Interview de M. Lionel Jospin, Premier secrétaire du PS, dans "Le Figaro" le 5 mars 1997, sur le mouvement d'opposition au projet de loi Debré sur l'immigration, la lutte contre le Front national, les propositions et la stratégie électorale du PS en vue des prochaines élections législatives, et la perspective d'une "cohabitation de contrat".

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Le Figaro : Quel regard portez-vous sur ces trois semaines de manifestations, de débats autour du projet de loi Debré ?

Lionel Jospin : Un regard contrasté. Du côté du gouvernement, nous avons eu un texte utile et dangereux, un véritable projet de diversion politique, une manipulation de l’opinion. L’immigration n’est pas, en effet, le problème fondamental auquel est confronté le pays. En réaction, s’est produit un mouvement fort et spontané contre l’article 1 de ce projet et son esprit de délation. Nous n’avons pas voulu nourrir l’opération de diversion du pouvoir, tout en soutenant ce mouvement authentique d’une partie de la société française et qui disait : ne faites pas de nous des délateurs !

Le Figaro : Vous avez été tellement attentif à cette contradiction que votre attitude n’a pas été comprise.

Lionel Jospin : Elle est pourtant claire. Nous combattons depuis le début le projet Debré. Et nous le faisons aujourd’hui encore. Nous avons accompagné, soutenu le mouvement de protestation. Et nous avons respecté son indépendance. Dès lors, nous méritions, nous aussi, le respect. Je revendique le droit à l’analyse, à l’exercice de la responsabilité qui m’a été donnée par un vote de millions de personnes, qui est aussi une légitimité. Il est essentiel de rappeler que, historiquement, la France a fait de grandes choses quand les élites intellectuelles et les milieux populaires se sont rencontrés et ont marché ensemble.

Le Figaro : Sans doute auriez-vous été moins « incompris » si le discours de votre pari sur l’immigration n’avait pas été perçu comme hésitant ?

Lionel Jospin : Notre discours n’est pas hésitant. Il tient en trois mots : citoyenneté, intégration, refus. Citoyenneté : nous sommes pour que les Français d’origine étrangère – et notamment ceux qui rencontrent le plus de difficultés, parce qu’ils sont arrivés plus récemment et se trouvent dans une situation sociale précaire – puissent accéder vraiment à la citoyenneté. Intégration : nous voulons que les étrangers en situation régulière en France aient la possibilité de vivre sans tracas chez nous. Refus : nous disons tout aussi clairement qu’il faut lutter contre l’immigration irrégulière. Mais il faut le faire de façon à la fois plus efficace et plus humaine.

Le Figaro : Quand Jacques Chirac réaffirme qu’il sera de tous les combats contre le racisme et plaide pour le retour à un « idéal d’intégration », vous ne pouvez que l’approuver ?

Lionel Jospin : Le président de la République arrive, comme toujours, après la bataille, il est resté silencieux ces trois dernières semaines, comme il était resté silencieux pendant tout le mouvement de novembre-décembre 1995. Face à l’événement, il ne pèse pas. Il laisse son gouvernement se débrouiller sans directives. Puis, il intervient pour livrer quelques généralités à finalité consensuelle. Honnêtement, vous imaginez le Président dire qu’il est pour le racisme ? Le problème des interventions du président de la République, c’est que ce sont des exercices de communication. Ils n’inspirent en rien la politique du gouvernement, puisque celle-ci exploite le thème de l’immigration et tourne le dos à l’intégration. L’étranger est désigné comme une cible pour les Français, ce qui fait écho aux thèmes de M. Le Pen.

Le Figaro : Ce mouvement marque-t-il un réveil de l’engagement de la citoyenneté ou accentue-t-il les fractures au sein d’une société que l’on dit de plus en plus souvent sans repères ?

Lionel Jospin : Ce mouvement, comme celui de novembre-décembre 1995, montre que la société française reste vivante et réactive. Avec le chômage, la montée de la précarité, le caractère si spectaculaire des injustices, c’est vrai que la société est très fracturée. Or le pouvoir actuel ne répond pas à ses exigences et ne lui offre pas de projets pour se rassembler autour d’objectifs positifs. C’est donc à nous, opposition, de le faire. Car je ne voudrais pas que l’on passe d’un discours critique du pouvoir à une méditation morose sur la société, alors qu’il s’agit de proposer des perspectives aux Français.

Le Figaro : Par deux fois, en décembre 1995 et ces dernières semaines, la contestation s’est organisée hors des circuits traditionnels. Une nouvelle manifestation du discrédit des partis politiques ?

Lionel Jospin : Ma conception de la démocratie ce n’est pas : quand les politiques parlent, les citoyens se taisent et quand les citoyens s’expriment, les politiques doivent s’excuser. Je suis pour une démocratie du dialogue entre les forces politiques, le pouvoir et la société. Je l’avais appelée de mes vœux pendant la campagne présidentielle. Je suis surpris que certains veuillent, au moment où un mouvement naît, le dresser à tout prix contre les politiques, et par un paradoxe de plus, contre les socialistes qui l’approuvent.

Le Figaro : Les comparaisons avec Vichy, jusque dans vos rangs, vous ont-elles choqué ?

Lionel Jospin : Elles n’ont pas lieu d’être.

Le Figaro : L’appel à la désobéissance civique est-il contestable ?

Lionel Jospin : Cet appel concernait « un » article d’un « projet » de loi. Le gouvernement, en retirant la disposition contestée, a lui-même souligné, a posteriori, ce caractère « injuste » de la loi. Par ailleurs, comment le ministre de l’Intérieur ose-t-il faire la leçon alors qu’au mépris même de la Constitution, il encourage à la désobéissance à la loi un haut fonctionnaire de police (Olivier Foll) dont la mission est d’aider la justice dans son travail, quand elle le lui demande. Dans tout autre pays démocratique d’Europe, ce haut fonctionnaire aurait été sanctionné par le pouvoir politique ou, si le pouvoir lui-même était responsable, le ministre aurait démissionné. M. Debré est désormais disqualifié pour donner des leçons de civisme.

Le Figaro : Vous semblez douter de la détermination de la majorité à combattre le racisme et l’extrême droite ?

Lionel Jospin : Je crois que la droite n’est pas en état de vraiment combattre l’extrême droite. Il y a une telle porosité des idées et des hommes entre elle et la droite extrême. M. Peyrat, le maire de Nice, qui vient d’adhérer au RPR, était au Front national. M. Mégret, aujourd’hui numéro 2 du Front national, est issu des rangs du RPR. MM. Gaudin et Blanc ont gouverné un temps avec le FN dans leur région. À Dreux, en 1983, le maire RPR a fait alliance avec le FN pour battre la candidate socialiste Françoise Gaspard. Aujourd’hui, par-delà les dénégations, un certain nombre de thèmes de l’extrême droite continuent d’être repris par une fraction de la majorité : quand, par exemple, elle établit un lien global entre l’immigration et le chômage ou entre l’immigration et l’insécurité. Et c’est cette droite qui nous assure qu’elle fera barrage contre l’extrême droite ?

Le Figaro : Pourquoi la gauche serait-elle plus efficace dans la lutte contre le FN ?

Lionel Jospin : D’abord, la question d’un lien entre la gauche et le FN ne se pose pas. Quand M. Le Pen s’interroge publiquement pour savoir pourquoi une alliance avec lui ne serait pas possible, c’est à Jacques Chirac qu’il en appelle et non à Lionel Jospin ! La lutte contre l’extrême droite implique l’ensemble de la société. Elle ne relève pas de la seule responsabilité des partis, mais de chacun. Elle ne saurait, en outre, se limiter à une lutte « contre ». Nous devons lutter « pour quelque chose », autrement dit proposer aux Français des perspectives, un projet, une façon de vivre ensemble, leur donner des réponses sur l’emploi, la précarité, la sécurité, leur redire ce qu’est l’identité nationale… Nous devons être capables de leur proposer un « contrat positif ».

Le Figaro : À Vitrolles, la gauche n’a pas donné une preuve éclatante de son efficacité dans la lutte contre le FN !

Lionel Jospin : Avec les voix de la gauche, c’est la victoire contre le FN à Dreux ; sans les voix de droite, c’est la défaite à Vitrolles. Qui a eu l’attitude la plus républicaine ?

Le Figaro : Faut-il poursuivre Catherine Mégret pour ses propos au « Berliner Zeitung » ? Éventuellement réactiver le projet de la loi Toubon ?

Lionel Jospin : Oui, il faut la poursuivre ; il n’est pas besoin de texte supplémentaire pour condamner ses propos racistes. J’ajoute que si elle voulait mettre en pratique son discours à Vitrolles, elle sortirait du cadre de la République et devrait subir les foudres de la loi.

Le Figaro : Faut-il aller plus loin et interdire le Front national comme le suggère à nouveau Henri Emmanuelli ?

Lionel Jospin : Je répondrais oui à cette question si le FN en appelait à la violence physique. Tant que l’on reste dans la sphère de l’idéologie, même empoisonné, une telle interdiction ne me paraît pas, légalement, possible.

Le Figaro : Aujourd’hui, le bureau national de votre parti parle sécurité. Dans nos colonnes, François Léotard, le président de l’UDF, développait l’idée d’une police de « proximité » sous l’autorité du maire et du procureur de la République. Une bonne idée ?

Lionel Jospin : Une police de proximité n’est pas forcément une police municipale. Je crois qu’il faut veiller davantage, au niveau de l’État, à la coordination de l’ensemble des forces de police, notamment la police nationale et la gendarmerie. Mais il faut aussi déconcentrer un certain nombre de modes de fonctionnement, de façon que la capacité à agir des responsables départementaux soit accrue. Il y a une inégalité devant l’insécurité, comme il y a une inégalité dans les revenus ou dans les conditions d’existence. Il faut y remédier en réduisant très fortement la petite criminalité, qui exaspère la population. C’est possible si une partie tout à fait importante des moyens qui sont utilisés aujourd’hui pour l’ordre public – entendu au sens officiel – et la protection de l’État est mise dans les quartiers et au contact direct de la population.

La sécurité, la sûreté, c’est la première des libertés. Nous serons donc très présents sur ce thème mais naturellement autour d’une vision républicaine de la police.

Le Figaro : Dans le projet « positif » que vous proposerez aux Français, la priorité reste la lutte pour l’emploi des jeunes. Le gouvernement commence à connaître de premiers résultats.

Lionel Jospin : Où ? La politique du gouvernement n’engendre aucun progrès dans le champ économique et social. La tendance à la montée du chômage se poursuit, en particulier le chômage de longue durée. Voyez les nouvelles annonces de licenciements faites par Renault ! La Sécurité sociale ne se redresse pas, au contraire. Les inégalités de revenus se creusent.  Les quelques signes d’optimisme viennent de la conjoncture internationale et non pas de l’action du gouvernement. Au cours de ces derniers mois, les grandes idées nouvelles, susceptibles de donner quelque oxygène au débat et d’apporter de l’espoir sur le terrain économique et social, ont toutes été avancées par le Parti socialiste : plan emploi d’envergure pour les jeunes, diminution de la durée du travail, abaissement des charges pénalisant le travail, transférées sur d’autres modes de financement. Le gouvernement court derrière, en fabriquant en hâte, même pas des programmes mais des discours qu’il est d’ailleurs obligé, là aussi, de modifier devant la réalité. Regardez les « stages diplômants » qui sont passés à la trappe pas plutôt qu’inventés !

Le Figaro : Le président de la République ne trouve pas davantage grâce à vos yeux quand il ouvre une grande réflexion sur la justice et s’interroge sur le bien-fondé du lien entre chancellerie et parquet ?

Lionel Jospin : Je ne veux faire aucun procès d’intention. Ce que je recherche en vain, c’est un domaine où les généralités présidentielles débouchent sur des actes clairs du gouvernement. En l’espèce au moment où le président s’interroge sur la rupture du lien avec le parquet et créé une commission, la chancellerie exerce une permanente pression sur les juges pour que soit étouffé systématiquement, et quand on ne le peut pas, sans cesse ralenti, le traitement judiciaire des affaires concernant le RPR, l’UDF et la Mairie de Paris.

Jamais l’institution judiciaire n’a été sous le poids d’une telle pression du pouvoir politique. Elle s’exerce à la fois en haut et en bas. En haut, quand vous voyez la façon dont le pouvoir – le garde des Sceaux et le président de la République – traite le Conseil supérieur de la magistrature. C’est sans précédent et cela me préoccupe beaucoup.

En bas, par les interventions pour tenter d’étouffer les affaires.

Le Figaro : Et pendant ce temps s’ouvre le procès d’Urba, l’ancien bureau d’études du PS…

Lionel Jospin : Mon souhait est que la justice soit juste. Compte tenu de ce que l’on sait du système de financement du RPR et de l’UDF, par le biais du dévoilement des affaires par la presse, compte tenu de ce que l’on sait des réseaux de financement de la majorité dans l’Essonne, dans les Hauts-de-Seine, à Paris, un tel procès exclusif ne peut pas être ressenti comme juste.

Les socialistes sont solidaires d’Henri Emmanuelli et d’André Laignel. Ils sont mis en cause, à mon sens inexactement, mais en tous cas ès qualités, en tant que trésoriers du PS à une époque où les lois sur le financement n’étaient pas votées. Pourquoi, après toutes ces années, seul le financement du PS serait-il mis en cause ?

Le Figaro : Le PC, et particulièrement Robert Hue, juge votre projet bien timoré, voire conservateur.

Lionel Jospin : Entre les différentes forces de gauche et les écologistes, nous avons réussi à créer un nouveau climat, assez harmonieux et fraternel. Nous débattons et, tout en marquant nos différences, nous recherchons des convergences. Robert Hue commettrait une erreur en rompant avec cette démarche, la seule qui permette le rassemblement et la victoire. Encore faut-il, naturellement, que la direction du PC souhaite cette victoire. J’ai donc envie de dire, tranquillement à Robert Hue, au moment où il s’aventure sur le terrain risqué de la polémique y compris personnelle, qu’il devrait se souvenir que la querelle avec le PS n’a pas réussi à son prédécesseur, pas d’avantage qu’au Parti communiste.

En réalité, la direction du PC ne peut pas à la fois dire qu’elle veut gouverner, critiquer le partenaire principal et refuser tout mouvement sur des points essentiels qui assurerait la cohérence d’un futur gouvernement. Qu’il s’agisse de l’euro ou d’un certain nombre de mesures de politique intérieure…

Nous, nous voulons rassembler. Sur une ligne de vrais progrès réalisables. Avec des propositions de gauche que nous puissions mettre en œuvre sans décevoir les Français.

Nous voulons gagner les élections de 1998 et gouverner, dans la diversité et l’unité. C’est à la direction du PC de savoir prendre ses responsabilités.

Le Figaro : Pour que la gauche soit majoritaire en 1998, dit Robert Hue, il faudrait « une construction politique alternative ». Laquelle envisagez-vous ?

Lionel Jospin : J’ai proposé un contrat d’orientation au PC mais aussi aux Verts, aux radicaux et au MDC. Cette proposition me paraît adaptée, elle ne se situe ni dans le maximalisme d’un programme commun, dont le PC d’ailleurs ne veut pas, ni dans le minimalisme de purs accords électoraux.

Qu’il puisse y avoir au Parti communiste des nostalgiques d’une époque ancienne, c’est possible. Mais le PC ne peut plus agir comme si l’Urss continuait à exister. Pourquoi ne pas regarder ce qu’est devenu le Parti communiste italien ?

Le Figaro : Vous mettrez-vous d’accord sur des candidatures uniques de gauche dans les circonscriptions où le FN pourrait l’emporter aux législatives ?

Lionel Jospin : Effectivement, nous sommes favorables à des candidatures uniques de la gauche dans un certain nombre de circonscriptions. Leur nombre (une dizaine peut-être) et leur localisation sont en cours de discussion. Dans ces circonscriptions, une candidature unique de partis différents est concevable parce que la défense des valeurs de la République est le premier combat. Mais ces cas ne sauraient être multipliés. Car chaque parti a sa physionomie et son programme.

Le Figaro : Le vote du projet de loi Debré à l’Assemblée semble avoir ressoudé la majorité, qui croit plus qu’hier qu’elle gagnera les législatives de 1998. Comment la jugez-vous ?

Lionel Jospin : Entre MM. Balladur, Léotard ou Pasqua, qui, lui, oscille entre la République et l’inspiration chouanne, la soudure ne me semble pas évidente. Pas plus qu’entre M. Mazeaud et Mme Sauvaigo ! Je vois cette majorité comme traversée de contradictions et, du coup, très tacticienne. Je ne la crois pas en grande forme.

Le Figaro : Vous croyez qu’un succès de la gauche est raisonnablement envisageable ?

Lionel Jospin : Gagner les législatives, c’est possible. Ce ne sera pas facile. Jamais encore, sous la Ve République, la gauche n’a remporté une élection législative qui ne se situait pas dans la foulée d’une élection présidentielle. Ni en 1967, ni en 1973, ni en 1978. C’est donc un grand défi qui est devant nous. Je suis convaincu que nous pouvons persuader les Français qu’il faut changer de cap en 1998.

Le Figaro : Si vous gagnez, vous cohabiterez. « Une cohabitation de combat » ?

Lionel Jospin : Ce ne sera pas une cohabitation de combat, mais une cohabitation de contrat. Si nous gagnons en 1998, nous appliquerons le contrat que nous aurons passé dans la campagne législative avec le peuple. Nous le ferons avec détermination, dans le respect des prérogatives institutionnelles ou constitutionnelles de chacun, notamment du président de la République. Le peuple nous aura donné la légitimité pour le faire.

Le Figaro : Une cohabitation de quatre ans. Est-ce une chance ?

Lionel Jospin : Oui, ça laisse le temps d’agir.

Le Figaro : Mais encore ? Cette perspective influe-t-elle sur votre programme ?

Lionel Jospin : Quatre ans, c’est quasiment la durée d’une législature. Pour l’essentiel des questions économiques, sociales, de sécurité, d’éducation, de culture, de recherche scientifique, un gouvernement, appuyé sur une majorité, peut agir sans être gêné ou contrecarré par le président de la République. Vous me direz : sur un certain nombre de sujets de politique internationale, les compétences sont forcément partagées. Mais compte tenu de l’évolution de fond de certains dossiers importants, je ne suis pas sûr que cela nous gênera. Je prends deux exemples : la réintégration dans l’Otan, d’abord. Je ne suis pas favorable à la position adoptée par Jacques Chirac. Je pense qu’il n’est pas juste, alors que la guerre froide est finie, que l’Urss est disloquée, de réintégrer l’Otan dont le général De Gaulle nous avait sortis. Il vaudrait mieux travailler sur le volet de la défense européenne plutôt que d’aller se remettre sous la coupe des Américains, au moment où ils ont de nouveau des tensions hégémoniques. La position du chef de l’État nous paraît être à contre-courant de l’histoire mais il est fort possible qu’au moment où, par hypothèse, nous arriverons au gouvernement, le président de la République ne puisse que constater l’échec de sa politique. Si c’est le cas, il n’y aura pas de problème majeur.

Le Figaro : Sinon, vous devrez vous incliner ?

Lionel Jospin : Prenons un autre exemple : l’Europe. Je suis hostile aussi bien à l’opposition a priori à la monnaie unique qu’à son acceptation sans conditions. Dans le premier cas, la France, qui a toujours été motrice dans l’Europe, casse une dynamique. Dans l’autre cas, elle accepte que la monnaie unique se fasse aux conditions des libéraux, qui n’assureront pas la réussite de cette nouvelle étape de l’Europe. Dans un cas comme dans l’autre, si nous sommes au gouvernement, je suis persuadé que les Français se retrouveront davantage sur nos positions que sur celles de Jacques Chirac. Regardez aujourd’hui le mouvement qui s’amorce dans plusieurs pays à propos de Renault. Il manifeste le refus d’une Europe de la stagnation économique et des licenciements. Le désir d’une autre Europe est en train de s’affirmer. Il va s’amplifier. Il rejoint ce pourquoi j’agis.