Texte intégral
Libération : Quelle est votre réaction à la pétition d’Act Up ?
Bernard Kouchner : Je ne sous-estime pas le rôle nécessaire de la provocation pour ouvrir le débat. Je sais la nécessité de l’illégalité féconde pour permettre l’évolution des lois vers le meilleur. Je crois cependant que le prétexte – l’ecstasy – était mal choisi et que ce texte est confus. Cette pétition tombe mal et fait reculer le nécessaire débat, fige les positions et les caricature. Les prises de position idéologiques sur des problèmes de santé publiques font pas avancer les choses. Mais je ne blâme personne et chacun des signataires mérite le respect. Et nombre d’entre eux sont des amis.
Libération : Selon les signataires, l’article L. 630 impose un « silence […] non seulement injuste [mais] dangereux »…
Bernard Kouchner : La loi impose aucun silence, mais le débat exige que l’on entende toutes les positions et qu’on laisse s’exprimer les expériences. Nous devons en particulier être ouverts aux enseignements des pays voisins, qui sont en avance en matière de réduction des risques. Lors de la rencontre – réussie – du 13 décembre, tous les représentants des diverses tendances de la prise en charge des toxicomanes se sont enfin parlé. Ce fut le premier débat du genre, tant les attitudes françaises étaient rigides, figées, dans un sens comme dans l’autre ; 80 mesures furent proposées. Nous sommes en train de les mettre en œuvre. Les choses évoluent.
Libération : Vous avez déclaré que la loi de 1970 était « inadaptée ». Seriez-vous prêt à la réformer ?
Bernard Kouchner : Oui, j’ai dit et je répète que la loi de 1970 doit évoluer, qu’elle n’est, à mes yeux, ni un tabou ni un préalable. Encore faut-il que le débat soit possible. Précisément, le Sénat vient d’accepter le principe d’un tel dialogue. Nous avançons sans idéologie, mais avec le souci de garantir la santé publique, indissociable, d’ailleurs, de l’ordre public. Le rapport que j’ai demandé au professeur Bernard Roques sur la dangerosité des drogues constituera une contribution au débat.
Libération : Au-delà de l’article L. 630, se pose la question de la dépénalisation de certaines substances. Quelle est votre position ?
Bernard Kouchner : Je suis contre la dépénalisation, mais pour la réglementation, ce que certains appellent la « contraventionnalisation ». Et avant tout, je considère chacun des usagers de drogues, licites ou illicites, toujours comme un individu souffrant, parfois comme un malade lorsqu’il est dépendant, mais jamais comme un délinquant. Comme je l’ai promis, je travaille à la prise en charge de ceux qui échappent à toute solution thérapeutique. Un certain nombre d’hôpitaux m’ont sollicité. Nous avançons.