Texte intégral
7 sur 7, une émission présentée par Anne Sinclair, réalisée par Jérôme Revon
Invité : Robert Hue
Mme Sinclair : La semaine a été dense et marquée principalement par l’intervention de Jacques Chirac.
Ce soir, à 7 sur 7, la parole est à l’opposition et j’ai invité Robert Hue, le secrétaire national du Parti communiste, pour qu’il nous donne son opinion sur les propos du chef de l’État et son regard sur les problèmes économiques qui se posent aux Français en cette fin d’année.
Beaucoup d’images dans cette émission :
- l’intervention du président de la République, bien sûr.
- le sommet européen de Dublin où l’euro se matérialise et devient une monnaie concrète.
- les manifestations et la colère des artistes et des traminos.
- le premier procès d’un réseau islamiste en France.
- les défilés quotidiens dans les rues de Belgrade.
À tout de suite avec Robert Hue, l’homme qui donne au Parti communiste français l’air débonnaire et convivial qui lui a longtemps fait défaut.
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Mme Sinclair : Bonsoir à tous. Bonsoir, Robert Hue.
M. Hue : Bonsoir.
Mme Sinclair : Je le disais : votre visage est devenu familier aux Français. On attend de vous un commentaire ce soir sur l’émission de Jacques Chirac, l’analyse qu’il a faite de la société française et les propositions qu’il a avancées.
On attend aussi que vous nous disiez, face aux mouvements sociaux qui existent cet automne et surtout face à la désespérance des Français cet hiver, ce que proposent les communistes, si c’est adapté à notre époque et s’ils veulent demain participer au pouvoir.
Tout de suite, Jacques Chirac sur TF1. Une émission très attendue et très regardée.
- « L’interview : Dans une salle des fêtes redécorée aux couleurs de la nation, avec de nouvelles têtes venues de toutes les chaînes, sauf de France Télévision, la prestation télévisuelle de Jacques Chirac a fait un tabac sur le plan de l’audimat. Il faut dire que les stratèges de la com. se sont démenés pour créer l’événement et rénover ce genre d’entretien afin qu’il paraisse, au moins dans la forme, en phase avec la société.
Sur le fond, le message élyséen reste fidèle à lui-même : la France est en marche, l’Europe et son avenir, les promesses de la campagne seront tenues. Nul besoin, donc, de changer de Premier ministre, ni même de remanier le gouvernement.
S’il est si difficile de réformer le pays, c’est la faute aux Français ou plutôt à leurs représentants syndicaux et politiques. Conservateurs dans l’âme et réfractaires au dialogue, chaque conflit est là pour illustrer leurs blocages.
Comment combattre ces vieux réflexes ? L’État ne devrait-il pas montrer l’exemple de sa modernité en réformant ses institutions, la justice, par exemple. Sa lenteur, son manque d’indépendance et son cortège d’affaires politiques donnent lieu à des échanges savoureux.
Autre sujet incontournable, le chômage. La réduction du temps de travail n’est pas là mais une des solutions et s’il n’est pas question de toucher aux acquis sociaux, il est en revanche vital de libérer les entreprises des charges et contraintes administratives qui pèsent sur elles. Mais sa priorité est l’emploi des jeunes et il se félicite de l’initiative de grands patrons qui vont proposer 70 000 stages diplômants de 9 mois à partir de la rentrée 97.
Les réactions sont comme toujours contrastées et sans surprise : la droite applaudit une volonté de réforme réaffirmée avec force. La gauche dénonce au contraire l’impuissance d’un Président, spectateur plus qu’acteur. Enfin, les syndicats, surtout FO et la CGT, jugent affligeant d’être tenus pour responsables des erreurs du gouvernement. »
Mme Sinclair : Robert Hue, comment avez-vous trouvé Jacques Chirac au bout de ces deux heures d’émission ?
M. Hue : L’émission, dans sa forme était nouvelle, certes, mais vraiment j’ai trouvé le président de la République à mille lieux de la vie quotidienne des Français, du quotidien et en terrible décalage incontestablement. Il est sur une autre planète, il y avait de l’attente, il n’a pas répondu à cette attente, il a laissé le pays dans l’inquiétude. C’est cela, à mon avis, ce qui est le plus grave.
Mme Sinclair : Nous avons demandé aux Français par la Sofres comment ils avaient ressenti l’émission de Jacques Chirac.
Au cours de cette émission, avez-vous jugé Jacques Chirac :
Sincère : oui : 61 % ; non : 36 % ;
Convaincant : oui : 36 % ; non : 61 %
Attentif aux préoccupations des gens comme vous : oui : 47 % ; non : 50 % ; sans opinion : 3 %
Jacques Chirac est apparu sincère aux yeux des Français, mais il ne les a pas convaincus, notamment parmi les catégories les plus actives de la population : les commerçants, les cadres, les ouvriers, les employés.
M. Hue : Ce qui était important dans cette émission, me semble-t-il, c’est que, précisément, elle a été suivie par 11 millions de Français au départ et, pendant deux heures, les Français sont restés. Il y en avait 8 millions à la fin de l’émission. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire une immense attente, même s’il n’y a pas d’illusions sur Jacques Chirac. Cela traduit bien la situation dans laquelle nous sommes : la France va mal, les Français sont très inquiets. Ils sont inquiets pour eux, ils sont inquiets pour leurs enfants, pour la jeunesse qui est blessée aujourd’hui avec cette politique. Alors, ils n’avaient pas d’illusions, disais-je, mais en même temps ils attendaient qu’on les entende, peut-être qu’il y ait des propositions, et les réponses du président de la République sont terribles d’un certain point de vue.
Mme Sinclair : Avec un certain courage de dire : « Je garde le cap, je maintiens le cap, je garde Alain Juppé, je garde le gouvernement tel qu’il est » parce qu’il savait que ce n’était pas forcément ce qu’attendaient les téléspectateurs.
M. Hue : Le courage de dire : « La France va mal, mais je garde le cap, ce n’est pas ma politique qui est mauvaise, mais ce sont vous, les Français, qui ne comprenez pas, qui êtes des conservateurs », c’est absolument insupportable.
Ce qui est grave, vous me posiez la question sur mon sentiment sur l’émission, c’est qu’après cette émission, même s’il n’y avait pas d’illusions à avoir, il rajoute de l’inquiétude, de l’angoisse. Je pourrais très bien dire : « Jacques Chirac a raté son émission, il l’a loupée », après tout, c’est bien pour l’opposition, mais je ne pense pas cela. Je pense que c’est grave pour la France de laisser un pays dans une telle inquiétude. Il n’entend pas les Français, il est sourd aux Français, cela est terrible.
Mme Sinclair : Quand Jacques Chirac fait l’analyse de la société française et constate ses blocages, son conservatisme en disant : « C’est difficile aujourd’hui de faire bouger les choses ». Vous ne pouvez pas nier que cette société ne bouge que par des soubresauts, que par des à-coups. C’est une analyse qui n’est pas fausse, si ?
M. Hue : Il considère comme conservateur de ne pas accepter qu’on prenne non pas en compte l’évolution de la société, mais qu’on casse ses acquis. Je vais prendre un exemple : quand j’ai dit que Jacques Chirac était très distant et qu’il est à mille lieux des préoccupations des gens, je ne porte pas d’attaque personnelle contre le président de la République, mais je pense qu’il ne connaît pas la réalité du monde du travail.
Je prends un exemple que je connais personnellement : une caissière des grandes surfaces commerciales qu’il y a dans les banlieues, elle gagne 5 000 francs par mois, encore c’est beaucoup parfois, et on veut mettre en cause sa situation avec une flexibilité...
Mme Sinclair : ... On va y revenir. Jacques Chirac n’est pas pour.
M. Hue : Permettez-moi de faire ma démonstration. On met en cause le droit du travail. Cette femme voit que, parmi les grands patrons qui tiennent les grandes surfaces, il y a les plus grandes fortunes de la distribution, eh bien elle réagit. Est-ce conservateur ? Quand, dans un hôpital public, un service d’urgence, une infirmière voit des postes supprimés, avec des difficultés majeures, et qu’elle résiste à cette politique budgétaire qui met en cause la vie des hôpitaux, la santé des Français, elle réagit, elle manifeste. Elle a tort ? Elle est conservatrice ? Quand les routiers disent : « On en a assez de ces 60 heures de travail par semaine, c’est invivable », les Français l’ont découvert. Ils sont conservateurs ? C’est absolument insupportable.
Avoir une telle analyse de la situation met le Président hors de la réalité sociale. Ce n’est pas une fracture sociale qu’il y a actuellement, mais un véritable gouffre entre le pouvoir et les Françaises et les Français.
Mme Sinclair : Pourtant, le président de la République est conscient des blocages de cette société et préconise, appelle, invite tout le monde à un meilleur dialogue social, y compris d’ailleurs le gouvernement. N’a-t-il pas raison quand il dit : « On se tourne toujours immédiatement vers l’État » ? Par exemple, vous citiez tout à l’heure le conflit routier – comme dans le conflit routier qui était un conflit d’ordre privé. Immédiatement, tous les partenaires se tournent vers l’État. N’est-ce pas un réflexe aujourd’hui un peu archaïque de la société française ?
M. Hue : Je ne le crois pas. D’abord, les routiers ne se sont pas tournés vers l’État, ils ont d’abord posé le problème revendicatif au patronat, à leurs représentants. C’est parce que le gouvernement n’a pas exercé la pression suffisante sur le patronat que le gouvernement est entré dans la danse dans cette affaire.
Mme Sinclair : Non, c’est parce que l’accord n’avait pas été appliqué par le patronat.
M. Hue : Le gouvernement avait une trouille folle que cela dégénère et que, partout, sur la base de ce conflit, d’autres conflits naissent. D’ailleurs sur la base du succès des routiers, on voit aujourd’hui que les transports à Toulouse ont obtenu des résultats et que d’autres se mettent en mouvement.
Mme Sinclair : Juste un mot là-dessus : vous réjouissez-vous de cette contagion ou admettez-vous que ce n’est pas forcément responsable ?
Aujourd’hui, parce qu’il y aura moins d’actifs demain pour cotiser pour les retraites, on ne peut pas avoir une contagion de la retraite à 55 ans. Ou dites-vous : « On a raison, il faut la donner, quel que soit le coût » ?
M. Hue : Il faut aujourd’hui, dans la société telle qu’elle est, avec les moyens qui existent dans cette société, que les salariés vivent mieux. Cette retraite à 55 ans...
Mme Sinclair : ... vous savez qu’elle n’est pas possible à 55 ans.
M. Hue : Moi, je dis qu’elle est possible, il y a les moyens de la mettre en œuvre, mais il faut se donner les moyens, il faut s’attaquer à cette société où l’argent ne va pas à l’emploi, ne va pas à la protection sociale.
Vous me dites : « Est-ce que la contagion est bonne ? », je crois que le résultat positif du conflit des routiers, ce qui s’est passé à Toulouse, est une véritable dynamique qui se met en route par rapport à ce que les salariés attendent dans ce pays. Il faut se mettre dans la tête qu’on ne veut plus vivre dans la situation que l’on connaît dans ce pays quand on voit les richesses insolentes qui sont à un pôle de la société et, en même temps, les conditions de vie des routiers et de ces gens comme les traminos dont les conditions de vie sont très difficiles.
Mme Sinclair : Vous disiez : « Il n’y avait pas beaucoup de propositions », il y en a tout de même une, assez forte, qui est sur la justice et qui propose de rompre le lien séculaire entre le parquet et le gouvernement. Est-ce que cela va dans le bon sens ? Le souhaitez-vous ? Jacques Chirac a-t-il raison d’en prendre conscience et de le proposer ?
M. Hue : Je suis d’accord pour rendre le parquet indépendant du garde des Sceaux, cela me semble nécessaire. Je refuse tout à la fois la justice aux ordres du garde des Sceaux et le gouvernement des juges, je crois que là-dessus il faut être très clair.
S’il faut démocratiser la justice, je crois qu’il faut démocratiser le recrutement des juges – on ne va pas le développer maintenant. Mais ce n’est pas dans les propositions qui viennent aujourd’hui qu’il y a la solution. Il faut que le Conseil supérieur de la magistrature puisse avoir des pouvoirs nouveaux, être désigné différemment, que le président de la République ne soit pas omniprésent dans ce Conseil supérieur de la magistrature. Il faut, effectivement, qu’il y ait cette réforme. Il faut à tout prix – cela a été évoqué dans l’émission avec Jacques Chirac – que le droit de la défense soit respecté, que le secret de l’instruction soit respecté. La situation n’est pas bonne de ce point de vue. Il faut absolument que la présomption d’innocence l’emporte parce que sinon nous allons vers une situation gravissime.
Mme Sinclair : Le président de la République s’est engagé à ce que les informations judiciaires soient conduites jusqu’à leur terme, en sanctionnant par des sanctions exemplaires ceux qui ont un rôle exemplaire dans la société. Avez-vous pris cela comme l’engagement que les affaires qui touchent le financement du RPR, aujourd’hui, aient leur aboutissement ?
M. Hue : Il est souhaitable qu’il n’y ait pas deux poids deux mesures dans cette société. Il y aurait les affaires au RPR, il faut que, là aussi, la justice passe – et ces affaires sont éclatantes –, il faut aller au bout. Il faut qu’il y ait la transparence en la matière. Là-dessus, il n’y a pas d’ambiguïté possible, il faut vraiment que tout le monde soit traité de façon égale dans une telle affaire.
Mme Sinclair : Que tout le monde soit traité de façon égale, notamment aussi le Parti communiste puisque vous êtes aujourd’hui comme Georges Marchais mis en examen, ès qualités, dans une affaire concernant le financement du Parti communiste à travers un bureau d’études. Pourriez-vous dire que le Parti communiste a, comme les autres partis, eu recours à des financements occultes ?
M. Hue : Je vais vous dire ce que j’ai déjà dit à cette occasion lorsqu’il y a eu la mise en examen : les financements du Parti communiste sont absolument transparents. C’est clair, précis et, là-dessus, je ne reviens pas sur ce que j’ai dit. J’ai dit d’ailleurs qu’il n’y avait pas un centime des sociétés en question, du groupe GIFCO, qui était dans la trésorerie du Parti communiste. Aujourd’hui, le juge a en main les éléments du dossier. La démonstration peut être faite qu’il n’y a pas un centime, précisément, qui est passé de ces sociétés vers le financement du Parti communiste. Je souhaite que l’on prenne acte de ce que j’ai dit au départ.
Il ne vous a pas échappé, Anne Sinclair, que précisément tout le monde n’est pas traité à la même enseigne. La justice doit passer. Aujourd’hui, on voit les affaires du RPR mais, à ma connaissance, un parti où le secrétaire national et son prédécesseur sont mis en examen, un seul, c’est le Parti communiste.
Mme Sinclair : Le Parti socialiste, Henri Emmanuelli a été aussi frappé.
M. Hue : Il n’est pas Premier secrétaire du Parti socialiste...
Mme Sinclair : ... Il l’a été.
M. Hue : Mais ce n’est pas à ce titre-là, c’est au titre de trésorier qu’il avait été mis en cause. Aujourd’hui, du côté RPR, ce n’est pas le cas. Je voudrais dire que l’on sait dans quelles conditions le Parti communiste a été mis en examen, c’était en pleine élection de Gardanne, au moment où le Parti communiste allait, avec les forces progressistes, mettre un coup d’arrêt au Front national, endiguer la poussée du Front national. Au moment de Gardanne, il y a eu cette opération. Je crois que tout le monde voit, aujourd’hui, qu’il y a une opération politique contre le Parti communiste. On ne supporte pas que le Parti communiste mette en cause les finances dans ce pays, il met en cause la loi de l’argent, l’argent qui écrase. On ne le supporte pas. Eh bien, si on pense nous faire taire en la matière, on n’y arrivera pas.
Mme Sinclair : Il n’y a pas que des adversaires politiques qui vous ont cherché sur la question. Claude Poperen qui est un ancien dirigeant, qui a quitté le Parti communiste en 1991, dit d’arrêter de nier la vérité sur les finances du Parti communiste. N’avez-vous pas eu, comme tous les partis, au fond, besoin, avant que la loi soit votée, d’avoir recours à des financements parce que tous les partis ont vécu comme cela ? Ne serait-ce pas plus simple de dire : « On a vécu comme les autres » ?
M. Hue : Je peux dire les choses simplement : « Au Parti communiste, il y a un financement qui n’existe dans aucun autre parti. Pour l’essentiel, la moitié de son financement, c’est le reversement des indemnités des élus, en totalité, au Parti communiste. Ils reçoivent un salaire par ailleurs. Cela n’existe pas ailleurs ».
Ensuite, on veut me parler de sociétés. Je vois bien ce qui est mis en cause, y compris par ce que dit Claude Poperen, on veut mettre en cause la publicité que reçoit le journal « L’Humanité ». Là-dessus, on ne cèdera pas. Parce que au nom de quoi « L’Humanité » n’aurait pas le droit d’avoir de la publicité alors que « Le Figaro » en a des tonnes ? Et que des journaux d’opinion, comme « L’Humanité » ou « La Croix » soient mis à l’écart de ce point de vue ? Je crois qu’il y a nécessité d’empêcher qu’on bâillonne la presse, notamment la presse communiste, et c’est dans cet esprit que je dis : « Nous disons les choses clairement et nous souhaitons la transparence ».
Mme Sinclair : On avance dans l’actualité. Parlons de l’Europe, Jacques Chirac en a fait un vibrant plaidoyer et, ce week-end de Dublin, les Quinze ont mis l’euro en marche.
- Monnaie : La voilà la monnaie de l’an 2000. En petite ou en grosse coupure, l’euro se déclinera en couleurs vives sur fond de symboles architecturaux suffisamment flous et consensuels pour que chacun puisse s’y reconnaître.
Mme Sinclair : Robert Hue, l’euro devient concret ? On peut presque toucher les billets. Cela devient une réalité.
M. Hue : Avec l’euro, on a affaire à une opération intox importante. On a vu les billets, hier. Que veut-on dire aux Français ? On veut dire : « C’est irréversible » – voilà ce que veut dire le pouvoir –, ce n’est pas la peine que vous donniez votre opinion. De toute façon, les choses sont engagées, la politique maastrichtienne est engagée, la monnaie unique suit...
Mme Sinclair : ... Ce sont les quinze pays qui le disent.
M. Hue : Ce sont les quinze pays où l’ultralibéralisme domine tout et cela ne m’étonne pas.
Mme Sinclair : Pas en Italie.
M. Hue : Oui, mais en Italie ils sont pour les critères de Maastricht et d’ailleurs c’est là où se posera un problème sérieux – peut-être en parlerons-nous ? – du point de vue des obstacles qui peuvent exister, à gauche, pour que se construise une politique nouvelle, en France j’entendais.
Ce que je veux dire, c’est que si la monnaie unique était simplement l’idée de trouver un instrument monétaire qui soit performant, qui renforce l’Europe, ce serait très bien, mais la monnaie unique, ce n’est pas cela. La monnaie unique, c’est un projet politique. D’ailleurs, Alain Juppé l’a dit l’autre jour en répondant à Valéry Giscard d’Estaing à l’Assemblée nationale : c’est un projet politique. Un projet politique qui vise à permettre la libre circulation des capitaux en Europe, à permettre une politique ultralibérale. Si c’est un enjeu tellement grand, il me semble qu’il est grand, je dis : « il faut consulter les Français ».
Mme Sinclair : Vous voulez un référendum.
M. Hue : Plus que jamais. D’ailleurs, le président de la République, alors candidat, s’était engagé à ce référendum. Je ne vais pas dire ici : « Je suis pour que les Français votent “non” à la monnaie unique », ils savent ce que je pense, mais ce n’est pas cela. Je dis : « consultons les Français ». C’est trop important d’engager la France dans un processus où elle n’aura plus de monnaie.
On nous montre effectivement les billets, l’euro – hier, nous avons vu cela sur les écrans –, vous n’avez pas eu un pincement au cœur en pensant au franc qui va disparaître ? Et ce n’est pas archaïque. Eh bien, je pense qu’il faut une monnaie nationale. Une monnaie nationale, c’est l’âme d’un pays, c’est ce qui fait sa force, c’est ce qui permet, par ailleurs, des ajustements d’une politique à une autre, c’est ce qui fait qu’il peut y avoir une politique indépendante. Donc, voilà pourquoi je dis : « Il faut absolument que les Français soient consultés ».
Mme Sinclair : Vous n’êtes pas sensible à l’argument de Jacques Chirac qui dit : « On ne sera forts, face à l’hégémonie américaine, qu’avec une monnaie unique » ?
M. Hue : Non, je ne suis pas sensible du tout à cet argument parce que l’euro, au bout du compte, quand il sera efficace, en situation, c’est-à-dire en 2002, quel sera l’état de l’Europe ? La monnaie unique se fait au détriment des peuples. Elle se fait sur la base de critères terribles, les critères maastrichtiens. Une logique de Maastricht à laquelle je m’oppose, une logique qui fait qu’aujourd’hui c’est terrible. On affaiblit notre économie. On aura un euro affaibli face au dollar. Et qu’est-ce qu’on croit ? Qu’est-ce qu’on veut ? On veut une guerre économique ? Une guerre financière avec les États-Unis ?
Mme Sinclair : Tous les efforts, justement, des Européens est de dire : « Il faut que le dollar soit évalué normalement et ne pas avoir un euro fort comme on a eu un franc trop fort ».
M. Hue : C’est vrai que le dollar est surévalué actuellement, mais le problème n’est pas là. Le problème est qu’il faut absolument que la monnaie qui existe soit performante pour l’ensemble des pays. Je ne suis pas contre un instrument monétaire commun. Il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté, le Parti communiste est fermement pour la construction européenne, mais pas cette construction-là, pas celle de l’Europe de Maastricht et de la monnaie unique...
Mme Sinclair : … Ne dites-vous pas aujourd’hui : « L’Europe de Maastricht a été votée, a été ratifiée. Cela nous lie et cela nous engage. Essayons de voir sur les étapes suivantes, mais celle-là, au moins, est acquise » ?
M. Hue : Le traité a été voté, c’est vrai, mais il reste que la logique de ce traité qui se met en marche depuis plusieurs années est terrifiante pour notre pays. C’est la super-austérité, c’est le chômage qui s’aggrave, c’est la déréglementation. On ne peut pas être d’accord avec cette logique-là. Cette logique est complètement antinomique à une politique sociale. C’est parce que je souhaite qu’on puisse mener dans ce pays une politique forte, sociale, que je ne peux pas accepter la monnaie unique.
Mme Sinclair : Cela fait partie de vos divergences fortes avec le Parti socialiste qui, lui, est très favorable à la monnaie unique, même s’il y met des conditions ?
M. Hue : Oui, c’est une divergence importante, il faut la surmonter.
Mme Sinclair : Comment ça se surmonte quand un ne veut pas et que l’autre souhaite ?
M. Hue : Le Parti socialiste aujourd’hui, à propos de la monnaie unique, n’est pas tout à fait dans la situation où il était il y a un an...
Mme Sinclair : ... Vous non plus d’ailleurs, vous avez un peu bougé sur le sujet.
M. Hue : Je dis effectivement que le Parti communiste est fermement pour la construction européenne, mais le Parti socialiste y met des conditions. Si ces conditions étaient remplies, au bout du compte, on pourrait discuter, mais ces conditions ne seront pas remplies. Les quatre conditions que met le Parti socialiste sont que les autres pays du Sud, notamment...
Mme Sinclair : ... La lire et la peseta.
M. Hue : Que la lire et la peseta puissent être dans la monnaie unique, mais tout le monde sait que l’Allemagne n’en veut pas et tout le monde sait que l’Allemagne a la monnaie la plus puissante actuellement. C’est une Banque centrale complètement indépendante des États qui va déterminer la politique économique de nos pays. C’est une mise en cause de notre souveraineté qui est tout à fait inacceptable.
Une autre condition émise par le Parti socialiste, c’est un gouvernement économique face à la Banque centrale. Mais qui, un seul instant aujourd’hui, pense que les États, avec l’ultralibéralisme qui les guide en Europe, vont s’inscrire dans cette démarche ? Ils ne s’inscriront pas, ils refuseront. Et quand on me parle des partis sociaux-démocrates qui peuvent arriver au pouvoir, je vois que, dans leur politique, il y a l’acceptation des critères de Maastricht. Donc, il y a là une difficulté. Comment la surmonter ? Je pense qu’on peut la surmonter, d’autant plus que je crois que le Parti socialiste – peut-être en parlerons-nous – ne peut pas avoir, aujourd’hui, de propositions sociales s’il reste accroché à la monnaie unique. Les promesses qu’il fait ne tiendront pas parce que la monnaie unique est incompatible avec une politique sociale. Je dis : « Essayons de voir. Faisons intervenir ceux qui sont concernés, les citoyens ». Je suis pour qu’il y ait l’intervention citoyenne, que l’on discute avec notre peuple et que les exigences citoyennes soient prises en compte par les forces de gauche.
Mme Sinclair : Et que le référendum tranche la question.
M. Hue : Par exemple.
Mme Sinclair : On va faire une pause de publicité et après on parlera des difficultés économiques et sociales. On reviendra d’ailleurs sur certains éléments de l’intervention de Jacques Chirac.
À tout de suite.
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Mme Sinclair : Suite de 7 sur 7, en compagnie de Robert Hue.
On va voir le reste de l’actualité de la semaine :
- Conflits : À Paris, Lyon, Marseille, les artistes se battent pour sauver leur système d’indemnisation chômage. Une question de survie. L’allongement de la durée des cotisations réclamé par le CNPF priverait les trois quarts des intermittents du spectacle d’allocations et de protection sociale. Arbitre de ce conflit, le gouvernement accorde quatre mois de sursis à la profession, le temps pour les partenaires sociaux de trouver un compromis.
Autre conflit, celui des chauffeurs de bus, toujours en grève à Rouen. Ils ont repris le travail à Toulouse après huit jours d’arrêt.
- Thomson : Après le « non » de la commission de privatisation, le gouvernement change son fusil d’épaule. Thomson sera vendu non plus d’un seul bloc, mais en deux parties distinctes : d’un côté, la branche militaire, qui intéresse toujours Alcatel et Matra, devrait être cédée au début 1997. De l’autre, la branche Multimédia sera recapitalisée à hauteur de 11 milliards de francs et restructurée avant d’être vendue à un prix et selon un calendrier qu’il reste à définir.
- Projet socialiste : Ça y est, le PS a un projet économique et social. Élaboré par la direction, adopté par le conseil national du Parti, il vient d’être avalisé par 75 % des militants réunis en convention nationale, ce week-end, à Noisy-le-Grand.
Mme Sinclair : Nous allons revenir sur le programme socialiste tout à l’heure, mais je voudrais que l’on commence par le chômage qui reste la préoccupation majeure des familles. Quand vous avez entendu le président de la République dire : « 1997 sera l’année de l’emploi des jeunes », ne me dites pas que vous n’avez pas été sensible à cela ?
M. Hue : Bien sûr que j’y ai été sensible, mais j’ai été encore plus sensible au fait qu’il a peu parlé de l’emploi dans son intervention. D’ailleurs, l’emploi est l’oublié de l’intervention du président de la République. Il faut dire que l’aggravation est terrible. Il faut prendre des mesures radicales par rapport à l’emploi de ce pays, ce que se refuse de faire le gouvernement. Au contraire, il y a des centaines de milliards qui sont donnés depuis plusieurs années, depuis deux ans, pour que l’emploi en bénéficie, or, cet argent va à la spéculation. Il faut faire autre chose. D’ailleurs, c’est pour cela qu’en matière d’emploi, je pense qu’il faut orienter, dans ce pays, l’argent autrement pour créer des emplois.
Il y a des centaines de milliers d’emplois à créer pour les jeunes et c’est une priorité. On dit : « 700 000 emplois », tout le monde doit dire : « 700 000 emplois » si on veut le plein emploi des jeunes...
Mme Sinclair : ... Ce sont les socialistes qui disent « 700 000 ».
M. Hue : Non, mais d’une façon générale. Il y a 600 000 jeunes qui sont sans travail actuellement, avec les jeunes arrivant sur le marché de l’emploi, cela fait 700 000. Ceux qui veulent comme les communistes – les socialistes, je l’ai entendu aussi naturellement – avoir une politique de plein emploi pour les jeunes doivent dire : il faut créer 700 000 emplois.
Mme Sinclair : Et La mesure dont parlait Jacques Chirac qui est en discussion entre le patronat et l’Éducation nationale pour créer ces stages diplômants et qui permet aux jeunes diplômés d’avoir une meilleure insertion dans le monde du travail ?
M. Hue : Le stage diplômant, si au bout il n’y a pas la création d’emploi, s’il n’y a pas d’emploi stable, c’est à nouveau une mesquinerie que de dire de telles choses. Il faut absolument qu’il y ait une politique d’emploi stable. Les communistes proposent des choses très concrètes en la matière. J’ai dit : « Orienter l’argent autrement pour se donner les moyens d’une politique », j’y reviendrai peut-être. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, à notre époque, avec ce bouleversement des sciences, des technologies, des possibilités qu’il y a, je crois que l’on peut imaginer – les communistes le proposent – un dispositif – une loi aussi importante que la Sécurité sociale à la Libération – qui prenne en compte, qui garantisse « la sécurité emploi-formation » tout au long de l’existence, c’est possible ! C’est-à-dire qu’à la fin de la formation initiale, on pourrait avoir la certitude d’avoir un emploi avec, en alternance, de la formation dans le cadre de l’emploi lui-même.
Mme Sinclair : Qui ferait cela ? Les entreprises publiques ? Les entreprises privées ?
M. Hue : Il faut que cette loi traverse l’ensemble de la société française. Naturellement, au niveau des entreprises publiques, il y a des centaines de milliers d’emplois à créer. D’ailleurs, sur les emplois à créer dans les grands services publics, je propose que la moitié de ces emplois soit réservée aux jeunes. Mais ce dispositif « sécurité emploi-formation » permettrait en même temps, avec une forte réduction au temps de travail, à 35 heures d’abord, 32 heures ensuite, 30 heures, de dégager du temps libre. Ce serait une réforme de civilisation, une véritable réforme où, vraiment, on puisse vivre autrement. C’est cela la perspective.
D’ailleurs, ce qu’a proposé le président de la République, les Français ne l’ont pas retenu parce que ce n’est pas une perspective. Dans une autre société comme la nôtre, qui souffre comme la nôtre, il faut proposer des choses d’avenir, il faut imaginer la civilisation à venir, celle du siècle qui s’ouvre, et donc il faut, effectivement, assurer l’emploi, le temps libre pour les Françaises et les Français, et les jeunes en particulier.
Vous allez me dire : « Comment financer cela ? »...
Mme Sinclair : ... Vous m’enlevez les mots de la bouche.
M. Hue : Pardonnez-moi, Anne Sinclair. En tous les cas, ce qui est certain, c’est que, dans ce pays, il y a beaucoup d’argent. Il y a beaucoup d’argent, mais il faut qu’il soit efficace, qu’il soit utilisé efficacement. Il y a des centaines de milliards qui, chaque année, ne vont pas à l’emploi, ils vont à la spéculation. Il faut taxer les mouvements financiers, il faut taxer la spéculation. Il n’est pas possible que, dans un pays comme la France, on ne réussisse quand jouant la spéculation, il faut que l’emploi soit efficace. C’est dans cet esprit que s’inscrit le Parti communiste.
Comme vous le voyez, on ne manque pas d’ambition. Il y a des possibilités, mais à condition de réellement s’engager dans une politique de gauche qui ne fasse pas de concession à l’argent, à la spéculation et qui, au contraire, fasse des propositions radicalement différentes.
Mme Sinclair : Il y a un mot à la mode, c’est le mot « flexibilité ». Vous ne l’aimez pas, vous l’avez dit tout à l’heure. Jacques Chirac non plus. On regarde.
- « M. Chirac : La solution, ce que vous voulez me faire dire si je comprends bien, est si je suis pour plus de flexibilité ? Lâchons le mot puisqu’il est derrière votre phrase. Je n’aime pas ce mot. Je ne l’aime pas. Je ne l’aime pas, tout simplement parce qu’il a, à tort ou à raison, une connotation anti-sociale. Je ne crois pas que l’on peut bâtir la prospérité d’une nation, la croissance d’une économie sur la dégradation de la situation sociale des acteurs de cette économie, c’est-à-dire des travailleurs. Je ne le crois pas.
Mais pourquoi est-ce que cela ne va pas ? Tout simplement parce qu’on a, au fil des ans, depuis très longtemps, laissé s’accumuler les charges sur ceux qui travaillent, qui produisent, qui investissent. Et le résultat est que l’on a aujourd’hui des forces vives qui sont comme des bêtes de somme sur lesquelles on a tout mis. Alors, elles s’effondrent. Aujourd’hui, il faut diminuer la dépense et diminuer les prélèvements.
Le gouvernement a décidé une première diminution des impôts, ce n’est pas négligeable, il faut aller plus loin. »
Mme Sinclair : Ne me dites pas, Robert Hue, que vous seriez contre une diminution de l’impôt sur le revenu plus forte que celle que propose le gouvernement ?
M. Hue : Bien sûr, mais vous avez vu, cela a fait long feu quand, l’autre jour, ils ont parlé de cette diminution d’impôt qui sera une tarte à la crème.
Mme Sinclair : Elle est inscrite dans le prochain budget.
M. Hue : Oui, d’accord ! De toute façon, tout ce qui peut diminuer la fiscalité dans ce pays, je suis « pour ». Cela dit, je n’ai aucune illusion sur la politique de ce pouvoir pour s’attaquer vraiment à ce qui permettrait, par une fiscalité nouvelle, de répondre aux besoins du pays.
J’ai dit à l’instant : « la première chose qu’il faut taxer dans ce pays, ce ne sont pas les salariés, ce ne sont pas les citoyens, ce sont les revenus spéculatifs ». Ce sont des milliards. Il y aurait là, tout de suite, de quoi dégager des moyens importants. Il faut également penser à ce que l’on peut faire en matière de fiscalité des entreprises, et je ne parle pas des PME-PMI qui sont écrasées, elles aussi par la fiscalité, mais les grandes sociétés. Il faut que la fiscalité de ces grandes sociétés soit fonction des emplois créés. Il y a, comme cela, des possibilités très importantes qui me semblent de nature à dégager des prélèvements obligatoires les salariés, les citoyens.
Mme Sinclair : Vous avez vu les bagarres entre parlementaires, entre sénateurs et députés, a propos de l’ISF. Cela concerne peu de monde, mais les arguments des sénateurs qui ont voté cet amendement pour que le plafond de l’ISF soit rétabli sont de dire : « Il faut éviter que les fortunes partent à l’étranger ». Cela ne vous touche pas comme argument ?
M. Hue : Tout d’abord, je trouve honteux cette possibilité de pouvoir alléger la fiscalité des riches. Les principaux milliardaires français vont en bénéficier, c’est absolument insupportable ! Je suis, au contraire, pour renforcer cet impôt sur les grandes fortunes. Je suis pour multiplier par quatre l’impôt sur les grandes fortunes et, avec cela, avoir une politique contre la pauvreté.
Bien sûr, j’ai entendu l’argument de la fuite des capitaux si on n’allège pas l’impôt sur les riches. D’abord, j’entendais Balladur qui parlait d’immoralité tout à l’heure, mais ces spéculateurs, ces financiers qui font partir leur argent à l’étranger, ils n’ont pas de patrie, ce sont eux qui sont immoraux. Il faut absolument sanctionner ces gens-là. Vous savez combien il y a de sorties de capitaux cette année ? 390 milliards contre 175 milliards l’année précédente.
Mme Sinclair : Donc, c’est une réalité !
M. Hue : Quand les capitaux fuient, Anne Sinclair, ce n’est pas le fait du hasard, ce sont des gens qui prennent des décisions, ce sont les banques qui jouent un rôle dans cette affaire. C’est pourquoi je suis pour que les banques ne soient pas privatisées, mais qu’elles puissent jouer un rôle efficace, justement pour empêcher la spéculation.
Évidemment, ce que je propose est fondamentalement différent de ce qui existe, mais c’est comme cela qu’on sortira le pays de la difficulté et qu’on tiendra ses engagements politiques en matière sociale notamment.
Mme Sinclair : Un mot rapide, vous avez vu ce que Jacques Chirac dit de la flexiblité, cela ne lui plaît pas, vous non plus. Vous vous rejoignez là-dessus ?
M. Hue : J’entendais Balladur, hier, parler d’assouplissement...
Mme Sinclair : ... Ce n’est pas la même chose.
M. Hue : La flexibilité, c’est la précarité, c’est clair. En fait, on veut rendre les salariés taillables et corvéables à merci, c’est quelque chose qui est une mise en cause du droit du travail, il faut s’y opposer. Il y aura une levée de boucliers par rapport à cela, c’est évident.
Mme Sinclair : Sur Thomson, comme tout bon communiste, j’imagine que vous êtes contre la privatisation, contre les privatisations en général. Mais Thomson Multimédia qui sera recapitalisé et dont la privatisation attendra un moment, cela vous rassure ? Vous dites : « Il y a un répit » ? Cela va dans le bon sens ?
M. Hue : Je crois qu’on peut être très heureux que l’action des salariés, l’opinion publique ait réagi au point que le gouvernement a été obligé de stopper cette privatisation. M. Juppé, quelle arrogance, quel cynisme de dire que « Thomson ne vaut rien » ! De tels propos, aujourd’hui, sont insupportables. Les salariés qui ont un savoir-faire exceptionnel, qui savent que c’est une industrie de pointe et à qui on leur dit : « vous ne valez rien », c’est intolérable ! Il faut absolument empêcher cette privatisation. Le Parti communiste fait signer une pétition actuellement pour empêcher cette privatisation. Il faut que nous ayons cette industrie de pointe, nationale, avec un pôle public des différentes industries en la matière.
Mme Sinclair : On va un peu abandonner le gouvernement et parler de vos partenaires à gauche, parler de la gauche en général. Le programme des socialistes a été adopté au terme de ce week-end. Que pensez-vous de ce programme ?
M. Hue : Pour un certain nombre d’objectifs, ce programme est intéressant puisqu’on parle de la réduction du temps de travail sans diminution de salaire, d’augmentation des salaires, etc. A priori, au niveau des objectifs, je dis : il y a des choses positives, surtout que ces propositions sont différentes de celles qu’avait Lionel Jospin dans la campagne présidentielle, notamment sur la réduction du temps de travail.
Mais, voilà, je vais dire les choses en toute sincérité, il y a un problème et je veux le poser aujourd’hui sinon je ne serai pas sérieux, et je le pose de façon très unitaire. Je crois que si la gauche veut être crédible – là, il s’agit du programme du Parti socialiste –, la gauche est plurielle, il y a d’autres formations de gauche, il y a donc à imaginer une construction politique différente, une union nouvelle qui permette cette construction politique et non pas seulement le Parti socialiste qui exercerait une sorte de monopole...
Mme Sinclair : ... Et pas seulement le Parti socialiste et le Parti communiste, mais il y a tout ce que certains appellent chez vous « le pôle des radicalités »...
M. Hue : ... la gauche est plurielle. Il y a les écologistes, il y a différentes formations, je ne développe pas, le Mouvement des citoyens, la gauche est plurielle. Mais ce qui est certain, c’est qu’il faut absolument que la gauche fasse, lorsqu’elle sera au pouvoir, une politique de gauche. Or, dans les propositions du Parti socialiste aujourd’hui, c’est mon sentiment, on ne se donne pas suffisamment les moyens de mettre en œuvre cette politique. Il faut avoir le courage, aujourd’hui, de s’attaquer à l’argent dans la société pour le mettre dans les revendications sociales. Sinon ces mesures sociales apparaîtront comme des promesses qui ne seront pas tenues lorsque la gauche sera au pouvoir. Cela serait dramatique et ce serait vraiment un boulevard pour l’extrémisme, pour Le Pen si la gauche, au pouvoir, décevait encore.
Mme Sinclair : Précisément, vous tenez un congrès dans trois jours, du 18 au 22 décembre, quelle est la vocation, aujourd’hui, du Parti communiste ? Est-ce de rester une force de protestation, de relais des mécontents ? Ou, vaille que vaille, participer demain à un gouvernement de la France avec les différentes composantes de la gauche dont vous parliez tout à l’heure ?
M. Hue : Le Parti communiste, aujourd’hui, veut être résolument constructif, ouvert à la société. Notre peuple souffre trop pour que le Parti communiste reste seulement dans une mission de protestation qui est très importante. Il faut protester, il faut riposter pour arracher tout ce qui peut être arraché.
Mme Sinclair : Oui, mais faut-il aller au pouvoir ?
M. Hue : Si les conditions sont réunies pour aller au pouvoir, il faut aller au pouvoir. Et c’est bien pour cela que, avant les échéances de 1998 – et nous n’avons pas les yeux fixés sur ces échéances seulement –, il faut qu’il y ait une construction politique, des propositions qui fassent que l’ensemble de la gauche se retrouve. Mais, comme il y a des difficultés, je pense que cela ne se réglera pas seulement au niveau des états-majors, il faut que les citoyens s’en mêlent, il faut l’intervention citoyenne, il faut que les citoyens disent : « Voilà ce que l’on exige pour la France, pour la gauche ».
Mme Sinclair : Il faut déjà que les citoyens votent pour la gauche. Si, dans les sondages, la gauche se porte bien, dans les partielles, elle ne se porte pas si bien, ni pour le Parti socialiste, ni pour vous qui plafonnez en ce moment, 8-10 %.
M. Hue : Vous avez raison. Je crois que la déconfiture de la droite dans l’opinion ne fait pas une voie royale à la gauche forcément, il faut être très réaliste pour le moment. Vous dites : « les élections partielles », il y en a quelques-unes qui sont intéressantes pour le Parti communiste...
Mme Sinclair : ... Oui, à Gardanne.
M. Hue : Il y a eu Gardanne et puis toute une série d’élections.
Mme Sinclair : Je parle d’une manière générale, les cantonales, etc.
M. Hue : Mais il faut un Parti communiste bien plus fort et c’est à cela que je veux contribuer avec mes amis communistes. On va, je l’espère, réussir. C’est important pour la gauche un Parti communiste plus fort. La gauche est plus forte et cela ancre bien à gauche la politique du pouvoir futur.
Mme Sinclair : Fin des images de la semaine à Belgrade et à Paris.
- Enquête : à la recherche de témoins. À défaut d’indices matériels, la brigade criminelle, chargée de l’enquête sur l’attentat de Port-Royal auditionne, toutes personnes présentes au moment de l’explosion de la bombe qui, la semaine dernière, a tué quatre personnes et blessé 19 autres toujours hospitalisées.
- ONU : Il est Ghanéen, diplomate aux Nations unies depuis plus de trente ans et parfaitement bilingue français-anglais. Il prendra le 1er janvier prochain la succession de Boutros Boutros-Ghali à la tête de l’ONU.
- Attentat : mercredi, près de Ramallah, un commando palestinien mitraille une voiture. À l’intérieur, une famille de colons juifs. La mère est tuée ainsi que l’un de ses neuf enfants, un petit garçon de 12 ans.
- Crise en Serbie : au bout d’un mois, sous la pression de la rue et de la communauté internationale, Slobodan Milosevic commence à craquer. Retranché jusque-là dans un mutisme total, le Président serbe invite l’opposition à dialoguer et les Européens à venir à Belgrade pour se pencher sur l’annulation des municipales à l’origine du mouvement.
Mme Sinclair : Et 100 000 encore aujourd’hui dans les rues de Belgrade avec, évidemment, des manifestations un peu complexes...
M. Hue : ... La situation est complexe, incontestablement. Il y a le caractère autoritaire du pouvoir de Milosevic et il faut absolument qu’il accepte le verdict des urnes, c’est évident ! Et cette pression est nécessaire. La liberté de la presse également est mise en cause.
Il reste effectivement qu’il y a ces manifestations où il y a dedans des anti-nationalistes, des démocrates et il faut appuyer naturellement cette démarche, mais il y a aussi des nationalistes. Cet ensemble est un peu compliqué.
Mme Sinclair : Bernard-Henri Lévy posait la question dans « Le Point » cette semaine : en veulent-ils à Milosevic d’avoir fait la guerre ou de l’avoir perdue ? Ce qui montre bien la complexité.
M. Hue : Il faut bien voir, comme vous le dites, la complexité de la situation. Il faut imaginer une conférence internationale – c’est que le Parti communiste a proposé – avec tous les pays d’Europe, les différentes forces de la société civile là-bas et que l’on trouve une solution positive, avec une reconstruction de l’ex-Yougoslavie.
Mme Sinclair : Merci, Robert Hue.
M. Hue : Merci à vous.
Mme Sinclair : Pas de 7 sur 7 pendant les fêtes de fin d’année. Je vous retrouverai le dimanche 5 janvier, en compagnie du Français qui donne du moral aux autres Français et qui est Yannick Noah.
Dans un instant, le journal de 20 heures de Claire Chazal, en compagnie de Jacques Weber.
Merci à tous.
Bonsoir.