Interview de M. François Fillon, ministre délégué à la poste aux télécommunications et à l'espace, dans "Le Monde" du 6 mars 1997, sur la publication du décret sur l'interconnexion des réseaux téléphoniques et l'annonce prochaine des tarifs par France Télécom, et sur la recherche dans les télécommunications.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Le Monde : La loi sur la libéralisation du téléphone en France a été adoptée en juin 1996. À dix mois de l’échéance, où en est-on de sa mise en œuvre ?

François Fillon : J’avais annoncé la publication de la quasi-totalité des décrets d’application avant fin 1996. Celui relatif à l’interconnexion des réseaux devait faire l’objet d’un avis de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART), créée le 1er janvier 1997. J’avais promis sa publication fin février. Il a été publié au « Journal officiel » le 4 mars. L’autre décret important, sur le financement du service universel par l’ensemble des opérateurs, sera publié d’ici un mois. Nous aurons alors pratiquement achevé la publication de la trentaine de décrets organisant la nouvelle réglementation. Les investisseurs intéressés par la mise en Bourse de France Télécom ont désormais une visibilité claire sur le paysage français et, surtout, les opérateurs qui s’apprêtent à investir connaissent les règles du jeu.

Le Monde : La fourniture par France Télécom du service universel (accès à un service de qualité à un prix abordable par tous et partout) a un coût. Quel sera-t-il en 1998 ?

François Fillon : Le chiffre me sera proposé par l’ART pour le 1er septembre. Ce sera nettement inférieur aux 9 milliards évoqués en 1996, sans doute voisin de 6 milliards de francs.

Le Monde : Quand les premières licences pourront-elles êtres concédées ?

François Fillon : Nous sommes prêts dès aujourd’hui à recevoir les demandes. Nous pourrions délivrer des licences avant l’été.

Le Monde : En quoi le décret sur l’interconnexion constitue-t-il une étape importante ?

François Fillon : C’est l’élément le plus structurant du nouveau paysage. Il va permettre la publication des tarifs que France Télécom sera en droit de demander à ses concurrents, lorsqu’ils utiliseront son réseau pour acheminer les communications de leurs abonnés. Nous avons trouvé un équilibre. Nous aurons des tarifs comparables, toutes choses égales par ailleurs (exemple : la répartition de la population sur le territoire), à ce qui se fait dans d’autres pays, permettant à la concurrence de s’installer. Ils tiennent compte aussi de l’utilisation du réseau de France Télécom et lui permettent de poursuivre son développement.

Le Monde : Certains Jugent ces tarifs encore élevés...

Par rapport au projet de décret, soumis à consultation publique fin 1996, il y a eu des évolutions. Nous avons retiré du catalogue l’accès systématique aux centraux téléphoniques internationaux de France Télécom. Cela n’existait dans aucun autre pays. Par ailleurs, nous avons mis en place le principe d’une compensation transitoire pour les 30 % à 37 % de centraux téléphoniques qui, début 1998, ne pourront pas être directement accessibles par les nouveaux opérateurs. Cette offre sera encadrée : il faudra démontrer qu’il y a un problème significatif de concurrence, et elle sera mise en place suivant des critères précis que le ministre prendra par arrêté, après proposition de l’ART.

Le Monde : Quand les tarifs de France Télécom seront-ils connus ?

François Fillon : Ils seront approuvés par l’ART d’ici à la fin mars. Les opérateurs pourront alors élaborer leurs stratégies d’investissements et de tarifs.

Le Monde : France Télécom devra-t-il mettre en place une comptabilité séparée pour ses réseaux, voire isoler ces derniers dans ses activités ?

François Fillon : Le décret a durci les obligations de comptabilité séparée afin de permettre à l’ART de s’assurer des coûts réels de l’interconnexion. Mais il n’y a aucune obligation de filialisation. Nous avons modifié par ailleurs la rédaction qui pouvait laisser penser que l’ART aurait un rôle dans le choix des investissements des opérateurs. Ce n’est pas sa vocation. Le décret préserve le partage des rôles décidé par le législateur : l’ART a une mission d’arbitrage et d’application des lois et règlements ; le gouvernement conserve son entière compétence en matière de réglementation.

Le Monde : Le gouvernement a récemment reçu le rapport Lombard-Kahn sur la recherche dans les télécommunications. Quelles leçons en tire-t-il ?

François Fillon : Nous sommes dans un secteur où les évolutions sont rapides. L’innovation plus essentielle que jamais. Les opérateurs et industriels français ont une position forte sur le marché international. S’ils veulent la conforter, ils doivent consacrer une part importante de leurs ressources à la recherche. Une des questions posées est : comment concilier l’évolution de France Télécom, et donc du CNET, son centre de recherche, et les impératifs de diffusion de la recherche vers l’ensemble du secteur, y compris les PME ?

Le Monde : Quelles mesures allez-vous proposer ?

François Fillon : Une série de mesures sera proposée en conseil des ministres début avril. Le CNET devra évoluer en fonction des intérêts directs de France Télécom. Ce qui comprend le maintien d’un certain nombre de volets de recherche amont, dont les composants électroniques. L’idée que France Télécom n’aurait plus besoin de recherche en amont est une idée infondée. France Télécom devra aussi accentuer la valorisation des travaux du CNET, qu’il ne souhaite pas exploiter lui-même, dans le cadre de partenariats, en particulier avec des PME.

Par ailleurs, les laboratoires publics (CNRS, INRIA, universités) devront jouer un rôle accru en matière de recherche de base, dans le cadre de leurs activités propres, mais aussi de partenariats avec des laboratoires privés. Nous allons proposer des incitations financières pour favoriser ce dernier point. Enfin, le comité interministériel sur la recherche du 3 octobre 1996 avait fait des technologies de l’information l’une des quatre priorités sectorielles du gouvernement. Cette priorité fera l’objet d’une proposition, début avril, d’un redéploiement des moyens au sein du budget civil de recherche-développement. Nous ne voulons pas nous reposer seulement sur les efforts des opérateurs, notamment de France Télécom. Nos industriels doivent bénéficier d’un environnement scientifique et financier propice : c’est un enjeu capital en matière d’emploi.

Le Monde : Y aura-t-il création d’un réseau de recherche ?

François Fillon : Oui. Nous allons inciter les partenaires du secteur à se concerter périodiquement pour rechercher la meilleure affectation des moyens publics. Je vais réunir, avec François d’Aubert, le 18 mars, laboratoires publics, opérateurs et industriels pour un premier comité d’orientation.

Le Monde : Allez-vous obliger les nouveaux opérateurs à consacrer une certaine part de leur activité à la recherche ?

François Fillon : Oui. Pour France Télécom, ce sera 4 % du chiffre d’affaires, soit 5 milliards de francs par an. Pour les nouveaux opérateurs, ce sera 5 % du montant des investissements. Cela sera précisé dans les licences. C’est la mise nécessaire pour assurer aux Français des télécommunications à un prix durablement compétitif. »