Texte intégral
Date : 7 novembre 1996
Source : Force Ouvrière Hebdo
Les événements de cette semaine, qui fut quelque peu écourtée il est vrai, se sont succédé à une vitesse grand V, les déclarations nombreuses et variées n’ont rien éclairci, bien au contraire.
Après la talentueuse opération médiatique de la Secrétaire générale de la CFDT qui, en plaçant sur le plan sexiste sa déconvenue, a cherché à s’attirer la sympathie d’une partie des femmes, a ainsi caché le peu de participation des éléments CFDT de la fonction publique aux manifestations du 17 octobre 1996 et fait oublier ses déboires de novembre 1995, la CFDT a, officiellement, sollicité les autres organisations syndicales pour… passer à l’action.
De notre côté, le Bureau confédéral a rappelé les positions de la Force ouvrière sur les problèmes de l’heure, de l’évolution du chômage à… la Sécurité sociale. Sécurité sociale qui fut d’ailleurs l’objet d’une conversation rapide et improvisée avec le Secrétaire général de la CGT à l’occasion du 50e anniversaire du Conseil économique et social, placé sous la présidence du chef de l’État ; la CGT ne met guère d’empressement à rappeler (elle se rattrapera par la suite, au moins publiquement) son opposition à la contre-réforme Juppé, il est vrai que le contact bilatéral CFDT-CGT avait libéré cette dernière de toute responsabilité dans les avatars du 17 octobre 1996.
Sécurité sociale qui alimentait, pour la première fois avec la loi de financement, les débats du Parlement, devant une Assemblée quelque peu clairsemée, c’est le moins que l’on puisse dire.
Le ministre du Travail a déclaré qu’il ne céderait pas aux lobbies corporatistes, on a vu la suite…
En fait, les seuls qui trinqueront sérieusement dans l’affaire seront les malades, et bien entendu les plus déshérités, les salariés, chômeurs et retraités.
Nous avions demandé à M. Pons, ministre des Transports, un entretien pour discuter des problèmes de sécurité dans les transports urbains. J’étais accompagné de Poletti, Secrétaire général de la fédération, et nous avons précisé qu’il fallait garantir la sécurité des professionnels (conducteurs) et des usagers, que l’État et les collectivités locales ne pouvaient ignorer la situation et… il semble que nous ayons été entendus. Le ministre s’est non seulement engagé, mais il a décidé de faire un effort de financement, ce qui en ces temps de pensée unique et de restriction budgétaire apparaît paradoxal.
Ce même ministre, qui fera l’objet d’un papier dans le journal Le Point n° 1259, dans lequel – au détour d’une phrase – il dévoilera la stratégie de Matignon à l’égard de la Sécurité sociale et confirmera que Force ouvrière a été victime d’un programme de communication…
On comprend mieux, si telle est la pratique, le résultat actuel des sondages d’opinion sur le gouvernement.
Opinion que nous n’avons pu éclairer, malgré notre bonne volonté, sur la pénétration du Front National dans le milieu social. En effet, un rédacteur du journal Le Monde ayant dénoncé l’obscurité de FO sur la question, il nous était apparu que nous pouvions, dans le cadre d’une émission télévisée sur LCI, préciser les choses. Par exemple que le 21 décembre 1995 nous avions demandé, officiellement, au Premier ministre que seules les organisations syndicales représentatives puissent présenter des candidats aux élections de la fonction publique, que le Secrétaire général de Force ouvrière était cité, si l’on en croit les déclarations du maire d’Orange, devant la justice pour diffamation, que nous n’oublions pas la disparition de Pierre Nouveau, que le caractère « libertaire » et « voltairien » de Force ouvrière nous place de facto dans le camp opposé aux racistes, xénophobes, antisémites et autres intolérants. Hélas ! La station de télévision n’avait pas précisé que le débat devait être contradictoire et que l’autre participant était… un représentant, et non des moindres, du FN.
Il est des contacts qu’il vaut mieux éviter, quel que soit notre sens du débat et de la démocratie.
Notre commission exécutive confédérale traitera des initiatives à prendre. Tous les sondages d’opinion montrent que personne n’est satisfait, les statistiques du chômage ne laissent aucun espoir, les Français estiment dans leur ensemble qu’il doit y avoir des réactions sociales, s’ils n’envisagent pas obligatoirement d’y participer, ils les approuvent d’ores et déjà.
Nous ne pouvons pas les tromper, rien ne serait plus grave et démobilisateur que de faire semblant d’être unanimement d’accord à la fois sur tout et sur rien. Les salariés demandent des choses claires et directement perceptibles ; nous en revenons ainsi à nos revendications et à notre détermination d’organisation syndicale libre et indépendante.
Regardons la loi de Robien, qui reçoit sans nuance le soutien militant de la CFDT. Chacun aura compris à l’étude du texte que son application bloque toute possibilité de négociation collective dans les entreprises (le problème des subventionnés et des non-subventionnés), qu’elle accroît les disparités entre les salariés faisant 32 heures et les travailleurs à temps partiel, et surtout qu’elle obère sur pratiquement cinq ans les finances de la Sécurité sociale.
On y revient toujours, à cette Sécurité sociale.
Preuve, s’il était nécessaire, que l’on ne peut échapper à un éclaircissement sur cette question.
Date : 20 novembre 1996
Source : Force Ouvrière Hebdo
Au soir du samedi 16 novembre 1996 nous notions que sur deux tiers des manifestations et rassemblements qui s’étaient tenus cette journée, on pouvait décompter plus de 150 000 participants.
À Paris, plus de 25 000 personnes ont manifesté, Force ouvrière tenant la tête du défilé.
Ces chiffres dénotent donc une bonne mobilisation.
Ils dénotent aussi une nécessité : celle d’avoir des revendications claires, bien expliquées, sans ambiguïté.
Pour Force ouvrière, ces revendications portent sur le pouvoir d’achat, la Sécurité sociale, le service public, la lutte contre le chômage, l’indemnisation des chômeurs et la réduction de la durée du travail sans perte de salaire.
Certains veulent y voir un package « fourre-tout » en fait ces revendications sont complémentaires, elles se déclinent autour de la notion du chômage et s’adressent au gouvernement et au patronat.
Elles touchent fondamentalement à la nature de la politique économique menée et à la nécessité de sortir de la logique restrictive.
Mettre à l’écart une revendication serait illogique et, au niveau interprofessionnel, serait faire preuve de légèreté.
Ainsi, oublier les effets destructeurs du plan Juppé serait cautionner sa mise en œuvre et les déclarations telles que celles de M. Bébéar (reprises par un vice-président du CNPF), qui entend développer une sécurité sociale privée, concurrente de la Sécurité sociale. C’est la logique mise en œuvre à Bruxelles sous couvert de service universel, c’est-à-dire un cahier des charges minimal pouvant être rempli par le public ou le privé, ce qui commence à poindre dans quelques secteurs aujourd’hui.
En tout cas ce serait la fin de la Sécurité sociale solidaire et égalitaire et le retour au XIXe au siècle.
De même parler de la réduction de la durée du travail dans son seul aspect productiviste de type loi de Robien serait à nouveau accroître les disparités en accordant de nouvelles aides financières aux entreprises.
Et n’oublions pas que ceux qui soutiennent de telles orientations sont aussi ceux qui n’ont apparemment rien à redire sur la politique économique menée.
Visiblement gouvernement et patronat semblent dans l’incapacité de raisonner et de décider autrement qu’en termes de réduction des dépenses et de déréglementation.
C’est le cas quand le gouvernement reconnaît travailler actuellement sur une réforme du code du Travail.
Une telle réforme serait rendue nécessaire par le fait que les petites entreprises n’embaucheraient pas par crainte de ne pouvoir débaucher si nécessaire.
C’était ce que M. Gattaz réclamait et obtenait, en son temps, avec la suppression de l’autorisation administrative de licenciement avec le succès que l’on connaît sur l’emploi ! Les ENCA, Emplois nouveaux a contraintes allégées.
Et de nous sortir le sempiternel exemple du plombier que l’on appelle et qui ne peut pas venir tout de suite.
Mais est-ce que ce plombier a vraiment envie d’embaucher ?
Et si l’on est contraint d’appeler trois plombiers pour avoir satisfaction, l’activité en termes statistiques n’est pas multipliée par trois, car il s’agit toujours de la même demande !
Tout cela nous fait penser aux « conversations économiques » du café du commerce.
De fait avec les différentes dérogations et dispositions adoptées depuis quelques années, il est tout aussi simple d’embaucher que de licencier en France.
Ce qui gêne les employeurs, ce n’est pas cela, c’est plus concrètement le fait qu’ils doivent payer une indemnité de licenciement ou une indemnité de précarité à la fin d’un contrat à durée déterminée.
De plus en plus, ils considèrent les salariés comme un produit sur un marché, le marché du travail : on se le procure quand on en a besoin, on s’en sépare quand on le veut et surtout sans que ça ne coûte trop cher.
Bientôt on demandera d’amortir les salariés comme on amortit les machines avant de les mettre au rebut !
Tout cela n’est pas acceptable.
Et le ministre du Travail, qui se réclame souvent de l’éthique ou de la morale, devrait bien réfléchir avant de s’engager dans de telles voies.
Au lieu de s’enliser sur le terrain de la déréglementation, le ministère du Travail serait plus inspiré en s’attachant à limiter les heures supplémentaires, à renforcer les droits des salariés à temps partiel et en s’efforçant de mettre en place des moyens de contrôle efficaces.
Date : 27 novembre 1996
Source : Force Ouvrière Hebdo
Revendication – Négociation – Action
La semaine passée a été marquée par trois événements : le conflit des routiers, la négociation assurance-chômage et les déclarations du président Valéry Giscard d’Estaing.
Sans plagier Pierre Dac, selon qui « tout était dans tout et réciproquement », ces trois événements, « a priori » différents, ont de fait des points communs. Tous trois sont à relier aux réactions et mesures à prendre face au libéralisme économique débridé et à l’économie restrictive qui en découle.
Les chauffeurs routiers salariés ne supportent plus leurs conditions de travail de plus en plus pénibles : durée du travail très longue, non-paiement des heures d’équivalence et des temps de repos, salaires insuffisants, pénibilité de plus en plus lourde de leur travail.
Cela fait des années qu’ils dénoncent cette dégradation. Comme souvent, on ne les écoute pas, d’où leur décision de se faire entendre.
Le secteur du transport routier est un secteur où le dumping social fonctionne à plein. Alors que le prix de revient moyen de la tonne transportée au km tourne autour de 7 francs, il est courant de développer les affrètements en cascade, étranglant la sous-traitance en obligeant un transport à 3 francs.
Il en résulte de gros profits pour certains, des conditions de travail plus que pénibles pour d’autres avec un matériel qui ne peut pas toujours répondre aux normes de sécurité.
C’est la logique de la compétitivité-prix prioritaire. Face à un patronat qui ne veut pas prendre ses responsabilités dans les négociations et qui laisse pourrir la situation de manière quasi cynique, il était du rôle des pouvoirs publics d’intervenir en convoquant une table ronde pour débloquer la situation, comme cela fut déjà le cas en 1992. La Fédération FO des Transports sait se montrer déterminée et responsable, alliant revendication, négociation et action.
La situation de l’assurance-chômage découle également de la situation économique et sociale.
Alors que le chômage augmente, le régime dégage des excédents. Cela est notamment dû au fait qu’avec la mise en place de l’Allocation unique dégressive (AUD, que FO a toujours refusée), l’UNEDIC a en fait cherché à réduire ses coûts en diminuant les allocations et le nombre de chômeurs indemnisés.
Lors de la première séance de négociation, Force ouvrière a rappelé ses revendications, insisté sur la nature paritaire et autonome du régime et déposé un projet global sur l’indemnisation des chômeurs prenant en compte la nécessité d’une meilleure indemnisation, d’une simplification et d’une remise en cause de I’AUD.
Nous avons également insisté pour que soit traitée la situation des chômeurs ayant déjà cotisé quarante ans à l’assurance vieillesse.
Enfin, nous avons demandé et obtenu que l’ARPE (1) soit prioritairement abordée.
Découlant d’un accord spécifique du 6 septembre 1995, il faut non seulement pérenniser le système pour deux ans, mais améliorer certains paramètres, dont les conditions d’accès.
Les négociations seront rudes entre le patronat, qui pense prioritairement à alléger les cotisations patronales, une CFDT qui considère courageux de maintenir I’AUD – dont elle fut le soutien pratique et actif – et qui se prononce pour une activation des dépenses (2), et une CGT qui verse dans la démagogie.
Force ouvrière sera là aussi, déterminée et responsable, avec la volonté de prendre prioritairement en compte la situation des chômeurs.
Les déclarations de l’ancien président de la République, M. Valéry Giscard d’Estaing, sur les taux de change et sur l’euro, ont quant à elles le mérite de poser un vrai problème.
Rappelant qu’il appartient à chaque nation de déterminer son taux de change, il rappelle tout simplement que l’économie n’est pas un dogme qui doit sacrifier l’emploi et la cohésion sociale.
Son intervention a d’autant plus de poids qu’il ne peut être taxé d’antieuropéen étant lui-même l’un des fondateurs du Système monétaire européen.
C’est en quelque sorte une leçon de bon sens donnée aux technocrates étriqués.
(1) Système permettant aux salariés de cesser volontairement leur activité après 57,5 ans et quarante ans de cotisation à l’assurance-vieillesse avec embauches correspondantes
(2) Rappelons que ladite activation consiste à ce que l’UNEDIC verse l’équivalent à l’employeur de l’indemnité chômage, que l’on confond ainsi UNEDIC et rôle de l’État et qu’on participe à l’allégement du coût du travail.