Texte intégral
RTL : Mardi 6 janvier 1998
J.-P. Defrain : C’est au vice-président de l’Assemblée nationale que je pose la première question : J. Chirac a mis en garde le Gouvernement ce matin contre un usage excessif de la procédure d’urgence pour l’adoption des projets de loi au Gouvernement, vous étiez présent à cette séance de vœux. Il a, d’autre part cet après-midi, dénoncé « l’expansion continue de l’État ». Des remarques justifiées selon vous ou des critiques ?
Y. Cochet : Il est certain que le calendrier parlementaire a été très chargé depuis le début du mois de septembre. Ceci étant dit, il y a une urgence à la fois politique, économique, sociale dans ce pays, donc il faut répondre à l’attente de la nouvelle majorité et aussi de l’ensemble de la population. En ce qui concerne le rôle de l’État, moi je crois que l’État ne doit pas être excessif, mais il ne doit pas être non plus minimal, ni minimum. Il doit y avoir certes un État pour la solidarité et la sécurité, mais il doit y avoir aussi un État qui impulse des politiques industrielles, qui a une politique économique, qui a également une politique que j’appellerais écologique ou sociale. Et donc, les fonctions de l’État ne sont pas simplement des fonctions régaliennes.
J.-P. Defrain : Vous avez employé le mot « urgence ». Partagez-vous l’avis du communiste A. Bocquet qui dit, lui : « Il y a urgence sociale dans le pays aujourd’hui » ?
Y. Cochet : C’est ce que manifestent les chômeurs actuellement. Il y a depuis fort longtemps évidemment un chômage qui croît. Toutes les solutions qui ont été essayées depuis une dizaine ou une quinzaine d’années ont plus ou moins échoué, même s’il faut faire ce qu’on appelle du traitement social du chômage. C’est-à-dire, dans les cas d’urgence, évidemment, régler des problèmes de factures d’électricité, de factures d’eau, de cantine scolaire pour les familles en difficulté. Alors, qu’a fait le Gouvernement ? Eh bien, en septembre on a fait la loi sur les emplois-jeunes et on espère que ça va créer deux fois 350 000 emplois – parce qu’en effet il y avait d’abord le secteur disons public ou parapublic, et il y aura bientôt le secteur privé. D’autre part, dans une quinzaine de jours, on va aborder la loi sur les 35 heures qui aussi, à terme, dans deux, trois, quatre ans, fera des centaines de milliers d’emplois. Mais dans l’urgence, le mouvement des chômeurs est justifié et légitime.
J.-P. Defrain : Monsieur Cochet, comment va la majorité plurielle ?
Y. Cochet : Elle s’exprime de manière plurielle avant toutes les décisions, comme on l’a fait depuis le début.
J.-P. Defrain : Vous ne me dites pas si elle va bien ou mal…
Y. Cochet : Je vous dis qu’elle va très bien. Précisément parce s’exprime de manière plurielle. Je conçois une société, aussi bien la société disons, des leaders politiques – que ça soit au Gouvernement, à l’Assemblée ailleurs que même la société entière, comme quelque chose de vivant. Il est normal qu’il y ait du pouvoir – un peu à l’Élysée, il y en a beaucoup au Gouvernement, il y en a un peu à l’Assemblée, au Sénat, etc. Il est normal qu’il y ait des contre-pouvoirs qui alertent évidemment, en disant : là ça ne va pas, vous faites des bêtises, essayez de rectifier le tir.
J.-P. Defrain : « Légitime urgence », affirmez-vous pour la question du chômage. Pensez-vous, trouvez-vous, que la réponse du Gouvernement est suffisante ?
Y. Cochet : Non, elle n’est pas suffisante. Je crois que les 500 millions qui ont été débloqués – qui avaient déjà été prévus par l’ancien gouvernement, là ils ont été franchement débloqués – ne sont pas suffisants, parce que ces situations d’urgence réclament une aide de l’État. Non pas sous la forme d’une prime de Noël – je crois que cela a été un coup médiatique des chômeurs, ils l’ont très bien fait –, mais ceci dit, sous la forme vraiment de régler au cas par cas la situation des gens qui sont en grande difficulté. Il y en a plusieurs centaines de milliers, 500 millions n’y suffiront pas.
J.-P. Defrain : Mais est-ce que les Verts sont totalement solidaires avec la politique de M. Aubry, en matière de politique contre le chômage ?
Y. Cochet : Nous le sommes sur le long terme, puisque je vous ai dit que les emplois-jeunes on soutient – et on a voté évidemment cette loi. On soutiendra évidemment le projet de loi sur les 35 heures, on est très favorable à ça, pour aller d’ailleurs jusqu’aux 32 heures, on espère bien avant la fin de la législature, et la semaine de quatre jours qui intéressera tout le monde. En ce qui concerne l’urgence, là, eh bien, il y a peut-être une hésitation de la part du Gouvernement qu’on regrette. Mais j’espère que les arbitrages seront bientôt pris, notamment par le Premier ministre, et que ce sera rétabli dans les prochains jours.
J.-P. Defrain : Je voudrais savoir si on peut à la fois appartenir au Gouvernement et approuver les occupations des locaux d’Assedic que M. Aubry juge illégales ?
Y. Cochet : Il y a eu un problème de formulation entre D. Voynet et M. Aubry. Il est certain que, lorsqu’on occupe les Assedic, c’est quelque chose qui est illégal. On est bien d’accord. Ceci étant dit, ce n’est pas ça le fond du débat. Le fond du débat, c’est la légitimité du mouvement. Et je crois que ni M. Aubry ni D. Voynet n’ont voulu dire que ce mouvement est illégitime. Au contraire, je pense que les deux pensent qu’il est légitime. Mais quelles sont les solutions ? D. Voynet a dit : continuons le mouvement, en gros. Non pas que ça soit à elle évidemment à se mettre à la place des chômeurs, ce sont les chômeurs qui maintenant s’auto-organisent. Et je trouve ça très bien, et c’est en ce sens-là peut-être qu’il y a une divergence entre M. Aubry – ou en tout cas une différence d’opinion – et D. Voynet. C’est que, nous, les Verts, nous réclamons une représentativité, une reconnaissance de la représentativité des mouvements et associations de chômeurs. Il faut que M. Aubry, qui les a déjà revues, maintenant institutionnalise d’une certaine manière le dialogue social avec les représentants des chômeurs.
J.-P. Defrain : Sur le plan politique, le Gouvernement de L. Jospin, depuis son arrivée à Matignon, était plutôt sur un nuage. Les sondages sont parfaits. Est-ce que ce sont les premiers nuages gris qui approchent, en ce moment, dans cette majorité plurielle ?
Y. Cochet : On va voir comment ça se passe en ce qui concerne ce traitement des gens et du chômage. Moi, je ne le crois pas…
J.-P. Defrain : Et sur les 35 heures aussi.
Y. Cochet : Sur les 35 heures, non là, la majorité est très unie. Bien sûr, il y aura les amendements, y compris venant de la majorité, mais l’objectif est très clair : les 35 heures, une loi-cadre avant l’an 2000, on est tous d’accord. Donc, au contraire, cela va ressouder la majorité.
J.-P. Defrain : Les régionales du 15 mars : les Verts entendent conserver la présidence de la région Nord ?
Y. Cochet : Certainement, je crois, M.-C. Blandin a très bien fait son travail depuis six ans, elle doit continuer à le faire une nouvelle fois. Ce n’est pas du tout une cumularde, on peut le dire, contrairement à d’autres !
J.-P. Defrain : C’est-à-dire ?
Y. Cochet : Elle, elle est pour le mandat unique – comme moi d’ailleurs. On occupe un poste à plein temps, quand ce sont des postes à plein temps. Je ne parle pas de conseil municipal de base dans une mairie de 1 500 habitants, je parle d’un président d’une région, surtout comme le Nord Pas-de-Calais, c’est un poste à plein temps. Donc elle ne fait que cela, elle a refusé d’ailleurs des propositions municipales en 1995. Bon, elle ne fait que ça. D’autres prétendants sont déjà ultra-cumulards. Donc, non…
J.-P. Defrain : Il y a des bras de fer dans la majorité plurielle, hein ? Quand vous dites d’autres prétendants, vous avez qui a l’esprit ?
Y. Cochet : Je parle de M. Delebarre bien sûr, parce que c’est entre les deux que ça se joue. Donc, M. Delebarre est déjà député, conseiller régional, maire de Dunkerque, président de la communauté urbaine, c’est déjà pas mal pour un seul homme. Je crois que là… non, non. Et puis il y a une légitimité dans le travail qu’a fait M.-C. Blandin.
J.-P. Defrain : Vous souhaitez conquérir d’autres régions ? Si oui, lesquelles ?
Y. Cochet : Les Verts ont caressé l’espoir de pouvoir avoir la présidence d’autres régions. On en parlera en fait après les régionales. Parce qu’il faut d’abord gagner ces régionales, notamment la région Île-de-France par exemple et bien d’autres. On espère quand même en avoir huit, dix, douze. Et dans ce cas-là, il y aura évidemment d’abord la région Nord Pas-de-Calais pour les Verts et peut-être une autre si on en a suffisamment.
J.-P. Defrain : Laquelle par exemple ?
Y. Cochet : Je ne peux pas vous dire. Je pense que ça dépendra du résultat des élections.
LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE DU CENTRE-OUEST : mercredi 4 février 1998
N. R. : Risqueriez-vous de ne pas voter le projet de loi sur les 35 heures si, comme l’on indiqué les militants au Conseil national des Verts, réuni ce week-end, vos amendements n’étaient pas pris en compte par le Gouvernement ?
Yves Cochet : En gros, les militants nous ont donné le bâton pour pouvoir apprécier, en fonction du degré d’ouverture du gouvernement, si c’est acceptable par les Verts. Mais il n’y a pas de casus belli avec le gouvernement sur les 35 heures, puisqu’on est globalement d’accord avec le projet de loi. C’est déjà tellement une grande victoire qu’il existe ! Cela dit, nous avons déposé une bonne vingtaine d’amendements, pour tenter de rendre le projet de loi plus efficace. Si le gouvernement ne retient que ceux relevant du cosmétique, il nous faudra alors être plus dur. On évaluera en fin de semaine, avant le vote solennel sur le texte, prévu le 10 février. Mais je suis assez optimiste.
N. R. : Concrètement, quelles concessions attendez-vous du Gouvernement ?
Yves Cochet : Il nous paraît important d’aider plus qu’il est prévu les entreprises passant directement à 32 heures. Dans ce cas, l’incitation de l’État est de 13 000 F par salarié, la première année, contre 9 000 F pour une réduction à 35 heures. La différence n’est que de 4 000 F, alors que la démarche est plus courageuse et plus difficile. On propose donc de porter l’incitation pour 32 heures à 14 000 F, au lieu de 13 000 F.
Bien sûr, le coût est un peu plus élevé pour l’État, et l’on connaît l’ouverture étroite du ministère des Finances quand il s’agit d’inscrire des dépenses supplémentaires. Nous allons donc devoir nous bagarrer. De même qu’il nous paraît logique, que les entreprises, qui prévoient un passage à 32 heures en deux temps (35 heures en 1998 et 32 heures avant 2003) , bénéficient de l’aide complémentaire. Ce n’est pas prévu, pour l’instant, dans le texte de loi.
N. R. : Sur les heures supplémentaires, n’auriez-vous pas préféré une position gouvernementale plus coercitive ?
Yves Cochet : Il est prévu que la surtaxation ne soit pas supérieure à 25 %, entre 35 et 39 heures. Je le regrette, il aurait fallu un peu plus. Par contre, nous demandons que les accords d’entreprises sur la réduction du temps de travail prévoient le calendrier prévisionnel des embauches. La loi se borne à indiquer que les recrutements doivent avoir lieu dans l’année. Il faut être plus précis. Il convient aussi que les repos compensateurs, liés aux heures supplémentaires, soient mieux encadrés, afin qu’ils soient effectivement pris, ce qui n’est pas toujours le cas. L’employeur doit être tenu, de par la loi, de proposer au salarié d’user de ce droit, une fois qu’il est acquis, dans les deux mois.
N. R. : Sur le seuil de 20 salariés, qui conditionne la date d’application de la nouvelle durée légale de 35 heures, en 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés, en 2002 pour les moins de vingt, vous avez jeté l’éponge ?
Yves Cochet : On aurait souhaité qu’il n’y ait pas de seuil du tout. Mais on ne va pas faire une bataille extrémiste là-dessus. De même, on aurait pu déposer un amendement pour remplacer 35 heures par 32 heures, afin de passer tout de suite à la semaine en 4 jours. Par contre, on va essayer d’obtenir une définition plus précise de ce que la loi appelle la durée légale du temps de travail effectif. Pour nous, ce doit être toute période de temps pendant laquelle le salarié est à la disposition de l’employeur sur son lieu de travail. Cette mesure doit permettre d’éviter certains décomptes abusifs.
N. R. : Quels amendements vous paraissent incontournables ?
Yves Cochet : La définition claire de la durée légale du temps de travail effectif, mais aussi l’incitation supplémentaire pour 32 heures. Nous avons en tout cas espoir que, sur la vingtaine d’amendements écologistes, de quatre à sept soit acceptés.
VERT CONTACT : 14 février 1998
La loi est votée, nous nous en félicitons. D’autant plus que onze de nos amendements ont été adoptés. Trois d’entre eux me paraissent des avancés importantes par rapport au projet initial.
D’abord, une définition de la « durée du travail effectif » fait – enfin ! – son entrée dans le code du travail : l’article L. 212-4 du code est complété par un alinéa ainsi rédigé : « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur ». Ensuite, les entreprises qui passent avant le 1er janvier 2003 aux 32 heures en deux étapes, pourront également bénéficier de l’aide majorée de l’État, comme en bénéficiaient déjà celles qui passent aux 32 heures en une seule étape. Enfin, le gouvernement présentera au printemps 1999 un rapport sur le bilan et les perspectives de la RTT pour les agents de la fonction publique, ce qui annonce une loi RTT-public dans la foulée.
La loi est votée, il faut maintenant la mettre en œuvre. Cela suppose un enthousiasme, une mobilisation, une persévérance exceptionnels des Verts pour que cette loi se traduise massivement dans la réalité sociale. Car, tout législatif qu’il soit, ce texte n’est que « d’orientation et d’incitation ». Autrement dit, le succès de la réduction du temps de travail et d’une baisse significative du nombre de chômeurs est à présent entre les mains des « partenaires sociaux » : ce succès sera mesuré au nombre d’accords de branches ou d’entreprises, avec calendrier d’embauches, que la loi actuelle aura suscités avant l’automne 1999, date de la seconde loi RTT. Nous avons donc 18 mois pour réussir. Cela fait plus de dix ans que nous militons pour une RTT massive, rapide et générale. Elle est aujourd’hui inscrite dans la loi, il nous faut la réaliser dans l’histoire. Ne chômons pas contre le chômage !