Interview de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration, à France 2 le 26 février 1997, et article dans "Le Figaro" du 7 mars, sur la polémique autour du projet de loi Debré sur l'immigration et sur la politique d'intégration engagée par le gouvernement, intitulé "Les Voies de l'intégration".

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean-Claude Gaudin - Ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - France 2 - Le Figaro - Télévision

Texte intégral

France 2 - Mercredi 26 février 1997

France 2 : Après la vague de pétitions et les manifestations, on a le sentiment d'assister à une sorte de droit d'alerte de l'opinion publique, apparemment plutôt efficace, puisque la loi a été notablement amendée.

J.-C. Gaudin : La loi a peut-être été un peu amendée. C'est le rôle du Parlement, et le Premier ministre et Monsieur Debré avaient indiqué qu'elle le serait...

France 2 : Elle ne l'aurait pas été sans cette vague de manifestations ?

J.-C. Gaudin : … c'est une loi de clarté, et c'est une loi de liberté. C'est une loi qui indique aux pays qui, généralement, nous envoient beaucoup d'immigrés, qu'on ne peut pas rentrer en France comme cela, et qu'on ne peut pas, après trois mois d'un séjour de vacances, rester indéfiniment en France en situation irrégulière. C'est aussi un signal fort, un message pour les immigrés qui sont en situation régulière dans notre pays, qui observent les lois de la République, pour leur dire que, chez nous, bien entendu ils ont été bien accueillis, et que s'ils respectent les lois, ils sont chez nous les bienvenus.

France 2 : La gauche et les opposants les plus farouches au projet de loi accusent la majorité de courir derrière les électeurs du Front national. Certains disent que les électeurs préféreront toujours l'original à la copie.

J.-C. Gaudin : C'est très vrai, mais les électeurs et les élus de gauche, du PS en particulier, ne peuvent pas dire une chose et son contraire. En réalité, aujourd'hui, nous voyons bien que si nous ne prenions pas un certain nombre de dispositions - et celles-là sont claires et précises - nous permettrions de nouveau au Front national de montrer les immigrés en boucs émissaires et de défendre une idéologie contre laquelle nous nous élevons. Par conséquent, attention ! À Vitrolles, par exemple, les socialistes sont allés à l'échec. Quand un maire socialiste est en place depuis 12 ans et qu'il permet au Front national de monter jusqu'à 47 %, c'est qu'il a échoué. Alors qu'on ne nous donne pas de leçons dans ce domaine. Je vais vous dire, c'est facile depuis Paris de manifester, de défiler – d'ailleurs la gauche le fait surtout quand elle est désunie, et c'est le cas – c'est autre chose quand, au Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, je me trouve moi confronté à la présence physique de M. le Pen et de M. Mégret. Parler à la télévision, sur les plateaux, du Front national, c'est facile, le faire sur le terrain, c'est une autre affaire. De ce côté-là, la gauche n'a pas de leçons à nous donner. Mais moi je dis justement aux députés, aux sénateurs de la majorité présidentielle : "soyons nous-mêmes." Nous, notre politique est claire, elle s'inspire du gaullisme, de la démocratie chrétienne, du libéralisme. Nous, nous voulons rassembler pendant que les autres veulent exclure. Vous n'avez qu'à voir les déclarations de Mme Mégret et vous serez servi. D'ailleurs elle ne fait que répéter les quarante-neuf propositions que M. Mégret en son temps avait formulées. Nous sommes à l'opposé de cette doctrine-là.

France 2 : Précisément, C. Mégret, nouveau maire de Vitrolles, a proposé dans une interview à un journal berlinois de supprimer certaines aides aux immigrés ainsi que des subventions aux associations. Est-ce que l'État ou la région que vous représentez va palier éventuellement à ce manque de subventions ?

J.-C. Gaudin : Écoutez, nous, nous faisons ce que nous devons faire dans le cadre des lois de la République et je voudrais vous dire qu'hier je recevais Mme le ministre de l'immigration du Canada et qu'elle était très étonnée de savoir comment, dans notre pays, on peut facilement être en situation régulière lorsqu'on est un immigré. Par conséquent, de ce côté-là, nous n'avons pas beaucoup de leçons à recevoir. Si les socialistes, en 1982, n'avaient pas régularisé 140 000 personnes d'un coup, peut-être que le Front national n'aurait pas progressé autant_ Alors cela devrait inspirer un peu de modestie. Quant à ce qui s'est passé cet après-midi à l'Assemblée nationale avec l'évocation de Vichy, permettez-moi de vous dire que le ministre de l'Intérieur est le fils de M. Debré, ami du général de Gaulle, qu'ils ont vécu dans la résistance et que le ministre de l'Intérieur J.-L. Debré, a été élevé avec cette haute conception du gaullisme. J'ajouterais aussi que ce n'est pas l'actuel Président de la République qui a été décoré de la Francisque.

 

Le Figaro - 7 mars 1997

Tout d'abord, l'Intégration est une œuvre de longue haleine, un travail accompli au quotidien par l'État, les associations et les acteurs de terrain, dont les effets n'apparaissent pas du jour au lendemain. Il y faut du temps et du calme.

Pour ma part, je travaille jour après jour, sans tapage médiatique, à renforcer et améliorer les moyens mis en œuvre par l'État dans ce domaine.

Ainsi le Pacte de relance pour la ville, qui constitue un effort sans précédent au profit des quartiers en difficulté, est largement un programme d'intégration. En apportant des réponses claires et efficaces au chômage des jeunes, en déployant d'importants moyens pour améliorer le cadre de vie des quartiers, ce pacte se révélera plus efficace que n'importe quel tapage sur la « citoyenneté » des étrangers.

Par ailleurs, à la suite du rapport parlementaire de M. Cuq sur les foyers de travailleurs migrants, le gouvernement va engager un effort sans précédent pour que les personnes vivant dans ces foyers disposent, enfin, de conditions de logement conformes à la dignité humaine.

De même, j'ai lancé, avec mon collègue Éric Raoult, une réforme des procédures de gestion du Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrants et leur famille qui, tout en permettant un meilleur contrôle de l'État, rendra plus efficace et plus simple le financement des associations œuvrant pour l'intégration.

Enfin, concernant les naturalisations, qui forment, en quelque sorte, la consécration d'une intégration réussie, j'ai récemment adressé, avec mon collègue Éric Raoult, une circulaire aux préfets leur demandant, conformément au souhait du président de la République, de prendre des mesures permettant de raccourcir les délais d'instruction des demandes présentées par les étrangers vivant régulièrement sur notre sol. La création, en plein accord avec Jean-Louis Debré, de cinquante postes dans les préfectures et de vingt postes au sein de la sous-direction des naturalisations donne les moyens aux préfets d'atteindre cet objectif.

Les clandestins

La politique d'intégration de notre pays, conforme à sa tradition d'accueil, est une des plus généreuses en Europe, et a permis depuis des décennies que nombre d'étrangers deviennent des citoyens français à part entière.

Elle ne s'adresse bien évidemment qu'aux étrangers en situation régulière. Sa réussite et son efficacité sont remises en cause par des immigrés clandestins, dont la présence porte préjudice aux étrangers en situation régulière et irrite profondément nos concitoyens, formant par là même un terreau qu'exploitent les xénophobes et les racistes.

L'attitude à adopter consiste donc à mettre en place tous les dispositifs permettant de lutter contre l'immigration irrégulière. Nos valeurs nous prescrivent aussi, sur un tel sujet, le rejet de la démagogie à visée électoraliste, que pratiquent certains.

C'est parce que notre pays conduit une politique d'intégration exemplaire qu'il doit être intransigeant sur l'immigration irrégulière. Notre politique en la matière est claire, équilibrée, raisonnable, à l'opposé des thèses extrêmes du Front national et de l'irresponsabilité du Parti socialiste.

L'intégration s’inscrit dans le long terme C'est une forêt qui pousse sans bruit, et d'autant mieux qu'elle est à l'écart de toute agitation.