Article de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Le Monde" du 21 janvier 1997, sur la flexibilité, la précarité et la représentation syndicale, intitulé "Trop de faux débats sur la flexibilité".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Rigidité, assouplissement, flexibilité : il ne se passe pas une semaine sans que la presse ne se fasse le relais des propos et formules à l’emporte-pièce des uns et des autres sur le sujet. C’est devenu la tarte à la crème, mais, à aucun moment, ne sont éclairés les problèmes qui se posent, en admettant qu’ils existent, les enjeux et les véritables objectifs poursuivis.

Au nom de la lutte contre le chômage, sont ainsi tour à tour accusés : un code du travail écrasant les PME, un contrôle illégitime par les juges, une législation trop restrictive pénalisant l’emploi… Dans un discours général présentant la rigidité des règles existantes comme la source de tous nos maux, les annonces se succèdent, sans aucune analyse, sur tel ou tel dispositif qu’il conviendrait de revoir ou de réformer. La CFDT ne peut rester silencieuse dans ce débat tronqué qui oscille entre la méconnaissance pure et simple des réalités et le postulat purement idéologique.

Les affirmations péremptoires assenées comme des vérités ne permettent aujourd’hui aucune discussion sérieuse. Les entreprises ne pourraient embaucher faute de pouvoir licencier, en raison des contraintes qui pèsent sur elles… Le débat n’est pas nouveau. La suppression de l’autorisation administrative en 1986 devait créer des milliers d’emplois. On connaît les résultats. Les entreprises disposent dans ce domaine d’une large liberté dès lors qu’elles justifient d’un motif de licenciement, ce qui est la moindre des choses.

Sait-on que l’obligation d’un plan social, tant critiquée, ne concerne que les entreprises de plus de 50 salariés, et qu’en deçà, la seule contrainte réside dans la proposition d’une convention de conversion, d’un coût minime pour l’entreprise ? Faut-il encore rappeler que les indemnités légales de licenciement, d’un coût prétendument exorbitant, sont d’un dixième de mois de salaire par année d’ancienneté ? Quant au contrôle des tribunaux sur les plans sociaux, jugé insupportable, il n’est que la conséquence de la suppression du contrôle de l’administration.

Autre affirmation : les entreprises hésitent à créer des emplois en raison des règles restrictives à l’embauche, tout particulièrement sur les contrats à durée déterminée (COD). S’agit-il là d’une totale méconnaissance des textes ou d’une mauvaise foi délibérée ? Les dispositions actuelles résultent d’un accord avec le CNPF en 1990. Il existe plus d’une dizaine de cas d’utilisation des CDD, couvrant la totalité du spectre des besoins possibles et imaginables pour les entreprises. Faut-il dire encore que leur renouvellement est possible ? Les souplesses existent, et les entreprises y ont largement recours puisque la majorité des embauches se fait aujourd’hui en CDD et que 40 % des demandeurs d’emploi le sont à l’issue d’un tel contrat.

Ce seraient alors les seuils d’effectif, déclenchant, entre autres, l’obligation d’une représentation collective, qui freineraient l’embauche en raison des coûts engendrés pour l’entreprise par cette représentation. Curieuse conception des relations sociales qui consiste à ne voir dans les délégués qu’un coût, au demeurant modeste ! Elle traduit en fait un vieux fond d’anti-syndicalisme récurrent. L’augmentation constante des licenciements de délégués pour motifs personnels depuis 1983 en témoigne d’ailleurs. En outre, plus de la moitié des entreprises de moins de 100 salariés sont dans les faits, et malgré les textes, dépourvues de représentation.

Le discours patronal est d’autant plus surprenant qu’en ce domaine, l’instauration de la délégation unique par la loi quinquennale Giraud leur a déjà largement donné satisfaction. La démonstration est aujourd’hui faite : une minorité d’entreprises s’en est saisie (4 %), les effets sur l’emploi sont nuls, l’implantation de nouvelles représentations est pratiquement inexistante (1 %). Rappelons aussi que les partenaires sociaux ont conclu, le 31 octobre 1995, un accord qui permet d’adapter et de simplifier la négociation et la représentation dans les PME.

Aujourd’hui, la CFPT attend toujours les candidats patronaux pour négocier au niveau des branches l’expérimentation de ces nouvelles formules.

La justification de l’emploi apparaît comme le cache-sexe de demandes en réalité d’une tout autre nature, visant à toujours plus de liberté pour certaines entreprises incapables de penser leur gestion autrement qu’en termes de précarité accrue pour les salariés. Que dire des propositions d’allongement des CDD au-delà de 18 ou 24 mois, alors que leur durée moyenne dans les faits ne dépasse pas quatre mois ? Que dire de la généralisation d’un nouveau type de contrat lié à un chantier, une tâche, une mission dont le seul but est d’échapper, aussi bien aux garanties des contrats à durée déterminée, qu’aux règles du licenciement ? Comment croire un seul instant que l’affaiblissement du contenu des plans sociaux et de leur contrôle ou encore le lissage des seuils d’effectifs pour limiter la représentation collective vont créer un seul emploi ?

Soyons sérieux : il n’y a pas de remède à des maux imaginaires. Ce n’est pas de la sorte qu’on résoudra les problèmes du chômage, pas plus qu’on ne développera des relations sociales constructives dans ce pays. D’autres possibilités existent pour faire face aux besoins d’adaptation des entreprises. De nombreux accords en font la démonstration en alliant annualisation, réduction du temps de travail et création d’emplois, tournant ainsi le dos au développement sans cesse croissant des heures supplémentaires et du temps partiel imposé et précaire.

Et s’il s’agit dans un certain nombre de domaines, sans remettre en cause les garanties de fond, de revoir tel ou tel dispositif en raison de sa complexité ou de son inadaptation dans la perspective d’une meilleure efficacité pour les entreprises et les salariés, la CFDT n’a jamais refusé le débat d’adaptation. Il peut être nécessaire, y compris pour préserver et développer les garanties fondamentales des salariés, répondre à leurs nouvelles aspirations et développer l’emploi. Nous l’avons dit, nous l’avons fait pour la Sécurité sociale, parce qu’il s’agissait de la rénover et non de la remettre en cause.

Encore faut-il préalablement qu’une analyse et un diagnostic sérieux soient faits avec précision et objectivité par une ou des personnalités compétentes, incontestées et non partisanes. La CFDT réaffirme cette exigence incontournable pour en finir avec ce serpent de mer des faux débats sur la flexibilité. Regardons d’abord le diagnostic, nous jugerons ensuite de sa pertinence et de ce qu’il y a lieu de faire ou non.