Article de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Le Monde" du 13 novembre 1999, sur la déréglementation de la protection sociale, notamment dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, le paritarisme et les responsabilités des organismes paritaires et de l'Etat.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Depuis une dizaine d'années, le vent du capitalisme libéral souffle tous azimuts, et notamment sur les pays européens. Vu sous cet angle, le processus de déréglementation financière a joué un rôle accélérateur important. Il a permis l’afflux de capitaux étrangers (dont les fameux fonds de pension), ce qui a conduit certains esprits à une démarche de fuite en avant, au point de considérer qu'il serait nécessaire de créer des fonds de pension français pour contrebalancer l'épargne étrangère.

On retrouve un processus identique à celui engagé au plan des relations sociales depuis le début des années 80. En développant, voire en créant les procédures de dérogation aux accords collectifs nationaux, les pouvoirs publics ont contribué à vider en partie de leur teneur les accords de branche, laissant ainsi sans couverture conventionnelle minimale de nombreux salariés de PME. Pour y remédier, on a cherché à inventer des substituts comme le mandatement.

Dans les deux cas, la déréglementation s'est traduite par une dérégulation, l'entreprise devenant l'objet privilégié des relations tant capitalistiques que sociales. Par sa logique et sa construction, un tel mouvement est destructeur de solidarité et facteur de concurrence accrue.

L'histoire récente des régimes de protection sociale collective atteste de ce double effet de déréglementation-dérégulation qui conduit à envisager comme inéluctable la privatisation.

Qu'était le plan Juppé dans le domaine de l'assurance-maladie si ce n'est la prise en main par l'État de la sécurité sociale, reléguant les interlocuteurs sociaux au rang d'exécuteurs subsidiaires ? Comment ne pas penser que l'acceptation par le patronat de ce plan pouvait avoir, des 1995, comme motivation à moyen terme de préparer la privatisation au moins partielle de l'assurance-maladie  Il est en effet toujours plus aisé de s'en prendre à l'État plutôt qu'au paritarisme, qui plus est quand les pouvoirs publics non seulement poursuivent, mais encore amplifient cette logique en accentuant la fiscalisation du financement de la sécurité sociale.
C'est dans ce contexte qu'il faut tenter d'appréhender les récentes propositions du Medef « pour une nouvelle Constitution sociale ». De deux choses l'une :

– ou le patronat entend effectivement saisir l'opportunité des débats de fond liés au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour commencer rapidement avec les cinq confédérations une discussion sur le paritarisme, les conditions de son efficience, ce qui passe obligatoirement par une clarification des responsabilités et financements entre l'État et les organismes paritaires. Dans cette hypothèse, ce n'est pas le paritarisme en tant que tel qui est en cause, notamment au niveau interprofessionnel, mais les conditions de son exercice et de sa crédibilité. Toujours dans cette hypothèse, il n'y a alors aucune raison pour que les négociations pour le renouvellement de la convention d'assurance-chômage et de l'ARPE ne s'ouvrent pas immédiatement ;
– ou le patronat, mettant en pratique l'esprit du passage de « CNPF » en « Medef », entend transformer son organisation en instrument de lobbying de type anglo-saxon. Dans cette éventualité, c'est le niveau interprofessionnel de gestion paritaire qui devient un obstacle. De couverture solidaire et égalitaire devant les aléas de la vie, la protection sociale devrait alors devenir couverture de risques, ouverte à la concurrence et aux techniques assurancielles.

Ce cheminement n'est pas à exclure : la déclaration du Medef fait explicitement référence à un dialogue autonome, décentralisé et partenarial, tenant compte des comportements économiques des ménages et s'inscrivant dans la perspective de la construction européenne.

Si tel était le cas, on pourrait comprendre que la décision des pouvoirs publics de ne pas mettre à contribution les organismes sociaux (décision dans laquelle les deux déclarations communes des cinq confédérations ont grandement pesé) pose finalement, quel que soit le paradoxe, un problème au Medef, qui continue de fait à traîner les pieds pour ouvrir les négociations sur l'assurance-chômage et l'ARPE.

Dans une telle configuration, ce sont non seulement les organismes paritaires qui sont menacés, mais aussi la pratique contractuelle au niveau interprofessionnel et des branches.

L'entreprise « réinternaliserait », selon un mode concurrentiel, la protection sociale. Non seulement ce serait la mise en œuvre de la privatisation avec les réseaux de soins et les fonds de pension, mais ce serait aussi, par le rôle attribué aux syndicats, la mise en œuvre d'un véritable corporatisme d'entreprise. Il va sans dire qu'un tel scenario ne peut être accepté par le mouvement syndical indépendant interprofessionnel, dont l'objectif est de réaliser par le moyen du paritarisme une couverture sociale solidaire et égalitaire.

Au-delà des questions financières, le débat est donc un débat de fond.