Interview de M. Edouard Balladur, député RPR, à "VSD" du 7 novembre 1996, sur la politique gouvernementale, notamment l'emploi, la réduction des dépenses et déficits, la baisse des impôts, l'Union économique et monétaire et la majorité.

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Média : VSD

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VSD : La France n’a pas le moral !

Edouard Balladur : Cela lui arrive parfois. Nous vivons une crise économique, morale et psychologique. Depuis vingt ans les Français sont appelés à faire des efforts ; ils ont le sentiment d’être emportés dans un mouvement de l’Histoire qu’ils n’arrivent plus à maîtriser ; ils ont l’impression que l’avenir est bouché, que tout est de plus en plus difficile.

VSD : ils doutent de leurs dirigeants…

Edouard Balladur : Peut-être attendent-ils trop d’eux. Dans les périodes exceptionnelles, guerres ou révolutions, leur rôle est primordial. Dans les périodes moins troublées, le mouvement de la société compte.

VSD : Peut-on supporter sans fin des efforts sans résultats concrets ?

Edouard Balladur : La France a l’un des taux de chômage les plus élevés des pays de l’OCDE. N’est-ce pas parce que nous n’avons pas assez changé habitudes et structures ? Nous avons commencé il y a trois ans un mouvement de réduction du coût du travail. C’est la condition de la réduction du chômage. Il faut aller plus loin et plus vite. Mais pour réduire les prélèvements, il faut réduire les dépenses, et donc accepter le changement.

VSD : Que remettre en cause ?

Edouard Balladur : A force de protéger, de réglementer, de prélever pour redistribuer, on dissuade la création d’emplois. Nous avons des coûts collectifs trop lourds. Les prélèvements, les cotisations, les impôts institués pour financer la redistribution aggravent le chômage, diminuent les recettes publiques et augmentent les besoins de redistribution.

VSD : Y a-t-il une méthode Balladur pour retrouver la confiance ?

Edouard Balladur : L’action que j’ai menée a permis à deux reprises de retrouver la croissance. Ma méthode c’est, d’abord, dire clairement aux Français quels efforts on leur demande, ne pas leur promettre que tout sera facile. Ensuite, faire les réformes nécessaires mais en associant tout le monde pour que chacun accepte de participer. Il faut évoluer progressivement pour être compris sinon il y a des chocs en retour qui vous ramènent bien en deçà du point de départ. La confiance est capitale ; il faut offrir aux Français une perspective qui les conduise à s’engager, à investir, à consommer.

VSD : Le gouvernement s’explique mal et néglige le consensus…

Edouard Balladur : J’approuve la réduction des dépenses et des déficits, la stabilité monétaire et la baisse des impôts. Mais il faut aller plus loin. C’est ce que j’ai appelé la voie nouvelle. De 1986 à 1988, quand j’étais ministre de l’Economie et des Finances, nous avons baissé les impôts de 100 milliards de francs en deux ans. Pour la baisse des impôts, il faut aller plus loin que les 75 milliards en cinq ans qui sont prévus. Ensuite, il faut davantage de pouvoir d’achat soit distribué afin que la consommation reprenne. Depuis dix ans les profits de la productivité vont davantage aux entreprises qu’aux salariés. Inversons cette évolution, notamment par des mesures d’incitation fiscale. Puis il faut que nous ne soyons pas fragilisées par un niveau de parité du franc et mark trop élevé par rapport au dollar. Enfin, il faut être ambitieux dans la réduction du coût du travail et des cotisations pour augmenter le salaire direct et assouplir notre réglementation de travail. Ou nous maintenons intact notre système actuel, et le chômage ne diminuera pas ; ou nous les modifions profondément, et l’emploi augmentera.

VSD : L’europessimisme ne compromet-il pas les chances de l’Europe ?

Edouard Balladur : J’espère que non. L’Europe a longtemps été considérée par l’opinion comme une sorte d’eldorado résolvant tous les problèmes. Depuis quelques années, elle est synonyme de menace, de changements que les peuples redoutent. C’est peut-être que ceux qui gouvernent n’ont pas su expliquer que ces changements étaient inéluctables ! Le monde évolue vite, il ne nous attendra pas. Nous ne parviendrons pas à lui imposer notre règle du jeu.

VSD : L’Euro, cela servira à quoi ?

Edouard Balladur : C’est un avantage considérable qui permettra de faire des économies énormes sur les frais financiers et bancaires. Il facilitera les échanges sur un grand marché de 350 millions d’habitants et permettra de lutter contre la prééminence du dollar.

VSD : Faut-il aménager Maastricht ?

Edouard Balladur : Non. Le traité a été rédigé dans une période de croissance, on doit l’appliquer dans une période de croissance plus faible. Mais si on y touche, cela voudra dire que l’on reporte de nombreuses années son application, voire que tout s’écroule. Il faut respecter et la date et les critères prévus pour l’Euro.

VSD : Le service public « à la française » est-il condamné ?

Edouard Balladur : La France a la tradition d’un Etat plus présent qu’ailleurs dans la vie économique. Là aussi, il faut changer, admettre la concurrence car l’ouverture du grand marché européen c’est la fin des monopoles y compris des monopoles publics.

VSD : Doit-on revenir sur certains « avantages acquis »

Edouard Balladur : N’entretenons pas les Français dans l’illusion. Rien n’est jamais acquis pour toujours ? Il y a un grand débat sur l’assurance maladie : peut-on dire que même si les déficits s’accroissent on ne touchera jamais à rien ? Non les Français le savent bien je suis partisan de l’assurance maladie et du régime général de la Sécurité sociale, mais si on n’arrive pas à réduire les dépenses comme on ne peut plus augmenter cotisations et prélèvements on ne pourra pas continuer à rembourser au même niveau. Voilà la vérité. Il faut la dire et faire appel au sens des responsabilités de chacun, reconstituer une vraie politique contractuelle dans la gestion de la Sécurité sociale.

VSD : Faut-il poursuivre les privatisations au même rythme ?

Edouard Balladur : Oui. Les nationalisations ont démontré leurs méfaits et les socialistes sont fort mal venus de faire la leçon. Il faut terminer la privatisation des entreprises publiques concurrentielles et admettre l’introduction partielle du capital privé dans les entreprises à monopole.

VSD : Approuvez-vous le choix fait dans la cession de Thomson ?

Edouard Balladur : D’après les éléments d’information que j’ai, oui. Mais j’entends maintenant dire que ce choix ne serait pas définitif !

VSD : Et la méthode ?

Edouard Balladur : Dans le cas d’une entreprise dont le rôle est essentiel pour la défense. Il est normal que l’Etat ait une appréciation qui prévale.

VSD : Et la transparence ?

Edouard Balladur : Mieux aurait valu pour le gouvernement saisir la commission de privatisation avant de faire connaître sa préférence, et son estimation pour le prix.

VSD : Céder Thomson pour 1 franc cela choque beaucoup les gens…

Edouard Balladur : La commission appréciera.

VSD : Sans diplomatie excessive, votre regard sur le gouvernement ?

Edouard Balladur : Vous me trouvez trop diplomatique ?

VSD : La précaution est utile avec les politiques !

Edouard Balladur : Peut-être, mais il n’est pas utile de prendre les mêmes précautions avec chacun, certains les méritent plus que d’autres ! La situation est difficile. Tous les pays européens ont à peu près les mêmes problèmes : croissance insuffisante, chômage qui augmente, déficits trop lourds. Ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui font les réformes les plus profondes : Pays-Bas, Suède et bientôt Allemagne. Il faut sortir de la pensée unique social-démocrate qui domine notre vie publique. Nous n’imposerons pas de force notre modèle à un monde qui s’unifie.

VSD : Que vous inspire l’affaire Foll ?

Edouard Balladur : Je ne veux pas commenter un jugement. Monsieur Foll est un haut fonctionnaire compétent qui a un grand sens de l’Etat.

VSD : Faut-il légiférer sur le racisme ?

Edouard Balladur : Il aurait mieux valu vérifier d’abord ce que permet ou ne permet pas la législation en saisissant les tribunaux.

VSD : La montée du FN vous inquiète ?

Edouard Balladur : J’ai été frappé par Gardanne Soixante pour cent de ceux qui ont voté ! on fait le FN ou le PC. C’est la traduction de la méfiance des Français envers la politique. L’un des grands défis c’est leurs redonner confiance. Il faut résoudre les problèmes de fond sans leur cacher que ce sera difficile. Mais il est également nécessaire de mettre la politique à l’abri des affaires qui ternissent son image. Les conditions de la confiance : vérité réforme courage.

VSD : Souhaitez-vous une initiative politique du Président ?

Edouard Balladur : La décision ne m’appartient pas.

VSD : Une majorité critique, c’est sain ?

Edouard Balladur : Une majorité aussi considérable a un devoir de diversité, de proposition. Cela dit, tout est une question de ton, d’attitude et de climat. Ce qui nous rassemble est plus important que le reste. Le débat, c’est avec les socialistes que nous devons l’affronter. Nous ne gagnerons pas en 1998 si nous ne sommes pas unis.

VSD : Que pouvez-vous apporter à la majorité ?

Edouard Balladur : Un effort de vérité. Ensuite, l’inciter à prendre des mesures courageuses et difficiles et lorsqu’elles sont impopulaires avoir l’honnêteté élémentaire de partager l’impopularité avec le gouvernement. Enfin, pratiquer la tolérance ; on n’est jamais sûr d’avoir raison tout seul.

VSD : Le pouvoir vous manque ?

Edouard Balladur : Non. Ma vie a été faite de périodes d’activité suivies de périodes de réflexion et de liberté plus grande. C’est un bon équilibre. Cela permet de se remettre en cause et de réfléchir à ce qu’on fait, pas fait et ce qu’on aurait pu faire ! Je n’attends rien, je ne suis candidat à rien. Je dis ce que je crois être la vérité, sans redouter les conséquences, sans agressivité et sans ménagements.

VSD : Certains Français se demandent si vous auriez fait mieux si vous aviez été élu. Et vous ?

Edouard Balladur : Non, je ne regarde jamais en arrière. Serais-je bien objectif ?

VSD : Mais la finalité de la politique c’est gouverner !

Edouard Balladur : C’est plutôt l’ambition que les choses aillent bien pour notre pays, qu’il se redresse, qu’il soit prospère fort et respecté. Cela demande beaucoup d’efforts. Il faut le faire.