Interview de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, à Europe 1 le 18 février 1998, sur son projet de loi relatif aux animaux dangereux, la position de la France dans la réforme de la PAC notamment dans le cadre de la loi d'orientation agricole.

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Média : Europe 1

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Europe 1 : On est très inquiets ce matin, Monsieur le ministre, pour des pêcheurs de Port-en-Bessin qui sont portés disparus. Est-ce que vous avez des nouvelles ?

Louis Le Pensec : Ainsi que vous le disiez : disparition d’un coquiller et au fil des heures l’angoisse s’accroît, l’espoir s’amenuise mais, bien sûr, les recherches continuent. Nous en sommes là à l’heure où je vous parle.

Europe 1 : Avant de parler agriculture, puisque vous étiez à Bruxelles pour un conseil des ministres européens, un organisateur de combats clandestins de pitbulls va être aujourd’hui jugé à Paris. Dans le même temps, ces chiens sont aujourd’hui, semble-t-il, très recherchés par une certaine catégorie de jeunes. Vous êtes à l’origine d’un projet de loi, où en sommes-nous ? Que prévoira ce texte ?

Louis Le Pensec : Vous avez vu en quoi l’actualité vient nourrir ce dossier. Le Gouvernement a décidé le dépôt d’un projet de loi. Ce projet est actuellement en examen au Conseil d’État et sera soumis à la mi-mars au conseil des ministres. Il prévoit de doter les maires de pouvoirs de police qui leur permettraient notamment de confisquer un animal qui constituerait une véritable menace. Il prévoit aussi de nombreuses mesures qui seraient imposées aux propriétaires d’animaux dits « potentiellement dangereux ». Je pense aux chiens d’attaque, chiens de garde.

Europe 1 : Mais ce n’est pas uniquement les Pitbulls ?

Louis Le Pensec : Pas uniquement. Ces chiens potentiellement dangereux et porteurs d’un risque, leurs propriétaires seront tenus à une déclaration en mairie, devront se conformer à des exigences liées au port de la laisse, à la muselière, et se verront limiter l’accès de leur chien dans des lieux publics. Mais s’agissant de la catégorie ou du type auquel vous faites référence, les pitbulls, dont on a pu voir combien l’utilisation souvent déviante pose de réels problèmes de sécurité en milieu urbain, il y aura pour eux des dispositions beaucoup plus restrictives : interdiction de l’importation, de la vente, de l’élevage et de l’acquisition de ce type de chien et il aura des sanctions administratives et pénales.

Europe 1 : Le temps que ça passe devant le Parlement, quand peut-on espérer une application ? Ça devrait faire un consensus ?

Louis Le Pensec : Il y a de très nombreuses propositions de loi. Ce texte est appelé à connaître le consensus à l’Assemblée et au Sénat. Il y a une volonté du Premier ministre de faire que ces dispositions soient arrêtées en urgence. J’espère qu’avril-mai permettraient au calendrier parlementaire de franchir un cap décisif sur cette question.

Europe 1 : Il ne faut plus faire de sentiment, ces bêtes-là ne sont pas nos amis ?

Louis Le Pensec : Le projet de loi, s’appelle « loi relative aux animaux dangereux et à la protection des animaux » car le projet porte aussi sur un certain nombre de mesures à l’égard des animaux qui restent amis de l’homme.

Europe 1 : Madame Voynet a dit, concernant les chasseurs, qu’il s’agissait de « machos très classiques ». Ce n’est pas de votre compétence, mais que pensez-vous de leurs revendications ?

Louis Le Pensec : Elles sont diverses et vous avez pu voir que parfois, les migrations coïncident avec élections. Cela dit, il y a un certain nombre de questions qui interpellent le ministre de l’environnement, mais aussi le ministre de l’agriculture. Avec Dominique Voynet, nous avons le souci de faire que la France rurale continue à rester une France très vivante. De ce point de vue, je crois que les appréhensions ou accusations qui sont portées ne sont pas justifiées. Nous aurons l’occasion, puisque nous parlons beaucoup ruralité, Dominique Voynet et moi-même, d’apporter des réponses très fortes dans cette direction.

Europe 1 : Vous rentrez de Bruxelles où se tenait un conseil des ministres de l’agriculture. Aujourd’hui vous recevrez des producteurs et éleveurs qu’inquiète la réforme de la politique agricole commune. Que leur direz-vous ?

Louis Le Pensec : Je reçois une délégation, je reçois aussi Hirondelle et Nectar – c’est une vache limousine et son veau –, puisque la délégation est ainsi constituée. Il était normal que le ministre reçoive l’ensemble de la délégation.

Europe 1 : Et vous allez les loger où ?

Louis Le Pensec : Transitoirement non pas sur le jardin, mais j’ai cru comprendre qu’il y avait à proximité une bétaillère qui sera un refuge tout indiqué. Et nous rencontrons ensuite le Premier ministre, car ils ont souhaité, dans cet itinéraire vers la Commission, où ils ont demandé à être reçus, être reçus à Paris. Il était légitime que je continue avec eux un dialogue déjà amorcé depuis longtemps, en préparation des grandes échéances de la PAC.

Europe 1 : On trouve difficilement compatible la réforme de la politique agricole commune et puis la continuité d’une politique agricole nationale, avec des exploitations traditionnelles. Les agriculteurs sont inquiets, ils ont des raisons de l’être ?

Louis Le Pensec : Mais je partage une très grande part de leurs appréhensions, a fortiori lorsque l’on prend connaissance des propositions de la Commission, puisque ceux que je reçois cet après-midi sont en présence d’une proposition visant à réduire de 30 % les prix de la viande bovine à échéance de deux ans. C’est dire que ceci suscite des craintes et c’est dire aussi le jugement plus que réservé, le fait que nous considérions comme non acceptables en l’état les propositions qui nous sont faites par Bruxelles. Cela étant, la politique agricole commune, mais aussi la politique agricole française, sont toutes deux à la croisée des chemins, et pour des raisons qui s’imposent. Regardons notre pays : on a assisté au fil des années à de formidables gains de productivité, mais à des pertes de centaines de milliers d’emplois actifs – ceci ne peut laisser indifférent. Il y a aussi le tableau des disparités croissantes de revenus entre exploitants : cela peut non seulement choquer les exploitants, cela aussi interpelle les responsables politiques à qui l’on demande d’apporter plus d’équité entre un exploitant de la Creuse et un exploitant de l’Aube, où les différences peuvent aller du simple à vingt fois plus en terme de revenu. Et puis, il y a surtout cette grande question que l’on appelle les attentes nouvelles de la société, c’est-à-dire le regard que la société française porte sur son agriculture.

Europe 1 : Et l’agriculteur de l’an 2000, il a quel profil ?

Louis Le Pensec : L’agriculteur de l’an 2000 et cette agriculture-là se présenteront véritablement différemment. L’agriculture est dans l’attente que soit reconnue la multiplicité de ses fonctions : non seulement producteur de matières premières, mais aussi producteur de paysage, producteur d’aménagement du territoire, puisque l’agriculture doit, dans l’avenir, continuer à occuper harmonieusement le territoire. Et ce sont ces attentes nouvelles qu’il nous faut traduire. Il me revient, à la demande du Premier ministre, d’élaborer une loi d’orientation agricole. Votre question, tout à l’heure, portait sur la compatibilité entre ce que nous prépare l’Europe et ce que, pour ma part, j’ai mission de préparer. La tâche n’est pas aisée, mais l’Europe, elle aussi prenant conscience du formidable défi qui lui est lancé, des grandes négociations de l’an 2000 au sein de l’Organisation mondiale du commerce, prenant conscience de l’élargissement, nous propose une réforme que j’entends bien, pour ma part, infléchir vers une agriculture plus respectueuse de nos ressources naturelles. Mais surtout étant une grande composante de l’aménagement du territoire. J’ai, à ce titre, un certain nombre de propositions à faire valoir et je ne désespère pas, d’ici la fin de l’année, d’infléchir les positions européennes en ce domaine.