Déclaration de M. Bernard Pons, ministre de l'équipement du logement des transports et de la mer, sur le tourisme comme facteur de développement de l'Outre-mer français, au Conseil économique et social le 22 avril 1997.

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  • Bernard Pons - ministre de l'équipement du logement des transports et de la mer

Texte intégral

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d’abord vous dire le plaisir que j’ai à répondre à votre invitation, car vous savez l’attachement ancien que j’ai pour l’outre-mer français et je suis particulièrement heureux de pouvoir parler aujourd’hui de son développement.

Je tiens également à saluer l’initiative de votre assemblée, qui a souhaité, après le magistral rapport de M. Chaussebourg, dont le Gouvernement s’est beaucoup inspiré, entendre un rapport spécifique sur le tourisme outre-mer et féliciter votre rapporteur d’avoir réalisé une étude de synthèse qui faisait défaut.

En effet, peut-être plus encore que la métropole, les départements et territoires d’outre-mer ont à faire face à des défis multiples : mondialisation des échanges, poussée démographique, aspiration à un bien-être social, accélération des flux migratoires ainsi qu’à une remise en cause des moteurs traditionnels de leur développement que sont l’agriculture, la transformation agroalimentaire ou l’extraction minière.

L’équilibre qui s’est établi entre des ressources à l’avenir incertain et des besoins en croissance régulière, reste fragile. Mais il nous oblige à la recherche de solutions alternatives, fondées sur les atouts propres à nos DOM et nos TOM, orientées prioritairement vers la création d’emplois et l’initiative privée.

L’activité touristique répond naturellement à ces critères. Et je sais que c’est la conviction de mon collègue Jean-Jacques de Peretti.

Je voudrais souligner ici que si le tourisme est une activité essentielle pour l’outre-mer, l’outre-mer est réciproquement un atout majeur du tourisme français dans son ensemble. C’est grâce à lui que la France est aussi une destination tropicale, une destination de croisière et de plaisance, une destination privilégiée pour des Américains ou des Japonais qui vont chercher là des îles de rêve avec un parfum de France. L’outre-mer est donc nécessairement un enjeu décisif pour toute politique du tourisme.

Pourtant le tourisme d’outre­mer est une activité « jeune », alors même qu’il nous paraît avoir toujours existé, tant il semble facile aujourd’hui de choisir l’hiver entre la montagne et les Antilles, l’été entre les gorges du Verdon ou les cirques de La Réunion. Or, ces habitudes de consommation touristiques sont récentes.

Le tournant de cette évolution peut être daté, et les statistiques que cite votre rapporteur le montrent de manière édifiante. C’est en effet, entre 1986 et 1988 que se créent, par la conjonction de deux phénomènes, les conditions de l’entrée de nos DOM et de nos TOM dans la compétition internationale.

Il s’agit tout d’abord, et l’enjeu est évident pour des régions qui sont des îles, de la libéralisation du ciel que j’ai engagée entre la métropole et les DOM, puis les TOM qui a autorisé la captation du vaste marché métropolitain. C’est ainsi que des liaisons aériennes très denses, en capacité comme en fréquence ont permis, dès 1989, d’apporter des dizaines de milliers de touristes supplémentaires à ces départements et territoires.

Mais, il ne suffisait pas de transporter les touristes, encore fallait-il avoir les capacités de les héberger, de réaliser sur place les investissements de toute nature permettant de les accueillir ou de leur offrir des activités de plaisance comme de croisière.

Ce sont d’évidence – votre rapporteur le souligne éloquemment – les mesures de défiscalisation que le Gouvernement de Jacques Chirac a fait voter sur ma proposition qui ont permis l’émergence d’une offre touristique abondante dans ces départements et territoires.

En effet, l’institution d’une aide fiscale à l’investissement outre-mer était l’instrument d’incitation indispensable à un développement économique. C’est un outil de compétitivité important pour compenser, dans une certaine mesure, les handicaps de coût structurel de l’outre-mer. Sans la défiscalisation le coût des investissements serait dans un rapport plus défavorable, sinon intenable, avec ceux réalisés dans les États voisins.

J’ai d’ailleurs constaté avec plaisir, Monsieur le président, que le rapporteur, Monsieur Laventure, recommandait le maintien de ce dispositif, rejoignant le cœur unanime de ceux qui connaissent les réalités, ont l’outre-mer au cœur et ne sont pas aveuglés par une idéologie technocratique ou des arrière-pensées inavouables.

Cette ouverture s’est produite de façon rapide et l’on pourrait même dire parfois brutale, prenant au dépourvu non seulement les populations concernées, mais également les professionnels.

Alors que les Canaries, les Baléares, ou l’île Maurice avaient fait depuis des années un choix de développement largement centré sur l’activité touristique, comme le montre votre rapport, beaucoup pensaient encore que ce choix n’était fait que faute d’autres opportunités de développement.

Or, c’est bien dans cette erreur d’appréciation que réside le problème. Car, en réalité, le tourisme n’est pas une activité économique exclusive des autres activités, mais, elle permet, bien au contraire, une réorganisation harmonieuse de celles-ci. Le tourisme ne nuit pas à la pêche ou à l’agriculture, mais leur ouvre de nouveaux débouchés, aussi bien en matière d’activités que de consommation.

Le tourisme est une activité en constante progression et certains de nos DOM sont particulièrement bien placés dans des zones géographiques qui devraient, dans les 15 prochaines années, connaître le plus fort développement. Tel est le cas en particulier pour le bassin Caraïbes. En effet, les chiffres de progression mondiale de ce secteur se situe à un niveau moyen de 4,5 % par an, alors que les prévisions pour les Caraïbes sont de 7 %, et que l’Europe devrait se situer autour de 2,5 %.

Les départements et territoires d’outre-mer doivent donc être prêts pour ce rendez-vous décisif, et pour affronter la concurrence, en particulier celle de Cuba. Pour cela, il est impératif que soient d’élaborées de véritables stratégies de développement touristique, et les observations de votre rapporteur rejoignent sur ce point celles du rapport Chaussebourg.

Cela relève tout d’abord des collectivités territoriales, légalement compétentes en la matière. Pour que l’État puisse apporter son soutien efficace, il est nécessaire que les choix et les projets envisagés soient clairement définis.

L’État peut éclairer les responsables dans leurs choix stratégiques et leur donner les éléments utiles à la décision, mais il ne saurait être question que l’État se substitue aux décideurs locaux compétents aux tenues des lois sur la décentralisation et les compétences des territoires d’outre-mer. Vous avez suggéré qu’un responsable « Tourisme » soit spécialisé dans les questions spécifiques de l’outre-mer et puisse être le correspondant unique pour toutes questions qui pourraient se poser en la matière. Cette proposition me parait tout à fait opportune et je vais demander à la direction du tourisme et à l’AFIT de me faire rapidement des propositions en ce sens.

Mais, il faut constater que la tâche n’est pas simple, à la mesure du projet qu’elle sous-tend, et Monsieur le rapporteur a nettement défini les axes principaux de la politique à mener. Son constat est lucide et les propositions sont tout à fait réalistes.

Pour relever ce défi, il s’agit de créer une véritable « culture touristique », qui place l’accueil, la professionnalisation, les stratégies d’aménagement, au cœur des préoccupations des décideurs publics, des professionnels et des populations locales.

Pour s’être fortement développé, le tourisme vers l’outre-mer n’a pas encore atteint tout son potentiel et cela tient à des blocages que votre rapporteur a identifiés. Je voudrais ici citer quelques-unes des difficultés qui entravent le développement de l’outre­mer.

En matière aérienne, la situation n’est pas encore pleinement satisfaisante : sur les Antilles, il semble clair que les compagnies aériennes ne mettent pas en place des capacités suffisantes aux périodes de pointe et il est regrettable de constater que des métropolitains doivent renoncer à s’y rendre faute de places d’avions alors que les hôtels ne sont pas pleins. Il semble également que les tarifs des liaisons inter-îles soient trop élevés et nuisent au développement des séjours combinés.

Sur La Réunion, la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie, en peut estimer raisonnablement qu’il y aurait matière à ouverture de nouvelles lignes aériennes prometteuses pour le tourisme et je connais en particulier les efforts du président Flosse pour capter la clientèle coréenne.

Pour le développement de la croisière, ce sont les conditions d’accueil qui sont en cause, en particulier à Fort-de-France. Les installations portuaires, surtout vues par des clients habitués au professionnalisme de Miami, et les conditions d’accueil doivent sans doute s’adapter afin de permettre d’améliorer les retombées économiques de la croisière dont votre rapporteur souligne qu’elles sont trop faibles.

En Guyane, presque tout reste encore à faire pour développer un tourisme d’aventure et de nature qui doit s’organiser. C’est la mission que j’ai confiée au nouveau délégué régional au tourisme.

En matière aéroportuaire, des améliorations sont nécessaires, en particulier à Pointe-à-Pitre, où l’accueil des touristes n’est pas satisfaisant. C’est le sens de la mission que j’ai confiée à M. Philippe Chaulet, député et président du comité départemental du tourisme.

Pour tous les territoires, des efforts de promotion doivent aussi être faits. Maison de la France est à la disposition de toutes les collectivités pour conduire des campagnes à l’étranger à condition qu’à côté du ministère chargé du tourisme, le ministère des départements et territoires d’outre-mer et les collectivités locales dégagent des budgets suffisants pour ces investissements de promotion, qui sont des investissements rentables. Je suis persuadé que les marchés américains, japonais, indiens ou russes n’ont pas été suffisamment explorés. Les marchés européens devront faire l’objet d’efforts de promotion au fur et à mesure que s’ouvriront des lignes aériennes nouvelles que la libéralisation récente rend possible.

Enfin, comme en métropole, l’accueil doit être considéré comme une dimension essentielle du tourisme. Cette sensibilisation passe par l’information et par la formation.

C’est pourquoi, je propose aux acteurs locaux que, dès la fin de cette année, et sur la base d’un partenariat actif, la campagne « Bonjour », maintenant très populaire en métropole, soit étendue à l’outre-mer. Mais, il est bien clair que son succès ne sera assuré que si elle reçoit le soutien de l’ensemble des partenaires du tourisme outre-mer.

En tout état de cause, les départements et territoires d’outre-mer trouveront toujours l’État à leurs côtés pour les soutenir dans leurs choix, tout en ayant bien conscience que ce secteur économique ne dépend de la seule intervention de l’État, mais qu’il ne peut prospérer que par une implication du secteur privé.

Je souhaitais aussi vous affirmer toute mon adhésion aux recommandations qui ont été faites de bâtir pour l’outre-mer un avenir touristique durable.

En effet, il n’est plus maintenant possible d’envisager un dynamisme économique qui s’effectuerait au détriment de l’environnement. L’idée selon laquelle le tourisme serait « prédateur » a fait long feu.

Je ne voudrais pas terminer cette intervention sans vous remercier pour ce rapport qui vient bien à propos.

En effet, après 10 années de développement du tourisme outre-mer, était venu le moment d’un bilan et d’une réflexion.

Le rapport de Monsieur Laventure, qui se place d’ailleurs dans la continuité du rapport que M. le président Chaussebourg nous a présenté l’année dernière, par, à la fois son exhaustivité et sa concision , sera l’outil majeur, je n’en doute pas, de la réflexion de l’ensemble des acteurs du tourisme concernés.