Article de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, dans "Le Figaro" du 19 décembre 1996, sur les objectifs du Pacte de relance pour la ville, intitulé "Politique de la ville : briser le cercle vicieux".

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  • Eric Raoult - ministre délégué à la ville et à l'intégration

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

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Il est  temps d’aller plus loin que les initiatives antérieures, parfois bien inspirées, mais trop souvent parcellaires et pointillistes.

A travers l’adoption, le 31 octobre dernier, du pacte de relance pour la ville, la Parlement a exprimé sa volonté de donner au gouvernement les moyens de mettre en œuvre une politique d’intégration urbaine à la fois globale, cohérente et ambitieuse, dont les grands principes directeurs avaient été présentés le 18 janvier dernier, à Marseille, par le premier ministre.

L’accord est désormais donné pour procéder à la mise en place des piliers de soutènement d’une véritable architecture d’ensemble, capable d’aller plus loin que les initiatives antérieures, parfois bien inspirées, mais trop souvent parcellaires et pointillistes. Ce vaste chantier de recomposition urbaine s’apparente à bien des égards, à la nouvelle « ardente obligation » de cette fin de siècle.

En quelques mois seulement, soixante-dix mesures, relevant de textes législatifs ou réglementaires, distinctes d’abondement financier et d’adaptation contractuelle, auront ainsi pu être adoptées dans un climat de consensus relativement inédit.

Nous serons tous désormais qu’il ne sert à rien de multiplier les actions de traitement social du chômage si aucune perspective de revitalisation économique ne leur est offerte. Nous savons tous qu’il est utopique de maintenir la vie des commerces locaux, l’activité des services publics ou marchands, la présence d’artisans ou de professions libérales, si n’est pas prioritairement garantie leur sécurité physique et matérielle. Nous savons tous qu’il est impossible d’atteindre la mixité sociale de l’habitat et le bâti est laissé à l’abandon, si tous les mécanismes incitatifs en faveur du logement encouragent les classes moyennes à se retirer de ces quartiers en ne laissant derrière elles que les publics captifs.

Desserrer ces contraintes, briser le cercle vicieux à l’intérieur duquel se débat le politique de la ville depuis maintenant près de vingt ans supposait dès lors une action, à plusieurs niveaux, susceptible de réenclencher des processus plus vertueux.

En premier lieu, la délimitation de sept-cent-cinquante zones urbaines sensibles, de trois-cent-cinquante zones de redynamisation urbaine et de quarante-quatre zones franches, emboîtées comme dans un système gigogne, permet de proposer des modes d’interventions graduelles adaptées à l’intensité des enjeux. A travers de substantiels avantages fiscaux accordées aux entreprises qui s’y trouvent, s’y étendent ou s’y implantent, allant, en ce qui concerne les zones franches, jusqu’à l’exonération totale de charges sociales ou d’imposition dans la limite de certains plafonds.

C’est la progressive revitalisation économique des quartiers qui est désormais proposée. Il est devenu urgent de refuser l’émergence de véritables no man’s land ou de citées-dortoirs dans les périphériques de nos agglomérations, d’en finir avec les rideaux métalliques abaissés au pied des immeubles, de tourner la page des grands ensembles désespérées qui contemplent de loin quelques zones d’activités riches et inaccessibles. Comme l’a rappelé le président de la République, « l’idée de jouer la carte économique là où l’on a tendance à jouer seulement la carte sociale, c’est le chaînon manquant ».

Assurer la mixité sociale.

Profitant en partie aux populations locales, notamment par le biais des clauses spécifiques visant les PME, les emplois sauvés ou relocalisés dans ces quartiers signifieront ainsi la ferme volonté de briser les dynamiques ségrégatives à l’œuvre depuis plusieurs décennies au cœur de nos agglomérations. Naguère enclenchées par les contestables orientations des grands projets d’urbanisme inspirés par la séparation des fonctions chères à la charte d’Athènes, ces dynamiques viennent aujourd’hui se prolonger d’elles-mêmes, sous le dangereuse pression d’inégalités cumulables.

Cette revitalisation économique n’a évidemment pas pour objectif de garantir des « emplois domicile » ni d’offrir une quelconque « prime aux casseurs » comme certaines voix, jusqu’ici assez isolées, tendent à le faire croire. Elle vise au contraire à offrir des raisons d’espérer, un environnement préservé et dynamisant à l’immense majorité des habitants de ces quartiers qui, trop souvent, souffrent en silence. C’est à cela qu’il faut penser en priorité, et ce sont eux qu’il s’agit de continuer à raccorder à l’activité économique, aux services publics, à la vie culturelle de notre pays.

C’est aussi l’objectif des cent-mille « emplois de ville » prévus par le pacte de relance que de proposer aux moins de vingt-cinq ans des sept-cent cinquante zones urbaines sensibles des emplois de proximité et de service en milieu rural comme en milieu urbain, qui, sur financement majoritaire de l’État, pourront être créés en tout lieu de territoire national, à Vénissieux comme à Neuilly, à Versailles comme à Montfermeil. Là encore, c’est bien le souci de restaurer la « continuité territoriale » républicaine qui est à l’ordre du jour, même si cet objectif de retour au droit commun emprunte temporairement des moyens dérogatoires.

L’horizon ultime de cette politique n’est donc pas d’organiser des enclaves urbaines vivant en autarcie ou des ghettos repliés sur quelque communautarisme ethnique, il est au contraire de réalimenter les flux réciproques d’échanges entre les centres et les périphéries de la ville, d’effacer les frontières symboliques, sociales et psychologiques, qui sont à peu à peu venues segmenter la [illisible] urbaine. Pour ces raisons, il faut d’une part, rompre l’effet de nasse qui parfois se referme sur les populations des quartiers défavorisés, en leur redonnant notamment des capacités de mobilité, un projet professionnel, des ressources culturelles et éducatives ; c’est le but de nombreuses mesures du pacte consacrées au renforcement de l’encadrement scolaire des enfants de ces quartiers. Mais il faut dans le même temps, assurer la mixité sociale des zones sensibles en allant aux commerces, aux services publics, aux acteurs économies, les moyens et les raisons de rester ou de revenir aux classes moyennes des arguments pour ne pas déserter les quartiers populaires.

Mais ce n’est que sûrement d’une paix publique retrouvée et du rétablissement de la sécurité tant des personnes que des biens que pourront être fécondés les efforts accomplis au sein, du cadre scolaire sur l’habitat et l’urbanisme, en faveur de l’activité économique et des services publics dans les transports collectifs. Le renforcement des effectifs policiers grâce au redéploiement de quatre rôle de fonctionnaires sur trois après le développement du gardiennage au sein des immeubles, les nouveaux dispositifs créés pour répondre d’une manière adoptée à la petite délinquance juvénile ou accélérer le temps de réponse des juridictions ont égalent des mesures majeures qui viennent témoigner du caractère prioritaire de la sécurisation des quartiers et du retour de l’État de droit.

Le mot d’ordre d’Alain Juppé est donc bien de restaurer la cohésion sociale au cœur de nos villes et de refaire fonctionner le « creuset intégrateur » qu’elles ont longtemps incarné au cours de notre histoire. Or nul ne doutera qu’un tel soucis de réunification passe aujourd’hui par un effort accentué en direction de certains publics. Une bonne compréhension de l’idéal d’égalité qui imprègne les valeurs de la République accepte et même collecte certaines dérogations temporaires ou certains avantages particuliers dès lors que leur perspective reste le retour au droit commun. Le conseil constitutionnel a lui-même reconnu la légitimité d’un tel raisonnement, qui renoue avec le sage principe d’Aristote selon lequel on ne saurait traiter également des réalités inégales. L’égalité des chances des citoyens ne gagnerait rien à n’être qu’un principe abstrait. Notre devoir est d’en faire une réalité profondément vécue.