Texte intégral
TF1 - Mercredi 23 avril 1997
TF1 : Est-ce qu’on peut dire, comme V. Giscard d’Estaing l’avait dit de J. Chirac, en son temps, que la rancune est désormais jetée à la rivière entre vous deux ?
É. Balladur : Rien n’est jeté à la rivière, et je n’ai pas de rancune.
TF1 : Mais il y a des souvenirs ?
É. Balladur : Il y a des souvenirs. La vie est faite de souvenirs.
TF1 : Et de son côté… ?
É. Balladur : Vous le lui demanderez.
TF1 : Il semble que vous vous soyez réconciliés ?
É. Balladur : Il n’y avait pas de fâcheries, mais des divergences, c’est autre chose.
TF1 : Mais vous vous êtes affrontés, en effet, lors du premier tour de la présidentielle, c’était il y a deux ans. Maintenant, les choses ont changé. Vous étiez partisan de la dissolution en son temps, si vous auriez été élu à la présidence de la République. Cette dissolution arrive deux ans après. Une dissolution, pour quoi faire ? Pour changer de politique ?
É. Balladur : Je crois que la dissolution est utile et que J. Chirac a bien fait de le décider, parce qu’il y a des échéances très importantes pour la France, sur le plan intérieur comme sur le plan international et que mieux vaut avoir du temps devant soi et une stabilité politique résultant du choix d’une majorité, je l’espère, confirmée.
TF1 : Est-ce qu’il faut que la politique change ?
É. Balladur : J’y viens. Est-ce qu’il faut que la politique change ? Je crois que la politique qui est menée depuis maintenant 1993 est une politique qui vise à retrouver la croissance pour faire reculer le chômage. C’est l’objectif. Et pour retrouver la croissance, il faut diminuer les déficits et diminuer les impôts. Alors, il y a deux phases dans une politique : quand on trouve des déficits aussi importants que ceux que nous avons trouvés il y a quatre ans, on commence par essayer de colmater les brèches des déficits, et ensuite, et c’est l’étape nouvelle, on décide d’abaisser les impôts, ce dont je me réjouis. Ce dont je me réjouis. Je pense qu’en effet, il faut donner beaucoup plus de liberté aux Français, il faut libérer les initiatives, il faut recréer le dynamisme dans la société, mais pas seulement sur le plan économique, en abaissant les impôts. Il faut que les Français se sentent plus à l’aise dans la société dans laquelle ils vivent. Ça veut dire beaucoup de choses : ça veut dire la décentralisation des décisions pour qu’elles soient plus proches des gens, ça veut dire qu’on doit proscrire autant que faire se peut le cumul des mandats, ça veut dire qu’il faut faire une place beaucoup plus grande aux femmes dans la vie publique, c’est aussi ça les libertés. Ça n’est pas uniquement un discours économique autour duquel notre vie publique a l’air de s’orienter et un peu de se figer.
TF1 : Pratiquement, c’est ce que disait A. Juppé quand il est arrivé au pouvoir après vous. Il a dit qu’il avait trouvé des déficits très creusés et puis qu’il allait falloir les combler, qu’il allait falloir, après, faire des baisses d’impôts. Les gens sont un peu déçus car ils trouvent que les baisses d’impôts n’ont pas compensé les augmentations des impôts ?
É. Balladur : Oui, mais enfin, je répète qu’il y a des étapes. Moi, en tout cas, cela fait maintenant plusieurs années que je souhaitais qu’il y ait une baisse d’impôts et qu’elle soit importante. C’est ce qui a été décidé, je m’en réjouis.
TF1 : Et vous souhaitez qu’elle soit plus massive encore ?
É. Balladur : Dans toute la mesure où on réduira les déficits, oui, je le souhaite. Et c’est ce qu’on peut appeler effectivement une orientation plus marquée vers davantage de libertés économiques. Il faut voir les choses de façon concrète. Quand un Français gagne 100 francs, il donne 45 francs à la collectivité. Quand un Allemand gagne 100 francs, il en donne 40 et un Anglais en donne 55, un Américain en donne 30. C’est aussi ça la liberté, c’est de pouvoir garder une plus grande partie du fruit de son travail et de ses efforts. Mais ça n’est pas uniquement économique, je le répète. Et moi, je souhaite que l’on insiste beaucoup sur le fait que nous devons, c’est tout le sens de cette campagne d’ailleurs, avoir une société qui soit plus conviviale, davantage fondée sur le dialogue. Nous avons besoin de faire des réformes. On en a déjà fait, il faut en faire d’autres et les amplifier. C’est difficile, ça consiste souvent à heurter des intérêts. Eh bien, il faut dialoguer, il faut développer le contrat, il faut autant que possible créer un climat qui soit un climat de confiance et de compréhension réciproque. Je crois que c’est un peu l’enjeu du choix de société que nous proposons et qui est très différent du choix que propose le PS. C’est pourquoi, j’ai bien l’intention de m’impliquer aussi vigoureusement que je le pourrai dans cette campagne car je crois que c’est un moment très important. Je crois que M. Jospin a raison, c’est un choix de société, mais il se trouve que, de mon point de vue, il n’a pas raison dans le type de société qu’il choisit. Et je compte bien faire en sorte, dans la mesure de mes moyens, que les Français choisissent une société qui soit une société de liberté et de responsabilité.
TF1 : Donc, changer un peu la politique ?
É. Balladur : Infléchir dans une direction qui était déjà marquée et dans laquelle on s’engage plus nettement comme l’ont déclaré aussi bien M. Chirac que M. Juppé.
TF1 : Et changez de Premier ministre ?
É. Balladur : Ça, c’est l’affaire du chef de l’État, je ne veux pas entrer dans cette discussion. Ce n’est pas l’objet d’ailleurs, je vous le fais observer, des élections législatives.
TF1 : Mais les gens se demandent à ce moment-là à quoi ça sert ?
É. Balladur : Les élections législatives sont faites pour choisir une majorité et une politique. Va-t-on ou pas confier la majorité au PS qui, apparemment, ne semble pas avoir appris grand-chose de son long, très long passage au pouvoir, puisqu’il propose les recettes qui ont déjà échoué il y a 10 ou 15 ans ? Ou va-t-on, au contraire, confirmer le choix fait il y a quatre ans pour une réforme de la société française et pour qu’on regarde en avant ? Voilà le problème. Et donc, va-t-on choisir en conséquence une majorité pour soutenir cette politique de réforme tournée vers l’avenir ? Tel est l’enjeu.
TF1 : Vous pensez qu’on va être obligé de renégocier ?
É. Balladur : Je ne le crois pas, je crois qu’il faut respecter le calendrier prévu, c’est un engagement de la France et c’est notre intérêt. C’est l’intérêt de la France qu’il y ait une monnaie européenne. Elle en sera plus forte. La discussion sur les critères, vous savez, le traité est plus souple qu’on ne le dit. Je pense qu’on les respectera. Je le souhaite et je le pense. Mais je pense que ce qui prédomine, c’est le respect de la date.
TF1 : Faut-il croire le porte-parole du gouvernement, par ailleurs ministre du Budget, A. Lamassoure, lorsqu’il nous dit qu’il n’y aura pas de tour de vis fiscal après les élections ? Est-ce que cette dissolution ne nous cache pas une nouvelle vague de rigueur accrue ?
É. Balladur : Entendons-nous bien. Nous devons avoir des déficits plus faibles que ceux que nous avons trouvés, que nous avons quand même diminués année après année depuis quatre ans. Mais il faut continuer cet effort. Comment pouvons-nous les combler ? Par de nouveaux impôts ? Certainement pas. La cote d’alerte est atteinte et c’est l’avis général maintenant. Il ne faut pas qu’il y ait de nouveaux impôts. Et dans ces conditions, si la croissance revient, nous aurons la souplesse nécessaire pour continuer cet effort. Et je pense qu’elle reviendra et qu’elle est en train de revenir. Je crois qu’il faudra réduire les dépenses. Mais il faut savoir ce que ça veut dire. En fait, ça veut dire réformer la société parce que nous avons tous pris des habitudes depuis 20 ans, 25 ans, depuis qu’on parle sans arrêt de crise et de rigueur. Et pour réduire les dépenses, il faudra que nous changions un certain nombre d’habitudes, de mentalités, de structures. Et je reviens à ce que je disais tout à l’heure : ça doit se faire par le dialogue, par le contrat, par la discussion, par la conviction. Le temps est passé des réformes assenées d’en haut et de façon autoritaire, si tant est que ce temps n’ait jamais existé, ça n’a jamais très bien marché dans notre histoire. Mais aujourd’hui, nous devons faire un effort pour que chacun adhère à la réforme et au changement.
TF1 : Dans une semaine, les élections en Angleterre. Pour vous, T. Blair, L. Jospin même combat ?
É. Balladur : Il me semble que les travaillistes britanniques ont fait leur révolution culturelle et que les socialistes français peinent à la faire si tant est qu’ils en aient envie. Et nous verrons s’ils l’ont faite, s’ils savent se dégager de ce vocabulaire tout à fait passéiste et démodé et prendre conscience des réalités du monde d’aujourd’hui. La France n’est pas seule au monde. Tout le monde ne va pas nous attendre pour nous faire plaisir. Et si nous ne changeons pas nous-mêmes, les autres nous dépasseront et nous distancerons et un jour, nous ne pourrons plus les rattraper. Voilà l’enjeu de ces prochaines élections.
France 3 - 27 avril 1997
Édouard Balladur : […] Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est qu’il se passe quelque chose qui était d’ailleurs prévisible : on retrouve les simplifications, j’allais dire normales, de la droite, de la gauche et le débat se situe entre plus ou moins de liberté et plus ou moins d’État.
[…] Je pense qu’un meilleur avenir pour la France passe par davantage de liberté dans tous les domaines.
Q. : Beaucoup de vos idées sont reprises par Alain Juppé.
Édouard Balladur : Largement et je souhaite, pour ma part, qu’on aille encore plus loin […].
Je ne veux pas dire qu’il me suit ou pas. S’il me retrouve, c’est très bien : je m’en réjouis. […] Nous devons faire comprendre aux Français que nous devons secouer le poids des contraintes collectives tout en maintenant une société de solidarité et de justice, ce qui est difficile d’ailleurs : cette conciliation n’est pas commode mais c’est tout l’enjeu de ce débat.
On va élire une assemblée qui va durer cinq ans et le président de la République actuelle verra également son mandat se terminer dans cinq ans. Il va donc y avoir cinq années décisives pour la France. Nous allons entrer dans la monnaie européenne, du moins je l’espère ; nous allons réduire nos déficits, du moins je l’espère ; nous allons réduire nos impôts, du moins je l’espère […].
Q. : Un nouvel élan ?
Édouard Balladur : Il y a des phases dans l’histoire […]. Maintenant que nous entrons de plain-pied dans la compétition mondiale, nous devons tout faire pour être le plus fort possible. Et nous serons le plus fort possible grâce au plus de liberté possible […].
Q. : Les remarques de Charles Pasqua
Édouard Balladur : […] Regardons les pays qui font mieux que nous dans le monde. Ont-ils plus de déficit que nous ? Non, ils en ont moins. Ont-ils plus d’endettement que nous ? Non, ils en ont moins. Ont-ils plus d’inflation que nous ? Non, ils ont la même. Ont-ils plus d’impôts que nous ? Non, ils ont des impôts plus faibles que les nôtres. Ont-ils une monnaie qui fond ? Non, ils ont une monnaie solide. Je souhaite qu’on m’explique comment on va résoudre les problèmes de la France en laissant filer les déficits publics, en augmentant les dépenses et les impôts. Je suis d’un avis rigoureusement contraire. […].
Q. : Un programme de quarante jours
Édouard Balladur : […] Le Premier ministre a présenté […] ce soir un programme pour ces quarante jours dans lequel il a mis au premier plan la réduction des déficits et des impôts, ce que j’approuve, sous réserve de précisions supplémentaires qu’il faudra d’ailleurs donner aux Français.
Q. : Faut-il réduire le nombre de ministères ?
Édouard Balladur : Tout à fait […]. L’action publique, l’action gouvernementale a besoin d’être resserrée pour être plus efficace […].
Q. : Faut-il réformer l’ÉNA ?
Édouard Balladur : Je le pense depuis longtemps […]. C’était sans doute utile à la Libération. Aujourd’hui, il faut trouver des formules plus souples pour former ceux qui ont pour vocation de servir l’État, les brancher davantage sur la société, sur l’économie, sur les associations, sur les réalités locales. Il faut trouver d’autres modes de recrutement et de formation.
Q. : Les affaires.
Édouard Balladur : Je ne suis pas favorable à une loi d’amnistie, mais je suis tout à fait favorable […] à ce qu’on mette un terme à ce malaise qui dure maintenant depuis des années entre la justice, le monde économique, le monde de la politique […]. Il faut que les affaires aillent jusqu’à leur terme, mais on n’a pas besoin d’attendre pour proposer une réforme de la justice.
Q. : Êtes-vous favorable à une réforme de l’abus de bien social ?
Édouard Balladur : Il faudrait que les choses fussent plus précises qu’elles ne le sont […].
Q. : Jean Tiberi
Édouard Balladur : Jusqu’à présent, j’ai fait ma campagne […] dans le quinzième arrondissement sans trop en déborder […]. Mais cela étant, je suis tout prêt à accueillir M. Tiberi […]. Je m’interdis de me prononcer sur ces affaires, comme vous dites, qui sont devant la justice et qui font l’objet d’une procédure. Le moins qu’on puisse attendre de tout le monde, c’est de respecter la dignité de chacun et de ne pas juger avant que la justice ne se soit prononcée.
Q. : Quel futur Premier ministre ?
Édouard Balladur : […] C’est au Chef de l’État à désigner celui qu’il estimera le plus apte […].
Je souhaite que les Français confirment l’orientation vers la liberté qu’ils ont prise en 1993, qu’ils ont confirmée en 1995. Je souhaite qu’il la confirme encore.
Quelle croissance ?
Q. : Quel est le moyen de réduire le chômage ? Est-ce davantage de croissance ? Si oui, comment peut-on obtenir davantage de croissance ?
Dominique Voynet : Je ne suis pas du tout hostile à la croissance si elle est utile aux êtres humains et si elle est orientée vers la satisfaction de leurs besoins essentiels. Il se trouve que souvent, la satisfaction de ces besoins correspond à des secteurs qui sont très créateurs d’emplois […]. Je constate que dans ce pays, on trouve toujours beaucoup d’argent pour construire des éléphants blancs, pour construire des moutons à cinq pattes et qu’on n’a jamais assez d’argent pour réparer les lycées, pour enlever l’amiante des plafonds des gymnases et des piscines et pour mettre en place des lignes de transports collectifs, le soir, le week-end, pour éviter que les jeunes aient des accidents de mobylette […]. Le produit national brut est loin d’être un instrument de mesure du bonheur national brut […].
Édouard Balladur : L’immense majorité des Français considèrent que s’il y avait davantage de croissance, il y aurait moins de chômage et que donc ils seraient plus heureux […]. Je pense que nous aurons davantage de croissance si nous mettons de l’ordre dans nos affaires, si nous dépensons moins collectivement et si nous prélevons moins sur les revenus gagnés par les uns et les autres […].
La réglementation du travail
Édouard Balladur : Il ne s’agit pas, si peu que ce soit, de remettre en cause ni la protection sociale, ni la protection des travailleurs […]. Il s’agit par des négociations entre les parties de mettre en œuvre un certain nombre de souplesses […]. Je prends l’exemple de l’assouplissement de la réglementation sur la durée des contrats à durée déterminée. Ils durent actuellement dix-huit mois au maximum. Je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas durer plus longtemps […].
Je n’ai pas dit que je souhaitais allonger la durée du travail […], j’ai dit que ce n’était pas à l’État de la réglementer mais que c’était aux entreprises et aux syndicats à en débattre. J’ai constaté aussi que les pays qui ont moins de chômage que nous ont une durée de travail plus longue. Aussi, lorsque j’entends dire qu’il faut partager le travail […], je crois que c’est une idée fausse.
L’âge de la retraite
Édouard Balladur : Je ne propose pas de relever l’âge de la retraite, mais je propose qu’on ne se laisse pas aller à des propositions démagogiques qui consistent à dire : on va tous travailler moins, on va tous garder le même salaire et, comme par miracle, cela va faire moins de chômage. Je dis que cela fera plus de chômage […].
La méthode de la réforme
Édouard Balladur : Les Français ne sont pas du tout prêts à se voir imposer – fût-ce pour leur bien éventuellement, croient ceux qui imposent ces décisions – des mesures autoritaires qu’ils n’auraient pas discutées. La méthode de la réforme est au moins aussi importante que la réforme elle-même dans notre société […].
L’euro avec qui ?
Édouard Balladur : Il faut faire la monnaie européenne […]. Je souhaite qu’on interprète les critères avec un peu de souplesse. D’ailleurs, tout le monde aura besoin de cette souplesse, ou à peu près tout le monde, les Allemands sans doute comme les Français […]. Le plus grand nombre de pays possible mais pas à n’importe quel prix. Le plus grand nombre de pays possible, notamment de grands pays comme l’Italie et l’Espagne, mais pas à un prix où on considérerait que le traité n’est plus qu’un chiffon de papier […]. Si des pays ne peuvent pas y entrer, il faut faire l’euro à sept, huit ou neuf et leur laisser la porte largement ouverte, voire les aider pour qu’ils remplissent les conditions le plus vite possible […].
Deux rêves
Édouard Balladur : […] Voici les deux rêves que je vous suggère : un pays plus puissant, qui sauvegarde la justice et la solidarité : un pays qui se défasse de ses habitudes traditionnelles et sache pratiquer le dialogue et le contrat. C’est extraordinairement difficile et ambitieux.
Le Figaro - 29 avril 1997
Le Figaro : Une élection permet d’évaluer un bilan et de présenter un projet. Commençons par le bilan de la majorité. Quel est-il, après quatre années de pouvoir ?
Édouard Balladur : Il ne faut pas trop sacrifier à cet exercice souvent lassant et toujours suspecté de n’être pas complètement objectif. S’agissant du bilan de ces quatre dernières années, autant dire d’une législature, rappelons quelques chiffres. En 1993, le déficit du budget s’élevait à 360 milliards, celui des comptes sociaux à 130 milliards, de l’Unedic à 15 milliards, le chômage augmentait de vingt mille à trente mille par mois et la récession atteignait 1,5 %. En quatre ans, le déficit public de l’État est tombé à 280 milliards ; le déficit des comptes sociaux est aujourd’hui de l’ordre de 30 à 35 milliards : nous sommes passés de la récession à la croissance ; le nombre des chômeurs est aujourd’hui à peu près égal à celui d’il y a quatre ans. Voilà le bilan. Il montre que si beaucoup de problèmes restent à résoudre, nous sommes sur la bonne voie.
Pour que la France demeure un grand pays, elle doit encore réduire ses dépenses publiques, ses déficits, stopper l’accroissement de l’endettement, abaisser les impôts, et de manière générale, libérer les initiatives dans la société, libérer le dynamisme.
Le Figaro : Bref, prendre un tournant libéral.
Édouard Balladur : Ne faisons pas d’idéologie. Je suis partisan d’une économie de liberté. Quand, par deux fois, j’ai eu un rôle à jouer dans la conduite de la politique de notre pays, c’est en recourant à plus de liberté que j’ai réussi à faire repartir la machine économique et à commencer à réduire le chômage.
La France est l’un des pays les plus imposés et réglementés du monde. Va-t-elle mieux pour autant ? Non ! Son taux de chômage est parmi les plus élevés du monde. Le problème est simple : pouvons-nous être un pays plus fort économiquement en sauvant un système social auquel nous sommes attachés ? Je crois que oui. Pour le sauver, il faut le moderniser. Il ne s’agit pas de mener une politique sauvage, en jetant par-dessus bord toutes les garanties, tous les droits et toutes les protections. Il s’agit, au contraire, de les consolider. Depuis des années, on ne cesse d’augmenter les prélèvements sociaux, et en même temps, la protection sociale n’a cessé de s’affaiblir. C’est la preuve qu’en ne changeant rien, on risque de tout compromettre.
Le Figaro : Si le débat sur un éventuel tournant libéral est à nouveau posé, c’est aussi parce que l’on s’interroge sur les raisons profondes de cette dissolution…
Édouard Balladur : La France doit marquer une inflexion plus nettement libérale dans sa politique économique et sociale. Cela veut dire moins de dépenses, moins de déficits, moins d’impôts, plus de contrat, plus de dialogue, plus de libertés, plus de souplesse. Mais il est totalement faux d’assimiler une politique de liberté économique avec une politique moins protectrice sur le plan social. C’est le contraire qui est vrai. Car finalement, si l’on ne fait rien, les régimes sociaux seront de plus en plus fragiles. Il faut donc réformer. Voilà le sens de ces élections.
Le Figaro : Avait-on vraiment besoin d’une dissolution pour cela ?
Édouard Balladur : Beaucoup d’échéances sont devant nous : l’Europe, la Conférence intergouvernementale, la monnaie européenne, l’Alliance atlantique, lutte contre le chômage, le redressement de nos comptes… Il vaut mieux ne pas perdre de temps et avoir cinq années devant nous. C’est, à mon avis, la justification de la dissolution. Elle a été prononcée, ce n’est déjà plus le débat. Pour toutes ces raisons, j’approuve la dissolution de l’assemblée.
Le Figaro : Est également posée la question d’un changement de Premier ministre. Au sein de la majorité, plusieurs politiques sont proposées et des personnalités différentes pourraient les conduire…
Édouard Balladur : Est-ce que ce sont des formules vagues ou des propositions précises des réalités ? Que nous propose-t-on pour avoir plus de croissance ? Augmenter les dépenses publiques, les déficits, l’inflation ? Si c’est cela, c’est voué à l’échec, le chômage augmentera. La gauche parle sans arrêt de politique sociale comme si la droite n’en avait pas. C’est totalement faux ! La majorité a une politique sociale, dont les principes sont clairs : c’est essentiellement de la croissance que résulte l’emploi et donc la justice sociale. Favoriser la croissance, c’est favoriser la justice dans la société. Le progrès doit résulter du contrat et du dialogue, et non de l’interventionnisme et de l’autoritarisme de l’État. Même si vous avez beaucoup de croissance, même si l’emploi est meilleur, même si le dialogue est très développé, il y a des hommes et des femmes que la vie laisse en marge. Il faut s’occuper d’eux, être solidaires. On le fait d’autant mieux, qu’on est plus prospère.
Le Figaro : Comment le Gouvernement peut-il favoriser le dialogue, le contrat ?
Édouard Balladur : Prenons l’exemple de l’assurance maladie. Nous avons mis en œuvre, en 1994, avec Simone Veil, une politique qui a permis de freiner la croissance de ses dépenses. Le Gouvernement actuel a poursuivi dans cette voie. Nous sommes le deuxième pays au monde qui dépense le plus pour la santé, et nous sommes fort loin d’être le second pour le niveau moyen de la santé de la population. Il y a là un vrai problème d’efficacité. Mais cette réforme n’a pas toujours été comprise. Pour dissiper tous les malentendus entre les professions de santé et le Gouvernement, tout en préservant le cap fixé, il n’y aurait que des avantages à organiser une grande réunion avec tous les professionnels de la santé pour se mettre d’accord sur l’avenir. En disant cela, je ne mets nullement en cause l’objectif poursuivi puisque j’ai été le premier à le défendre. Je dis simplement qu’il n’est de l’intérêt de personne de laisser de pareilles incompréhensions s’installer.
Le Figaro : À quel rythme faut-il mener les réformes ?
Édouard Balladur : On peut espérer, dans les cinq ans qui viennent, une croissance en valeur (volume + prix) de l’ordre de 4 % par an, c’est-à-dire de 20 % en cinq ans. Peut-être même plus, si on arrive à relancer fortement la croissance. Cela nous redonnera beaucoup de souplesse. Ce surcroît de richesses, il faudra essayer de le rendre aux Français. Jusqu’à présent, c’est l’État qui en a pris la plus grande part.
Le Figaro : Comment y parvenir ?
Édouard Balladur : D’abord, il faut tenter – ce sont des objectifs à long terme – de ramener notre déficit public, en cinq ans, à deux points de PIB (170 milliards de francs) ; ensuite, si nous voulons consolider la croissance et notre rang en Europe et dans le monde, il faut que la France cesse d’être l’un des pays de l’Union européenne où les prélèvements sont les plus lourds. Actuellement, ils représentent chez nous 45 % du PIB, la moyenne européenne est de 42 % et de 40 % en Allemagne. C’est pourquoi nous avons un chômage plus élevé.
Le Figaro : Dans ce cas de figure, peut-on attendre une réduction significative du chômage ?
Édouard Balladur : Oui. Si nous avons durablement une croissance plus forte et une baisse des charges sur le travail peu qualifié, on peut arriver à réduire le chômage en développant parallèlement la formation des jeunes et les stages. Nous l’avons fait il y a deux ans. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas à nouveau y revenir. Évidemment, cela suppose qu’on ne nie pas une évidence, c’est qu’il y a un lien entre la croissance et l’emploi.
Le Figaro : Une réduction des effectifs de la fonction publique de l’ordre de 5 000 postes par an vous paraît-elle suffisante ?
Édouard Balladur : Je pense qu’on peut aller plus loin. En 1987, nous avions, Jacques Chirac et moi, réduit les emplois publics de plus de quinze mille. Je ne dis pas que cela peut se faire chaque année. Il faut examiner toutes les interventions de l’État et des collectivités locales, pour voir si elles sont toutes justifiées et si, véritablement, il n’y a pas, comme j’en suis convaincu, beaucoup d’économies à faire.
Le Figaro : L’un des intérêts de la dissolution n’est-il pas aussi de reposer, notamment à la majorité, la question de la monnaie européenne ?
Édouard Balladur : Ce choix en faveur de la monnaie européenne a été fait en 1992 et confirmé en 1993.
Le Figaro : Mais, en 1995, la campagne présidentielle de Jacques Chirac a rouvert le débat.
Édouard Balladur : Après l’élection, les choses ont été précisées. Il est bon que les Français et le reste du monde sachent que notre choix européen est un choix sans retour. C’est très important pour notre autorité morale et internationale.
Le Figaro : La monnaie unique ne risque-t-elle pas de freiner la croissance en Europe ?
Édouard Balladur : Non, elle sera une chance. Elle favorisera notre activité et nos exportations.
Le Figaro : Le respect des critères de convergence ne risque-t-il pas d’asphyxier notre économie nationale ?
Édouard Balladur : J’ai toujours dit qu’il faudra apprécier les critères en tendance. Nous n’allons pas nous laisser enfermer pour 0,1 % ou 0,2 % dans une sorte de systématisme. Il faut aussi que nous soyons le plus nombreux possible à respecter ces tendances générales. Mais, Maastricht ou pas, nous devons réduire nos déficits, libérer notre économie et baisser nos impôts. Il y va de notre prospérité, de notre place dans le monde. Cet effort devra être poursuivi après l’instauration de la monnaie unique. Une fois que nous aurons cette monnaie unique, nous serons dans un grand espace, sans barrière douanière, et il y aura nécessairement un avantage de compétitivité pour les pays qui auront les coûts collectifs les moins lourds. Il faudra donc que la France et un certain nombre d’autres pays fassent un effort pour être dans la moyenne européenne·. Il faudra que l’Europe, qui est la zone où dans le monde les taux de prélèvements collectifs sont les plus lourds, fasse un effort d’adaptation, tout en préservant, le plus possible, son modèle social. Voilà le problème des vingt années qui viennent.
Le Figaro : Ce sera le choix de la puissance économique et monétaire, contre le modèle social ?
Édouard Balladur : Non. La monnaie unique européenne ne remet nullement en cause le modèle social européen, au contraire. Elle garantit plus de croissance et plus d’emplois. C’est un élément de garantie sociale. Je pense que le bonheur des citoyens est plus grand s’ils sont les citoyens d’un pays, d’un ensemble, fort et robuste. Nous sommes dans un monde impitoyable, où la compétition va devenir de plus en plus âpre, parfois même violente. Mieux nous pourrons nous défendre, mieux cela vaudra.