Texte intégral
Monsieur le Député,
Monsieur le Sénateur,
Messieurs les Présidents,
Messieurs les membres de délégation,
Il y a 10 ans, l’État, le RPCR et le FLNKS signaient à Paris les accords Matignon/Oudinot.
Arrivé au terme du processus qui a été défini ensemble, il est nécessaire de dresser le bilan de ce qui a été accompli. Chaque année, un comité de suivi a permis d’évaluer la mise en œuvre des actions prévues. Aujourd’hui, il s’agit avec franchise de mesurer le chemin parcouru en une décennie, d’apprécier les points positifs comme de prendre en compte les faiblesses, les difficultés, les obstacles que nous avons rencontrés.
Le mot « bilan » doit être relativisé. Nous ne sommes pas réunis en assemblée générale d’une association ou d’une société anonyme, où des administrateurs demanderaient quitus de leur mandat de gestion. Notre rencontre est politique au sens noble du terme. Elle traduit la volonté partagée d’organiser sur des bases nouvelles la vie en commun sur le Territoire. En ce sens, nous sommes collectivement responsables des succès et des échecs, même si chacun conserve, ce qui est bien naturel, sa liberté de jugement et d’action. Il y a dix ans, nous avons refusé la violence et souhaité offrir à chacun en Nouvelle-Calédonie des perspectives à moyen terme, fondées sur les valeurs de la justice, de la démocratie et des droits de l’homme.
Que s’est-il passé d’essentiel pendant ces dix ans ?
1. Tout d’abord, et ceci donne son sens et rend possible tout le reste, les populations de la Nouvelle-Calédonie se sont appropriées la dynamique des accords de Matignon.
Malgré l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou et Yeweine Yeweine le processus engagé s’est développé comme prévu : la paix civile a été restaurée, les institutions nouvelles se sont mises en place, les partis et les candidats se reconnaissant dans ces accords de Matignon ont recueilli une large adhésion de la population lors des consultations électorales. Les accords ont été incontestablement et durablement ratifiés, en Nouvelle-Calédonie.
Ils l’ont également été dans la France tout entière. Je pense bien sûr aux résultats sans appel du référendum de 1998, mais pas seulement. Sans doute la Nouvelle-Calédonie est sortie du drame et a quitté la première page des journaux - qui s’en plaindrait ? Mais que ce soit au gouvernement – ceux qui se sont succédé depuis dix ans – au Parlement ou dans les principaux partis politiques, la Nouvelle-Calédonie et ses représentants ont toujours fait l’objet d’une écoute attentive et d’un intérêt constant. Vous le savez bien, vous qui à chaque séjour parisien prenez d’utiles contacts dans le monde politique.
Ainsi, sur le Territoire comme en métropole, une dynamique s’est instaurée. Elle a inspiré cette période.
Les accords de Matignon n’étaient ni un compromis ni un armistice. Ils traduisaient une vision politique fondée sur un échange de paroles entre l’État et les principales forces du Territoire.
Permettez-moi d’insister sur une évidence à laquelle on ne songe plus assez : les paroles échangées ont été tenues.
2. L’État, le RPCR et le FLNKS peuvent sans doute s’accorder – nous le vérifierons ensemble – sur quelques avancées significatives, la provincialisation, le rééquilibrage en matière d’investissements publics, la question minière, l’insertion de la Nouvelle-Calédonie dans son environnement régional.
La provincialisation a permis, par la nouvelle architecture institutionnelle d’installer à Nouméa, à Wé et Koné des collectivités aux larges compétences, proches des préoccupations des habitants, ayant les administrations et les budgets nécessaires à leur crédibilité. Les provinces ont pris une place que personne ne conteste. Par ailleurs, les communes se sont affirmées et ont permis de rapprocher la décision politique du citoyen.
Le rééquilibrage en matière d’investissements publics était organisé par les mécanismes financiers volontaristes de la loi référendaire et les contrats de développement. La Nouvelle-Calédonie a échappé aux rigueurs budgétaires que connaissait le budget de l’État. Lycées, hôpitaux, routes, aérodromes, ports,… Je ne ferai pas la liste de tout ce qui a été construit, en particulier dans le Nord et les Îles, vous le connaissez. De très nombreux chantiers ont été ouverts et menés à bien. Pour celui qui aujourd’hui circule sur le Territoire, ces édifices publics et ces logements neufs sont la marque la plus évidente du changement.
Pour qui habite l’intérieur ou les îles, c’est l’hôpital ou le lycée à une heure de route au lieu de 4 ou 5 heures, c’est le téléphone ou l’électricité dans la tribu…, même si l’objectif d’un raccordement de toute la population n’est pas encore atteint.
Cette évolution-là me semble également incontestable.
Un autre changement majeur est l’évolution de la question minière. Il y a neuf ans Jacques LAFLEUR décidait de vendre la SMSP à la SOFINOR. À travers sa société de développement, la province Nord devenait ainsi un acteur majeur de l’économie du nickel. Prolongeant cette logique, la SMSP quelques années plus tard souhaitait étudier, avec le groupe canadien Falconbridge un projet d’usine dans le Nord. La faisabilité du projet étant conditionnée par l’accès à la ressource, l’État, la SMSP et le groupe Eramet signaient le 1er février un accord qui permet la réalisation de ce grand projet.
Enfin, chacun se réjouit de voir la Nouvelle Calédonie reprendre sa place, toute sa place, parmi les îles du Pacifique et au sein de la communauté du Pacifique. L’Australie, la Nouvelle-Zélande, Fidji, le Vanuatu, la Papouasie, la Nouvelle Guinée, les îles Salomon, … chacun de ces pays s’inquiétait de la situation existante sur le Territoire. Ce temps-là est révolu. J’ai pu le constater lors de la réunion annuelle de la Commission du Pacifique Sud à Canberra en octobre dernier. Celle-ci, devenu Communauté du Pacifique vient de fêter ses cinquante ans : son installation à Nouméa est pérennisée. C’est un facteur de rayonnement. Alors que dans un environnement mondial bien différent les autres grandes puissances se détournent du Pacifique, la France, la Nouvelle-Calédonie ont désormais normalisé leurs relations avec leurs voisins du Pacifique : la confiance est revenue.
3. J’ai choisi ces quatre exemples, j’aurai pu en prendre d’autres, et vous le confirmerez probablement.
Mais il est nécessaire aussi d’évoquer les points de divergences qui se sont déjà exprimées au fil de ces dix ans, ou des objectifs qui restent à atteindre.
Divergences, sur le rééquilibrage en termes humains. La répartition de la richesse et du savoir n’a pu être modifiée en profondeur. Certains programme, tels les « 400 cadres » ou les intégrations de contractuels dans la fonction publique territoriale par la procédure de l’article 83 y ont concouru. Mais, dix années ne peuvent suffire à assurer un meilleur partage. De même, le déséquilibre entre le grand Nouméa et le reste du Territoire n’a pas diminué, malgré la provincialisation.
Divergences, sur l’exécution de tel ou tel convention ou contrat. Les partenaires Calédoniens se retrouvent peut-être en harmonie sur ce point, même s’ils admettent que l’État a respecté ses engagements dans ses grands domaines de compétences.
Divergences déjà exprimées par le FLNKS sur la question du peuplement de la Nouvelle-Calédonie avec les mouvements de population enregistrés au cours de ces dix ans.
Objectif inachevé, de voir l’économie du Territoire se diversifier lentement au-delà de ces deux pôles que sont la mine et le secteur public, même si le tourisme ou l’aquaculture ouvrent des perspectives prometteuses.
Travaux encore en cours, afin de réaliser l’unification de la couverture sociale sur le Territoire par le rapprochement des divers régimes existants, à raison de l’extrême difficulté du sujet et du déséquilibre de la CAFAT. L’État vous indiquera prochainement sa position sur l’affiliation de ses agents à la caisse calédonienne.
Efforts toujours recommencés, pour apporter une réponse au désarroi d’une partie de la jeunesse, malgré une approche commune des trois partenaires sur cette question délicate en Nouvelle-Calédonie comme en métropole.
4. Vous le voyez, je ne cherche pas à présenter au nom de l’État une réalité idyllique. En 10 ans, même avec une forte impulsion politique, une société ne change que progressivement.
Ce rappel ne doit pas nous décourager, nous inciter à la polémique ou à une stratégie de rupture. Il est ouvert à la discussion, et doit s’enrichir de vos appréciations.
Il doit surtout aider à la réflexion sur le futur. Comment pérenniser ce qui a bien marché ? Comment redresser ce qui est dévié ? Comment reprendre, après analyse des blocages, ce qui n’a pas abouti ?
Pour aborder cette étape décisive la parole des trois partenaires plus que jamais, doit être libre et responsable.
Un document vous a été remis hier, représentant la vision que l’État propose du bilan, et qui n’engage que lui.
J’attends de cette rencontre qu’elle ouvre des perspectives et qu’elle soit l’occasion d’un échange de bonne foi.
L’État, RPCR et le FLNKS ont une responsabilité éminente envers la Nouvelle-Calédonie. Vous savez l’espoir que font naître sur le Territoire nos rencontres de cette semaine.
Hier était le temps officiel des retrouvailles.
Demain sera le moment d’imaginer l’avenir.
Aujourd’hui doit être l’occasion de se dire ce que nous ont appris sur nous-mêmes et sur les autres les dix années écoulées.
Je vous remercie de votre attention.