Texte intégral
France 2 : vendredi 7 mars 1997
G. Leclerc : Vous êtes en direct de Lausanne. Vous faisiez partie, hier, avec M.J. Pérec, P. Mauroy, J.C. Killy et d’autres, de la délégation française qui a défendu la candidature de Lille devant le comité de sélection. Alors, question simple : comment cela s’est-il passé et est-ce que vous êtes sortis plus confiants que quand vous êtes entrés dans la salle ?
G. Drut : Sereins. Nous étions sereins. Moi j’ai retrouvé, hier, la France que j’aime. La France que j’aime, celle qui a envie de gagner, qui a envie de convaincre, riche de sa diversité. Vous avez énoncé quelques noms et je dois dire que c’était sympathique de se retrouver à côté de P. Mauroy, de M.J. Pérec de J.C. Killy, de M. Herzog, de M. C. Blandin pour parler d’une France généreuse et enthousiaste qui a envie de faire participer tout un peuple à la fête olympique, qui est la fête de l’homme. Et au moment où l’on s’arrête – et c’est bien – sur certaines valeurs, les valeurs de l’Olympisme – la générosité, l’humanisme, le rapprochement des peuples -, cela réconforte par rapport à ce que, trop souvent, on peut entendre sur l’inégalité des races par exemple.
G. Leclerc : Justement, vous l’avez dit, vous étiez avec P. Mauroy et chacun sait qu’il est socialiste. La cohabitation est parfaite ? La France a parlé d’une seule voix, entre le Gouvernement et l’agglomération lilloise ?
G. Drut : Complètement. Dieu merci, nous sommes les uns et les autres de vrais démocrates. Nous aimons la même France et nous avons envie que cette France donne, surtout à l’extérieur, une image d’unité, de sérénité, de conquête et qu’elle donne aussi une image auprès de la jeunesse du monde entier d’être un pays – à travers cette région du Nord-Pas-de-Calais qui a souffert, qui continue de souffrir – qui a simplement la volonté d’aller plus loin, la volonté de convaincre qu’il y a encore, à l’aube du XXIème siècle, un espoir et qu’il faut bien entendu la maintenir.
G. Leclerc : Quels sont les points forts de la candidature de Lille ? Est-ce qu’il y a notamment, parmi ces points forts, ce fameux idéal olympique dont vous parliez il y a un instant ?
G. Drut : Tout à fait. Ce que l’on retenu surtout et ce qui a étonné un petit peu toutes celles et ceux qui nous entendaient, c’est toute cette ferveur humaine, populaire même qu’il y a autour de la candidature. Il y avait un petit sujet vidéo à travers lequel on sentait très bien toute cette jeunesse qui était derrière sa candidature, qui était derrière Lille, qui était derrière l’Olympisme et qui avait envie de participer. Ce qu’il y a eu aussi de remarquable, c’est que, sans qu’il soit dans la salle, le message du Président de la République qui avait été enregistré quelques jours auparavant, était tout à fait complémentaire. Et donc, on avait vraiment l’impression – cela ce n’est pas nous, ce sont les membres du comité olympique qui nous l’ont dit par la suite – que tout naturellement, le Président de la République concluait à sa façon ce qui avait été dit auparavant aussi bien par P. Mauroy que par G. Drut.
G. Leclerc : A l’inverse, il y a des points faibles dans la candidature lilloise. On parle de la météo, on parle d’éloignement de certains sites, on parle des capacités hôtelières. Tout cela n’est pas rédhibitoire, selon, vous ?
G. Drut : Bien entendu, toutes les candidatures sont persuadées d’être les meilleures – c’est de bonne guerre – mais toutes les candidatures ont aussi des forces et des faiblesses. Je crois que P. Mauroy, qui s’exprimait plus sur le dossier en lui-même, a su – comment dirais-je – faire oublier un petit peu ces faiblesses ou leur dire, que de toute façon, il était tout à fait possible de les transformer en forces de dossier. La météo : dans le Nord-Pas-de-Calais, il ne fait pas plus mauvais qu’ailleurs. Le fait que les sites soient disséminés, c’est justement parce que c’est toute une région qui veut participer. Quand on peut aller dans la lune construire le TGV et Ariane, on peut quand même faire des hôtels tout à fait confortables, même en deux ou trois ans. Ce qui a frappé le comité olympique, c’est cette volonté de refaire les Jeux à l’échelle humaine. Cela, c’est important. Ce qu’il y a d’important aussi c’est que – et on a pu le remarquer à travers les Jeux Olympiques d’Albertville, à travers ce qui se passera pour la Coupe du monde de Football – en 2004, on ne sait avec certitude aujourd’hui qui sera Président de la République – on a nos espoirs les uns et les autres, qui ne sont pas toujours les mêmes mais on a nos espoirs – mais ce dont on est sûr, c’est que les Jeux Olympiques se passeront dans un climat de stabilité politico-économique, que d’autres ne peuvent peut-être pas assurer de la même façon.
G. Leclerc : Il a quand même de très grands favoris comme Rome, Athènes, Buenos-Aires, voire Stockholm. Vous pensez que Lille a vraiment encore une chance ?
G. Drut : Il y a une petite lucarne. Je ne vais pas vous dire que c’est fait, ce serait mentir et je n’aime pas mentir, vous le savez. Il y a une toute petite lucarne. J’ai dit dès le départ que ce serait très difficile. Je confirme aujourd’hui ce que j’avais dit, ce que j’ai toujours dit parce que j’ai le langage de la vérité : cela a toujours été très difficile, cela le reste. Il y a une toute petite lucarne d’entrée, nous la jouerons au maximum.
G. Leclerc : Ce soir, il y a deux hypothèses : Lille est retenue ou Lille est recalée. Dans chacune des hypothèses, qu’est-ce que vous ferez ?
G. Drut : Moi, de toute façon, quoiqu’il arrive, je serai avec P. Mauroy, avec M.C. Blandin, avec toutes celles et ceux qui ont travaillé pendant des mois et des mois pour la candidature de Lille, je serai avec eux sur la grande place à Lille pour participer à ce qui sera de toute façon une fête.
G. Leclerc : Si c’est l’échec, est-ce qu’on pense déjà à 2008, est-ce que Paris pourrait être candidate ?
G. Drut : Une haie après l’autre. Vous connaissez le principe du Président de la République : une haie après l’autre.
G. Leclerc : Donc, pour l’instant, on reste sur Lille avec encore un petit espoir.
G. Drut : Tout à fait.
Le Monde : 27 mars 1997
Le Monde : Certains comme Michel Platini, reprochent aux pouvoirs publics de ne pas suffisamment s’engager pour la réussite de la Coupe du monde de football en 1998…
G. Drut : On oublie souvent que, s’il n’y avait pas eu l’État, il n’y aurait pas de Coupe du monde de football en France. D’abord dans l’initiation du projet : c’est bien le président de la République et le gouvernement qui ont accepté de poser la candidature de la France. Ensuite, il y a toujours eu une continuité dans le suivi de l’organisation. Enfin, la participation financière de l’État est importante, que ce soit pour la modernisation des stades de province, la prise en charge de 47% du coût de la construction du Stade de France, la réhabilitation du site et la construction des infrastructures de transports à Saint-Denis.
Le Monde : Quelle image de la France voulez-vous donner à cette occasion ?
G. Drut : Celle d’une France qui a confiance en elle. Je suis frappé par l’image que les étrangers ont de leur propre pays et de ses capacités. Il y aura en tout trente milliards de téléspectateurs à avoir les yeux tournés vers notre pays entre le 10 juin et le 12 juillet 1998. Et ce sera en direct, il n’y aura pas de possibilité de refaire le spectacle s’il y a le moindre problème.
Le Monde : Peu de choses sont faites pour informer nos compatriotes et les visiteurs étrangers que la France va organiser l’an prochain un évènement d’importance mondiale. Qu’avez-vous l’intention de faire dans ce sens ?
G. Drut : C’est vrai qu’il manque encore un véritable élan populaire dans l’attente de cette Coupe du monde. La vente des billets est pourtant un succès, mais il n’y a pas cette fierté d’accueillir des étrangers, et de leur montrer notre pays, que l’on serait en droit d’attendre.
On s’est peut-être tous laissé enfermé dans une sorte de négativisme. Sur le plan sportif d’abord, en maltraitant une équipe de France qui a pourtant été jusqu’à la demi-finale du Championnat d’Europe. Ensuite, on a dénigré le Stade de France, sans doute à cause des atermoiements qui ont précédé sa construction. Et maintenant, on s’interroge sur les risques financiers de l’organisation de la Coupe du monde.
Pourtant, on sait aujourd’hui qu’on aura une équipe de bon niveau, des stades magnifiquement aménagés, une organisation de qualité, un budget équilibré. Tout est réuni pour susciter l’enthousiasme. Même s’il n’est pas le seul, le rôle de l’État est effectivement de donner une impulsion, car on ne voit pas encore de dynamique d’accompagnement, surtout dans les milieux économiques. Il faut arriver à convaincre, sans contraindre. Le Président de la république en est pleinement conscient : cela va bouger. Par ailleurs, il serait effectivement souhaitable que les voyageurs étrangers accueillis dans les gares et les aéroports par un message de bienvenue indiquant qu’ils arrivent dans le pays organisateur de la Coupe du Monde.
Le Monde : Que prévoyez-vous pour que l’évènement ne soit pas cantonné à l’intérieur des stades ?
G. Drut : Il y aura une grande fête dans la capitale la veille du match d’ouverture. Il y a un accord entre le comité d’organisation, la Ville de Paris et l’État pour donner un lustre particulier à cette manifestation. Rien n’empêchera par ailleurs les villes organisatrices d’organiser leurs propres animations. Les chambres de commerce et d’industrie coordonnent de leur côté toutes les initiatives locales. L’État doit juste veiller à ce que ce foisonnement n’entraîne pas une perte de lisibilité pour l’ensemble de la Coupe du monde.
Le Monde : N’auriez-vous pas souhaité personnellement pouvoir enlever les grillages de protection autour des terrains ? La France n’apparaît-elle pas ainsi comme un peu frileuse, sinon paranoïaque ?
G. Drut : Bien sûr, je regrette que l’on soit obligé d’assister aux matches derrière des grillages comme dans la plupart des autres pays. Mais je suis complètement solidaire du ministre de l’Intérieur, Jean-Louis Debré, parce que c’était trop tôt. Il n’y a qu’en Angleterre qu’on a pu le faire, mais cela a été un long travail de préparation. Et on a là-bas la tradition du respect du champ du jeu que nous n’avons pas encore. D’autant que nos stades ont été conçus avec des grillages et qu’il serait difficile de les modifier aussi rapidement.
Le Monde : Des financements publics importants ont été engagés dans la rénovation des stades existants et dans la construction du Stade de France. Que faites-vous pour éviter des dépassements de budget ?
G. Drut : Les dépassements éventuels du coût de construction du Stade de France seront à la charge du concessionnaire. Les travaux de dépollution du site du Cornillon restent à la hauteur de ce que l’on pouvait attendre, et il aurait fallu de toute façon assainir cette zone. Les travaux de mise à niveau des stades de province font l’objet de conventions pour des montants non révisables. Le CFO ne bénéficiera d’aucune subvention. Une mission de l’inspection générale des finances envisage même la répartition d’un éventuel bénéfice. Et puis, n’oublions pas que le budget de 8,5 milliards de francs, dont cinq de fonds publics, engagés pour la Coupe du monde, n’est pas disproportionné. Ce budget de fonctionnement annuel de la Bibliothèque de France est presque équivalent à la participation de l’État dans le Stade de France.