Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à TF1 le 10 octobre 1999, sur la protection de l'environnement et la présence des Verts au gouvernement, l'embargo sur la viande bovine en provenance de Grande-Bretagne, la campagne pour la journée sans voiture et sur l'appel du PCF à une manifestation contre le chômage.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Ruth ELKRIEF : Bonsoir et bienvenue à « 19:000 dimanche ». Je vous propose ce soir de découvrir un personnage plutôt atypique mais éclairant sur un métier, celui d’intermédiaire : André GUELFI, dit « Dédé la Sardine » apparaît à plusieurs reprises dans le dossier ELF. Aujourd’hui il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international lancé par la justice suisse mais se promène librement à Paris et poursuit tranquillement ses activités. Nous l’avons retrouvé. Il se défend et au passage lève un coin de voile sur le système opaque des commissions. Nous retrouverons également dans cette émission Bernard TAPIE. Notre équipe l’a suivi dans ses nouvelles activités : théâtre, radio et publicité. Vous verrez, sa vie tumultueuse inspire fortement sa nouvelle carrière. Et puis sur notre plateau en direct, c’est la ministre verte, Dominique VOYNET, qui répondra à mes questions, sur la manifestation contre le chômage de la semaine prochaine, sur la vache folle, sur la journée sans voiture ou encore sur Daniel COHN-BENDIT. Enfin notre rubrique contre-enquête cette semaine est consacrée à la tuerie du Gers. Après l’assassinat de deux couples de Néerlandais en mai dernier et l’arrestation du suspect Kamel BEN SALAH, on avait parlé d’une deuxième affaire OMAR. Enfin tout de suite, c’est normal, c’est le rendez-vous, le premier rendez-vous des gens de la semaine préparé par Gilles BOULEAU.

agenda de la semaine

Ruth ELKRIEF : Je vous le disais, l’homme est original, on le retrouve dans le sport business ou encore dans la recherche de pétrole souvent par le biais de ce qu’on appelle les sociétés offshore, c’est-à-dire des sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux. Il a le verbe haut et la commission juteuse. Cité plusieurs fois dans l’affaire ELF, André GUELFI a aujourd’hui la justice suisse à ses trousses et même un mandat d’arrêt international. Nous l’avons pourtant rencontré librement à Paris cette semaine ; il nous a expliqué son métier d’intermédiaire et nous a livré quelques clefs sur le fameux système ELF. Regardez son portrait signé Philippe LEVASSEUR et l’entretien que j’ai réalisé avec l’aide de Mathilde PAZINETTI et Emmanuel PEREZ.

Philippe LEVASSEUR : André GUELFI sillonne le cœur de Paris en toute liberté et pour le prouver, il n’hésite pas à venir parader sous les fenêtres de ses accusateurs. A 80 ans et demi, précise-t-il, André GUELFI garde l’ambition d’un golden boy dopé au parfum de scandales. Malgré le mandat d’arrêt qui pèse contre lui, il poursuit ses juteuses négociations. Illustration cette semaine au cœur de la capitale. La mairie de Moscou souhaite rénover ses palaces. Un entrepreneur turc a répondu à l’appel d’offres. André GUELFI joue l’intermédiaire avec les autorités russes. Si grâce à ses relations avec le maire de Moscou, il décroche le contrat, l’entrepreneur lui reversera 10 % du chiffre d’affaires.

Entrepreneur turc :  Ils ont deux petits problèmes. Vous savez que vous avez mis une garantie bancaire.

André GUELFI : Oui.

Entrepreneur : Ils veulent que vous libériez ça tout de suite en liquide. C’est 500 000 dollars.

André GUELFI : Ah ! Ils ne se contentent pas de la garantie. Bon, d’accord. Ils veulent que je vire les 500 000 dollars ? D’accord je fais le nécessaire. Qu’est-ce qu’ils ont donné comme différence là ?

Entrepreneur : Une piscine… un bowling… c’est faisable. Le coût total de la différence sera à peu près de 4 800…

André GUELFI : Dollars ?

Entrepreneur : Oui.

André GUELFI : Ce n’est pas beaucoup. C’est bien, il n’y a pas de problème. Bon, qu’ils veuillent transformer la garantie bancaire en paiement cash, je m’en fous étant donné que je suis convaincu que c’est nous qui allons avoir le marché, alors qu’il n’y a pas de problème.

Philippe LEVASSEUR : Cette confiance en soi si forte qu’elle éveille les soupçons, est le fil conducteur de la vie d’André GUELFI. L’homme d’affaires se targue notamment de piloter lui-même son FALCON 2000 entre ses résidences de Malte, de Corse et de Moscou.

André GUELFI : Quand je suis passager, j’ai horreur de ça d’abord, j’ai une confiance limitée…

Philippe LEVASSEUR : André GUELFI affiche l’assurance des autodidactes. Au Maroc, sa patrie d’adoption, il est coursier à dix ans, patron de pêche et millionnaire à trente ans grâce au commerce du poisson. Il gagne ainsi son surnom : Dédé la Sardine. Dans les années soixante, ce passionné de courses automobiles, est le premier à sentir le vent du sport business. Patron du COQ SPORTIF, il se lance dans le sponsoring des champions, apprend déjà à mêler affaires, compétition et politique. En 1980, il se vante d’avoir permis à Moscou d’obtenir les Jeux Olympiques grâce à un intensif lobbying financier. Les Russes n’ont jamais oublié ce service. André GUELFI s’affiche aujourd’hui entre Juan-Antonio SAMARANCH, patron du CIO et Boris ELTSINE. Ses relations à l’Est attirent les entreprises françaises. Loïk LE FLOCH-PRIGENT, alors PDG d’ELF, devient l’un de ses clients privilégiés. En 1992, le pétrolier rachète en ex-RDA les stations-service MINOL. Pour effectuer cette opération en toute discrétion et sans frais, ELF fait transiter 256 millions de francs par les comptes suisses de NOBLEPLAC, cette société offshore, c’est-à-dire implantée dans un paradis fiscal, est pour l’occasion mise à la disposition d’ELF par André GUELFI. Six ans plus tard, ELF soupçonne son intermédiaire d’avoir alors prélevé une commission indue. Eva JOLY instruit la plainte met l’homme d’affaires en examen, le place en détention provisoire à la prison de la Santé. Le 28 janvier 1999, André GUELFI rencontre Bernard TAPIE.

André GUELFI : On était dans la même cour pour marcher et moi je faisais toujours mes six kilomètres. Et comme je n’avais pas de chaussures, on me les avait refusées à la prison et que je marchais avec des Weston, j’avais les pieds en sang. Et il a vu ça, il a vu que j’avais mal et il s’est enlevé ses chaussures, il m’a dit « on doit avoir la même pointure, prends-les » et puis je les ai prises évidemment, pour moi c’était de la nougatine après !

Philippe LEVASSEUR : Trente-six jours plus tard, Eva JOLY remet GUELFI en liberté mais en Suisse, le juge PERODIN (ph) poursuit son instruction. Lui aussi souhaite entendre l’homme d’affaires. Le 15 septembre, Paul PERODIN délivre donc un mandat d’arrêt international, persuadé que Dédé la Sardine a encore bien des choses à lui apprendre sur les coulisses du commerce international.

Ruth ELKRIEF :  Bonsoir André GUELFI. On vient de le voir dans le portrait de Philippe LEVASSEUR. Vous êtes donc un négociateur ou un intermédiaire selon les mots ; qu’on utilise. Vous avez été mêlé à l’affaire ELF. Vous avez été trente-six jours en prison, c’est la juge Eva JOLY qui ensuite vous a relâché. Aujourd’hui, il y a une nouvelle procédure qui vient de Suisse. C’est le juge PERODIN qui vous a mis en examen pour blanchiment d’argent, escroquerie et faux en écritures et il a lancé contre vous un mandat d’arrêt international. Aujourd’hui donc vous nous recevez. Ma première question, c’est où sommes nous ?

André GUELFI :  Nous sommes à Paris dans l’appartement d’un ami qui a bien voulu le mettre à ma disposition pour faire cette interview avec nous.

Ruth ELKRIEF : Alors comment est-ce que vous vivez ? Est-ce que vous êtes recherché ? Est-ce que vous êtes en fuite ?

André GUELFI : Écoutez, j’étais à Moscou quand j’ai appris deux choses catastrophiques. D’abord la première, que j’avais un mandat d’arrêt international et la deuxième que mon bouton était cancéreux. Bon. Alors donc j’étais un peu démoralisé. Je suis arrivé ici, j’ai vu mes avocats. Et je voulais savoir quelle était la positions de la France à mon égard. J’avais réfléchi. Je pensais être dans la situation de Serge DASSAULT qui a eu également un mandat d’arrêt international et qui avait l’impossibilité de quitter la France. Alors j’ai peut-être pensé bêtement… mais j’ai pensé que j’avais le même régime. Parce qu’en France, on extrade pas les Français.

Ruth ELKRIEF :  Mais est-ce que vous êtes recherché, est-ce que vous vous cachez ? Est-ce que vous êtes un fugitif aujourd’hui ?

André GUELFI : Écoutez, je n’ai jamais été un fugitif de ma vie ! J’ai un passeport français, je suis Français et j’ai payé assez cher d’ailleurs… je me suis quand même tapé sept ans d’armée comme appelé, alors donc si vous voulez, je suis Français.

Ruth ELKRIEF : Pourquoi vous ne vous rendez pas à la justice suisse ?

André GUELFI : Écoutez je vais vous dire, le juge PERODIN, il ne m’a jamais convoqué. Moi, s’il m’avait convoqué, j’y serais allée, tout de suite j’y serais allé. On ne me convoque jamais et tout d’un coup, j’apprends par la presse qu’il y a un mandat d’arrêt international. Monsieur PERODIN, je suis à son entière disposition s’il veut m’entendre comme témoin, non seulement je lui donnerai tous les renseignements et je lui donnerai même certaines choses que je n’ai pas encore donnée à madame JOLY, parce que ça m’est revenu…

Ruth ELKRIEF : Dans l’affaire MINOL, cette raffinerie d’Allemagne de l’Est qui a été rachetée par ELF et sur laquelle vous avez joué un rôle puisque vous avez mis votre société NOBLEPLAC à leur disposition pour faire transiter environ 300 millions de francs. Vous dites que vous n’avez rien encaissé…

André GUELFI : Rien !

Ruth ELKRIEF :  Et vous dites aussi que vous ne saviez pas à quoi allait servir cet argent parce qu’apparemment il aurait servi à graisser la patte de quelques autres intermédiaires allemands ou français. Vous ne saviez rien.

André GUELFI :  Écoutez je vais vous dire quelque chose, pour moi, ça ne me paraissait pas du tout illégal. Moi, mon affaire c’était quoi ? Ils m’ont demandé de mettre à leur disposition une société offshore pour faire cette opération afin que personne ne sache que c’est ELF qui intervenait. Ils me demandent le service de mettre une société offshore à leur disposition. Ma première réaction, je dis « c’est [ ???] de ne pas être capables d’avoir une société offshore un [ ???] ça ! », c’est tout, ça a été ma seule réaction. Même s’ils m’avaient demandé de signer et de dater le contrat de 90, je m’en fous pas mal ! J’étais à la veille de conclure un contrat avec eux qui devait rapporter à notre groupe une centaine de millions de dollars, donc j’étais très heureux de voir qu’ils allaient devenir mes débiteurs puisqu’ils me demandaient un service, service gratuit.

Ruth ELKRIEF : Mais quelle réputation avait ELF à cette époque ; lorsque vous êtes en contact avec eux, vous avez le sentiment que c’est des pratiques qui peuvent être…

André GUELFI : Alors je peux vous parler de leur réputation déjà en Russie. En Russie, ils avaient une réputation catastrophique. Ils passaient pour des gens qui arrosaient tout le monde sans rien avoir du tout. Donc ils se sont fait vraiment manipuler, ils ont versé des commissions très importantes à beaucoup de gens, à beaucoup de personnes sans jamais rien obtenir. Mais vous savez, un jour, monsieur…, il m’a dit « Monsieur GUELFI, ce n’est rien ce que vous nous coûtez à coté de ce que nous coûtent les partis politiques ». J’ai dit : ah ! comment ? Ils vous coûtent ?  Il me dit : évidemment, on est obligé de lubrifier tous les partis politiques en France.  Alors je lui ai dit : c’est une coutume puisque si ça se fait, c’est avec l’accord du président, de tout le monde.  Il me dit oui, c’est une coutume.  Eh bien c’est une coutume, mais je ne pensais pas que c’était une infraction.

Ruth ELKRIEF : C’est quoi votre métier ? Vous dites négociateur, certains disent intermédiaire. Vous recevez des commissions Monsieur GUELFI, vous n’êtes pas sans avoir d’intérêt dans ces affaires.

André GUELFI : Écoutez, non seulement je ne suis pas un intermédiaire… je considère que je ne suis pas un intermédiaire, pourquoi ? Parce que moi je dis que je suis un négociateur. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que d’abord je me sers de relations internationales au plus haut niveau. Je traite directement avec le chef d’État. Quand un chef d’État, je me présente à lui, je lui dis : voilà, donnez-moi les programmes prioritaires que vous avez et à ce moment-là, j’agis. Il me met en rapport avec le Premier ministre ou avec le ministre compétent etc. Moi je vois les projets et je dis : maintenant je vais vous faire une proposition. Et c’est pour ça que je suis contre les appels d’offres.

Ruth ELKRIEF : Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que vous, vous passez au-delà de l’appel d’offres, que vous ne respectez pas les conditions ?

André GUELFI : Non pas au-delà, c’est-à-dire que je suis moins bête que les autres et que je n’agis pas de la même façon. D’abord j’élimine tous les intermédiaires parce qu’on a beau dire que tout est blanc-bleu, que c’est miraculeux, etc., ça, il faut vraiment être naïf pour y croire. Moi j’élimine tous les intermédiaires parce que je traite directement avec le chef d’État et après avec le patron de l’entreprise que je choisis.

Ruth ELKRIEF : Et vous en connaissez beaucoup, des chefs d’État ?

André GUELFI : Évidemment ! J’en connais au moins une dizaine ou une douzaine. Mais ce n’est pas là le problème.

Ruth ELKRIEF : Lesquels par exemple ?

André GUELFI : Vous savez, comme je suis sous le coup d’un mandat d’arrêt international, je préfère ne pas vous donner le nom des chefs d’État que je connais parce qu’à l’heure actuelle, aujourd’hui, j’ai par exemple un chef d’État… le chef d’État turc avec qui j’avais rendez-vous et j’ai annulé mon rendez-vous parce que je ne veux pas risquer de me faire arrêter etc.

Ruth ELKRIEF :  Vous êtes un lobbyiste en fait, vous faites du lobbying.


André GUELFI : Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ruth ELKRIEF : Vous faites des pressions sur des gens influents.

André GUELFI : Ah pas du tout ! Ah ! Ça, ce n’est pas mon genre du tout ! Vous n’allez pas me déguiser comme un tueur qui vient avec le pétard, non pas du tout ! Je vais vous dire comment j’ai procédé…

Ruth ELKRIEF
Mais alors vous les achetez, qu’est-ce que vous faites ?

André GUELFI : Pas du tout ! Mais c’est du cinéma, ça ! Je n’achète personne, moi. Ce n’est pas comme ça que j’agis. C’est vous qui dites ça. J’ai le droit avec ma commission de faire ce que je veux ; quand je sais que je vais avoir l’affaire, j’annonce que je vais donner la moitié de mon pourcentage et je ne considère pas que j’achète quelqu’un. Qui va m’empêcher d’utiliser mon argent comme je veux ? Qui ? Je fais une infraction ?! Il paraît qu’on m’a reproché d’avoir fait un chèque de je ne sais pas combien de millions de dollars au comité olympique. Et alors ? Je n’ai pas le droit de sponsoriser le comité russe ?!

Ruth ELKRIEF : Mais André GUELFI, vous êtes dans plusieurs affaires à scandale quand même : le comité international olympique, il y a eu des affaires de corruption ; ELF, c’est un énorme scandale ; il y a peut-être d’autres affaires dans lesquelles vous êtes également. Ça n’implique pas que vous avez un métier un petit peu trouble ?

André GUELFI :  Alors là, vous me faites rigoler ! Alors moi, je vais être responsable du scandale du comité olympique ! Non.

Ruth ELKRIEF : Il y a beaucoup de gens qui font ce métier comme vous, dans le monde ?

André GUELFI : Je ne sais pas.

Ruth ELKRIEF : Vous en connaissez, non ?

André GUELFI : Je n’en connais pas, moi je ne sais pas. Je ne fréquente pas les négociateurs. J’ai entendu parler par la presse de certains négociateurs qui font un autre métier dans les armes, dans les ventes de chars, de vedettes rapides etc. Mais moi…

Ruth ELKRIEF : Vous, ça ne vous est jamais arrivé d’être dans…

André GUELFI : Jamais. Je n’ai jamais vendu ni une arme ni même rien. J’ai acheté des vedettes, oui, mais des garde-côtes que j’ai financés pour garder les eaux mauritaniennes à l’époque.

Ruth ELKRIEF : Qu’est-ce que vous espérez maintenant ? Que le juge PERODIN vous entende ?

André GUELFI : J’espère que le juge PERODIN m’entende mais qu’il tienne compte… Vous savez, ce n’est pas agréable d’apprendre qu’on a un cancer même si c’est là, il paraît que ça va… bon, j’ai une balafre de neuf centimètres. Le docteur m’a dit de me reposer. Je suis venu vous voir et je vais partir me reposer après. Mais si j’ai la santé, je continuerai. Mais ce que je ne veux pas, c’est mourir en passant pour un salopard ou pour ce que je ne suis pas.

Ruth ELKRIEF : Merci beaucoup.

André GUELFI : Je vous en prie.

Ruth ELKRIEF : Voilà, c’était donc André GUELFI. On va en parler avec vous, Dominique VOYNET, évidemment on va parler de l’actualité. Merci beaucoup d’être sur ce plateau. Vous êtes ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, la ministre Verte du Gouvernement. Avant justement de revenir un peu à l’actualité, le système des commissions comme ça, vous connaissez ?

Dominique VOYNET : Jamais entendu parler sinon dans les livres et à la télévision.

Ruth ELKRIEF : Et cette affaire ELF, on le voit, André GUELFI parle de financement des partis politiques, de tous les partis politiques. Est-ce que, parce qu’on est en France, on a une chance d’aller jusqu’au bout de cette affaire, est-ce qu’on va tout savoir un jour à votre avis ?

Dominique VOYNET : Je crois qu’il ne faut pas se laisser abuser par la façon d’André GUELFI. Ce qu’il a fait, est scandaleux, la façon dont il en parle est scandaleuse. Je n’ai jamais entendu dire, moi, qu’on « lubrifiait » les partis politiques, en tout cas pas le mien.

Ruth ELKRIEF : Les Verts, pas de financement illégal et pas de commissions.

Dominique VOYNET : Les Verts n’ont jamais accepté de financement des entreprises privées et se sentent assez libres pour en parler…

Ruth ELKRIEF : Vous n’étiez jamais au pouvoir avant il faut dire aussi.

Dominique VOYNET : Mais depuis, c’est toujours le cas. Je crois que la clarté dans le financement des Verts est tout à fait acquise. Je crois que monsieur GUELFI n’est pas un héros. On parle assez peu de la délinquance financière internationale, beaucoup moins en tout cas que du vol à la tire ou des vols de mobylettes et pourtant c’est une activité criminelle qui déstabilise profondément notre société, les relations au sein de celle-ci. Je crois qu’on a absolument besoin de bâtir rapidement un espace judiciaire européen et de réunir les conditions qui vont pouvoir mettre en échec ceux qui montent ces stratégies, qui détournent l’argent public.

Ruth ELKRIEF : Mais vous dites « je n’ai jamais entendu parler de ça »…

Dominique VOYNET : Mais comme vous… on en entend parler dans les journaux mais je n’ai jamais eu à fréquenter dans mon activité politique ou dans mon activité d’élue, des gens qui se comportaient comme ça. Suis-je particulièrement naïve ou bien si dénuée d’influence que personne n’a jamais jugé utile de tenter des pressions ? Je préfère croire que c’est plutôt lié à mon image d’honnêteté et à ma dignité dans ma fonction d’élue.

Ruth ELKRIEF : Dominique VOYNET, je voulais parler un petit peu avec vous de la situation aujourd’hui parce que le 19 juillet dernier, après le bon résultat de Daniel COHN-BENDIT aux Européennes, vous avez donné une interview à l’hebdomadaire ELLE et vous avez dit : paradoxalement, le travail devient beaucoup plus difficile pour moi. Alors c’est trois mois après, c’est toujours aussi difficile ?

Dominique VOYNET : Non. Il est difficile de se projeter dans la durée. Quand le Président de la République a dissout l’Assemblée nationale, nous ne pouvions pas nous inscrire dans un temps long. Aujourd’hui c’est le cas et ça donne des responsabilités nouvelles. Construire des projets qui changent en profondeur la société française, qui renouvellent la réflexion politique…

Ruth ELKRIEF : Mais vous ne parliez pas de vous particulièrement ? Est-ce que ce n’était pas : moi Dominique VOYNET, seule ministre Verte au Gouvernement, c’est dur parce que peut-être je n’ai pas assez de prise sur les événements, je n’ai pas assez de prise sur les choix gouvernementaux…

Dominique VOYNET : Ça existe aussi. Il est difficile d’être seule face à 25 ou 26 personnes qui ont la même étiquette politique en face de vous, même quand ils font l’effort d’écouter et d’ouvrir leur esprit aux préoccupations que vous portez. J’aurais préféré, bien sûr, qu’on soit plusieurs Verts au gouvernement et je continue à penser que ce serait une excellente chose et pour les Verts et pour le Gouvernement et pour la France.

Ruth ELKRIEF : Vous avez perdu là-dessus. Lionel JOSPIN n’a rien fait.

Dominique VOYNET : J’ai provisoirement échoué à faire partager ma conviction à Lionel JOSPIN mais je suis convaincue que je ne perds rien pour attendre et les Verts non plus.

Ruth ELKRIEF : Est-ce que vous avez l’impression que ce gouvernement a vraiment un souci écologique, partage cette préoccupation écologique ?

Dominique VOYNET : De plus en plus. Mais encore beaucoup moins qu’une bonne partie des Français. Le bon score des Verts aux élections européennes montre la sensibilité des citoyens à des problèmes nouveaux qui sont peu, mal ou pas du tout traités par les partis politiques traditionnels et même des militants en leur sein marquent un intérêt nouveau pour la qualité de vie en général, pour une redistribution plus équitable des moyens entre les territoires et entre les personnes, on est encore loin du compte.

Ruth ELKRIEF : Merci Dominique VOYNET. On se retrouve bien sûr après la publicité, on va parler de tous les dossiers de l’actualité et puis on va regarder aussi un sujet sur Bernard TAPIE, mais je vous l’ai déjà dit. A tout de suite.

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Ruth ELKRIEF : On se retrouve avec vous, Dominique VOYNET, merci d’être sur ce plateau. Il y a un instant, vous me disiez que les problèmes concrets qui sont vraiment au cœur des préoccupations des Français, les partis politiques classiques ne s’en soucient pas assez. Peut-être… Vous, l’écologiste, ministre de l’Environnement, vous n’êtes pas non plus quand même au cœur de par exemple un sujet très public qui est la mal-bouffe, tous les problèmes autour de ça, ça doit être frustrant parce que j’ai envie de dire que vous n’êtes pas très présente sur ce dossier, vous ?

Dominique VOYNET : Je suis présente en amont sur la qualité de l’eau, sur la qualité des sols, sur la qualité des produits au moment où on étudie l’impact des polluants sur les produits alimentaires et j’ai l’impression que la montée en puissance de mon ministère sur ce secteur est une donnée tout à fait irrémédiable, irrévocable.

Ruth ELKRIEF : Mais il n’y a pas de jalousie ni du ministre de l’Agriculture, ni du ministre de la Santé ?

Dominique VOYNET : On a besoin les uns des autres. Le ministre de l’Agriculture se préoccupe de la qualité de l’eau qu’on met sur les légumes ; et la ministre de l’Environnement a évidemment tout à fait intérêt à ce que cette eau soit la plus propre possible.

Ruth ELKRIEF : La vache folle. Alors on est les seuls devant quatorze autres pays dans la communauté aujourd’hui, à ne pas vouloir que le bœuf britannique entre en France…

Dominique VOYNET : On n’est pas les seuls. L’Allemagne est à nos côtés dans cette affaire.

Ruth ELKRIEF : Oui, mais pas clairement, pas aussi nettement que les Français. Ça veut dire qu’au moins treize autres pays ne se soucient pas du bien-être de leurs concitoyens, de la santé de leurs concitoyens ?

Dominique VOYNET : Ça veut peut-être dire que la plupart des autres pays ne se sont pas dotés encore d’un outil comme le nôtre, nous avons mis en place l’Agence de sécurité des aliments, avec des experts indépendants qui ont émis un certain nombre de recommandations et qui souhaitent que l’ensemble des conditions posées non pas par la France mais par l’Union européenne elle-même soient remplies avant d’autoriser le retour de la vache britannique sur nos étals.

Ruth ELKRIEF : Mais ce n’est pas un peu facile… ça tombe bien, Lionel JOSPIN veut faire plaisir aux Verts, peut-être que Jacques CHIRAC veut faire plaisir aussi aux paysans ; c’est un sujet très consensuel, mais ce n’est pas un peu facile, non ?

Dominique VOYNET : Alors il s’agit de mettre en œuvre le principe de préoccupation, c’est-à-dire de faire en sorte que les risques soient maîtrisés, soient cadrés, soient exposés à la population avant toute décision. Ce n’est pas une mesure protectionniste. Et le fait effectivement que les Allemands se posent des questions, le montre bien. La Grande-Bretagne a été confrontée comme nul autre pays européen, à la crise de la vache folle ; il est tout à fait normal qu’on prenne des précautions tout à fait particulières en direction de ses produits.

Ruth ELKRIEF : On peut aller jusqu’à la crise avec l’Europe ?

Dominique VOYNET : Je crois que c’est un bon dossier parce que sur d’autres terrains - je pense par exemple aux organismes génétiquement modifiés - nous aurons également à clarifier notre attitude…

Ruth ELKRIEF : C’est-à-dire le maïs transgénique ou autres…

Dominique VOYNET : Bien sûr… Nous ne pouvons pas considérer qu’une prise de position prise au niveau communautaire sans souci des citoyens, puisse s’imposer sans que des lieux de médiation, de dialogue, de recours soient mis en place.

Ruth ELKRIEF : La Commission européenne ne se soucie pas de la santé des citoyens ?

Dominique VOYNET : Dans cette affaire, on est confronté à un cas de figure assez simple : des experts européens considèrent qu’il y a peu de risques. Des experts français considèrent que les précautions prises, ne sont pas encore suffisantes. Il faut que ces experts dialoguent et qu’on arbitre mais je ne vois pas du tout une difficulté dans l’idée de contester ça et là des décisions prises au niveau communautaire, on le fait bien dans d’autres domaines, n’est-ce pas ? Certaines directives en matière de chasse ne sont toujours pas respectées depuis vingt ans, alors je crois qu’on peut se donner quelques semaines pour clarifier un dossier difficile en matière agricole.

Ruth ELKRIEF : Vous correspondez bien à votre image, là, vous n’en perdez pas une sur la chasse ; vous savez que vous êtes perçue par les chasseurs comme quelqu’un d’assez dur, d’assez sectaire…

Dominique VOYNET : Je suis directe, ils le sont. Je suis absolument convaincue qu’on peut trouver des solutions qui correspondent à la volonté de la grande majorité des chasseurs responsables et de la grande majorité des protecteurs de l’environnement qui le sont aussi. Simplement ceux qui invitent les chasseurs à l’outrance, à l’excès et au sectarisme aujourd’hui, rendent un bien mauvais service à la chasse.

Ruth ELKRIEF : Dominique VOYNET, c’est quoi pour vous, un chasseur ? C’est un assassin en puissance ou c’est quelqu’un qui ne partage pas vos goûts et qui a des passions que vous ne partagez pas ?

Dominique VOYNET : C’est quelqu’un qui a une passion que je ne partage pas, mais qui exerce une activité qui bien régulée, peut aussi être utile dans certains endroits. Par exemple en ce moment, les cerfs et les sangliers prolifèrent et on ne voit pas bien comment on pourrait s’en sortir autrement qu’en opérant des prélèvements dans ces cheptels, donc…

Ruth ELKRIEF : Ce n’est pas une cible un peu… vous n’en faites pas un petit peu…

Dominique VOYNET : Non. Si j’avais dit le quart de ce qui m’est reproché dans les gazettes cynégétiques, je crois qu’on pourrait me faire effectivement beaucoup de reproches. Dans la plupart des cas, ce qui m’est prêté, relève du fantasme, de l’outrance ou de la manipulation.

Ruth ELKRIEF : Carrément.

Dominique VOYNET : Carrément !

Ruth ELKRIEF : Encore un mot sur ce rôle de ministre de l’Environnement parce que vous êtes là, vous bataillez mais enfin franchement on n’a pas l’impression que vous obtenez grand-chose. On a l’impression que beaucoup de choses sont symboliques ; on n’a pas l’impression que le Gouvernement a une marque très forte environnementaliste - je ne sais pas très bien comment on peut dire - écologiste. Je vous donne un exemple : la journée sans voitures, ça apparaît comme un gadget, c’est critiqué, j’ai lu « plutôt une journée sans VOYNET qu’une journée sans voitures » même…

Dominique VOYNET : Oui, Philippe TESSON dans LE FIGARO MAGAZINE je crois bien, donc ce n’est pas franchement tous les Français. Les enquêtes d’opinions qui ont été faites dans les villes, pas seulement dans les périmètres épargnés par les voitures, mais dans les villes concernées par l’opération, montent qu’une écrasante majorité des gens sont satisfaits de l’opération et que contrairement à Philippe TESSON, ils ne se sont pas trompés, ils ont bien compris que nous ne menions pas une croisade contre les voitures, mais que nous les invitions à réfléchir à leurs habitudes de déplacements. Là où les choses étaient bien organisées par les mairies, ça s’est très bien passé. Là où les maires ont traîné les pieds ou bien ont voulu faire un petit peu de communication superficielle, ça ne s’est pas très bien passé, comme à Paris par exemple.

Ruth ELKRIEF : Mais est-ce que ça change quelque chose ? On a l’impression que c’est de l’ordre du symbole.

Dominique VOYNET : Mais bien sûr, on est dans la journée symbolique pour inviter à réfléchir et pour poser les problèmes. On n’est pas dans une initiative qui permet de les résoudre. Mais dans d’autres domaines - je pense par exemple à la politique des déchets ou à la politique d’amélioration de la qualité de l’eau - on est dans des politiques de long terme - la loi de 82 sur les déchets, elle a donné dix ans pour essayer d’avoir une politique cohérente et responsable à l’égard de ce que nous jetons. Le rendez-vous de 2002, c’est dans trois ans et j’espère bien qu’on sera au rendez-vous. Donc ce travail qui est mené sur le terrain avec les élus locaux, avec les associations, avec les citoyens, je pense que les Français le voient et qu’ils en sont contents.

Ruth ELKRIEF : Mais Dominique VOYNET, je vais vous poser une petite question peut-être un peu provocatrice ; est-ce que vous y croyez vraiment, vous les Verts, à l’écologie ? Je m’explique…

Dominique VOYNET : Si nous n’y croyons pas, qui va y croire !

Ruth ELKRIEF : Justement. Est-ce que vous n’êtes pas plutôt, comme dirait Daniel COHN-BENDIT, on va y revenir, des gauchistes, mal reconvertis dans certains cas, qui préfèrent se soucier d’être extrémistes sur les trente-cinq heures, d’être très offensifs sur les sans-papiers ou d’être sur d’autres domaines, plutôt que de donner une impulsion très forte sur l’environnement et un discours majeur et dominant là-dessus ?

Dominique VOYNET : Si vous voulez me faire dire que les Verts sont porteurs d’un vrai projet politique, qui concerne aussi bien la justice sociale et la redistribution des richesses que le développement durable et la protection de l’environnement, alors oui bien sûr, mais ça ne s’appelle pas être gauchiste, ça.

Ruth ELKRIEF : C’est un peu de la langue de bois, ça peut-être.

Dominique VOYNET : Non, ce n’est pas de la langue de bois, mais c’est vrai que les Verts ont été porteurs de la revendication des trente-cinq heures et de la semaine de quatre jours. Ils le sont toujours et je suis ravie de voir que Martine AUBRY, en acceptant un amendement proposé par Yves COCHET sur le calcul du temps de travail effectif, a amélioré de façon très importante cette loi sur les trente-cinq heures. Ça fait tout à fait partie de notre engagement. Cela dit, je suis écologistes parce que je considère qu’il n’y a pas d’autre façon de réconcilier notre ambition de construire une planète vivable pour ses habitants et de redistribuer de façon équitable les richesses.

Ruth ELKRIEF : Mais Dominique VOYNET, vous-même, vous rencontrez ce problème : vous demandez à vos troupes de ne pas participer à la manifestation contre le chômage prévue et organisée par le Parti communiste la semaine prochaine.

Dominique VOYNET : Je vous arrête parce que c’est faux. Je ne leur ai pas demandé de ne pas participer…

Ruth ELKRIEF : Vous leur avez dit que vous étiez contre, c’est pareil, non ?

Dominique VOYNET : Non, pas du tout. Robert HUE n’a pas convoqué ses partenaires à une manif. Il nous a invités à en discuter à la fois sur le principe et sur le contenu et sur les objectifs. Alors le lendemain de la proposition de Robert HUE, j’ai émis une opinion qui vise à dire : attention, le rôle des partis et du mouvement social n’est pas tout à fait le même. Gardons-nous d’instrumentaliser les mouvements de chômeurs, les syndicats et prenons leur avis.

Ruth ELKRIEF : Ça veut dire que vous êtes contre.

Dominique VOYNET : Non, ça veut dire que je souhaitais qu’on discute vraiment des objectifs et qu’on tienne compte de l’avis du mouvement social. Aujourd’hui je constate que la CFDT, la CGT, Agir ensemble contre le chômage n’ont pas jugé bon de s’associer à cette initiative, sans être contre ; ils ont laissé évidemment leurs adhérents participer comme ils le souhaitent.

Ruth ELKRIEF : Et les Verts y vont alors que vous-même et Daniel COHN-BENDIT dites que ce n’est pas opportun et que vous ne comprenez pas très bien le sens. Alors ça, ce n’est pas…

Dominique VOYNET : Mais ne déformez pas ce que j’ai dit.

Ruth ELKRIEF : D’accord, vous l’avez expliqué. Mais est-ce que ce n’est pas justement…

Dominique VOYNET : Voilà. Alors ne reprenez donc pas quelque chose dont je vous ai expliqué qu’il ne correspondait pas à la réalité. Mais donc j’ai dit d’emblée… j’ai donné mon avis dans un débat où chacun des militants Verts étaient appelés à le donner, le collège exécutif des Verts a choisi d’appeler à participer à la manifestation et bien évidemment je respecte la position de l’exécutif des Verts.

Ruth ELKRIEF : Mais vous n’avez pas le sentiment de ne pas être très suivie, de ne pas être vraiment la patronne dans ces cas-là ?

Dominique VOYNET : Mais je ne suis pas la patronne et j’espère bien ne jamais devenir la patronne au sens où on a parlé pendant des années du patron du Parti communiste ou du patron du RPR. Ce n’est pas au moment où on commence à discuter un petit peu dans ces partis et à découvrir que la participation des adhérents au débat, ça peut être aussi intéressant, que les Verts vont y renoncer. Franchement, ce n’est pas la première fois que mon opinion n’est pas suivie par les Verts et ça m’arrivera encore. Ça s’appelle la démocratie.

Ruth ELKRIEF : Et ça ne pose aucun problème.

Dominique VOYNET : Ça ne pose aucun problème.

Ruth ELKRIEF : Et là en l’occurrence Daniel COHN-BENDIT était d’accord avec vous sur l’opportunité ou l’inopportunité de cette manifestation ; ça vous a fait plaisir que vous soyez pour une fois un petit peu sur la même longueur d’ondes ?

Dominique VOYNET :On est souvent d’accord. Pas forcément sur les sujets économiques ; je crois que Dany est assez marqué par son expérience allemande passée ; mais sur bien des sujets, nous sommes d’accord et en tout cas sur l’ambition que nous avons pour les Verts. Je crois que nous sommes d’accord sur l’idée que les Verts doivent non pas changer dans leur façon de faire, dans leur liberté de ton, dans la radicalité de leur interpellation, dans le caractère très ambitieux de leurs propositions pour rénover la vie politique et la vie en société, mais… je crois que les Verts doivent grandir, avoir plus d’adhérents, approfondir des débats. C’est tout le sens des états généraux de l’écologie politique, c’est un grand mot mais j’espère que ce sera un peu plus convivial que ça n’en a l’air, qui vont être menés l’année prochaine.

Ruth ELKRIEF : Ce n’est pas un rival pour vous, ce n’est pas un sale garnement incontrôlable, quelqu’un de dérangeant, qui est un peu libre comme ça, qui fait un peu ce qu’il veut et qui ne pense pas toujours à la suite ?

Dominique VOYNET : C’est sûr qu’il est dérangeant. Mais moi j’attends aussi des gens qui rejoignent les Verts, qu’ils n’aient pas simplement le petit doigt sur la couture du pantalon pour exécuter des décisions prises par d’autres, mais qu’ils contribuent au débat, qu’ils l’animent et qu’ils enrichissent ce mouvement.

Ruth ELKRIEF : Ça c’est de la langue de bois, Dominique VOYNET…

Dominique VOYNET : Non, ce n’est pas de la langue de bois…

Ruth ELKRIEF : Parce que ce n’est pas toujours facile pour vous de le gérer justement ou de savoir ce qu’il va dire, ça peut être l’inverse de ce que vous pensez…

Dominique VOYNET : Mais je n’essaie pas de gérer Daniel COHN-BENDIT, j’essaie de faire en sorte que les options majoritaires des Verts soient lisibles pour l’extérieur et que la stratégie choisie par les Verts qui est la participation à une majorité pluraliste avec le souci d’infléchir les priorités de cette majorité pour prendre en compte les préoccupations portées par les écologistes à la fois dans le domaine social et dans le domaine de l’environnement, soit lisible, soit audible.

Ruth ELKRIEF : Vous le voyez à Paris, Daniel COHN-BENDIT ?

Dominique VOYNET : On se voit régulièrement.

Ruth ELKRIEF : Et vous le voyez candidat à Paris ?

Dominique VOYNET : Ah ! Si je le vois candidat à Paris, il dit ne pas vouloir l’être mais je crois qu’il est trop tôt pour en juger.

Ruth ELKRIEF : Vous le croyez ?

Dominique VOYNET : Je suis sûre qu’il est sincère à cette heure mais que ça peut changer. Ma religion n’est pas arrêtée à cet égard ; je crois qu’il pourrait être un formidable candidat ; il a fait un très beau score aux élections européennes ; il est porteur de bien des aspirations des Parisiens et puis le moment venu, je crois qu’il fera son choix avec les Verts.

Ruth ELKRIEF : Un petit mot sur vous comme femme au Gouvernement. On a vu un film sur ARTE il y a quelque temps où vous changiez un petit peu de coiffure, de couleur de cheveux…

Dominique VOYNET : Ça, c’était avant le gouvernement.

Ruth ELKRIEF : Mais c’est important, le look, pour une femme ministre ? Vous en parlez entre vous ?

Dominique VOYNET : Je pense que c’est aussi important que pour une journaliste. Toute femme qui s’expose au regard des autres, est amenée à faire un peu attention mais nous n’en parlons jamais…

Ruth ELKRIEF : Vous n’en parlez jamais entre vous ?

Dominique VOYNET : Non et je pense que nous ne considérons pas d’abord comme des femmes ministres au Gouvernement mais comme des ministres. Donc on est quand même dix femmes sur trente. Donc ce n’est plus vraiment la minorité écrasée qui aurait besoin de parler chiffons pour se rassurer.

Ruth ELKRIEF : Et Laetitia CASTA comme Marianne, ça vous fait plaisir, ça vous dit quelque chose ?

Dominique VOYNET : Ce n’est pas tout à fait la Française moyenne, Laetitia CASTA. La Française moyenne, elle a deux enfants, elle les dépose à la crèche avant de partir travailler, elle a des problèmes de fin de mois, elle fait de la gym pour garder le ventre plat et puis elle a du mal ! Donc je crois que… mais c’est quand même une belle image, c’est une belle Marianne.
Ruth ELKRIEF : On va parler de Bernard TAPIE dans un instant parce qu’il entame une nouvelle carrière. Qu’est-ce que vous pensez du personnage ?

Dominique VOYNET : Je pense qu’il est bien plus à sa place dans sa vie d’aujourd’hui que dans celles au pluriel qu’il a eues par le passé.

Ruth ELKRIEF : Vous, vous vous reconvertiriez comment, franchement, si vous étiez en panne en politique ?

Dominique VOYNET : Déjà j’ai un métier formidable, je suis médecin ; et c’est vrai qu’il m’arrive d’avoir la nostalgie de l’utilité qu’on éprouve à faire ce métier-là. Mais comme beaucoup, je serais chatouillée par le démon de l’écriture je crois.

Ruth ELKRIEF : Merci beaucoup Dominique VOYNET ; on va donc regarder ce sujet sur Bernard TAPIE. Notre équipe avec Antoine LEFEBVRE, l’a suivi pendant plusieurs jours dans ses nouvelles activités. Regardez le TAPIE nouveau, il fait de la radio, de la publicité et du théâtre.

Antoine LEFEBVRE : Bernard TAPIE joue, tout le temps, même quand il n’est pas sur scène. Il n’est pas un habitué des seconds rôles et ça continue : Bernard TAPIE interprète Mc MURPHY, le personnage central de « Vol au-dessus d’un nid de coucou » aux côtés de quatorze autres comédiens.

Andre FALCON, comedien : Il n’a jamais fait de théâtre mais pourquoi pas ? Je veux dire…. On peut essayer parce qu’il y a beaucoup de similitudes entre le personnage qu’il veut interpréter et ses qualités propres.

Antoine LEFEBVRE : TAPIE acteur, c’est un débutant de 56 ans qui se mêle de tout, qui a un avis sur tout ce qui concerne la pièce, les costumes par exemple.

Bernard TAPIE : Dans cet univers-là, tu dois avoir la cravate, tu dois avoir la pochette, quitte à ce que ce soit décalé complet avec un costard en velours qui date, à la limite. Mais tu vois, la chemise ouverte et tout, c’est complètement con !

Thomas LEDOUAREC, metteur en scène : Il a peur, il panique parce qu’il a envie de réussir son coup ; il se donne entièrement pour réussir son coup.

Bernard TAPIE : Je pense que quand à un moment donné, les flics me transmettent comme vous le savez, aux infirmiers, qui me retirent les pinces, c’est un acte que j’ai vécu, que je vais ressentir, pas là… mais que je vais ressentir avec le froid de l’acier comme je l’ai ressenti une fois pour de vrai. Mais ça, ce n’est pas un problème d’acteur, ça, c’est voilà, je vais vous raconter une histoire. Est-ce que je suis qualifié pour vous la raconter ? Eh bien… oui.

Antoine LEFEBVRE : Autre casquette : animateur radio.

Olivier LAPOUSTERLE, journaliste RMC :  Bonjour Bernard TAPIE !

Bernard TAPIE : Bonjour Monsieur LAPOUSTERLE.

Olivier LAPOUSTERLE : C’est un retour à la vie publique, vous aviez dit que vous ne reviendriez jamais à la vie publique et puis voilà que…

Bernard TAPIE : Je n’ai jamais dit ça ! Il fallait m’inviter plus tôt, je serais venu plus tôt, je serais venu plus tôt. Il y a un moment où il faut savoir se taire, se remettre en forme, laisser passer le temps et puis après on a envie parce que les démons reviennent.

Antoine LEFEBVRE : Tous les matins depuis début septembre, la nouvelle recrue de la station répond aux questions des auditeurs. Sujets abordés : tous ; sujets de prédilection : Bernard TAPIE, sa vie son œuvre.

Auditeur : Pendant les années 80, il y avait les pro-TAPIE, il y avait les anti-TAPIE. Comment vous vous situez, vous, intimement, par rapport à ces deux extrémités ?

Bernard TAPIE : Je vais vous dire, je suis beaucoup moins magouilleur qu’on le disait. Et puis beaucoup moins exemplaire que ceux qui m’aimaient bien, le disaient aussi.

Extrait spot publicitaire Bernard TAPIE

Antoine LEFEBVRE : Sa vie sert également de trame à un film publicitaire pour des magasins de matériel HI-FI. Erreur judiciaire ou d’arbitrage, référence évident au passé, au travers ce spot, le TAPIE d’aujourd’hui veut montrer qu’il a pris ses distances avec celui d’hier. Opération d’image pour un homme et pour un homme ; le film était présenté il y a quinze jours à quelques professionnels.

Bernard TAPIE : Le principe, c’était de mettre en opposition deux personnages, un qui est celui que je suis en réalité, c’est-à-dire assez loufoque, etc. – la marionnette des Guignols quoi – et puis l’autre le raisonnable.

Antoine LEFEBVRE : Quand l’émission n’est pas en direct, et c’est rare, elle est enregistrée dans les conditions du direct.

Bernard TAPIE : Vous avez combien de questions prévues aujourd’hui ?

Intervenant : Il y en a onze Bernard.

Bernard TAPIE : Quel genre ?

Antoine LEFEBVRE : Et ce jour-là, Bernard TAPIE est d’humeur maussade.

Bernard TAPIE : Bon, ce n’est que de la merde de toute façon.

Intervenant : On a celui-là en ligne, le premier.

Bernard TAPIE : Vous savez, je vais vous dire quelque chose une fois pour toutes à tous, écoutez bien : les hommes politiques sont ce que les électeurs veulent qu’ils soient...

Auditeur : Là, je ne suis pas d’accord avec vous. Il y a moins d’entreprises nationales que de partis politiques.

Bernard TAPIE : Où ça ?

Auditeur : En France ! Si…

Antoine LEFEBVRE : Retour au théâtre. Bernard TAPIE répète tous les après-midi mais ne veut rien montrer de la pièce avant les trois coups de la première.
Bernard TAPIE : Il n’y a aucune répétition, je vous le jure ; et la première fois que les gens vont voir les images, ce sera des images de nous, en costumes, dans les décors.

Antoine LEFEBVRE : Une règle qu’il a imposée au reste de la troupe histoire de ménager le suspense et la curiosité d’un public populaire. A la fois novice et tête d’affiche, TAPIE Mc MURPHY est payé au minimum syndical : mille francs bruts par jour, le prix d’une nouvelle carrière entamée comme un pari.

Bernard TAPIE : Imaginons le pire. Le pire, je ne sais pas mon texte, je joue comme un con, je fous tout par terre etc. Je suis là au milieu, on est le soir de la première, on est à la moitié de la pièce et je dis : excusez-moi, je suis le roi des cons, j’ai été prétentieux, j’ai pensé que je pourrais le faire, je vous demande pardon, je ne peux pas le faire ; j’appelle la caisse, je dis « soyez gentil, vous remboursez tout le monde ». Le producteur, il m’attrape à la sortie et me dit « tu es vraiment un fou » et puis voilà. C’est ça que je risque ! C’est quoi, ça ?

Antoine LEFEBVRE : C’est un cauchemar quand même, non ?

Bernard TAPIE : Mais pas du tout ! Il n’y a rien de grave. Ce n’est pas terrible. Je n’ai pas la même notion que vous du risque, moi.

Ruth ELKRIEF : Voilà. Notre rubrique contre-enquête pour finir. Trois mois après la tuerie du Gers, nous sommes retournés sur les lieux après l’assassinat à Montfort de deux couples néerlandais. Le suspect arrêté, Kamel BEN SALA, clame toujours son innocence ; Alors où en est l’enquête, quels sont les éléments nouveaux ? Regardez ce reportage.

Myriam AQUIL : La fiancée du tueur présumé assume une fois par semaine son nouveau rôle de lingère.
- Et c’est comme ça depuis ?

Sandrine KABASSI : Depuis le 24 juin.

Myriam AQUIL : Pour vous, rien n’a changé, vos convictions demeurent intactes.

Sandrine KABASSI : Oui.

Myriam AQUIL : C’est-à-dire ?

Sandrine KABASSI : Je suis persuadée que Kamel n’est pour rien dans tout ce qu’on lui reproche.

Myriam AQUIL : Sandrine KABASSI vit un cauchemar depuis trois mois, depuis ce jour de juin où son compagnon est interpellé. Kamel BEN SALAH est soupçonné d’avoir assassiné ses employeurs néerlandais. En mai dernier, Marianne VAN HULST et son époux Artie, quittent leur résidence bourgeoise du sud de la Hollande, direction la campagne gersoise. Le couple rénove une vieille ferme avec l’aide de Kamel BEN SALAH, un peintre engagé au noir. Une semaine de travaux, une semaine de repos. La maîtresse de maison convie ses proches à découvrir ce coin de paradis. Samedi 22 mai : tous les uniformes de la région se donnent rendez-vous à la Goupillière. Le terrifiant état des lieux démarre avec la découverte d’une première victime, un homme, torturé dans un but précis : l’extorsion de codes bancaires. Non loin de là, le corps d’une femme est retrouvée, ligotée, égorgée. Les enquêteurs auscultent la maison et découvrent à l’étage Marianne VAN HULST bâillonnée comme les victimes précédentes à l’aide d’une bande adhésive. Son époux est retrouvé dans un deuxième temps : Artie VAN HULST a été abattu à bout portant.

Guy ETIENNE, procureur de la republique – Auch : Nous travaillons depuis le départ sur deux pistes différentes, une piste que je qualifierais d’extérieure et une piste qui serait donc locale, plus crapuleuse.

Myriam AQUIL : Première piste, celle d’un serial killer en cavale. Dieter ZURVEHME (ph) aurait été aperçu dans la région. Le 18 août, le suspect est interpellé, son emploi du temps vérifié ; l’Allemand est aujourd’hui innocenté. A dix kilomètres du lieu du crime, le domicile d’un homme est placé sous surveillance ; Kamel BEN SALAH, trente-cinq ans, le casier judiciaire entaché par une bagarre avec un voisin. Cantonnier le jour, dealer de haschisch la nuit, le peintre de la Goupillière endosse le costume de suspect.

Edouard MARTIAL, avocat de Kamel Ben Salah : L’émotion était telle dans le Gers qu’un mois après, il fallait qu’il y ait quelqu’un. A partir du moment où on pouvait réunir sur lui des éléments sur sa présence à la Goupillière, et uniquement sur sa présence à la Goupillière, ça suffisait à en faire quelqu’un qui après avoir été suspect pouvait devenir mis en examen.

Myriam AQUIL : Quelques heures avant la tuerie, BEN SALAH se rend chez ses employeurs. Il souhaite terminer les travaux de peinture engagés dans la cuisine trois jours plus tôt. Cette visite impromptue oblige Artie VAN HULST à modifier ses projets pour la soirée. Nous en avons eu confirmation grâce aux enfants des victimes, rencontrés en Hollande. Réunis pour la première fois autour de leurs avocats, certains parviennent à surmonter la douleur. Ils évoquent cette dernière conversation, les derniers mots échangés avec leur père.

Marco VAN HULST : C’était le 20 mai entre 21 heures et 21 heures 20. Mon père nous a téléphoné. Il appelait pour souhaiter bon anniversaire à ma femme. On tenait tous à écouter, alors on a mis le haut-parleur. On a eu l’impression qu’il aurait, de loin préféré aller au restaurant avec les autres plutôt que de rester à la maison à surveiller le peintre.

Myriam AQUIL : Les trois Néerlandais sont de retour vers 23 heures 15. La suite de l’histoire, seul BEN SALAH peut aujourd’hui la raconter. Il dit avoir quitté les lieux sitôt les Hollandais rentrés, il affirme être arrivé chez lui vers 23 heures 30. Aujourd’hui encore, sa compagne est incapable de confirmer son alibi.

Sandrine KABASSI : Quand il est venu se coucher, il m’a parlé. Quand je lui ai demandé le vendredi matin ce qu’il avait pu me dire, il m’a dit rien, te dire que j’étais rentré, qu’il était onze heures et demi et voilà.

Myriam AQUIL : Sur un point au moins, BEN SALAH a menti : il n’a pas dormi à poings fermés. Deux mois après le drame, les enquêteurs stupéfaits font parler les relevés téléphoniques : la nuit du meurtre, deux appels sont passés depuis le portable de BEN SALAH vers son domicile ; mais où était-il donc à 2 heures 29 et 2 heures 31 ? Le fumeur de joints insomniaque persiste et signe : j’étais bien moi, dit-il, je me suis auto-téléphoné par erreur en manipulant mon portable. Erreur troublante car onze minutes plus tard, le meurtrier entame sa tournée des distributeurs avec en poche les cartes volées aux victimes. En trois jours, l’assassin visites une dizaine de banques, retire 9 400 francs, aucun témoin ne reconnaît BEN SALAH.

Edouard MARTIAL : Pas une seule fois - et pardon de parler comme ça - pas une seule fois l’Arabe est décrit.

Myriam AQUIL : Et pourtant, le jour où l’assassin retire ici 2 400 francs, BEN SALAH se trouve à deux pas du distributeur ; le peintre au salaire de misère offre une bague à sa fiancée Sandrine. Son prix :   2 350 francs réglés en liquide. A quelle heure a-t-il effectué cet achat ? Les enquêteurs ont reconstitué cette journée passé au centre commercial à l’aide des tickets de caisse saisis chez BEN SALAH. Des repères précieux mais réfutables.
- Vous avez l’heure ?

Caissiere : Oui, il est six heures moins le quart.

Myriam AQUIL : Et là, sur le ticket, il est écrit quatre heures et demie.

Caissiere : Oui, et ça vous pose un problème ? Elles ne sont pas à l’heure, elles sont vieilles, elles sont comme nous, elles sont fatiguées…

Myriam AQUIL : Au-delà des multiples coïncidences plus que troublantes, un élément accable BEN SALAH : une empreinte ainsi qu’une goutte de sang prélevée sur le bâillon adhésif d’une victime. Ce même ruban qu’il utilisait pendant ses travaux à la Goupillière. De nouvelles expertises sont en cours. L’attente de ces résultats paraît de plus en plus insupportable.

KAMEL BEN SALAH : Je suis innocent ! Victime d’une erreur judiciaire !

Myriam AQUIL : Jeudi 7 octobre, Kamel BEN SALAH crie de nouveau son innocence dans une lettre adressée à ses avocats. Quelques heures plus tard, il tente de mettre fin à ses jours, de mettre fin à cette histoire qui hante depuis quatre mois la campagne gersoise.

Ruth ELKRIEF : Voilà, merci d’être restés avec nous. Je vous laisse avec le journal de Claire CHAZAL et la semaine prochaine, je recevrai l’ancien préfet de Corse, Bernard BONNET, qui parlera pour la première fois.