Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur l'élevage et la fabrication de fromages dans le cadre de l'économie régionale du Jura, la politique agricole et les objectifs de la loi d'orientation agricole, le 30 janvier 1998.

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Circonstance : Visite chez les éleveurs du Jura "Jura Bétail" le 30 janvier 1998

Texte intégral

Je me réjouis d’être parmi vous aujourd’hui pour une journée que nous avons placée sous le signe de l’élevage. J’ai voulu, par une visite sans doute trop rapide, venir saluer l’agriculture diversifiée de votre département, qui a su s’adapter à des conditions climatiques difficiles et se forger des atouts en misant sur des productions de qualité dans tous les secteurs et en particulier dans celui des productions animales.

Les deux visites que je viens d’effectuer ont illustré la manière dont les éleveurs du Jura ont su tirer parti des richesses naturelles dont ils disposaient. Je pense en particulier à l’herbe et à la race montbéliarde qui demeure la première race du département. Les agriculteurs, mais aussi l’ensemble des acteurs du monde agricole ont ainsi mis au service d’une production de qualité les instruments les plus modernes de la sélection animale. Vous avez ainsi fait le choix tous ensemble d’orienter depuis de nombreuses années les programmes de sélection de la race montbéliarde sur son aptitude à valoriser une ration principalement fourragère et la production de lait de qualité fromagère. La création récente d’une UPRA pour la race montbéliarde en 1997 sous l’impulsion et avec l’aide de l’État viendra conforter cette orientation importante.

J’ai aujourd’hui pu constater le rôle économique déterminant que joue la fabrication de fromages sous AOC dans votre département et plus généralement en Franche-Comté. Je pense bien sûr au Comté qui est en volume la première AOC en France, mais aussi au Bleu du Haut-Jura et au Mont-d’or.

Je sais que l’Institut national des appellations d’origine, l’INAO, étudie l’aire d’appellation du Comté. Cela soulève un certain émoi et je le comprends. Vous savez certainement, mais je rappelle tout de même, que la démarche de l’AOC est une démarche contraignante, ce qui veut dire que l’Institut se prononce en toute indépendance sur un ensemble de critères rigoureux et communs à l’ensemble des délimitations des AOC.

Depuis longtemps, la réputation d’indépendance de l’INAO n’est plus à faire et le ministre de l’agriculture ne peut que suivre ses décisions sans les modifier. J’ajoute que cela est sans doute heureux pour garantir la qualité du label et par là-même la réputation de nos produits d’origine.

En faisant vivre la tradition et le savoir-faire ancestral lié à la fabrication de ces AOC, vous avez contribué à maintenir un réseau dense d’ateliers de fabrication et d’affinage, les fameuses « fruitières », et à maintenir un mode de conduite traditionnel des troupeaux.

Vous avez eu raison de vous engager résolument dans cette voie, répondant ainsi aux nouvelles attentes de la société à l’égard de l’agriculture.

Le projet de loi d’orientation que je soumettrai très prochainement au Parlement viendra conforter ces orientations.

La loi d’orientation agricole en cours d’élaboration doit en effet être l’occasion de redéfinir les objectifs de la politique agricole. Il faut permettre à l’agriculture de répondre aux attentes nouvelles que la société formule à son égard, et ainsi donner une légitimité renouvelée à l’intervention publique en faveur des agriculteurs.

Un certain nombre de marchés solvables sont guettés par la saturation dans un climat de compétitivité toujours plus âpre. Demain, pour pouvoir vendre, les exigences de qualité l’emporteront sur la seule productivité qui prévalait jusqu’alors.

On constate qu’au fil du temps, l’exploitation agricole s’est peu à peu détaché de son territoire, ce qui a entraîné des déséquilibres fonctionnels. Je veux m’attacher, en conséquence, à replacer le territoire au cœur de l’exploitation de manière à faire prendre en compte les fonctions économique, environnementale et sociale de l’agriculture.

Ce n’est qu’au prix d’un resserrement des liens entre les exploitants et le territoire sur lequel s’exercent leurs activités que la gestion durable pourra réussir.

Bien sûr, les agriculteurs auront, demain comme aujourd’hui, pour vocation première de produire des biens alimentaires. Mais la politique agricole ne peut plus limiter son ambition à encourager le développement du volume de la production agricole.

Alors que le chômage est devenu la préoccupation majeure de notre société, la préservation de l’emploi, donc la pérennité des exploitations agricoles, et leur transmission dans de bonnes conditions, doit devenir une préoccupation centrale de l’intervention des pouvoirs publics.

Pour conforter la pérennité des exploitations agricoles, il est nécessaire d’instituer des règles qui permettent une répartition équitable de la plus-value réalisée sur les produits alimentaires entre les agriculteurs d’une part, et les entreprises de transformations et de distribution, d’autre part.

Pour valoriser les produits agricoles, il faut encourager le développement d’une agriculture qui tire un meilleur parti des potentialités des terroirs en développant les systèmes de production qui soient adaptés à ces potentialités.

Pour renouveler le contrat entre l’agriculture et la Nation et répondre aux attentes de nos concitoyens, il faut promouvoir une agriculture qui joue tout son rôle dans la préservation des ressources naturelles et dans l’entretien des paysages.

Il faut redéfinir le métier d’agriculteur non plus comme étant simplement un métier de production de biens alimentaires, mais aussi comme un métier de production de services collectifs au profit de tous les usagers de l’espace rural.

Voici, en quelques mots, les objectifs que j’entends assigner à une politique agricole reformulée et modernisée.

C’est pourquoi j’ai conçu, dans le cadre de la loi d’orientation, la mise en place d’un outil de gestion de l’exploitation, le contrat territorial d’exploitation qui associe de manière cohérente l’activité agricole à un territoire donné.

À travers lui, mon but est de permettre le passage d’une politique agricole dans laquelle les aides publiques à l’agriculture, qui visaient essentiellement à encourager l’augmentation de la production, étaient versées proportionnellement au volume produit ou à la taille des exploitations – c’est le système qui demeure aujourd’hui – à une politique agricole qui associera le versement d’une partie des aides publiques aux agriculteurs à la prise en compte, par les exploitations, d’orientations définies dans des cahiers des charges nationaux et régionaux, précisés au niveau départemental.

Les prescriptions de ces cahiers des charges traduiront les objectifs généraux que j’évoquais à l’instant devant vous. Les contrats territoriaux seront proposés à tous les exploitants sur tout le territoire. Et ils porteront sur l’activité de l’ensemble de l’exploitation. J’insiste sur ce point. Il ne s’agit pas d’une mesure réservée aux zones dites défavorisées, ou portant uniquement sur la prise en compte de prescriptions environnementales. Les contrats territoriaux d’exploitation ont vocation à couvrir tous les aspects de l’activité des exploitations qui les souscriront.

Il ne s’agit pas d’un ajustement de détail, mais d’une profonde modification de la conception de l’intervention publique dans le domaine agricole. Celle-ci est nécessaire si nous voulons assurer durablement la légitimité des aides à ce secteur.

À plus long terme, dans le cadre des négociations qui vont s’ouvrir en vue de la réforme de la PAC, je suis résolu à faire prévaloir ces orientations.

Le document adopté par le conseil des ministres de l’agriculture en novembre 1997 constitue à mes yeux un premier pas positif. Mais il faudra rester vigilant.

Mesdames, Messieurs, avant de conclure, je souhaite revenir à l’actualité immédiate. Comme vous le savez, dès mon arrivée au ministère, j’avais indiqué mon souhait de voir reconduit le dispositif de prime au maintien des systèmes d’élevage extensif, dite « prime à l’herbe », qui venait à expiration à la fin de l’année dernière. C’est aujourd’hui chose faite puisque, après de longues et difficiles discussions avec la Commission européenne, Bruxelles vient finalement d’accepter sa reconduction, il y a quelques jours. Son montant sera maintenu et le dispositif de mise en œuvre fera l’objet de quelques adaptations. En particulier, l’identification des parcelles primées permettra de faciliter la transmission des engagements entre éleveurs.

Je m’attacherai dans le cadre de la réforme de la PAC à conforter cet outil afin qu’elle puisse jouer un véritable rôle d’incitation pour les élevages herbagers.

Je veux conclure en reprenant les mots d’un homme du Jura, Jacques Poly, qui nous a quittés récemment et dont chacun connaît ici les services qu’il a rendus à l’agriculture française et en particulier à notre élevage. Il s’agit de rendre « notre agriculture moins fragile, plus économe, plus raisonnée dans ses pratiques, plus soucieuse de son avenir à longue échéance ». Ce que j’ai vu aujourd’hui est à cet égard un message d’espoir.