêche

Texte intégral

BIMA : Vous allez soutenir un projet de loi « d’orientation » à la fin du premier semestre 1998. Ce projet augure-t-il d’un bon positionnement de la France à l’approche de la réforme de la PAC (1999) et du redémarrage des négociations commerciales Internationale (2000) ?

Louis Le Pensec : je m’efforce de faire en sorte que le projet de loi d’orientation agricole parvienne à mieux articuler la politique agricole nationale avec la politique européenne et les accords commerciaux.
Sur le plan international, nous avons signé les accords de Marrakech au terme desquels nous nous sommes engagés à réduire les soutiens publics à la production agricole.
Sur le plan européen, il apparaît que la poursuite du dispositif mis en place en 1992, à savoir, l’acceptation d’une relative vérité de prix compensés par des soutiens, ne peut pas être acceptée à long terme par l’opinion publique et par les contribuables.
Enfin, s’agissant de la France, nous avons à prendre en compte les attentes nouvelles de la société à l’égard de l’agriculture. Ces attentes se manifestent particulièrement dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, dans le domaine de l’emploi et de l’environnement.
Nous sommes à l’évidence en face d’une nouvelle donne qu’il faut gérer. Il m’apparaît nécessaire de construire une politique agricole qui cesse de lier automatiquement les volumes produits et les soutiens publics. C’est ce que l’on appelle le découplage des aides : les accords internationaux nous imposent ce découplage, la rétribution des services d’intérêt général rendus par les agriculteurs le commande, il reste à le mettre en place dans la réforme de la politique agricole commune.

BIMA : Placer l’agriculture au cœur du territoire. Voilà une expression qui revient souvent dans vos interventions y compris dans le texte du projet. Que sous-tend concrètement cette expression ? En quoi sa traduction législative doit-elle modifier l’activité agricole ?

Louis Le Pensec : Cet objectif part d’un constat qui est le suivant :
- la production agricole a tendance à se concentrer sur une proportion de plus en plus restreinte du territoire national : dix départements produisent autant que quarante-cinq. Nous assistons donc en matière agricole à un déséquilibre territorial ;
- des régions très productives sont confrontées à des dégâts impressionnants en matière de gestion de la ressource en eau notamment, tandis que des régions confrontées à la déprise agricole sont menacées de dégradation par manque d’activité.
Il convient donc de trouver des moyens, y compris législatifs de rééquilibrer la répartition de la production sur l’ensemble du territoire et d’encourager les pratiques agricoles soucieuses d’une meilleure gestion des ressources.

BIMA : Les contrats territoriaux d’exploitation forment le titre premier de votre projet. Ces contrats auront un parallèle financier puisque le projet envisage la création d’un fonds. La question qui se pose est de savoir si ces contrats sont limités dans le temps ou si, au contraire, leur durée sera indéterminée ?

Louis Le Pensec : Les contrats territoriaux d’exploitation seront limités dans le temps, probablement trois ans renouvelables. Ils ne seront pas cessibles. Il s’agit d’un engagement réciproque entre un agriculteur qui sur un projet et sur des pratiques avec les pouvoirs publics, qui de leur côté reconnaissent la nécessité non pas de subventionner, mais de rétribuer la richesse supplémentaire produite par l’agriculteur.

BIMA : La profession agricole sans doute échaudée par la modestie des crédits affectés au PMPOA s’interroge sur la pérennité des aides attribuées dans le cadre du CTE. Quels apaisements pouvez-vous apporter à ces interrogations ou à ces inquiétudes ?

Louis Le Pensec : Nous avons bien entendu à pérenniser les aides attribuées dans le cadre du CTE. En effet la réorientation de la politique agricole ne peut s’effectuer que dans le temps. C’est pourquoi il est essentiel que le fonds soit alimenté par les crédits européens et que cette approche soit partie intégrante de la PAC.

BIMA : Le chapitre consacré à l’exploitation agricole prévoit qu’un registre de l’agriculture sera créé et qu’il sera tenu par les Chambres d’Agriculture. Pourquoi ne le serait-il pas par les services déconcentrés du ministère ?

Louis Le Pensec : Les Chambres d’Agriculture sont des établissements publics et il m’apparaît nécessaire de mobiliser ces établissements, aussi bien sur les politiques de développement que sur les politiques de structure ; ce sont des partenaires des pouvoirs publics. Autant je suis attaché à ce que les contrats territoriaux soient signés par le représentant de l’État, autant il me paraît légitime que les Chambres puissent tenir ce registre qui n’est pas un fichier des exploitants, mais un registre des exploitations.

BIMA : Ce projet comprend un très important chapitre (treize articles) consacré au contrôle des structures des exploitations agricoles. Alors que le nombre d’exploitations agricoles a largement diminué par rapport à ce qu’il était en 1960/1962, années correspondant à la mise en place de la « réglementation sur les cumuls », comme on disait à l’époque, comment justifier aujourd’hui la raison d’être du maintien d’une telle législation ?

Louis Le Pensec : En 1960/1962 le contrôle des structures était destiné effectivement à réglementer les cumuls. Aujourd’hui la réactualisation de la politique des structures est motivée par deux grands impératifs. Le premier est celui de l’emploi : l’agriculture se doit, comme tous les secteurs de l’économie, d’apporter sa contribution au partage de l’emploi. Une politique active d’installation, qui suppose une maîtrise de la concentration des exploitations, peut y contribuer. Le second est d’ordre culturel. Notre société a besoin de groupes professionnels assez nombreux et constitués pour exister dans le dialogue social. Une France avec 100 000 exploitations - ce qui sur le plan économique signifierait un grand appauvrissement - est politiquement inadmissible, car nous ne voulons pas d’une France sans agriculteurs.

BIMA : Deux chapitres du projet en forment le volet social : « statut des conjoints travaillant dans les exploitations » et « développement de l’emploi salarié ». Au fond, quelle est la philosophie de votre action sur ces deux registres ?

Louis Le Pensec : Clairement, les conjoints travaillant sur les exploitations doivent être reconnus comme des travailleurs à part entière et nous devons donc rechercher à les mettre à parité de dignité et donc de statut avec les exploitants. Quant à l’emploi salarié, composant essentiel du dossier de l’emploi, nous avons à le favoriser en agriculture en encourageant les employeurs, en l’occurrence les exploitants, à s’organiser pour avoir plus facilement recours à lui. Nous devons faire en sorte que le salariat agricole présente les mêmes avantages, et donc la même attraction, que les autres formes de salariat.

BIMA : Vous souhaitez également rénover les missions des interprofessions. Quelles novations souhaitez-vous introduire à ce modèle bien français d’organisation économique ?

Louis Le Pensec : La principale nouveauté consiste à prévoir la possibilité de constituer des interprofessions spécifiques à un signe d’identification ou de qualité.

BIMA : Le titre IV de votre projet traite de la qualité et de l’identification des produits agricoles et alimentaires. Compte tenu de l’importance que les consommateurs attachent à la sécurité de leur alimentation, est-ce bien une loi d’orientation agricole qui peut répondre à cette demande sociétale ?

Louis Le Pensec : Bien entendu une loi d’orientation agricole doit traiter des problèmes de qualité et d’identification des produits agricoles et alimentaires. C’est probablement un point essentiel de ce qui nous différencie des Américains, par exemple. En effet, nous pensons d’abord que la qualité d’un produit alimentaire est liée à la qualité de la matière première agricole qui le constitue.
Nous pensons ensuite que la qualité d’un produit agricole sera de plus liée à la qualité de son support de production (l’eau, le sol), ainsi qu’à la qualité des procédés de production.
En d’autres termes, la qualité d’un produit est liée à la façon dont l’agriculteur exerce son métier. Enfin, il apparaît que la qualité et l’identification des produits représentent un moyen de maintenir une place forte aux producteurs dans l’ensemble de la chaîne alimentaire.
De ce point de vue, les demandes de la société rejoignent l’aspiration des agriculteurs à être reconnus pour ce qu’ils sont : des producteurs hautement qualifiés mettant sur le marché, pas seulement des matières premières banales, mais au contraire des produits à la fois de qualité et dont la provenance peut être identifiée.

BIMA : Enfin votre projet aborde la gestion de l’espace agricole et forestier alors qu’un projet de loi sur la forêt a été confié par le Premier ministre à Jean-Louis Bianco. Comment ces deux projets de texte vont-ils s’articuler ?

Louis Le Pensec : J’ai souhaité dissocier le volet forestier du volet agricole. En effet, la politique forestière n’est pas une politique européenne au même titre que la politique agricole. Les partenaires ne sont pas les mêmes, en revanche, une même préoccupation traverse les politiques agricoles comme les politiques forestières à construire. Cette préoccupation est la suivante : mieux articuler le développement économique et développement durable. Là réside l’articulation entre les deux projets. L’agriculture et la forêt demeurent les deux grands secteurs d’activité les plus concernés par la gestion des espaces puisqu’elles occupent à elles deux plus des deux-tiers de notre territoire.