Texte intégral
La lettre bimensuelle d’information et de débats - N° 1 - 28 février 1997
Horizons politiques
Q - La lettre Horizons Politiques se fixe comme objectif de permettre à la société civile (PME, professions libérales, etc.) de mieux se faire entendre des politiques. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Pierre Raffarin : je ne peux qu’apporter un vif soutien à votre démarche. En souhaitant être une interface entre la politique et la société civile, vous rejoignez ma détermination de sortir le chef d’entreprise d’un réel isolement souvent imputable à la complexité d’une réglementation croissante.
Q - Dans le secteur du commerce et de l’artisanat, quelles sont les mesures que vous souhaiteriez prendre (ou pouvoir prendre) pour relancer la consommation ?
Jean-Pierre Raffarin : Le secteur du commerce et de l’artisanat concentre beaucoup d’atouts pour faire reculer le chômage et accroître la consommation et donc l’emploi. En ce qui concerne la consommation, vous savez comme moi que les chiffres sont encourageants. Les ménages français ne privilégient plus l’épargne de sécurité qui avait tendance à obérer anormalement les chiffres de la consommation. Le gouvernement ne se contente pas de constater cet état de fait. Le plan PME a déjà été réalisé à 90 %. Ces mesures d’ordre général complétées par des dispositions particulières comme la mise à disposition pour le secteur des métiers d’un milliard de prêts bonifiés en 1966, comme qui a été presque triplée pour l’année 1997, donnent au secteur les moyens de faire face aux exigences de notre économie moderne.
Q - Les PME doivent-elles se préparer dès maintenant au passage à l’Euro, et, si oui, comment les aideriez-vous ?
Jean-Pierre Raffarin : Le passage à la monnaie unique est un des grands enjeux politique, économique et financier des dix prochaines années. Les entreprises voient apparaître cette nouvelle unité de compte ; les outils comptables, la facturation, les prestations salariales et sociales, vont progressivement se calculer en Euro. Le 4 février, j’ai installé le « groupe Euro ». Je souhaite qu’il s’affirme comme le lieu d’expertise où les préoccupations de tous puissent être exprimées, évaluées, accompagnées. Enfin, ce n’est pas la moindre de nos ambitions, il est indispensable que le groupe examine, en s’appuyant sur les actions déjà lancées notamment par les CCI et les Chambres de métiers, la méthode pour impliquer au mieux les réions durant la phase de transition ; Le grand marché, et c’est un Européen convaincu qui vous le précise, représente une convergence progressive des modes de vie, des modes de consommation et des produits. Et je peux vous assurer que la qualité artisanale sera à terme un des atouts pour répondre à cette rapide évolution.
RTL - lundi 10 février 1997
J.-M. Lefebvre : Il y a un grand scepticisme de la part des syndicats. Pourquoi ?
J.-P. Raffarin : Tout ceci va être dépassé par les résultats du débat. Il a une grande innovation : autour de la table, il y a maintenant les jeunes pour parler de l’emploi des jeunes. Grâce à A. Juppé, les représentants des syndicats des jeunes sont présents. Il y aussi les collectivités territoriales, puisqu’on parle beaucoup de la décentralisation. Il y a des représentants des maires, des départements et des régions. La première partie de cette réunion m’est apparue comme très positive. L’appel d’A. Juppé en faveur d’un pacte de la nation tout entière pour l’emploi des jeunes a été entendu dans la grande majorité des 60 participants de cette conférence.
J.-M. Lefebvre : Que mettez-vous derrière ce mot de « pacte » ?
J.-P. Raffarin : Franchement, ce qui me fait très plaisir, c’est qu’on a l’air de sortir pour la première fois de l’irresponsabilité collective. Je suis président d’un conseil régional. Quand on parlait de l’emploi des jeunes, il y a encore peu de temps les entreprises disaient "il nous faut des commandes", l’éducation "nous avons des difficultés budgétaires", les collectivités territoriales disaient "on a besoin de faire face à nos difficultés de fonctionnement". Chacun se passe de mistigri. Aujourd’hui, le petit jeu du mistigri est fini : il apparaît stérile de chercher à repasser la responsabilité entre syndicats, le Gouvernement, entreprises, collectivités territoriales : la croisade doit être collective. Franchement, au moment où je vous parle, je crois que J. Barrot a réussi le lancement de cette croisade pour l’emploi des jeunes. Tout le monde a accepté cette idée. En dehors de la CGT, tout le monde disait : "Nous sommes co-responsables de cette situation". Cette situation est révoltante. Il faut apporter des solutions.
J.-M. Lefebvre : Concrètement, qu’allez-vous décider ?
J.-P. Raffarin : Franchement, cette prise de conscience n’existe pas depuis si longtemps que ça. Tout le monde se repasse le mistigri. Maintenant, nous sommes tous collectivement responsables. Nous devons nous engager tous ensemble. C’est très important. Trois pistes ont été développées au cours de cette première conférence : d’abord, la promotion de l’alternance, car tout le monde reconnaît que l’alternance, c’est le chemin de l’emploi. Là, l’État a pris des dispositions très constructives. A. Juppé a annoncé un objectif pour 1997 de 400 000 contrats d’alternance. L’année dernière, il n’y en avait eu que 330 000. L’année dernière, nous avons mis 10 milliards pour l’alternance. Cette année, nous allons mettre 13,2 milliards. Cela, c’est concret. Ce sont des contrats d’apprentissage. Ce sont des contrats de qualification. Deuxièmement, la première expérience professionnelle. C’est l’idée de permettre pour les jeunes d’avoir ce premier stage.
J.-M. Lefebvre : Un nouveau terme pour le stage diplômant.
J.-P. Raffarin : Ce nouveau terme est plus précis : il s’agit vraiment de doper la formation par une première expérience professionnelle. Et puis, ce qui me paraît le plus important dans tout cela, au même titre que l’alternance et l’expérience professionnelle, c’est la relance de l’action décentralisée. Aujourd’hui, non note dans de très nombreuses régions des initiatives. Celles-ci sont prises par des entreprises, par des mairies, par des départements, par des régions. Jusque-là, l’État n’avait pas beaucoup de possibilités pour participer à ces initiatives. Désormais avec un budget de 1 milliard de francs déconcentrés, chaque préfet pourra passer contrat avec son conseil régional, avec sa chambre de commerce, avec une chambre des métiers pour enclencher des mesures en faveur de l’emploi des jeunes. Cette décentralisation est très importante. On sort de la logique du parisianisme qui envisage l’ensemble des problèmes au niveau global pour avoir une action de proximité sur le terrain.
J.-M. Lefebvre : Vous êtes secrétaire général de l’UDF, dont le président, H. de Charette, avait dit à l’issue du premier tour à Vitrolles qu’il n’y avait pas de choix entre « la peste et le choléra » en envisageant les candidats du second tour.
J.-P. Raffarin : On aurait pu choisir un autre terme pathologique comme la rougeole et le choléra. Mais en tout cas, ce que je crois, c’est que la stratégie face au FN est claire, tous les Républicains sont de cet avis : il faut montrer une opposition résolue. Mais je crois qu’on doit discuter de la méthode, et H. de Charette avait raison de poser le débat sur la méthode. Comment lutter contre le FN ? Je crois qu’on luttera contre le FN si on remet en cause un certain nombre de nos attitudes et notamment dans la majorité. Environ d’abord les accusations sommaires entre adversaires du FN, et reprenons un vrai discours politique lié à une action politique fondée sur la vérité, sur le courage et contre les démagogies. Moi, ce qui me frappe, c’est que ce sont les petites démagogies qui créent les grandes. Donc, il nous faut veiller à ce que, pour tous les Républicains, l’on chasse toutes les approches de la démagogie. C’est en créant un certain nombre d’attitudes démagogues que l’on fait le lit du FN. Et donc, il faut revenir à un discours de vérité. Je trouve que l’action que mène A. Juppé, notamment avec ce courage dont il fait montre, est sans doute une bonne réponse. Moi je pense qu’en 1998, le grand match sera celui du courage contre les démagogies. C’est ça l’enjeu, et c’est comme ça qu’on combattra le FN et ses démagogies.
J.-M. Lefebvre : Dans le Figaro de samedi, vous souhaitiez le retour au Gouvernement de F. Léotard et d’A. Madelin.
J.-P. Raffarin : Je pense que, dans la Ve République, ne victoire se forge autour du Premier ministre. Et donc je regrette que, souvent, il y ait des gens qui pensent qu’ils puissent, aujourd’hui, agir à l’extérieur. C’est vrai que des gens comme A. Madelin sont plus utiles quand ils sont à l’intérieur que quand ils sont solitaires. La République est toujours sévère vis-à-vis des solitaires. Donc, c’est pour ça que j’avais fait ce commentaire.