Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France Inter, le 9 janvier 1998, à Europe 1 le 13 et dans "L'Evénement du jeudi" le 29, déclaration dans "L'Humanité" le 10 et extraits de déclaration dans "L'Humanité" le 17, sur le mouvement des chômeurs, le relèvement des minima sociaux, la réduction du temps de travail, la lutte contre le chômage et la place du PCF dans la majorité plurielle.

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Média : Europe 1 - France Inter - L'évènement du jeudi - L'Humanité

Texte intégral

France Inter : Vendredi 9 janvier 1998

Q. : Après le dialogue, quels actes et avec quel argent ? Le Premier ministre a reçu hier les syndicats pour la première fois les associations de chômeurs, donnant ainsi raison à ceux de la majorité plurielle, Verts et communistes, qui dès le début avaient qualifié le mouvement des chômeurs de légitime. La question de la représentativité syndicale plusieurs fois posée ces derniers jours est aussi implicitement présente dans l’arrivée des associations à Matignon. Reste que cette méthode dite Jospin de concertation et de dialogue étant engagée, quelle peut-être l’étape suivante ? Quelles mesures et avec quel financement ? Mais surtout, démonstration reste décidément faite de l’impuissance de toutes les actions jusqu’ici engagées contre le chômage en France.
Est-ce Mme Buffet qui a raison lorsqu’elle disait qu’il s’agissait d’un mouvement légitime ; qui a eu raison contre la ministre de l’Emploi qui jugeait le mouvement illégal ?

R. : Ce qui me semble très important, c’est qu’hier, L. Jospin ait choisi de recevoir les associations qui sont dans ce mouvement et les syndicats pour essayer de dégager des solutions. C’est ça qui me semble important. Mais en même temps, incontestablement, dès le départ, les communistes ont appelé le Gouvernement, l’opinion à bien regarder ce qui était en train de se passer avec le mouvement des chômeurs qui va au-delà du mouvement des chômeurs, qui est un véritable mouvement social.

Q. : Il y a eu une mauvaise appréhension de l’importance du phénomène au début ?

R. : J’ai eu le sentiment qu’il y avait effectivement au début une appréciation qui n’était pas à la hauteur de ce qui était en train de se passer, de ce cri de colère, de révolte, cette expression de la dignité qui se traduisait dans ce mouvement. Comme beaucoup d’auditeurs, j’ai entendu les témoignages de ces gens. Tous ceux qui ont évoqué les manipulations, tout ça n’est pas sérieux.

Q. : Vous avez une dent contre Mme Notat là ?

R. : Non, ce que je regrette, c’est que des responsables au plus haut niveau du syndicalisme puissent être à ce point distants parfois d’une réalité qui est forte, et même qu’on soit un peu sourd à entendre ce qui se passe profondément. Moi je vois effectivement là un mouvement profond qui concerne toute la société. Et ce que je veux dire, c’est que ce mouvement, je ne sais pas de quelle façon il va se poursuivre…

Q. : Sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, là, parce que ce serait vraiment indécent, mais on ne va pas pouvoir dire à tous ceux qui sont aujourd’hui en train d’occuper les locaux des Assedics : rentrez chez vous, le mouvement est fini. On ne peut pas leur dire, reprenez le travail. Alors comment on fait ?

R. : On ne pourra pas leur dire, effectivement, il faut mettre fin à une grève…

Q. : Comment on s’en sort ?

R. : Écoutez, je vais vous donner mon sentiment sur cette question : ce que je veux dire, c’est que ce mouvement, non seulement la gauche ne doit le craindre mais je serais tenté de dire, elle doit s’en féliciter. Vous voyez, j’aime mieux voir des chômeurs qui occupent les Assedics, qui luttent pour leur dignité, j’aime mieux les voir comme ça debout que de les voir, enfin peut-être pouvoir être gagnés – ces hommes, ces femmes anéantis par le désespoir – par d’autres thèses et se tourner vers…

Q. : Vous voulez dire partir au Front national ?

R. : Oui, il y a un danger réel. Si l’on ne prend pas en compte ces souffrances, cette douleur, à ce qu’il ait cette dérive terrible. Or là, nous avons un mouvement tout à fait exceptionnel où nous avons des gens dans leur dignité, debout. »

Q. : Attention, qu’on ne vienne pas nous dire après, récupération politique. On a déjà parlé de manipulation ?

R. : Récupération politique…Vous savez, je suis très fier que le Parti communiste, dès le départ, ait soutenu ce mouvement, ait été au cœur de ce mouvement. Je pense que les communistes, dans cette action et dans la gauche plurielle, ont été complètement dans leur rôle. Ils ont rendu un service à la gauche plurielle en étant précisément au cœur de ce mouvement qui est fondamental pour nous. Alors aujourd’hui, j’attends naturellement les propositions que va faire le Premier ministre et je souhaite vivement que, dans les mesures immédiates qui vont être prises, on prenne bien en compte ce qu’attendent ces chômeurs.

Q. : Est-ce que vous avez entendu ce que disait Mme Notat – qui était ici hier matin –, en sortant de son entrevue avec le Premier ministre hier soir ? Mme Notat parlait de la quadrature du cercle, elle disait que M. Jospin avait parlé de mesures compatibles avec sa politique économique et monétaire, ce qui ne donne pas une grande marge de manœuvre ?

R. : Oui, j’ai entendu cela. Je pense donc qu’il faut qu’il y ait des mesures immédiates, notamment des primes exceptionnelles correspondant à ce qu’attendent des gens qui souffrent, qui ont besoin de ces moyens nouveaux et qui ont leurs droits. Il faut relever les minima sociaux. D’ailleurs je voudrais vous dire, et je vais peut-être le révéler après tout : dès le mois de juin, j’ai adressé une lettre à L. Jospin – avant même son discours d’investiture à la Chambre – pour lui dire : il me semble important de relever les minima sociaux. Je pense qu’aujourd’hui, on est dans une situation où il faut à la fois relever ces minima sociaux, mettre le système d’indemnisation du chômage à plat et, en concertation avec les partenaires sociaux, retravailler naturellement au fond de ce domaine. Alors vous me dites, les marges, sous-entendu ce que disait Mme Notat ; eh bien, je crois qu’aujourd’hui, on nous parle de marges qui s’inscrivent dans les choix politiques et monétaires actuels. Il me semble qu’il faut aller au-delà. Je crois qu’il faut se donner des marges supplémentaires et nous sommes là face à une question essentielle pour la gauche et sa majorité.

Q. : Mais on va les trouver où les marges ?

R. : Je propose qu’on les trouve là où elles existent ces marges. Elles existent, si on prend des réformes structurelles, profondes, et que l’on modifie la fiscalité. Il faut une fiscalité qui touche davantage, en France, les revenus spéculatifs, les revenus du capital. Il faut – alors je sais que depuis des années je fais cette proposition – il faut augmenter sensiblement l’impôt sur les grandes fortunes. La satisfaction des demandes, là, des chômeurs, aujourd’hui, représenterait 1 % des revenus financiers des grandes fortunes en France ! Quand même ! Il y a de l’argent ! Il faut avoir le courage – aujourd’hui, nous sommes au pied du mur, la gauche – de faire ces choix structurels.

Q. : Mais alors tout en même temps ?

R. : Je pense que L. Jospin va le proposer. C’est dans ce sens que je m’inscris.

Q. : Vous avez vu l’attitude du patronat sur la réforme des 35 heures, vous nous dites maintenant : il faut une réforme structurelle de fond. Mais vous vous rendez compte !

R. : Mais la gauche a été élue pour ça ! Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi il y a eu ce mouvement fort des chômeurs, et ce mouvement est puissant aujourd’hui et entendu ? C’est parce que, précisément, la gauche est aux affaires. Les chômeurs, ces gens qui ne croyaient pas – ils avaient raison de ne pas croire à la droite, et quand je vois la démagogie du CNPF et de la droite ces derniers jours à propos des chômeurs c’est lamentable ! –, les chômeurs ne croient pas à cette droite. Mais ils attendent de la gauche. Eh bien la gauche doit répondre : on est là, on est là pour vous, on est là pour répondre à ces attentes. Voilà. Moi je suis pour la réussite de la gauche, et je crois que la gauche n’a pas à craindre le mouvement social. Elle doit au contraire s’appuyer sur lui, pour effectivement faire avancer ces réformes.

Q. : Venant d’un communiste, on ne sera pas étonné qu’en effet vous soyez favorable à taxer le capital pour encourager le travail. Mais c’est une fois de plus la démonstration de l’échec de tout ce qui a été entrepris contre le chômage aujourd’hui ?! Et ce que vous dites n’est pas une formule très nouvelle.

R. : Sauf qu’elle n’a jamais été mise en œuvre. Parce que tous ces experts qui depuis 20 ans nous bassinent avec des propositions à l’échec complet que l’on connaît aujourd’hui… Que l’on mette un peu en œuvre ces propositions visant à toucher le capital, à toucher les grandes fortunes ! Il y a là, des moyens importants qu’on peut dégager. Et je pense que, de ce point de vue, il faut se dégager les marges. Si l’on enferme dans une politique qui ne touche pas effectivement à la fiscalité, aux grandes réformes structurelles, au crédit qui va vers l’emploi, on n’apportera pas les réponses aux questions posées aujourd’hui. Or, il est impératif d’y répondre.

Q. : Les mouvements d’évacuation des locaux occupés par les chômeurs des bâtiments des Assedic, ça vous inquiète ? C’est dangereux ?

R. : Si l’on considère ce mouvement légitime, il faut faire attention parce que les images sont terribles. D’ailleurs, les Français ont vu les images des chômeurs en difficulté, ils ont compris plus encore ce qu’était leur détresse. Des images montrant qu’on évacue ces chômeurs avec une brutalité – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, d’après ce que j’ai vu en tout cas –, ça serait tout à fait déplorable et alimenterait, alors, là, l’idée qu’on n’entend pas, et qu’on ne voit pas ce qu’est la réalité, la détresse et la dignité de ce mouvement.


Europe 1 : mardi 13 janvier 1998

Q. : Est-ce que vous croyez que votre parti aide vraiment L. Jospin ?

R. : Totalement. Nous sommes complètement pour la réussite de la gauche plurielle.

Q. : C’est pour ça que vous faites pression sur lui ?

R. : Nous ne faisons pas pression. Nous sommes au cœur du mouvement social, du mouvement des chômeurs depuis le début. C’est incontestable. Mais nous sommes dans notre rôle.

Q. : Mais quand vous jouez les animateurs de la protestation sociale, des agitateurs, croyez-vous l’aider, un gouvernement de gauche ?

R. : Il n’y a pas d’agitation : il y a une réalité sociale terriblement douloureuse pour des millions de gens qui ont fait confiance à la gauche pour que cela change. Nous sommes au côté de ces gens-là pour dire : il faut améliorer sensiblement la situation, c’est le devoir de la gauche ; et nous sommes dans le Gouvernement, dans la majorité pour être les relais de cette expression et porter précisément cette exigence. Ce n’est pas contre L. Jospin : c’est auprès de lui, pour faire avancer les choses.

Q. : M. Jospin a dit hier à M. Bocquet ceci : « Si vous voulez que l’on continue ensemble, il faut changer d’attitude. »

R. : Pour continuer ensemble, il faut que l’on mette en œuvre les engagements sur lesquels la gauche est arrivée aux affaires. Il faut donc changer un certain nombre de choses concernant les choix politiques. Des choses importantes ont déjà été faites depuis six mois. Mais aujourd’hui, nous sommes dans une période où il faut aller plus loin. Si nous n’allons pas plus loin, il n’y aura pas les changements qu’attendent des millions de Français. Ce qui est le plus difficile pour moi, c’est entendre dans les Assedic des chômeurs qui disent : on a voté à gauche et on veut justement qu’aujourd’hui ce vote s’exprime dans une politique. Il faut entendre ce cri important.

Q. : Vous encouragez les chômeurs à réclamer une revalorisation des minima sociaux, dès à présent.

R. : Je n’encourage pas les chômeurs. Moi-même, j’ai réclamé dès juin à L. Jospin cette augmentation des minima sociaux. Je pense que si l’on donne ces milliards nécessaires…

Q. : Est-ce que ce serait une augmentation exceptionnelle cette année ou une revalorisation qui aurait lieu chaque année ?

R. : Il faut une revalorisation constante. Il est bien clair que ces milliards supplémentaires…

Q. : Combien ?

R. : Les chômeurs, leurs associations et les syndicats parlent aujourd’hui de 25-28 milliards par an. Quand les Français entendent ces sommes, on peut très bien agiter l’idée que c’est inabordable, que ce n’est pas sérieux. Mais pourtant, depuis trois ans, il y a des centaines de milliards qui sont allés directement dans les caisses du patronat français pour créer des emplois. Ça n’a pas été l’emploi. Je suis pour qu’on demande des comptes, beaucoup de compte au patronat français : il ne peut pas avoir les cuisses propres dans cette affaire. C’est lui qui licencie massivement. Il faut pénaliser ces licenciements. Il faut empêcher le patronat aujourd’hui de tirer son épingle du jeu, alors qu’il est responsable de cette situation…Il est important enfin que les revenus financiers, notamment institutionnels, participent des prélèvements. Ce n’est pas le cas : on prélève sur les familles massivement, et pas suffisamment sur les revenus financiers du capital.

Q. : Jusqu’à présent, le Gouvernement a refusé d’augmenter les minima sociaux. A t-il raison ou tort ? Peut-il vraiment les augmenter ?

R. : Je pense qu’on peut les augmenter. D’ailleurs, il y a une loi sur l’exclusion qui va venir en discussion. Je trouve que c’est très bien. La gauche tient ses engagements, de ce point de vue. Mais dans une loi pour lutter contre l’exclusion, il faut bien mettre en face des moyens financiers, sinon, c’est du pipeau.

Q. : S’il ne le fait pas ?

R. : Je pense qu’il va le faire, qu’il va s’engager dans cette voie. Je le souhaite.

Q. : C’est la prophétie ?

R. : Comment peut-on aujourd’hui imaginer apporter des réponses à l’exclusion si on ne prend pas un peu dans les grandes fortunes qui existent dans le pays !? On n’y touche pas pour le moment ! Personne ne sera choqué que la gauche prenne un peu – quand même – à ceux qui roulent sur l’or, aux grandes fortunes pour le donner aux chômeurs ! Cela me semble quelque chose qui participe d’une démarche profondément ancrée dans les valeurs de gauche.

Q. : vais vous choquer mais vous allez faire capoter la gauche…

R. : Non, on va la faire réussir la gauche. Je ferai tout, le Parti communiste fera tout pour la gauche réussisse. Quand nous posons ces problèmes-là, quand nous disons qu’il faut avoir le courage de s’engager dans des réformes qui touchent au fond, aux mesures structurelles, à la fiscalité, au crédit…Je suis, par exemple, pour que l’on réussisse les 35 heures. Je peux vous dire qu’à l’Assemblée nationale, dans le débat qui va venir, M. Aubry va apporter, je pense, des réponses aux questions que nous nous posons encore sur cette loi des 35 heures. Il y a d’un côté le patron qui la combat cette loi, eh bien il est certain que les communistes porteront cette loi. Naturellement, il faut prendre en compte un minimum de choses de cette loi qui permettent d’avancer et de créer des emplois.

Q. : Si L. Jospin ne peut pas augmenter les minima sociaux, pour des raisons liées aux réalités, qu’est-ce qui se passe ?

R. : Il peut le faire ! Et nous allons, nous, faire des propositions. Il ne suffit pas de dire des choses. Je ne vais pas, là, simplement parler ! Je pense qu’il y a des propositions concrète en matière de fiscalité, de crédit – toute une série de dispositions que nous sommes prêts à présenter concrètement pour faire avancer les choses.

Q. : A terme, est-ce qu’à chaque mauvais coup que prend L. Jospin, il n’y en aura pas aussi pour le PCF et pour vous, comme l’arroseur arrosé ?

R. : Mais quand la gauche et L. Jospin prend des coups, toute la gauche prend des coups. C’est bien pour cela que nous voulons, nous, être avec lui pour faire avancer les choses. Nous ne sommes pas là dans une situation de pression, de rapports de force avec le Parti socialiste et avec L. Jospin. Nous sommes pour, ensemble, gagner. Nous voulons que cela réussisse ; mais pour que cela réussisse, il faut prendre des mesures. Il faut écouter une partie de qui fait la majorité.

Q. : Le PCF organise dimanche prochain – vous n’arrêtez pas – une manifestation de grande ampleur en faveur du référendum sur l’Europe. Vous avez demandé audience au Président de la République, vous a t-il répondu ?

R. : Je n’ai pas encore la réponse du Président de la République mais je pense que le Président de la République me recevra. Cette manifestation, d’ailleurs, est étroitement liée à la question que nous venons d’aborder. Je pense que si l’on reste enfermé dans les conditions de Maastricht, de l’euro, une partie des minima sociaux, effectivement, ne pourra être satisfaite.

Q. : Vous, vous demandez le référendum. Le Premier ministre, dont le rôle constitutionnel est peut-être de le demander, ne le réclame pas ?

R. : Oui, mais le Président de la République s’est engagé dans cette affaire. C’est pour cela que je me tourne vers lui. Et s’il y a la possibilité de faire un référendum sur Amsterdam et sur l’euro, je crois que les milliers de personnes qui seront à nos côtés dimanche, place de la République, le réclameront.

Q. : Et si J. Chirac refuse le référendum ?

R. : Il sera en contradiction totale avec les engagements qu’il a pris. Ce ne serait pas la première fois. »

 

L’ÉVÈNEMENT DU JEUDI : 29 janvier 1998

Edj : Vous avez dit, vendredi 16 janvier, Place du Colonel-Fabien, à propos des chômeurs : « Je suis celui qui est capable d’arrêter le mouvement. » Cette phrase accrédite la thèse de la manipulation par certains militants du PC de petits groupes de chômeurs…

Robert Hue : Je n’ai jamais rien affirmé de tel. J’ai voulu indiquer que la voie que je proposais – écouter les chômeurs et répondre à leurs attentes – était celle qui permettrait de trouver une issue positive. Quant à la thèse de la manipulation des chômeurs par les communistes, elle est si visiblement contraire à la réalité que très vite – et j’en suis satisfait – le gouvernement et, notamment le Premier ministre, ont reconnu la légitimité du mouvement et des organisations représentatives des chômeurs.

Edj : Ne portez-vous pas une part de responsabilité dans la fin de l’état de grâce de Lionel Jospin, et donc de la gauche ?

R.H. : Les efforts que j’ai faits avec mes amis pour que l’on entende ce mouvement et que de premières réponses positives soient apportées auront été une aide pour le gouvernement. Nous en avons discuté avec Lionel Jospin, dans un climat chaleureux et positif, vendredi dernier. C’est au fond l’apport singulier des communistes à la majorité plurielle : être le mieux possible des relais responsables des attentes du corps social.

Edj : La méfiance de Lionel Jospin face aux mouvements de la rue, déjà en 1995, lorsqu’il était dans l’opposition et, cette fois encore, est perceptive. Avez-vous une explication à cette attitude ?

R.H. : Lionel Jospin a sa façon de ressentir les évènements et d’y réagir. Il est toujours réticent quand il pense qu’un mouvement peut lui forcer la main. Ce qui me semble important, c’est qu’il a nettement souligné la légitimité du mouvement et pris les premières mesures. Je pense que d’autres devront suivre pour répondre à l’urgence de la situation. Au-delà, j’accorde une grande importance aux décisions à prendre et aux efforts à faire à tous les niveaux de la société pour réaliser les 35 heures et prendre de front l’exclusion. Je pense que des réformes structurelles – pour que l’argent aille à l’emploi et au progrès social plutôt qu’à la finance et pour une politique de développement créatrice d’emplois – sont nécessaires au plus tôt.

Edj : Au cours de ce conflit, derrière « Hue », le sympathique, le chaleureux, on a vu « Hue » le politique intransigeant, l’apparatchik dur rompu aux manœuvres politiques. Ne craignez-vous pas que, sous la pression de l’appareil, la figure de Marchais ne vous rattrape ?

R.H. : Il ne m’appartient pas de juger si je suis plutôt « sympathique » ou plutôt « dur »… Je crois que l’opinion me voit tel que je suis : avec mes convictions, ma sincérité et ma détermination à contribuer, avec le Parti communiste, à ce que la gauche réussisse en répondant positivement aux attentes qui s’expriment à son égard.

Edj : Le mouvement des chômeurs a confirmé la résurgence d’une forme de gauchisme protestataire. On a entendu des mots d’ordre parfois très simplistes – comme par exemple : « On y a droit ! »  –, sans perspective de débouché politique. N’est-ce pas le signe d’une régression de la gauche, une forme de maladie infantile du communisme ?

R.H. : Rien de ce que je vous dis ne me semble s’apparenter à ce « gauchisme protestataire » que vous évoquez. Et – je l’ai souligné – le mouvement social est d’une autre nature, d’une tout autre profondeur. Cela dit : le ‘on y a droit ! », venant d’hommes et de femmes qui ne demandent qu’à travailler et à qui l’on refuse la plus élémentaire justice, cela ne me paraît vraiment pas aberrant !

Edj : Ce qui fait obstacle au relèvement des minima sociaux, c’est le niveau du Smic. Les salariés à temps partiel les plus mal payés risqueraient d’être au-dessous de certains RMIstes, c’est ce qu’à expliquer le Premier ministre sur TF1. Trouvez-vous juste cette façon d’envisager le problème ?

R.H. : Permettez-moi de vous contredire : ce qui fait obstacle au relèvement des minima sociaux, c’est le fait de refuser de prélever l’argent nécessaire, non pas sur les ménages et les salariés, mais sur les grandes fortunes et les capitaux financiers. Par ailleurs, dès le mois de juin, j’ai proposé au Premier ministre de procéder à certains de ces relèvements, ainsi qu’à une véritable réforme de la fiscalité et du crédit, afin de pouvoir augmenter à la fois les minima sociaux et les bas salaires. A l’époque, j’avais proposé de relever le Smic de 8 %.

Edj : Que répondez-vous à Lionel Jospin qui vous accuse de prôner une société d’assistance au détriment d’une société de travail et de l’effort ?

R.H. : Mais…Lionel Jospin ne m’a accusé de rien de tout cela ! Et tout le monde sait que le Parti communiste formule des propositions pour une politique audacieuse de créations d’emplois.

Edj : Combien d’emplois, selon vous, les 35 heures peuvent-elles créer d’ici à l’an 2000 ?

R.H. : Nous avions évalué, en décembre 1996, cette possibilité à 500 000 emplois Pour y parvenir, il s’agit bien de donner une bataille contre la résistance arrogante du CNPF, et de discuter, au plus près des réalités des entreprises, des conditions dans lesquelles les 35 heures peuvent être réalisées en créant des emplois. Ce qui implique de rechercher les financements nécessaires, notamment par un politique de crédit favorisant les PME-PMI afin d’abaisser sensiblement leurs charges financières.

Edj : En tapant comme vous le faites sur le patronat, vous n’aidez pas le gouvernement ?

R.H. : Je viens de la rappeler : je suis avec les salariés, avec la majorité et le gouvernement pour aider à vaincre la résistance du CNPF au progrès.

 

L’HUMANITÉ : 10 janvier 1998

« Le premier ministre a donné acte aux chômeurs de la légitimité de leur mouvement ; il a reconnu le bien-fondé de leur exigence de respect de leur dignité. Je m’en réjouis.
Il a annoncé la création d’un fonds social d’urgence doté de 1 milliard de francs, accompagné des moyens permettant d’y recourir rapidement. C’est un premier pas accompli dans le sens des revendications exprimées par les chômeurs.
Un immense chantier reste cependant à ouvrir, auquel le mouvement des chômeurs appelle toute la gauche à travailler.
Il s’agit d’abord d’élaborer une vraie loi contre l’exclusion sociale. Cela passe notamment, à mon sens, par une revalorisation des minima sociaux et je regrette que le premier ministre ne l’envisage pas dès à présent. Les revenus financiers et les grandes fortunes pourraient être sollicités afin de contribuer au financement de cette mesure de justice sociale.
Et il faut, inséparablement travailler à de profondes réformes structurelles susceptibles de relancer significativement l’investissement utile et l’emploi. Une telle politique suppose notamment la relance de la consommation par le relèvement des salaires, une réforme de la fiscalité et du crédit, ainsi que l’application rapide et sans diminution de salaire des 35 heures.
Les exigences du mouvement des chômeurs, la sympathie et le soutien dont l’entoure l’opinion publique font devoir à la majorité plurielle de gauche de s’engager très résolument dans cette voie. »


L’HUMANITÉ : 17 janvier 1998

UNE NOUVELLE PHASE DE LA VIE POLITIQUE. « Tout montre que nous entrons dans une nouvelle phase de la vie politique du pays. Personne ne l’a planifiée ni décidée ainsi. Personne non plus ne peut raisonnablement décider qu’il n’en sera rien. C’est la société, son mouvement exprimant ses attentes, ses inquiétudes, ses exigences, ses aspirations, qui déterminent le moment et la nature cette nouvelle phase pour la vie politique nationale et par conséquent pour l’action gouvernementale. » Estimant que « plutôt que d’un mouvement avec les chômeurs », il s’agit « d’un mouvement social impliquant – qu’ils agissent directement ou non – des millions de nos concitoyens », Robert Hue y voit l’expression du fait « que des millions de Françaises et de Français – indépendamment du jugement majoritairement positif, on le sait, qu’il porte sur les premiers mois de la mise en place de la nouvelle majorité, du nouveau gouvernement – sont, en janvier 1998, confrontés aux mêmes urgences sociales, voire au même drame qu’en juin 1997. Ils ne peuvent plus, ils ne veulent plus continuer à vivre comme cela, et comme cela, est-ce vraiment vivre ? Certains y voient une épreuve pour le gouvernement et la majorité. Nous y voyons une chance pour le pays et un stimulant pour la gauche. Les sept mois écoulés et notre attitude dans cette période ont indiqué clairement la réalité constructive de notre démarche et le fait que nous nous inscrivons délibérément dans la durée. »

L’OPPOSITION EN ORDRE DE BATAILLE. Évoquant notamment les 35 heures, Robert Hue interroge : « Qui ne voit comment le grand patronat et la droite se placent en ordre de bataille pour faire obstacle à la mise en œuvre de la politique nouvelle, des réformes profondes nécessaires ? Mais comment faire face aux pressions, aux obstacles, si ce n’est en s’appuyant sur la force des aspirations des Françaises et des Français et de leurs expressions. Et donc en étant à leur écoute. C’est en cela que nous considérons le mouvement des chômeurs comme une chance. Comme utile, nécessaire. Un signe de santé dans une société en crise. La gauche aurait-elle à s’inquiéter d’un tel mouvement, de ce qu’il exprime de profond, de l’exigence de dignité et de citoyenneté qu’il représente ? Certainement pas ! Tout au contraire, le Parti communiste appelle de ses vœux un élargissement de l’intervention citoyenne. Parce que c’est une condition de la réussite du changement. Cette réussite nous la voulons. Nous y travaillons. Nous ne souffrons pas d’une trop grande mobilisation populaire, au contraire. »

UNE PREMIÈRE RÉPONSE. « Le gouvernement a apporté une première réponse », d’abord avec les emplois-jeunes, avec demain les lois sur les 35 heures et sur la lutte contre l’exclusion, le déblocage de un milliard pour les situations d’urgence et la reconnaissance de la légitimité des organisations que se donnent les privés d’emploi. « Mais, ajoute-t-il, comment ne pas entendre ceux qui continuent à considérer comme une urgence vitale – au sens propre – une augmentation substantielle des minima sociaux ? Vous connaissez comme moi ces chiffres : 11 % des Français au-dessous du seuil de pauvreté ; 4 chômeurs sur 5 touchent moins de 5.000 francs : 1 sur 3, moins de 3.000 francs. La Bourse affiche un gain de 30 % sur un an. Les entreprises ont reçu en 1997 150 milliards pour l’aide à l’emploi. On sait ce qu’elles en ont en fait. 1 % des revenus financiers des grandes fortunes permettrait de dégager 4 milliards. Et si, comme l’a proposé le prix Nobel américain Tobin, les énormes mouvements de capitaux qui s’effectuent chaque jour d’une place boursière à l’autre étaient taxés ne serait-ce que de 0,5 %, une partie des milliards de capitaux français envolés en fumée dans le crack des Bourses d’Asie serait au moins restés ici et pourrait être utilisée pour répondre aux demandes justifiées des privés d’emploi. »

CONTRAINTES ? « Elles sont réelles. Mais qu’ont dit, qu’ont voulu les Françaises et les Français en faisant des forces de gauche la majorité en juin dernier, sinon précisément qu’ils en attendaient une action résolue pour desserrer ces contraintes ? Et pour cela qu’on engage les réformes structurelles nécessaires ? »

RELAIS CITOYENS. Soulignant l’exigence de changements profonds, il estime : « Le Parti communiste est dans la majorité, au gouvernement, dans le pays, animé d’une seule et même volonté, cette dynamique sociale, gage du succès. Cela implique qu’il soit partout ce relais citoyens, insistant à l’écoute et à la prise en compte des attentes sociales et citoyennes. Et inséparablement, partout aussi, porteur de proposition pour trouver les solutions les meilleures aux problèmes posés. »

LE PCF POLE DE RÉUSSITE SOCIALE. « J’ai entendu ou lu diverses formules : « poil à gratter » ou « aiguillon de la majorité »… notre ambition est plus vaste. Elle vise à créer les conditions de la réussite du changement. Un changement dont le contenu, les rythmes, les accélérations nécessaires seront en fin de compte déterminés par le mouvement de notre peuple lui-même, des citoyens. Nous voulons en être le relais responsable. C’est notre apport dans la majorité. Formule pour formule, je préfère celle-ci : Le Parti communiste dans cette phase nouvelle de la vie nationale qui s’est ouverte veut être et s’efforcera d’être un pôle de réussite sociale pour contribuer à ce que la gauche réponde aux attentes de nos citoyens. »