Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la loi d'orientation agricole, les aides à l'agriculture, notamment la mise en place d'un contrat territorial d'exploitation et le volet social, Paris le 22 janvier 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du groupe de travail permanent sur le projet de loi d'orientation agricole à Paris le 22 janvier 1998

Texte intégral

Je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir répondu à mon invitation aujourd’hui, et surtout à féliciter tous les membres de ce groupe de travail pour la célérité et le sérieux avec lequel ils ont travaillé. Votre participation, vos remarques et vos apports ont considérablement enrichi le document initial. Début septembre, je vous transmettais ce premier document de réflexion.

Le 2 octobre, je présidais votre première réunion de travail et aujourd’hui, vous êtes rassemblés pour la 10e fois pour me faire part de vos observations sur l’avant-projet que je vous ai fait parvenir le 9 janvier.

J’ai donc bon espoir de pouvoir saisir mes collègues du gouvernement avant la fin du mois, et de soumettre un texte au conseil d’État puis au Conseil des ministres à la fin de ce trimestre pour qu’il soit déposé sur le bureau du Parlement au début du printemps.

En à peine plus de six mois, nous serons ainsi parvenus à tracer le cadre de la nouvelle politique agricole que la France va se donner pour tâche d’élaborer chez elle et de promouvoir au sein de l’union.

L’avant-projet de loi que je vous ai communiqué a pour ambition de permettre à l’agriculture de répondre aux attentes nouvelles que la société formule à son égard, et ainsi de donner une légitimité renouvelée à l’intervention publique en faveur des agriculteurs.

Il s’agit – et personne ne le conteste – d’un projet de loi d’orientation s’attachant à définir des objectifs et à mettre des moyens nouveaux ou existants en cohérence avec ces objectifs. Ceci a guidé notre démarche commune et dans ces conditions, il est naturel de ne pas tout trouver dans ce texte.

Les agriculteurs auront, demain comme aujourd’hui, pour vocation première, de produire des biens alimentaires. Ce sont des entrepreneurs obligés de se préoccuper de la rentabilité de leur outil. Il n’est bien évidemment pas question d’oublier cet aspect et nous devrons ouvrir le dossier des aménagements à apporter notamment à la fiscalité des exploitations.

Nous reparlerons également d’une idée intéressante que vous m’avez soumise en matière d’assurance-récolte, car elle me paraît nécessiter des études préalables qui n’étaient pas compatibles avec les délais que nous souhaitions tenir par cette loi.

Mais la politique agricole ne peut plus limiter son ambition à encourager le développement du volume de la production agricole.

Elle doit conforter la pérennité de ses exploitations et veiller à ce qu’elles puissent être transmises. J’ai bien conscience que sur ce point aussi, nous aurons à reparler de fiscalité.

J’ai aussi conscience que nous aurons à traiter du problème des retraites.

La politique agricole doit assurer la meilleure valorisation des potentialités des terroirs et, dans tous les cas, un partage équitable de la valeur ajoutée.

Pour renouveler le contrat entre l’agriculture et la nation et répondre aux attentes de nos concitoyens, elle doit promouvoir une agriculture qui joue tout son rôle dans la préservation des ressources naturelles et dans et dans l’entretien des paysages. Il faut redéfinir le métier d’agriculteur non plus comme étant simplement un métier de production de biens alimentaires, mais aussi comme un métier de production de services collectifs au profit de tous les usagers de l’espace rural.

Il s’agit pour moi de réenrichir et de donner toute sa dignité au métier d’agriculteur.

D’après les compte-rendus de vos séances, et si j’en crois les entretiens que j’ai pu avoir avec les uns et les autres, ces préoccupations sont largement partagées, et je m’en réjouis. J’ai bien compris que ce consensus n’est pas dû seulement à un triomphe du réalisme.

Il traduit plus profondément, pour beaucoup d’entre vous, le besoin de renouer avec une conception plus citoyenne du rôle de l’agriculteur, soucieux de la préservation des richesses naturelles, dont d’ailleurs l’agriculture se nourrit, et de la production de services qui contribueront également à la préservation d’un tissu rural vivant, indispensable au développement de l’activité agricole.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour que vous me disiez si le document que je vous ai soumis vous paraît bien en concordance avec ces objectifs. Je rappellerai en quelques mots sont contenu.

1. Je propose, en premier lieu, la mise en œuvre d’un nouvel instrument : le contrat territorial d’exploitation.

Mon but est – vous l’aurez compris – de relégitimer les aides à l’agriculture, en passant d’une politique de soutien et de compréhension à une politique de rémunération des services rendus par l’agriculture à la collectivité. Mon objectif est en même temps de moderniser la relation qu’entretiennent les agriculteurs avec les pouvoirs publics, en faisant de l’approche contractuelle une pierre angulaire du dispositif.

Et, il ne s’agira pas d’un simple habillage, puisque ces contrats seront négociés au niveau local, dans le cadre des grandes orientations définies au niveau national.

Les contrats territoriaux seront proposés à tous les exploitants sur tout le territoire. Et ils porteront sur l’activité de l’ensemble de l’exploitation.

J’insiste sur ce point. Il ne s’agit pas d’une mesure réservée aux zones dites défavorisées, ou portant uniquement sur la prise en compte de prestations environnementales. Les contrats territoriaux d’exploitation ont vocation à couvrir tous les aspects de l’activité des exploitations qui les souscriront. Ils ont vocation également à accueillir toutes les initiatives des agriculteurs, dès lors qu’elles prennent en compte les différentes fonctions de l’agriculture.

Il ne s’agit pas d’encadrer ou d’enrégimenter, il s’agit de définir les responsabilités respectives de l’État, et éventuellement, des autres partenaires publics, d’une part, et d’autre part, de l’agriculteur, face à un projet pour lequel celui-ci sollicite le soutien des pouvoirs publics.

Il ne s’agit pas d’un ajustement de détail ou de la création d’une procédure supplémentaire, mais d’une profonde modification de la conception de l’intervention publique dans le domaine agricole.

Celle-ci est nécessaire si nous voulons assurer durablement la légitimité des aides à ce secteur. Je suis convaincu en effet que si nous réussissons ce virage, nous aurons mis en place le cadre dont nos agriculteurs ont besoin pour se préparer à l’évolution inéluctable vers un découpage croissant entre les aides publiques et la production.

2. Mon projet comporte en second lieu un important volet social.

Prendre en compte l’emploi, c’est aussi améliorer le sort des femmes et des hommes qui vivent de l’agriculture et qui la font vivre.

Vous savez que le Gouvernement auquel j’appartiens a pris des mesures dans ce domaine dès 1997, en procédant à une première revalorisation des basses retraites agricoles et en engageant la mobilisation pour les emplois-jeunes.

Sur la question des retraites, au-delà des dispositions prévues dans ce projet de loi concernant les conjointes, il faudra que nous allions plus loin dans les mesures de revalorisation.

3. Pour maintenir une agriculture vivante sur tout le territoire, assurer la pérennité des exploitations, mon projet s’efforce de donner aux partenaires intéressés, les moyens qui leur permettent de lutter contre la concentration excessive des exploitations.

Il est nécessaire de mettre en place les outils qui permettent d’intervenir pour maîtriser la concentration des exploitations qui opère notamment par le biais du développement des formes sociétaires d’exploitations agricoles.

Mais le plus important c’est d’améliorer l’information des candidats à l’installation, car il ne s’agit pas de verrouiller, mais bien plutôt d’ouvrir l’agriculture.

4. Pour conforter la situation des exploitations agricoles, il m’a paru également nécessaire de prévoir un ensemble de dispositions confortant l’organisation économique des agriculteurs, et favorisant le développement des productions de produits identifiés, de qualité.

5. Enfin, il m’a paru utile de dire que l’appareil de formation, de recherche et de développement que l’agriculture a su se donner, devraient être mis au service de ces ambitions nouvelles.

En conclusion, je dirai qu’infléchir notre politique agricole ne consiste pas à jeter par-dessus le bastingage les acquis d’hier pour privilégier une agriculture folklorique. Je pense que vous aurez bien compris que ce projet s’insère dans un édifice ancien, qu’il s’agit de réorganiser et non pas de mettre à bas.

Mais j’ai trop parlé, puisque je suis ici aujourd’hui, d’abord pour vous écouter.