Texte intégral
Le Progrès : jeudi 6 mars 1997
Le Progrès : Faut-il dire Madame « le », ou « la », ministre ?
Anne-Marie Idrac : « Le » ministre, comme j’ai pu être auparavant le directeur, et non la directrice. C’est pour moi l’affirmation de l’égalité de capacité entre hommes et femmes à assurer des fonctions… Dans les écoles, garçons et filles sont mélangées, comme dans les entreprises ou les associations. Le seul endroit où persiste une situation particulière, aberrante, c’est le monde politique !
Le Progrès : Vous l’expliquez comment ?
Anne-Marie Idrac : Par le fonctionnement de nos institutions et de nos partis. Le mode de scrutin législatif, à la majorité, est parmi tous le moins favorable aux femmes qui les scrutins de liste, comme les régionales ou les européennes. Le mode de fonctionnement des partis, leur difficulté à accepter le renouvellement, la faiblesse du vivier de femmes élues locales – toutes ces « bonnes » raisons contribuent à la situation actuelle, qui n’est pas normale.
Le Progrès : Comment changer : par l’imposition d’une parité ?
Anne-Marie Idrac : La parité est un objectif évident, naturel pour notre génération, qui doit être affiché clairement. Faut-il pour autant l’inscrire dans la Constitution ? J’hésite, car on a déjà souvent modifié la Constitution. Quant à l’application du principe, je suis pour un mixage homme-femme dans toutes les élections par scrutin de liste, en commençant certainement dès les prochaines régionales en 1998. J’ai fini par douter que l’engagement des partis suffirait. Il est évidemment indispensable, mais peut-être faudrait-il en passer par la loi. La société française, la République, doit veiller à promouvoir l’égalité, l’unité du peuple français, avant les différences.
Le Progrès : Vous vous souvenez des moqueries sur la liste « un homme – une femme » du PS aux européennes, baptisée « liste chabadabada »…
Anne-Marie Idrac : Je les avais ressenties comme une nouvelle expression du traditionalisme politique français – pour une fois exprimé sans trop de mauvais goût.
Le Progrès : Ça n’est pas toujours le cas,
Anne-Marie Idrac : Non… Le monde politique est l’endroit où l’on entend le plus des formes dites d’humour qui relèvent en fait de la grossièreté, de la goujaterie, d’un manque de respect des personnes absolument inimaginable.
Le Progrès : Face à ce genre « d’humour », comment réagissez-vous ?
Anne-Marie Idrac : J’essaie justement de garder mon humour, de répartir avec sang-froid et vivacité. Mais il est vrai, et nous en parlons souvent entre gemmes politiques, qu’on est assez désarçonné quand on reçoit dans le plexus solaire de telles brutalités machistes. On se dit qu’il doit manquer quelques choses dans la vie des personnages qui se permettent de tels propos. C’est beaucoup une affaire de génération, mais on ne peut malheureusement pas dire que cela disparaisse complètement avec les plus jeunes.
Le Progrès : Revenons aux moyens d’assurer une plus grande féminisation de la politique française…
Anne-Marie Idrac : Je ne serais pas choquée que, dans le cadre du financement public des partis, il y ait une forme de prime à la promotion des femmes, justifiée par la formation de ces élues, souvent sans expérience. Je connais l’argument, je l’ai même entendu de certains de mes collègues du gouvernement : l’argent et les femmes, c’est la prostitution… Franchement, c’est le type même d’argument machiste, obsédé par la sexualité, qui date d’une autre époque ! Il faut aller dans le sens d’une réduction du cumul des mandats, des fonctions ou des candidatures et plus généralement, des ouvertures au renouvellement des personnels politiques. Je crois enfin, comme mère de quatre enfants, qu’il faut revoir le statut de l’élu, pour ne plus obliger les femmes exerçant un mandat à mener une triple journée : leur emploi, leur mandat, et leur tâche de mère de famille.
Le Progrès : existe-il une manière féminine d’exercer le pouvoir ?
Anne-Marie Idrac : J’ai longtemps pensé que non. Je crois maintenant que les femmes sont plus concrètes, qu’elles préfèrent l’action aux discours, à la théorie et à « la mousse ». Elles ont aussi, dans leur majorité, un meilleur sens de l’humain, de l’écoute, et une meilleure perception de la solidarité entre générations, pour s’occuper à la fois du quotidien et de l’avenir.
La Nouvelle République du Centre-Ouest : samedi 8 mars 1997
Je sais bien que la Journée des femmes est un « marronnier » revenant chaque année à la même époque. Pour autant, femme ministre par le choix volontariste de Jacques Chirac et d’Alain Juppé, et aussi mère de quatre filles, je ne pouvais, bien sûr, choisir d’autre thème d’éditorial que celui-ci, choisir d’autre thème d’éditorial que celui-ci : « Les femmes sont au cœur du renouveau de la société ».
Je suis de ceux qui veulent une société d’initiatives et de participation dont le Français soient les acteurs. Tous les Français et pas seulement la moitié d’entre eux. Je suis de ceux qui veulent un pratique politique et sociale nouvelle avec, pour valeurs, la proximité, l’action de terrain, le respect de la personne humaine, le respect de l’environnement. Il me semble que les femmes sont tout particulièrement porteuses de ces valeurs. Elles manifestent un sens du concret, de l’action et des résultats, peut-être plus largement partagé que par les hommes. Je suis de ceux qui veulent une France forte. Une France qui assure les solidarités entre les générations, qui se préoccupe des jeunes. Par leur rôle dans la famille, les femmes ont une part importante de responsabilités pour l’avenir.
Pour les femmes de ma génération, les principales conquêtes juridiques sont acquises, même si elles méritent vigilance, et le travail féminin est, dans notre pays, également un acquis. Mais beaucoup reste à faire. Ce sont les femmes qui souffrent plus encore que les autres du chômage, de la précarité, et leurs salaires restent inférieurs à ceux des hommes. Ce sont elles qui ressentent et assument un grand nombre des difficultés de la société. Pour elles-mêmes et pour leurs enfants.
Sur le plan strictement politique, le souhait d’une meilleure représentation d’un besoin de modernisation, que désirent le président de la République et l’ensemble du Gouvernement. Je peux d’ailleurs témoigner de la très grande attention que Jacques Chirac porte, notamment dans les nominations, à la promotion des femmes. Le choix d’une plus grande représentation requiert également l’engagement de tous les partis, et notamment des partis de la majorité. Cela est le cas, j’en parle en connaissance de cause étant membre du bureau national de l’UDF et de Force démocrate, en vue d’une meilleure valorisation du potentiel de courage et de générosité que représentent les femmes dans notre pays.
Je crois d’ailleurs que, pour les jeunes générations, l’approche de la mixité et de la parité est tout à fait différente, plus tranquille, plus évidente. Cela ne peut que donner confiance.