Texte intégral
F1 - lundi 21 avril 1997
P. Poivre d’Arvor : On dit beaucoup que vous avez inspiré, avec Nicolas Sarkozy, le nouveau programme que concocte en ce moment Alain Juppé ?
A. Madelin : Non, non. Je crois que le Premier ministre travaille seul. Ce que je souhaite en tout cas, c’est que cette élection soit utile au pays, et qu’il puisse y avoir un vrai débat, parce que je pense qu’il est nécessaire – comme l’a dit le président de la République – de marquer un tournant pour cette deuxième étape. Voilà une nouvelle Assemblée qui va franchir le nouveau millénaire, et puis surtout, qui va nous permettre, je l’espère, de reprendre notre place en Europe et dans le monde, en faisant en sorte que nous engagions, nous aussi à notre tour, la modernisation de l’État, la profonde réforme de l’État, la libération de l’initiative, de l’esprit d’entreprise. Voilà des thèmes qui, vous le savez, me tiennent particulièrement à cœur depuis longtemps. C’est la raison pour laquelle, oui, je vais prendre part à cette campagne. Il s’agit, contrairement à ce que dit M. Jospin, d’un choix qui est sans doute – moi j’appelle ça un choix libéral. Mais c’est un choix de bon sens et c’est un choix moderne. C’est le choix qu’ont fait les chrétiens démocrates, les sociaux-démocrates. Et j’ajouterais même ironiquement les travaillistes en Grande-Bretagne. Donc, il y a un nouveau train de croissance qui part dans le monde. Est-ce que nous allons rester sur le quai ou est-ce que nous allons nous accrocher à ce train de croissance ? Voilà l’enjeu de cette campagne électorale.
P. Poivre d’Arvor : On vous a vu partir du ministère de l’Économie d’une manière un peu fracassante. On peut vous retrouver au gouvernement cette fois-ci ?
A. Madelin : Écoutez, ce que je ne souhaitais pas, c’est une politique de rigueur. Mais voici maintenant que l’on parle d’une politique de vigueur. Si c’est une politique de vigueur libérale, je la soutiendrai bien évidemment.
RTL - mardi 22 avril 1997
O. Mazerolle : Il y a trois semaines, je vous recevais à ce micro et vous m’avez dit : calendrier, budget, euro, législatives, ça sera bien difficile à tenir. Et à l’aube du nouveau millénaire, s’annonce la deuxième partie du septennat Chirac. Vous le saviez, qu’il y aurait une dissolution ?
A. Madelin : Non, mais je pense que le Président a dû faire les mêmes analyses que moi.
O. Mazerolle : Vous lui avez soufflé un peu ces analyses ?
A. Madelin : Non, mais je crois…
O. Mazerolle : Et quand Claude Chirac est venue vous embrasser deux jours après ?
A. Madelin : Non, mais je crois que ce sont des analyses qui sont évidentes. Les faits ont parlé.
O. Mazerolle : En 1995 – dans votre livre « Quand les autruches relèveront la tête » –, vous écriviez « qu’il faudrait un référendum pour faire sauter les bouchons qui bloquent la société française ». C’est le cas avec cette élection c’est une sorte de référendum ?
A. Madelin : Je ne suis pas certain d’avoir parlé « de référendum ». Peut-être ai-je évoqué l’idée d’un référendum sur la réforme de l’État. En tout état de cause, ce que je pense, c’est que nous voyons bien toute une série de blocages sur le chemin du gouvernement. Et je crois que nous avons besoin de choix clairs. On est bientôt, c’est vrai à moins de 1 000 jours d’un nouveau millénaire, la nouvelle Assemblée nationale ce n’est pas une Assemblée comme les autres. Elle va être à cheval sur le franchissement d’un millénaire. Ça n’arrive pas tout le temps. Et puis, elle va accompagner la deuxième partie du septennat de Jacques Chirac. Et puis cette période aussi, qui est devant nous, c’est une formidable période de transformation de la société, partout dans le monde. Et partout dans le monde, il y a un train de croissance qui démarre, partout dans le monde on regarde l’avenir avec optimisme, sauf en France. Pourquoi ? Parce qu’en France, on a un système public, centralisé, autoritaire, de décisions, de réglementations qui bloque la société française. D’où la réforme de l’État, le gros sujet. Je suis heureux que le président de la République l’ait mis à l’ordre du jour du débat des législatives.
O. Mazerolle : Vous croyez qu’il y a en France une majorité pour le moins d’État ?
A. Madelin : Bien sûr, bien sûr.
O. Mazerolle : Vous êtes certain de ça ?
A. Madelin : Mais, en permanence, vous avez une révolte des Français contre ces décisions lointaines, venues des bureaux parisiens, qui oppriment la vie quotidienne, qui brident l’initiative.
O. Mazerolle : L’État, c’est la protection sociale, c’est la redistribution pour beaucoup de Français.
A. Madelin : Oui, mais c’est là quelque chose qu’il va falloir clarifier pendant la campagne. Parce que, quand vous dites : « moins d’État », moins d’État, c’est en même temps plus de sécurité. Nous avons quand même ce paradoxe extraordinaire d’avoir un État particulièrement obèse – nous avons le taux record des prélèvements publics dans le monde – et dans le même temps, nous avons une extrême précarité, une extrême pauvreté et un État qui fait mal les missions qui sont les siennes, comme la justice ou la sécurité. Et ce sont les plus pauvres, les plus démunis qui font les frais de cette insécurité au quotidien. Alors c’est quand même un formidable paradoxe.
O. Mazerolle : Beaucoup se disent : en fait, on nous cache un nouveau tour de vis, car le budget 1998 ne sera pas tenable si on veut respecter en même temps les critères de Maastricht. Comment pourrait-on en même temps baisser les impôts, comme l’a dit le président de la République hier soir ?
A. Madelin : Je crois qu’il va falloir dire un certain nombre de vérités dans cette campagne électorale et il faut dire franchement que les difficultés ne sont pas derrière nous, elles sont devant nous, et que si nous avons commencé l’assainissement budgétaire, nous ne sommes pas au bout de nos peines. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle, depuis longtemps, je dis qu’on n’est pas capable de faire l’assainissement budgétaire en dehors, premièrement, d’une réforme de l’État, pour dépenser moins.
O. Mazerolle : Ça veut dire combien de fonctionnaires en moins ?
A. Madelin : Je vais y revenir. Il faut surtout dépenser autrement. Et en dehors d’une forte croissance. Une politique libérale, à mes yeux, ce n’est pas seulement une politique qui cherche avant tout à couper dans les dépenses publiques. Puisque vous m’avez lu, vous avez lu également que je dis : attention ! la méthode de la hache dans les budgets c’est bien, mais à un moment donné on finit par atteindre les nerfs. Donc, ce qu’il faut faire, c’est baisser la part des dépenses publiques dans la richesse nationale. Cela signifie que, certes on dépense peut-être un peu trop, mais cela signifie que nous n’avons pas assez de croissance. Le moteur de la croissance, le moteur de l’économie marchande est trop petit en France. D’où la nécessité de muscler le moteur.
O. Mazerolle : Oui, mais ça veut dire combien de fonctionnaires en moins, pour vous, quand même, pour faire baisser les dépenses de l’État ?
A. Madelin : Il ne faut pas poser la question en termes de fonctionnaires. Si vous voulez la poser comme cela, je dirais qu’il faudrait recruter moins vite le nombre de fonctionnaires. Un fonctionnaire sur deux par exemple, ce qui nous permettrait de baisser d’une vingtaine de milliers le nombre de fonctionnaires par an. C’est une logique de désengagement de l’État. Mais je voudrais, pour que les choses soient claires, dire qu’il ne s’agit pas de licencier des fonctionnaires. Il s’agit de faire ce que M. Bérégovoy disait : « un peu moins de fonctionnaires mais mieux payés. » Mais, comme dans le même temps, il n’y a pas assez de fonctionnaires dans un certain nombre de secteurs il faut favoriser la mobilité des fonctionnaires à l’intérieur de la fonction publique. Les fonctionnaires ont intérêt à la réforme de l’État. C’est même d’ailleurs la seule façon de valoriser leur tâche et sans doute de valoriser leur situation.
O. Mazerolle : Le président de la République a réclamé hier soir « un nouvel élan. » Mais pourquoi les législatives qui vont avoir lieu maintenant, législatives anticipées, pourraient-elles donner un élan plus fort que celui de l’élection présidentielle ?
A. Madelin : Vous savez que je regrette pour ma part qu’on n’ait pas réussi à transformer l’élan de l’élection présidentielle. Il y avait une formidable attente de la part des Français de la part de la France entreprenante qui était prête à se retrousser les manches, de la part de la jeunesse. Bien. Jacques Chirac avait promis de remettre les affaires de « la maison France » en ordre, l’assainissement financier. Mais il y avait en même temps l’attente de l’élan de la libération des forces vives. Je pensais que ces deux politiques auraient dû être menées de front. Aujourd’hui, nous y sommes. Il est temps de redonner un peu d’élan à celles et ceux qui sont des créateurs.
O. Mazerolle : C’est la description d’un échec que vous faites là ?
A. Madelin : C’est la description, en tout cas, du fait que l’on n’a pas su mener ces deux politiques de front. Et que la seule politique de rigueur budgétaire est une politique insuffisante. Et qu’il faut certes de la rigueur, mais il faut encore plus de la vigueur. Et je crois que l’enjeu de cette campagne c’est : la France va-t-elle choisir, à son tour, la voie libérale ? En tout cas, c’est en ce sens que l’on m’entendra dans cette campagne
O. Mazerolle : La voie libérale, c’est aussi, pour beaucoup, la perte de la protection sociale. Vous écriviez, d’ailleurs, vous, qu’il fallait quasiment mettre en concurrence la Sécurité sociale avec les assurances privées ?
A. Madelin : Cela mériterait un peu plus d’explications.
O. Mazerolle : Au premier franc, écriviez-vous.
A. Madelin : Il y a plusieurs systèmes de protection sociale. Il y a le système de protection sociale à l’américaine : on se débrouille et on s’assure dans les assurances privées : non. Ce n’est pas le modèle européen. Il y a le système nationalisé, à la britannique : moi, je n’aime pas et je ne voudrais pas qu’on aille dans cette direction. Et puis, vous avez un système de responsabilisation qui était le système français et le système allemand : des caisses autonomes, responsables, en concurrence entre elles, en concurrence aussi avec les mutuelles au premier franc, c’est-à-dire que vous maintenez le système de solidarité, vous maintenez l’égal accès devant les soins mais vous avez un système plus performant par l’émulation et par la responsabilité. Ce qu’ont fait les Allemands dans le plus grand consensus social. Ceci me paraît toujours une bonne voie pour la France. Le meilleur contrôle de notre système de soins, ce n’est pas le contrôle bureaucratique, c’est le contrôle par la responsabilité des acteurs.
O. Mazerolle : Quand Lionel Jospin dit : ceux de droite, ce ne sont pas des conservateurs mais des destructeurs. Vous lui répondez ?
A. Madelin : Que M. Jospin est le conservateur de l’étatisme, du dirigisme à la française, qui fait l’exception française et qui nous empêche d’entrer dans la modernité. Nous sommes en train de passer d’une civilisation de l’usine à une civilisation du savoir, qui est une formidable civilisation parce que, ce qui compte plus que jamais, c’est l’homme, c’est une civilisation qui est porteuse de plein de chances, et notamment de la chance d’une nouvelle croissance. Est-ce qu’on l’aborde avec enthousiasme, avec les solutions de l’avenir ou est-ce qu’on l’aborde en se repliant sur le passé ? C’est un choix de civilisation, comme l’a dit hier soir M. Jospin. Moi, je fais le choix moderne contre le choix des anciens.
O. Mazerolle : En cas de victoire de la droite, Jean-François Mancel, secrétaire général du RPR, a annoncé : Alain Juppé sera, bien sûr le Premier ministre. Cela vous va ?
A. Madelin : Ce sera bien évidemment le choix du président de la République le moment venu, ainsi que le choix de la ligne qu’il souhaitera donner au pays. Moi, je me bats pour un choix franchement libéral.
O. Mazerolle : Vous êtes donc moins certain que Jean-François Mancel qu’Alain Juppé sera de nouveau Premier ministre.
France 2 - lundi 28 avril 1997
D. Bilalian : On ne vous avait pas beaucoup vu depuis la semaine dernière. Il paraît que vous boudiez ?
A. Madelin : Non, pas du tout. J’entre en campagne avec beaucoup de détermination. Et comment voulez-vous que je boude une campagne où les thèmes qui me tiennent depuis des années à cœur – la baisse des impôts, la décentralisation, la réforme de l’État, la libération de l’initiative – sont des thèmes qui ont été placés par le président de la République au cœur de ce nouvel élan ? Moi, je vais essayer d’agir pour montrer que ce nouvel élan, c’est l’élan des libertés susceptible de redonner confiance aux Français.
D. Bilalian : Justement, est-ce que le programme, redéfini, hier, par Alain Juppé vous semble assez libéral ? Bien sûr, il y a le gel du budget pour les années 1998 mais il y a aussi l’évocation d’une certaine forme de réduction du temps de travail. Est-ce que tout cela vous plaît ?
A. Madelin : Lorsque vous voyez dans les propositions qui sont, aujourd’hui, celles de la majorité, des idées que je crois très fortes comme l’idée du chèque-emploi ! Cela fait des années que je me bats pour le chèque-emploi. Il y a beaucoup de gens, aujourd’hui, qui galèrent pour se mettre à leur compte ou pour avoir un premier emploi salarié : des mères de famille qui aimeraient bien pouvoir travailler à domicile ; quelqu’un qui aimerait bien pouvoir effectuer une tâche, un petit entrepreneur qui aimerait pouvoir embaucher pour six mois ou pour huit mois. Je crois qu’un chèque-emploi très simple, un contrat de travail très simplifié, et puis, de l’autre côté, un chèque pour la personne, et puis un chèque unique avec un forfait social à un guichet unique, c’est un formidable progrès capable de libérer la création d’activités nouvelles, notamment dans ces 1,9 million de toutes petites entreprises qui sont, aujourd’hui, de véritables réservoirs de la création d’emplois.