Interviews de M. François Léotard, président de l'UDF, dans "Le Figaro" du 13 février 1997, à TF1 et à Europe 1 le 19, sur sa décision d'être tête de liste dans le Var aux élections régionales pour lutter contre le Front national, les positions de l'UDF notamment sur la sécurité, la décentralisation, l'emploi, et la polémique autour du projet de loi Debré sur l'immigration.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Europe 1 - Le Figaro - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Le Figaro - 13 février 1997

Le Figaro : Vos visites à Alain Juppé ou Jacques Chirac sont de plus en plus fréquentes. Que se passe-t-il ?

François Léotard : Rien que de très naturel dans une démocratie digne de nom. Le président de la deuxième formation de la majorité rencontre les deux responsables de l’exécutif et leur fait part des préoccupations et les propositions de l’UDF.

Le Figaro : Mais vous n’entrez pas pour autant au gouvernement ?

François Léotard : Je ne pense pas que cette question soit aujourd’hui d’actualité. Elle n’a pas été abordée au cours de mes entretiens avec le chef de l’État ou le premier ministre. Une telle décision relève de toute façon du président de la République et non des postulants. Je n’en suis pas.

Le Figaro : Parce qu’il est trop tard, parce qu’à quelques mois de l’ouverture de la campagne législative, votre activité ministérielle serait réduite ?

François Léotard : J’ai le sentiment que, très vite, après deux année et demie de gestion et de réformes, va s’ouvrir une période consacrée à l’explication démocratique. Dans cette dernière partie du parcours, j’ai un rôle à jouer comme président de l’UDF sans être nécessairement au gouvernement.

Le Figaro : Vous vous sentiriez même mieux dehors que dedans ?
François Léotard : Ma liberté d’esprit est plus grande là où je suis qu’elle ne le serait au gouvernement. A la tête de l’UDF, qui doit continuer à s’affirmer, j’exerce le mandat que j’ai sollicité et j’en suis très heureux. Je ne vous cache pas, néanmoins, que j’ai assumé avec une grande passion et le sentiment d’être utile à mon pays deux fonctions ministérielles en quelques années.

Le Figaro : De très nombreux responsables politiques ont commenté l’élection de Vitrolles. Vous, vous n’avez encore rien dit. Pourquoi ce silence ?

François Léotard : Benjamin Constant disait : « L’acceptation du 18 brumaire est venue d’un peuple fatigué d’une République nominale. » Je suis en peu irrité par l’évocation lyrico-dépressive, l’incantation inquiète et exaltée faite depuis quelques jours à cette République nominale. Président du Parti républicain, je suis moi-même, bien sûr, très attaché à un certain message républicain. Mais l’invoquer à tort et à travers, sans dire ce qu’il signifie, conduit à une perte de sens et à une grande confusion des esprits.

Le Figaro : Comment sortez-vous de cette situation ?

François Léotard : Il faut définir ce qu’est le contrat républicain. Je prends un exemple volontairement rude. Je suis pour une France qui accepte son caractère pluriethnique et pluriculturel parce que la France ce n’est pas une race. Cela ne l’a jamais été. Est-ce qu’on a le courage de le dire, plutôt que de faire des invocations à la République ? On pourrait multiplier les exemples. Prenons en un autre : la pratique de la « préférence nationale », dont parle le Front national, est effective dans la fonction publique, puisqu’il est généralement interdit à un étranger d’y entrer. Ce n’est pas en soi quelque chose qui nous bouleverse. Redonnons un sens aux mots.

Le mot République, il faut bien voir ce que cela signifie. Si c’est au sens antique du terme, c’est-à-dire que les intérêts de l’État prévalent systématiquement sur ceux du citoyen, je ne suis pas d’accord. L’exécutif n’a pas à se mêler de la vie privée des citoyens : il n’y a pas d’ordre moral qu’il conviendrait d’imposer à 58 millions de Français, mais plutôt une certaine morale qui devrait s’imposer à l’État. Aujourd’hui ce dernier devrait abandonner des fonctions dont il s’est abusivement emparé.

Le Figaro : Dès lors que les mots auront retrouvé leur sens, le combat contre le Front nation sera gagné ?

François Léotard : Il faut avoir une analyse du Front national de nature historique et culturelle. C’est un mouvement qui trouve ses racines dans notre histoire contemporaine et, notamment, dans la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale. Le Front national d’aujourd’hui c’est la répétition, mot pour mot, image pour image, vote pour vote, des Lignes d’extrême droite d’avant-guerre. La question qui se pose est celle-ci : est-ce que ce qui a provoqué, il y a soixante ans, cette négation de l’humanisme européen, est à l’œuvre aujourd’hui en France ? Oui, le Front national est un mouvement xénophobe, antisémite et crypto-fasciste. Je ne le dis pas depuis quelques jours seulement, mais depuis des années.

Dès lors, on peut évoquer la République et honorer, comme l’a fait le président de la République, les brigadistes espagnols qui se sont battus pour elle. Pourquoi, à droite, être gêné par cet hommage ?

Le Figaro : Mais année après année, les beaux discours d’intention se succèdent et s’achèvent dans l’impuissance de l’action…

François Léotard : Permettez-moi de vous rappeler que dans une région où le Front national est à 25 %, j’ai été élu à quatre reprises comme maire et trois fois au premier tour. J’ai battu l’actuel maire FN de Toulon en 1988. Ce ne sont pas des incantations. La difficulté de la République, je la vis tous les jours.

Le Figaro : Ce combat local vous suffit. Quand bien même autour de vous, dans votre région, trois et maintenant quatre villes sont gagnées par le Front national… Ne portez-vous pas une part de responsabilité ?

François Léotard : Je suis maire depuis vingt ans. Qu’on me juge sur mon mandat de maire. Je suis étonné de cette polémique récurrente. Je ne suis pas, et n’ai jamais été, président du conseil général du Var et pas d’avantage de celui des Alpes-Maritimes. Je ne suis pas non plus président de région, et je ne l’ai jamais été. Je demande à être jugé là où je suis.

Le Figaro : Votre combat s’arrête-t-il aux portes de Fréjus ?

François Léotard : L’élection de Vitrolles comme l’évolution générale de la région me poussent à m’impliquer physiquement dans le combat politique au-delà de ma commune. J’ai donc pris la décision de me présenter comme tête de liste dans le Var aux élections régionales. Comme je suis attaché à une limitation du cumul des mandats, si le succès est au rendez-vous, cela aura quelques conséquences…

Le Figaro : Vous abandonneriez votre mandat de maire de Fréjus et de député…

François Léotard : C’est un choix qui se présentera à moi ; nous n’y sommes pas encore, mais je crois qu’être président de région, c’est un travail à temps complet. Sur le fond de ce débat sur le cumul des fonctions, je suis comme Galliée : je m’agenouillerai devant l’inquisition, mais je continuerai à dire : « Et pourtant, il faut arriver à un homme, un mandat. » Et si possible que cela soit inscrit dans une loi. Tant que ce n’est pas le cas, ce sont les électeurs qui décident.

Le Figaro : Voilà qui vous éloigne encore plus du gouvernement…

François Léotard : Le gouverneur du Texas est-il membre du gouvernement américain ? Non. Je sais bien que ce n’est ni la même dimension, ni la même fonction, mais tout de même… A l’heure qu’il est, la majorité s’oriente vers une décision positive, mais encore insuffisante : deux mandats seulement, dont un seul exécutif.

Le Figaro : Vous vous engagez dans une partie très difficile. Le sort de cette région ne tient plus qu’à un fil…

François Léotard : Je tiens à ce que ce fil devienne plus solide. Je pense, en effet, que l’on ne peut pas rester indifférent, ou éloigné tout simplement, d’un combat de cette nature. Il est d’abord régional, car les quatre villes gagnées par le Front national sont en Provence, et je suis provençal. Quand je pense que le Var a été l’un des départements qui a le mieux résisté au coup d’État de Louis-Napoléon… Un vieux département républicain… Quand je vois que c’est dans ce département qu’un mouvement d’extrême droite atteint plus de 25 %, je me dis qu’on ne peut pas laisser les choses continuer ainsi. Je vous rappelle que j’ai été le seul élu en 1988 d’une triangulaire contre le Front national et le parti socialiste, dont les intérêts étaient conjugués. Ce n’est pas un titre de gloire. Mais je n’ai pas de leçons à recevoir. J’attends même avec beaucoup d’impatience que M. Le Pen se présente dans la région. A Nice ou à Toulon. Nous trouverons la réponse. Elle sera assez spectaculaire. J’ai quelques idées…

Le Figaro : Et les hommes pour engager avec vous c combat ?

François Léotard : Avec Jean-Claude Gaudin, qui a su gagner la mairie de Marseille, nous ferons équipe. Je pense que l’UDF est certainement la famille politique qui pourrait, si elle le voulait, le mieux répondre aux dérives du Front national. C’est une famille humaniste, décentralisatrice, sociale, profondément européenne. Autant de différences avec le Front national. Le combat est rude. Cela me plaît. Nous allons, par exemple, mener une campagne sur l’euro en Provence, sur ses avantages. Dans ma ville, les gens ont voté contre Maastricht. Et, chaque année, la fréquentation touristique est à plus de 50 % européenne ! Je n’ai pas été suivi sur ce sujet. Je n’ai certainement pas fait assez œuvré de pédagogie. Il faut repartir. Et je le ferai.

Le Figaro : Vous voulez placer l’Europe au cœur de votre combat contre le Front national ?

François Léotard : Il y a d’autres propositions très concrètes pour attaquer les racines mêmes de ce vote. La première concerne la sécurité. Nous sommes dans un pays où l’on vole environ 500 000 autoradios par an et plus personne ne porte plainte, convaincu qu’on ne peut rien faire contre cette délinquance dite secondaire. A moins d’organiser différemment la police nationale. Je propose de distinguer ce qui relève de la police d’État et ce qui relève de la police de proximité. A la police d’État incomberait la protection des frontières, la police judiciaire, le maintien de l’ordre. Le reste, ce que l’on appelle « la tranquillité publique » dans le code des communes, serait du ressort d’une police de proximité sous l’autorité du maire et du procureur de la République. C’est une vraie loi cadre qui me semble nécessaire, une réforme sur plusieurs années qui irait dans le sens de ce que font d’autres grands démocraties. La police de New York, où la délinquance diminue fortement, est sous l’autorité du maire de New York, pas sous celle du président des États-Unis.

Le Figaro : Les maires FN seront les premiers à vous applaudir.

François Léotard : Je n’ai pas parié de milices municipales ! Pour éviter toute dérive, j’ai pris soin de parler du procureur de la République : à lui de veiller à ce que les limites imposées par un État de droit et par un cahier des charges strict soient respectés. Vous savez, si la tranquillité se développe, ce ne seront pas les candidats du FN qui seront élus. C’est aussi simple que cela. Les gens ne sont pas fascistes par nature. Simplement, ils sont irrités, deviennent coléreux, puis, extrémistes. Parce qu’on les a bousculés dans leurs biens ou dans leur personne.

Ne pas regarder en face les problèmes de sécurité témoigne d’un angélisme douteux et très pervers. Le Pen une expression que vous connaissez : « Un électeur du Front national est un électeur du RPR qui a été cambriolé trois fois. » Il n’a pas totalement tort. Il ne suffit pas de parler de la République toutes les cinq minutes ! Si nous n’avons pas le courage de regarder cette réalité en face, de proposer des solutions pour lutter contre cette insécurité, alors nous contribuerons à l’élection d’autres maires Front national.

Le Figaro : Le vote Front national ne puise pas ses racines dans le seul sentiment d’insécurité.

François Léotard : Ma deuxième proposition concerne la gestion locale de l’emploi. J’ai créé une maison pour l’emploi à Fréjus. Ces maisons pour emploi pourraient être aujourd’hui ce qu’ont été, dans les années 60, les maisons de la culture. On luttait contre l’inculture. Il faut lutter aujourd’hui contre le sous-emploi qui entretient, en grande partie, le malaise français. Il faut trouver des stratégies locales de soutien aux initiatives locales qui passent par les autorités locales. Parce que la bureaucratie française est ainsi faite, les grandes stratégies nationales aboutissent aujourd’hui à 44 mesures pour l’emploi qui, comme le dit M. Barre, soutiennent plus le chômage qu’elles ne soutiennent l’emploi.

Après l’élection de Vitrolles, tout le monde a dit : il faut retrouver le contact avec les Français. Mais ce n’est pas l’État qui aura ce contact. Il sera noué par des actions de proximité, par des élus. L’UDF milite pour qu’une deuxième vague de mesures de décentralisation puisse voir le jour, quinze ans après les lois Deferre. Le discours d’aujourd’hui, tenu sur ce sujet par le gouvernement, ne nous semble pas suffisant. On dit que le Front national menace la démocratie qui menacera le Front national.

Le Figaro : A vous entendre, la droite serait plus efficace que la gauche face au Front national.

François Léotard : A condition d’être elle-même et de ne pas pratiquer ce que l’on peut qualifier trop souvent de social-étatisme. En tout cas, la gauche aujourd’hui est très mal placée pour donner des leçons. Les maires communistes des années 50 ou 60 ont pratiqué la fraude électorale à grande échelle, fait pression sur les électeurs, manipulé l’information et la culture, et ont usé de méthodes qui feraient envie au Front national. Que dirait la gauche à ce moment-là ? Rien. A-t-elle combattu de telles pratiques ? Jamais. Nous avons été les seuls à le faire.

Le Figaro : Pensez-vous avoir les moyens de votre combat sans que la loi électorale ne soit changée pour les régionales ?

François Léotard : A titre personnel, je suis favorable aux formules proposées par M. Giscard d’Estaing.

Le Figaro : Vous jouez quitte ou double. Si le Front national arrive en tête, à lui la prime…

François Léotard : Vous avez raison. Mais je préfère ce quitte ou double, c’est-à-dire que la région fonctionne, qu’elle existe, même si elle doit passer à d’autres. IL faut accepter le risque politique plutôt que de trafiquer les modes de scrutin pour éviter une expression populaire. Une expression populaire s’encourage, s’accompagne, ou se dissuade, mais ne se confisque pas. Voyez l’Algérie !

Le Figaro : Comment souhaitez-vous affirmer la marque de l’UDF ?

François Léotard : Nous sommes engagés dans un travail de fond considérable que Pierre Méhalgnerie a accepté de diriger. Au-delà des propositions économiques et sociales, nous réfléchissons aux réponses culturelle, intellectuelle et sociale que nous pouvons apporter aux questions que la France se pose aujourd’hui. Beaucoup plus que sur les investitures ou sur les commentaires quotidiens de l’actualité, c’est une famille de pensée qui va se définir à partir d’un projet. Il est en route. Pour reprendre une expression qui me plaît : on n’entend pas toujours l’herbe pousser, mais, croyez-moi, elle pousse actuellement à l’UDF et elle permettra une belle moisson.

Le Figaro : Dans votre projet, la flexibilité reviendra comme un leltmotiv et contribuera à l’affirmation de votre marque libérale ?

François Léotard : Je préfère parler de modernisation du droit du travail et de l’entreprise. Nous vivons encore aujourd’hui sous des archaïsmes auxquels il faut opposer une modernité du droit et ne recherche d’efficacité pour l’embauche. L’autorisation administrative de licenciement était-elle une véritable protection de l’emploi ? Non. Le contrôle des prix protégeait-il les consommateurs ? Non. Et pourtant cela a été affirmé et cru. A nous, libéraux, d’inventer un modèle fondé sur l’homme lui-même, la famille, l’équilibre social, le contrat, le dialogue, l’accès à la culture et au droit. La France n’a jamais mis à l’épreuve des thèses authentiquement libérales dans un certain nombre de domaines, en tout cas pas avec assez de courage. Je souhaite que nous puissions le faire pour donner à notre démocratie qui reste très marquée par le centralisme, l’autorité, le jacobinisme – en un mot la méfiance –, les moyens de respirer davantage.

Le Figaro : La loi Robien, diversement appréciée au sein même de votre propre famille, trouve-t-elle sa place dans ce projet libéral ?

François Léotard : C’est un outil de sortie de crise. A ce titre, il a son utilité. Je ne pense pas qu’il faille aujourd’hui l’abandonner, sous le seul prétexte qu’il est onéreux.

Le Figaro : Ne sentez-vous pas un peu enformé dans un rôle de supplétif du RPR ?

François Léotard : Ni le RPR, ni nous, ne ressentons les choses de cette manière. Nous avons entre nous un contrat : celui de 1993. Nous avons été élus ensemble pour sortir la France du socialisme. J’espère que nous l’aurons fait suffisamment en 1998. Il faut certainement aller un peu plus loin, un peu plus vite.

Le Figaro : Pourquoi n’avez-vous pas voté la réforme du service national ?

François Léotard : Je vous répondrai d’abord qu’il faudra bien choisir entre mettre la Légion étrangère à Djibouti ou dans le RER ! On ne pourra pas faire les deux. L’erreur de cette réforme a été de poursuivre deux lièvres à la fois : l’évolution vers la professionnalisation et la création d’un substitut à la conscription.

Le Figaro : Autrement dit le rendez-vous citoyen.

François Léotard : C’est à l’Éducation nationale et pas à l’armée de prendre en charge ces cinq jours. On ne me fera pas croire qu’il n’est pas possible sur 15 ou 20 années de formation d’un jeune Français de trouver cinq jours pour en faire un citoyen ! L’armée n’est pas une sorte d’assistante sociale universelle de la société française.

Il faut vraiment ne pas savoir ce qu’est une caserne pour imaginer la coexistence de sous-officiers, de maîtres d’internat et de jeunes garçons, sans uniforme, sans hiérarchie et sans sanction. Et, si j’ai bien compris, vous aurez bientôt les jeunes filles…

Le Figaro : Votre vote a été sévèrement critiqué.

François Léotard : J’estime qu’en dehors du budget et des votes de confiance, tout le reste est du domaine de la liberté de vote. On oublie trop souvent de le rappeler : à l’UDF, la liberté de vote est une règle de droit commun. J’ajoute qu’il y a deux ans, à la quasi-unanimité, le Parlement avait voté, à ma demande, une loi de programmation qui affirmait le principe d’une « armée mixte ». C’est-à-dire le contraire de ce qui est fait aujourd’hui. Et c’était la même majorité ! Ce n’est pas moi qui ai changé.

Le Figaro : Vous disiez hier dans le Figaro : « je vais m’engager physiquement contre le FN. » Qu’est-ce que cela veut dire ?

François Léotard : Sur cette question de la conquête par le FN d’un certain nombre de villes, je crois qu’il ne faut faire preuve ni d’indifférence – parce que c’est grave – ni d’exaltation, parce qu’alors on passe à côté de la vraie question et je suis tout à fait convaincu qu’il n’y a pas en France une majorité de nos compatriotes qui souhaitent un affrontement entre une gauche socialiste, dont le projet est très archaïque, et une extrême-droit qui vient des années 30. Il y a des réponses qui sont bien différentes de celles-là et je souhaite que la majorité puisse les proposer. Alors je dis : ni indifférence, ni exaltation. On a quatre villes FN, qui sont toutes en Provence, sur 36 000. Et le fait qu’elles soient toutes en Provence m’amène – après avoir, pendant plusieurs années, fait ce travail, ce combat sur la ville de Fréjus – m’amène à élargir cette bataille, ce combat, cet engagement au niveau de la région PACA toute entière. Alors je le fais avec J.-C. Gaudin qui est n ami, qui a réussi à conquérir la mairie de Marseille, et je le fais avec l’ensemble des forces de la majorité pour montrer que l’ascension de M. Le Pen ou de M. Mégret est résistible. Elle n’est pas une espèce de fatalité qui s’appuie sur notre pays et qui le fait tomber ou qui le fait dépérir.

Le Figaro : Le Front républicain doit jouer selon vous ?

François Léotard : Moi je n’ai jamais parlé de ce terme du Front républicain. Je crois que c’est une fausse piste. Je crois au contraire que la gauche est en grande partie responsable de l’irruption du FN dans notre pays. Et donc il n’est pas question d’avoir quelque alliance – je veux dire intellectuelle ou de projet – avec elle et nous considérons encore que la gauche doit être combattue sur son projet. Vous connaissez certainement les hypothèses économiques qu’elle présente aux Français : la création de 700 000 emplois publics. Ce n’est vraiment pas raisonnable.

Le Figaro : A Vitrolles, le candidat du PR était également absent et également responsable ?

François Léotard : Oui. Pour une raison très simple : nous ne voulions pas porter la responsabilité d’une victoire du FN. Et donc il y avait un maire sortant, il était socialiste, il a été battu. Il faut que les Français comprennent ce que cela signifie. Mais nous ne voulions pas porter cette responsabilité, qu’on nous dise ensuite pendant des années : « c’est vous qui avez mis le FN à la mairie de Vitrolles. » C’est le PS. C’est comme ça. Nous n’avons pas voulu encourir ce reproche. Mais encore une fois je souhaite que nous sortions de l’archaïsme du débat politique français et que, sur les deux sujets qui sont à la racine du vote FN, c’est-à-dire le chômage et l’insécurité, nous proposions toute une série de réponses. J’en ai faites. J’en ai proposées. Je le fais dans ma propre commune. Nous faisons une maison pour l’emploi qui va faire converger les initiatives privées et publiques. J’ai proposé qu’il y ait une très forte décentralisation de ce que l’on pourrait appeler la police de proximité, ce que le Code des communes appelle « la tranquillité publique. » Je crois qu’il y a de multiples pistes d’expérience à mener et si je mène cette bataille dans la région Provence, c’est tout simplement parce que je veux que ces projets, ces propositions puissent être présentés devant les Français et vous verrez que nous serons entendus.

Le Figaro : En deux mots, sur Châteauvallon, est-ce que vous seriez prêt à prendre une initiative pour défendre ce festival ? Le faire venir par exemple, à Fréjus ?

François Léotard : Moi, je suis tout à fait disposé à accueillir Châteauvallon à Fréjus si c’est le choix de G. Paquet. J’ai toujours soutenu cette initiative et, lorsque j’ai eu l’honneur d’être membre du Gouvernement en 1986-1987, j’avais transformé ce centre en théâtre national. Et donc, j’approuve totalement les manifestations de danseurs, de cinéastes, de metteurs en scène, d’artistes qui sont légitimement touchés par cette volonté d’étouffement d’un centre de culture et de rencontre. Et je crois qu’il est très significatif de voir que le FN s’attaque d’abord à la culture. Il ne s’est pas attaqué à l’immigration ni à l’insécurité. Il s’est attaqué d’abord à la culture ? Parce que c’est le lieu d’une liberté, c’est le lieu d’une contradiction. Et je souhaite que nous soyons très attentifs à cela. Il y a là une démarche qui rappelle tout à fait directement les ligues d’avant-guerre, la démarche de l’extrême-droite tout au long de notre histoire. Mais quand j’ai dit « ni exaltation », c’est qu’il ne faut pas crier au loup quand on a en face de soi un dalmatien. Ne faisons pas en sorte que cette bataille qui suppose engagement, qui suppose lucidité, qui suppose courage, eh bien : nous la ramenions à des guerres passées. C’est vers l’avenir que je souhaite me tourner. C’est vers l’emploi des jeunes. Vous savez, à Vitrolles, le taux de chômage est quatre fois celui des États-Unis d’Amérique. Alors, comment voulez-vous que cela n’ait pas de conséquences quand vous savez que 35 % de la population est âgé de moins de 25 ans. Il y a des conséquences. Et donc c’est contre le chômage qu’il faut se battre d’abord, c’est contre l’insécurité qu’il faut mener la bataille d’abord, c’est contre l’insécurité qu’il faut mener la bataille et je le ferai paisiblement. Nous sommes une grande démocratie, nous n’allons pas entrer dans un cycle de violences. Je le ferai avec toute ma conviction. Nous avions jadis battu les socialistes dans ce département, nous l’avons changé, eh bien ! maintenant, il y a une nouvelle bataille qui s’annonce, nous la mènerons.

 

TF1 - Mercredi 19 février 1997

TF1 : Vous avez été ministre de la Culture, est-ce que c’est bien que votre majorité et le Gouvernement soient ainsi coupés des artistes, des intellectuels qui appellent à la désobéissance à la loi et à l’État.

François Léotard : Coupés ? Je ne crois pas que ce soit la réalité. Ils s’expriment aujourd’hui sur un sujet précis qui est un projet de loi et ils le font avec l’émotion et la légitimité qui leur est propre. C’est le monde de l’esprit, de la création et je crois qu’il faut entendre ce monde-là. Ce n’est pas du tout avec arrogance qu’il faut traiter une démarche de cette nature. Vous savez, le vieux, débat entre Antigone et Créon, a plusieurs siècles d’existence.

TF1 : Occupent-ils le vide que leur laissent les politiques ?

François Léotard : J’essaie d’avoir une vision positive des choses. Vous avez d’un côté un Gouvernement qui a pour mission de juguler l’immigration illégale et il le fait ; un Parlement qui doit légiférer et puis une société civile dans laquelle les artistes, les écrivains, les cinéastes, les créateurs sont nombreux – et c’est une spécialité française – qui dit : attention, il y a un problème moral dans ce que vous êtes en train de faire. Quand on me dit « attention », j’écoute ! Et que disent-ils ? Ne donnez pas aux citoyens français la responsabilité d’avoir à dénoncer une situation illégale. Alors, nous avons, je crois, trouvé une réponse à cette question qui consiste à transférer de l’hébergeant vers l’hébergé, la responsabilité de son acte, à savoir le respect ou non de la loi française. Donc, ne disons pas qu’il ne faut pas respecter cette loi !

TF1 : Quand le Syndicat de la magistrature se prononce pour un appel à la résistance, vous avez la même indulgence ?

François Léotard : Alors, là, je suis scandalisé ! Alors qu’une loi est en train d’être faite par un Parlement démocratique d’un pays démocratique, que les magistrats commencent à dire qu’ils considèrent que cette loi n’est pas bonne alors qu’ils sont là pour l’appliquer, j’en suis scandalisé ! Et je crois qu’il y a là un vrai problème de respect du droit par ceux qui sont en charge de l’appliquer.

TF1 : Vous auriez été voir le maire pour dire que vous recevez un ami malien, laotien, cambodgien, chinois ?

François Léotard : Non ! Le problème est le regard que nous portons sur l’étranger. Je voudrais que les Français comprennent que l’étranger en général, c’est-à-dire les autres, n’est pas nécessairement une menace pour eux. Simplement, il faut essayer de faire en sorte de protéger ceux qui sont chez cous en acceptant de se soumettre aux lois françaises, contre d’autres qui n’ont que mépris pour la loi française. C’est cela la question. Il faut les aider.

TF1 : Il y a une manifestation, samedi, organisée par énormément de professions auxquelles vont se joindre le PS et le PCF. Est-ce que vous sentez que l’on manifeste contre vous.

François Léotard : Je n’ai pas ce sentiment.

TF1 : Vous pourriez y aller, vous ?

François Léotard : Non, parce que tout simplement je vois bien de quoi il s’agit. Cette idée de désobéissance civile est très choquante. Comment voulez-vous diriger un pays, ou faire en sorte que ça reste une communauté, à partir du moment où des personnalités symboliques, emblématiques dit : « Attention, il y a là une loi qui ne m‘arrange pas, qui me déplaît et je vais vous demander de ne pas la respecter ». C’est très choquant ! Je ne pense pas qu’il faille conseiller d’aller à cette manifestation. Mais j’écoute cette expression qui vient d’un certain nombre de gens et je crois que nous avons trouvé la réponse. Vous savez, cette réponse est très simple. Tous ces gens qui vont aux États-Unis, plusieurs fois par an quelquefois, savent très bien que lorsqu’on arrive, on vous donne un petit papier qui permet de contrôler votre entrée et quand vous partez, on vous récupère ce petit papier.

TF1 : C’est le sens de l’amendement que vous avez signé avec G. de Robien, maire d’Amiens. L’État remplace en quelque sorte les maires et il y aura donc un visé à deux volets. C’est votre idée ou celle de P. Mazeaud ?

François Léotard : L’UDF l’a présenté depuis maintenant deux ou trois jours parce que je crois que l’UDF a une façon d’être, dans ce débat, qui me semble très responsable et qui consiste à trouver des solutions quand on est dans une sorte de d’impasse, dans un dialogue qui ne fonctionne pas. Je rappelle que les grandes démocraties font ainsi et qu’il n’y aucune raison que nous ne le fassions pas. C’est un problème simple. Est-ce que vous avez le droit de rester dans un pays quand vous n’avez pas respecté ses lois ? C’est tout.

TF1 : Est-ce que vous avez le sentiment qu’Alain Juppé renonce ou recule ?

François Léotard : Je ne crois pas. Il a eu raison de dire hier : je n’abandonne pas les objectifs qui sont les miens. Il a raison parce que ces objectifs sont ceux du Gouvernement et de sa majorité, à savoir faire en sorte que ne se développe pas en France une immigration illégale, irrégulière qui nuit à l’ensemble des étrangers et qui nuit bien entendu aux étrangers qui essayent de s’intégrer dans ce pays.

TF1 : Vous avez confié récemment au Figaro votre intention de vous présenter comme tête de liste aux élections régionales dans le Var. Et vous avez ajouté que vous attendiez avec impatience que J.-M. Le Pen se présente aux législatives dans le Sud-Est, à Toulon ou à Nice. Est-ce que vous pourriez être candidat contre lui, là où il serait ?

François Léotard : J’ai une chance singulière, j‘en suis à ma quatorze élection, je n’ai jamais été battu au suffrage universel. Alors, je voudrais mettre cette espèce de talent – je ne sais pas comment il faut le dire – au service des idées qui sont les miennes. Jusqu’à présent, je l’ai fait contre la gauche et avec succès. J’en suis très heureux parce qu’il fallait le faire. Il se trouve aujourd’hui qu’il y a cette hypothèse et je ferais en sorte – soit moi-même, soit d’autres ayant des choses à dire sur ce sujet – que l’on puisse démentir concrètement, quotidiennement les thèses de J.-M. Le Pen.

TF1 : Il faut aller là où il est et il ne faut pas lui laisser la voie libre ?

François Léotard : Je crois. On a autre chose à dire à cette société de fin de siècle ou de début de troisième millénaire que ce que dit l’extrême-droite qui trouve ses racines dans les années 30. Je suis fasciné par le caractère rétrograde, archaïque du débat politique français ! Au fond de tout cela, il y a la Seconde Guerre Mondiale. On aborde le troisième millénaire, et de quoi parle-t-on ? De M. Papon, du problème des biens juifs, des affaires comme Vitrolles où l’on revoit revenir des ligues ! Eh bien, on se remet soixante ans en arrière ! Il faut le dire à M. Le Pen. Il faut regarder l’avenir, le chômage des jeunes, les problèmes de liberté, les problèmes d’ouverture de la France au monde et cela m’intéresse de le dire à celui qui représente à peu près le contraire de tout ce que nous avons sur le cœur.

TF1 : Pour quelle raison réclamez-vous avec obstination le remplacement de M. Marchiani, préfet du Var ?

François Léotard : Je crois que le pouvoir dit faire attention à ne pas avoir deux discours. A Paris, il y a celui qui est très clair, très ferme, à savoir celui du Président de la République et du Premier ministre, à savoir un discours qui dénonce les tentations xénophobes, antisémites, racistes qui sont à l’œuvre et le fait d’un mouvement politique qui s’appelle le Front national. C’est un discours que je trouve juste. Et puis, accepter qu’un des représentants de l’État, du Gouvernement puisse avoir une autre pratique…

TF1 : Il serait de mèche ou complaisant avec le Front national ?

François Léotard : Je ne suis pas le seul à le dire ou à le penser. Je crois qu’il faut simplement mettre de l’ordre. C’est un problème secondaire parce que si un pouvoir ne contrôle pas son administration, il ne mérite plus le mot de pouvoir. Je souhaite, pour ma part, qu’il y ait une cohérence entre Paris et Toulon.

TF1 : Pourquoi a-t-on tellement de mal à le faire relever du Var ?

François Léotard : Demandez à ceux qui en sont chargé.

TF1 : Il a des protections à Paris ?

François Léotard : Demandez à ceux qui en ont la responsabilité.

TF1 : Qu’est-ce que vous savez de la situation ?

François Léotard : Je ne comprends pas, je ne comprends pas ! Je suis étonné quotidiennement.

TF1 : Si par extraordinaire, en 1998, l’UDF devance le RPR, est-ce qu’elle doit obtenir le poste de Premier ministre ?

François Léotard : Ce n’est pas une question de place. Ce n’est pas une sinécure d’être Premier ministre ! Simplement, je souhaite faire gagner l’UDF. Alors certainement pas contre le RPR, avec qui nous avons beaucoup de choses en commun, mais c’est essayer de la faire gagner pour des idées. Je prends l’exemple de la décentralisation. Il faut décentraliser en France. Je prends l’exemple de l’emploi, nous avons un certain nombre de solutions. Je prends l’exemple de l’épargne retraite et nous l’avons montré au Parlement. Toutes ces questions qui se posent à la société française, pour l’instant, l’UDF y répond.

TF1 : Vous ne m’avez pas répondu sur Matignon ?

François Léotard : Je ne vois pas comment le Président de la République, après une élection que nous aurions gagnée, n’en tirerait pas des conséquences ! Mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel est de faire passer les idées, les solutions.

TF1 : Et pour gagner en attendant 1998, conseillez-vous à A. Juppé de rester comme cela ou de remanier ?

François Léotard : Cela fait longtemps que j’ai abandonné ce sujet car, encore une fois, il m’échappe totalement. J’ai entendu dire que la question ne se posait pas et je respecte ceux qui le disent puisque c’est leur fonction de le dire.

TF1 : Vous ne recevez pas le général Lebed ?

François Léotard : Il y a des contacts qui sont en cours parce qu’il n’est pas exclu que je le voie.

TF1 : On accueille Lebed comme s’il était déjà le Président élu de la Russie alors qu’il s’est déjà auto-proclamé successeur d’Eltsine, qu’il est en train de faire une compagne de promotion !

François Léotard : Il faut d’abord respecter le Gouvernement légal mais au-delà de ça, respecter la Russie qui est un grand pays. Et je souhaite qu’à travers le général Lebed, à travers B. Eltsine, à travers tout ce qui se passe en Russie, les Français aient un regard sur la Russie qui soit un regard fraternel. C’est un grand peuple et dont il faut donc éviter les dérives parce que c’est possible. Je souhaite que la France reste un ami fort et attentif de la Russie.

 

(manque interview Europe 1)