Texte intégral
La crise albanaise a constitué un nouveau banc d'essai de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne. En Europe, il s'agit moins de défendre des frontières que d'intervenir dans des situations qui, comme lors du dernier drame dans les Balkans, ont semblé menacer toute une société civile. À la périphérie de l'Europe, la crise soudaine de son État le plus pauvre est porteuse de risques, et nous rappelle que les équilibres sont précaires comme dans notre Europe au début du siècle.
La crise albanaise a montré le chemin qui pour l'Union européenne reste encore à faire si celle-ci veut s'imposer avec une autorité suffisante sur la scène internationale et se doter d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune qui n'a été qu'à peine esquissée à Maastricht. Elle confirme la nécessité pour l'Union européenne de disposer d'instruments efficaces d'analyse et de prévision.
Lors de la rencontre ministérielle d'Apeldoorn, tous les États membres de l'Union européenne ont ressenti la nécessité d'agir, même s'il y a eu des divergences sur les modalités de cette action. Par ailleurs, pour mettre en oeuvre des instruments opérationnels efficaces, force est de constater que l'Union européenne occidentale se révèle souvent insuffisante.
La réunion de la conférence intergouvernementale à Rome, le 25 mars, pour les quarante ans des traités de Rome, est l'occasion de donner une impulsion décisive à la négociation en cours. Nous devons confirmer notre accord pour créer une cellule de planification ; pour inscrire les missions de maintien et de rétablissement de la paix dans le traité ; pour confier la représentation extérieure de l'Union – en liaison avec la présidence – à une personnalité d'envergure, subordonnée au Conseil européen, afin de garantir la cohérence, la continuité et la crédibilité de notre action commune ; pour introduire le vote à majorité dans les décisions du conseil des ministres et pour faire de la défense commune non plus une hypothèse mais une perspective réelle.
« La politique étrangère et de sécurité commune redonnera à l'Union européenne une plus grande légitimité, et fera tomber les scepticismes »
Comment atteindre de façon réaliste ce dernier objectif ? Le point d'arrivée devra être nécessairement recherché dans la pleine insertion de l'UEO dans l'Union européenne pour que celle-ci puisse, à la fin, assumer les caractères d'une communauté de sécurité et de défense. Les différentes expériences historiques ainsi que la présence de pays qui ont une tradition de neutralité ne le permettent pas dans l'immédiat.
Mais l'on peut imaginer un processus par étapes. Les rapports de l'UEO avec l'Union européenne pourraient, durant une phase intermédiaire, être définis en analogie à ceux de la CECA et de l'Euratom, qui ont des institutions communes tout en restant distincts dans leurs fonctions. La pleine convergence entre l'UEO et l'Union européenne se réaliserait seulement à la fin de ce processus. Le point d'arrivée serait le transfert· dans le traité de l'engagement de garantie réciproque, selon l'article 5 du traité UEO.
C'est dans cet esprit qu'un groupe de pays – France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Espagne, Italie – suggèrent un itinéraire composé de plusieurs étapes, et une méthode : confier à une décision du Conseil au niveau des chefs d'État et de gouvernement le passage d'une étape à l'autre.
La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) est un élément capital du processus de réforme. Nos opinions publiques y sont attentives. La PESC redonnera à l'Union européenne une plus grande légitimité, et fera tomber les scepticismes. Notre objectif est que l'Union puisse défendre sa place et ses valeurs dans un monde ouvert et équilibré. À cet effet, nous avons proposé que l'Union définisse des stratégies communes pour rassembler tous les États membres sur leurs intérêts fondamentaux, et éviter que chaque pays ne s'intéresse qu'à son voisinage immédiat, ou aux régions avec lesquelles il entretient des rapports historiques.
La conférence est entrée désormais dans le vif de la négociation sur les institutions, qui jusqu'à présent avaient été prudemment laissées dans l'ombre. Une réforme institutionnelle est en effet indispensable avant l'élargissement. Trois questions restent encore à résoudre.
Premièrement, une repondération du vote afin de prendre en compte le poids respectif des Etats au Conseil. Aujourd'hui, il est possible d'obtenir, une décision à majorité soutenue par 58 % de la population. Le pourcentage nécessaire était de 63 % dans l’Europe à douze, il serait inférieur à 50 % dans l'Union élargie. Il est nécessaire de corriger ce déséquilibre en augmentant le poids des pays les plus peuplés de façon à ce que la majorité qualifiée des voix corresponde à nouveau à une majorité ·qualifiée de la population, quelles que soient les nouvelles adhésions. Il ne s'agit pas d'altérer des équilibres mais plutôt de rétablir leur niveau d'origine.
Avec ce nouvel équilibre des voix, la majorité qualifiée devra devenir la règle, au sein du Conseil, avec un nombre extrêmement limité d'exceptions.
L'Union sera aussi plus légitime pour tous les citoyens si le principe de subsidiarité est strictement respecté par toutes les institutions et si les Parlements nationaux sont, comme l'a proposé la présidence irlandaise à Dublin, mieux associés à la décision.
« L'Europe est, et restera, le projet politique de la jeunesse et de l'ambition »
Enfin, le nombre des commissaires ne peut augmenter indéfiniment au fur et à mesure de l'accès des nouveaux membres. La Commission elle-même identifie aujourd'hui une dizaine de porte-feuilles. Le temps est venu de fixer le nombre de commissaires à un nombre inférieur à celui des États membres car la Commission n'a pas pour vocation de représenter les États. Elle est la gardienne des institutions. Elle a en charge l'intérêt général de l'Union. Cette réforme n'a pas été faite à Maastricht. Nous ne pouvons plus la reporter cette fois-ci.
Une nouvelle stabilité en Europe, une sécurité mieux garantie pour tous, des institutions fortes en mesure d'en soutenir l'action : il s'agit d'innovations essentielles si l'Union européenne, à l'aube du XXIe siècle, veut être à la hauteur des ambitions qui avaient inspiré les pères fondateurs, il y a quarante ans, car l'Europe est, et restera, le projet politique de la jeunesse et de l'ambition.