Texte intégral
Le Parisien : 25 avril 1997
Le Parisien : Alain Juppé affirme que « la rigueur est derrière nous ». Mais, comment la France pourrait-elle participer à la monnaie unique sans poursuivre ses efforts budgétaires ?
Alain Lamassoure : Arrêtons de dire que c’est à cause de l’Europe que nous sommes obligés de réduire nos déficits ! C’est à cause de la dette accumulée par les socialistes ! Dans les cinq ans qui ont suivi la réunification allemande, les dépenses de l’État ont augmenté plus vite en France qu’en Allemagne, c’est quand même un comble... D’où le déficit public de près de 6 % du PIB (produit intérieur brut) atteint en 1993. L’objectif de le ramener à 3 % fin 1997 et 1998 sera tenu. Et, comme l’année 1998 s’ouvre sous de meilleurs auspices que prévu – la Commission européenne et le Fonds monétaire international jugent nos prévisions de croissance trop timides –, nous irons même au-delà : je pense que nous pourrons ramener prochainement le déficit à 2 % ou 2,5 % du PIB.
Le Parisien : Donc, la rigueur a de l’avenir...
Alain Lamassoure : Non. La rigueur est derrière nous, il n’y aura pas de tour de vis supplémentaire, mais le sérieux restera la règle. Pour cela, je propose d’introduire dans nos institutions l’obligation d’équilibrer les dépenses de fonctionnement de l’État (rémunérations des fonctionnaires, dépenses courantes des administrations...), alors qu’aujourd’hui, elles sont encore financées par l’emprunt, à hauteur de 115 milliards de francs.
Le Parisien : Mais entre le possible dérapage des comptes sociaux, l’obligation de rembourser prochainement l’emprunt Balladur et les mauvaises rentrées fiscales, le budget 1998 sera quand même bien difficile à boucler.
Alain Lamassoure : Concernant les comptes sociaux, il n’y a pas de raison d’être inquiet : si certaines recettes sont décevantes, les dépenses, elles aussi, sont moins fortes que prévues. Elles sont en effet stables ces trois derniers mois. L’emprunt Balladur sera remboursé grâce à un relais d’emprunt, c’était prévu. Quant au budget de l’État, son déficit, au 17 avril, était en baisse de 21 milliards par rapport à la même période de l’an dernier. Arrêtons donc de gloser sur un éventuel dérapage : les budgets de l’État et de la Sécurité sociale sont sous contrôle.
Le Parisien : Combien de postes de fonctionnaires comptez-vous supprimer l’année prochaine ?
Alain Lamassoure : Il ne faut pas se donner des objectifs forfaitaires et abstraits. Il faut raisonner en fonction des besoins, il y a des secteurs où il faut renforcer les effectifs : dans la justice, l’enseignement supérieur, la sécurité, notamment. D’autres peuvent gagner en productivité, notamment parce que le travail qui était accompli par des agents de l’État, autrefois, relève aujourd’hui des collectivités locales ou de l’Europe. L’important, c’est de moderniser la gestion de l’État. Pour moi, l’administration française est un éléphant. Il ne s’agit pas de le faire maigrir, mais de le transformer en tigre !
Le Parisien : Le Premier ministre a axé sa campagne sur la baisse des impôts. Mais, qu’y a-t-il de nouveau par rapport au programme d’allègements de 75 milliards sur cinq ans qui avait déjà été annoncé ?
Alain Lamassoure : À la différence des socialistes qui sont muets sur leur programme économique et ses conséquences fiscales, nous proposons aux Français un véritable contrat de croissance qui consiste à profiter en temps réel du résultat des efforts réalisés. Au lieu de dire : « On se serre la ceinture aujourd’hui et on en tirera les bénéfices demain », nous disons : « Les efforts et la récompense en même temps. » Concrètement, l’augmentation plus forte que prévu de la croissance économique va nous donner des marges de manœuvre. Nous pourrons alors engager une baisse supplémentaire des prélèvements obligataires. Impôts ou cotisations sociales, le débat s’ouvrira après les élections. L’UDF, à laquelle j’appartiens, propose pour sa part une nouvelle réduction des charges sociales pour les entreprises. Les précédentes baisses ont permis de sauver ou de créer 200 000 emplois, c’est donc ce qui peut se faire de plus intelligent pour lutter contre le chômage.
La Tribune : 5 mai 1997
La Tribune : Le RPR et l’UDF ont le « choix stratégique » de la baisse de la dépense publique. Ne risquez-vous pas de peser encore sur la demande, qui fait défaut ?
Alain Lamassoure : Pas du tout. L’an dernier, nous avons réduit de 30 milliards le déficit budgétaire. En logique keynésienne – c’est d’ailleurs ce que dit le PS –, on peut considérer que 30 milliards de francs de pouvoir d’achat ont été retirés à l’économie. Or, cela n’a pas été du tout le cas. Car, nous avons retrouvé une crédibilité vis-à-vis des marchés, qui a permis une forte baisse des taux d’intérêt. Elle a conduit les Français à consommer davantage. La diminution de deux points de leur taux d’épargne a amené sur le marché de la consommation 200 milliards de francs. Il est clair que la relance par la demande est devenue inadaptée. Les échecs de la prime à la casse pour les voitures et de la relance de l’investissement montrent l’inefficacité de ces recettes.
Le pilotage de l’économie a fondamentalement changé. Les deux armes de la régulation économique des trente glorieuses, à savoir, la politique budgétaire et la politique monétaire, sont devenues inopérantes. Nous avons un niveau de dépense publique et de prélèvement tel que la politique budgétaire ne peut plus fonctionner que dans un sens : le retour à l’équilibre et de la diminution des dépenses. Quant à la politique monétaire, elle dépend soit des autorités indépendantes (Banque de France), soit des marchés, parce que l’inflation est prohibée.
La Tribune : L’État peut-il tout de même continuer à couper dans ses investissements ?
Alain Lamassoure : Il est vrai que de telles coupes peuvent avoir un effet récessif. L’une des faiblesses de la politique d’économies menée jusqu’à maintenant a été de couper dans les investissements de l’État. C’est pourquoi nous proposons avec Jean Arthuis que, dès 1998, on modifie la présentation du budget de l’État. Il s’agira de distinguer les dépenses de fonctionnement des dépenses d’investissement, en deux sections. Il n’est pas malsain que les investissements dont bénéficieront les générations futures soient financés par l’emprunt. En revanche, la section de fonctionnement doit être équilibrée par des recettes définitives.
La Tribune : Quand pensez-vous y parvenir ?
Alain Lamassoure : L’échéance serait l’an 2000. En 1997, la section de fonctionnement accuse un déficit de 115 milliards. Cela montre l’ampleur de l’effort à faire, pour ne plus financer des traitements de fonctionnaires ou des retraites par l’emprunt.
La Tribune : Comment réaliser des coupes importantes dans les dépenses de fonctionnement ?
Alain Lamassoure : Nous avons, dans l’administration, des marges de productivité importantes. Pour préparer le prochain budget, nous avons renoncé à un dispositif de caractère forfaitaire et global, qui aurait conduit à réduire partout, de manière identique, les dépenses de fonctionnement et les effectifs. Il faut avoir une perspective sur cinq ans. Tout commence par la réduction du nombre de ministères, à 15. Des regroupements de services, de directions sont à opérer, en matière d’action extérieure, par exemple. Quand un gouvernement compte trente ministres – comme aujourd’hui –, il y a 30 défenseurs de ces administrations...
La Tribune : Alain Madelin propose de diminuer l’an prochain de 18 000 le nombre de fonctionnaires, Édouard Balladur de 15 000...
Alain Lamassoure : Je ne veux pas citer de chiffre. Il faut réduire le nombre de fonctionnaires là où c’est nécessaire et possible. Avec seulement 15 ministères, dans une perspective quinquennale, nous pourrons réformer en profondeur. Ne pas remplacer la moitié ou le tiers des départs à la retraite – comme le préconise Alain Madelin – est possible sur un exercice, mais non plusieurs années de suite. En revanche, dans une perspective pluriannuelle, une politique intelligente de gestion du personnel est envisageable. La modernisation de la fonction publique doit être vécue par les intéressés comme une chance, et non une punition... Les économies ne porteront pas seulement sur l’État...
La Tribune : Les économies ne porteront pas seulement sur l’État…
Alain Lamassoure : En effet. Concernant la Sécurité sociale, l’application du plan Juppé porte ses fruits. Le problème nouveau est celui des collectivités locales. Nous proposons un pacte de stabilité avec les collectivités. Je crois que les élus locaux sont prêts à passer un accord avec l’État, avec lequel ils s’engageraient, sur cinq ans, à ce que la dépense de fonctionnement ne progresse pas plus vite que les prix, par exemple. Cela suppose un nouvel accord sur les transferts de charge entre l’État et les collectivités.
La Tribune : Cette maîtrise des dépenses doit conduire, selon Alain Juppé, à des baisses d’impôts ou de charges. Lesquelles ?
Alain Lamassoure : La baisse de l’impôt sur le revenu va être poursuivie comme prévu. Dans l’immédiat, nous étudions l’extension de l’allégement des charges sociales du secteur textile (2 000 francs pour un Smic) à d’autres industries de main-d’œuvre. Si la croissance économique dépasse les prévisions, ses dividendes seront redistribués sous forme de baisse de prélèvements obligatoires au cours des années à venir. En priorité, selon moi, à travers des allégements de charges supplémentaires.