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Le Point : Dans les rangs de la majorité, il est devenu fréquent, ces derniers temps, d'instruire le procès des hauts fonctionnaires de Bercy. Croyez-vous qu'en engageant une réflexion sur la déontologie vous puissiez mettre fin à ce malaise persistant ?
Jean Arthuis : Qu'il y ait nécessité d'agir, j'en ai pleinement conscience. Mais, voyez-vous, j'ai la faiblesse de considérer que ce sujet mérite mieux que certaines critiques, parfois faciles, sur la faillite des élites.
Le Point : Quelle méthode proposez-vous ?
Jean Arthuis : En période de crise, Bercy a forcément un rôle ingrat. La remise en question d'un nombre considérable d'années d'inaction, l'absence de réformes et la dérive des finances publiques ont provoqué une prise de conscience aiguë. La tentation peut être alors forte de s'exonérer des responsabilités et de faire porter la critique sur ce qui est emblématique du pouvoir administratif : le ministère de l'économie et des Finances. A cela il faut répondre par la mesure et la volonté de réforme. Commençons donc par sérier les problèmes. J'en vois principalement deux : le pantouflage et le contrôle par l'Etat des sociétés publiques.
Le Point : Commençons par le « pantouflage ». Après l'arrêt Beaufret, le système français se trouve sur la sellette.
Jean Arthuis : Je vous arrête. Il ne m'appartient pas de commenter une décision de justice. Rappelons seulement que Jean-Pascal Beaufret était en mission, qu'il a été envoyé par l'Etat au Crédit foncier ! Ce jugement a provoqué de nombreuses réactions dans cette maison et je préférerais que chacun s'investisse sur d'autres causes. Et puis, j'ai à l'esprit des exemples bien plus choquants.
Le Point : Vous pensez sans doute à Patrice Chevalier, hier PDG de filiales du Crédit foncier, aujourd'hui chargé de mission à la direction du Trésor ?
Jean Arthuis : Je vous raconterai simplement l'histoire d'un haut fonctionnaire, en disponibilité, qui part dans le privé gérer une entreprise avec une réussite que l'on pourrait qualifier d'incertaine. Puis qui doit la quitter, avec pour indemnité la « bagatelle » de 2,15 millions de francs, et qui réintègre la direction du Trésor. Comment voulez-vous que l'on ne s'interroge pas sur un tel parcours ? Si je le fais, c'est dans l'intérêt de l'ensemble du corps. Il est inutile de laisser s'accréditer l'idée d'une société de connivence ni de faire apparaître Bercy comme une sorte de structure de « défaisance ».
Le Point : Comment expliquez-vous cette dérive ?
Jean Arthuis : Je vois là la force de l'habitude. On m'a présenté également le cas d'un fonctionnaire en me disant : « Voilà, s'il était resté dans son corps d'origine, il se trouverait à tel niveau de responsabilité. Donc, il faut lui donner satisfaction. » J'avoue m'être demandé un instant si mon interlocuteur plaisantait ou non. L'opinion publique peut-elle encore admettre ce type de comportement'? Je ne le crois pas. Je le dis avec force : le retour à Bercy comme dans tout autre département ministériel ne devrait pas être une session de rattrapage pour ceux qui pourraient avoir échoué ailleurs, Bien sûr, ces cas ne sont pas légion. Mais ils portent préjudice à l'ensemble du corps.
Le Point : En matière de déontologie, quelles réformes proposez-vous ?
Jean Arthuis : Tout d'abord, c'est à la haute fonction publique de faire vivre une déontologie la mettant à l'abri de tous les procès en 41 trahison » de la nation qui pourraient lui être intentés. Les pistes sont nombreuses. Actuellement, il y a une Commission de déontologie qui délivre une autorisation aux fonctionnaires qui veulent pantoufler. Mais cette autorisation peut être sanctionnée a posteriori par le juge pénal ou par le Conseil d'Etat. Ces derniers peuvent prendre des positions contraires à la commission. N'y a-t-il pas là une incertitude préjudiciable au bon fonctionnement du service public ?
Le Point : La commission n'a donc pas besoin d'être modifiée ?
Jean Arthuis : La composition de la Commission de déontologie nous met à l'abri du doute et du soupçon, Pourrait-on imaginer de laisser au juge pénal la responsabilité de vérifier que la position prise par la commission a bien été respectée et qu'il n'y a pas eu de manquement dans la procédure ? Je pense également qu'il est nécessaire d'élargir le domaine de compétence de la commission. Elle doit se prononcer sur les projets de sortie comme sur les éventuels retours. Il importe au surplus que la publicité de ses avis soit plus forte, Toujours dans un souci de transparence. Plus généralement, je crois qu'il faut sortir dans ce domaine de l'ère de l'opacité, privilégier la transparence et l'information de tous.
Le Point : Vous avez évoqué la question du contrôle par l'Etat des sociétés publiques. N'est-ce pas là, en revanche, un vieux procès ?
Jean Arthuis : S'il y a un procès plus actuel que jamais, c'est bien celui de l'économie administrée, de l'économie mixte, Lorsque sont intervenues les nationalisations, personne n'a pris la mesure du tait qu'une entreprise contrôlée par l'Etat pouvait connaître un sort désastreux. Personne ne s'interrogeait sur l'ampleur de la responsabilité de l'actionnaire. A-t-on eu à l'esprit l'importance du passif engagé et des dettes de ces entreprises ? On se serait alors demandé qui devait les prendre en charge en cas d'infortune. La réponse, malheureusement, nous la connaissons. Et chaque jour qui passe nous en apporte la preuve : c'est l'Etat actionnaire et donc le contribuable.
Le Point : Concrètement, que pouvez-vous faire ?
Jean Arthuis : Tout d'abord, les Français ont droit là aussi à un langage de vérité. Que faisait-on avant ? On était à la veille d'une échéance électorale importante, on ne voulait pas mettre en émoi la communauté nationale ou les marchés, on mettait donc à contribution une ingénierie budgétaro-comptable pour ne pas susciter l'inquiétude. Résultat les échéances passaient, les pertes s'amplifiaient. Et, de retardement en reculade, on jouait indéfiniment les prolongations en se rassurant à bon compte : « Après tout, l'Etat est derrière. » Mais, quand vient l'épreuve de vérité, on est pris de vertige devant ces abîmes de pertes. Cette période est désormais révolue.
Ensuite, il faut rechercher les responsabilités et engager les poursuites au plan pénal. Je l'ai fait pour le Crédit lyonnais et le Crédit foncier. Je le ferai pour le GAN.
Le Point : Tout ça, c'est du passé. Comment comptez-cous faire pour éviter que de tels dysfonctionnements ne se renouvellent ?
J. Arthuis : L'avenir, cela consiste à scinder les fonctions d'Etat actionnaire et d'Etat régulateur. Bien souvent, dans le passé, les mêmes fonctionnaires ont eu à assumer les fonctions de tutelle et les fonctions d'actionnaire. C'est pourquoi je veux mettre en place, au sein du Trésor, un service qui serait chargé de l'exercice de la fonction d’Etat actionnaire et où les administrateurs ne seraient plus les régulateurs. Je ne serais pas hostile à l'accueil dans ce service de personnes issues du privé dans des conditions qui, naturellement, préservent l'impartialité de l'Etat.
Le Point : Ne craignez-vous pas une levée de boucliers ?
J. Arthuis : Il est périlleux de réclamer la flexibilité pour les salariés et de ne pas introduire plus de souplesse dans l'administration. Peut-être y a-t-il çà et là trop de strates hiérarchiques. De même, il faut pouvoir mobiliser rapidement plusieurs compétences sur un dossier chaud. Il faut aussi mettre davantage en commun les informations ! Lorsqu'un ministre reçoit à 22 heures le projet de délibération pour un conseil d'administration qui a lieu le lendemain matin à 9 heures et qu'il doit se prononcer sur des opérations lourdes, je trouve cela scandaleux. Le président de l'entreprise se moque de son actionnaire.
Le Point : Dans quel délai comptez-vous réaliser vos réformes ?
J. Arthuis : Avant l'été.
Le Point : Y a-t-il des résistances ?
J. Arthuis : Elles sont largement psychologiques. Il ne s'agit pas de mettre en pièces un système, mais de l'aider à s'adapter, en suscitant les adhésions.
Le Point : Ne proviennent-elles pas aussi du fait que l'on vous dit seul pour mener à bien ces réformes ?
J. Arthuis : Seul ? C'est excessif. Disons que j'ai une fonction qui laisse peu de place au lyrisme, et encore moins au populisme. Faire de la politique, ce n'est pas vivre en permanence en état d'apesanteur, c'est agir. Une démocratie qui s'abandonne au déficit et au mensonge, est-ce bien encore une démocratie ?
Le Point : Après l'éviction d'Alain Madelin, êtes-vous bien sûr d'avoir été nommé pour engager des réformes ?
J. Arthuis : On ne m'a pas dit que l'on m'avait nominé pour tenir la caisse enregistreuse ! Quand j'étais sénateur, j'ai mené des travaux sur différents thèmes. J'en applique aujourd'hui les conclusions. Les comptes consolidés que je vais sortir étaient inscrits dans un amendement que j'ai fait passer au Sénat en 1991 ! Même chose pour la clarification du râle de l'Etat actionnaire ou la modernisation du Trésor. J'ai sans doute des défauts. Mais quel que soit le poste que j'occupe. Je ne laisse pas mes convictions au vestiaire.