Interview débat de M. Nicolas Sarkozy, député et membre du bureau politique du RPR et M. Bruno Mégret, délégué général du Front national, à France 2 le 17 février 1997, sur l'immigration, les valeurs de la majorité et le Front National.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Franchement - France 2 - Télévision

Texte intégral

Mme Chabot : Bonsoir.

M. Sarkozy : Bonsoir.

M. Duhamel : Bonsoir, Monsieur Sarkozy.

Mme Chabot : Merci d’être avec nous ce soir, Nicolas Sarkozy. Certains disent que vous êtes en panne, d’autres que vous vous préparez à de nouvelles fonctions. En tout cas, en ce moment, vous êtes totalement libre de vos propos.

M. Duhamel : Et vous avez choisi comme thème principal pour ce soir ?

M. Sarkozy : Le débat sur les valeurs.

M. Duhamel : Les valeurs de la majorité.

M. Sarkozy : Où voulons-nous conduire la majorité, que proposons-nous à nos concitoyens ? Quelle société ? Et celle que nous proposons.

M. Duhamel : Vous aurez un contradicteur que nos téléspectateurs sont en train de découvrir à l’antenne. Mais vous, vous ne le voyez pas.

Mme Chabot : Et, à la fin de cette émission, nous parlerons de vos passions, de ce que vous faites ou de ce que vous aimez quand vous ne faites pas de politique, car cela vous arrive tout de même, avec aussi deux autres invités qui viendront nous rejoindre à la fin de cette émission.

Mais tout de suite, votre portrait par ceux qui vous aiment et ceux qui vous aiment un peu moins, vous allez voir, contrasté.

Impressions recueillies par Nathalie de Saint-Cricq et les équipes de France 2.

Portrait
M. Bayrou : Nicolas Sarkozy, c’est une énergie, une dynamique. C’est quelqu’un qui est intelligent, volontaire, capable et déterminé.

M. Douste-Blazy : Un surdoué de la vie politique française.

M. Toubon : Je ne pense que du bien.

Mme Lienemann : Je pense que c’est un petit prétentieux qui n’a· rien réussi du tout. Il a été le ministre des finances de Balladur, cela a été l’échec total sur tous les terrains.

M. Méhaignerie : Je trouve que c’est l’un de ceux qui peuvent le mieux défendre une politique et un dossier, et le plus facilement convaincre.

M. Poniatowski : Je me demande ce qu’attend le chef du gouvernement pour utiliser un Nicolas Sarkozy.

M. Cambadélis : C’est le prototype des hommes politiques des années 80 : tout dans la forme, rien dans le fond.

M. Péricard : C’est un garçon brillant, tout le monde le sait. Il se voit lui-même un grand avenir, mais je crois qu’il n’est pas le seul à le penser.

M. Hollande : Il a de l’ambition, il a même de l’appétit. Je ne suis pas sûr qu’il sache toujours où cette ambition le guide, et si, en matière alimentaire, il a toujours le nez fin.

M. Moscovici : Sarkoziste, balladurien, chiraquien hier, je crois que c’est un homme – mais il ne le cache pas d’ailleurs – qui a fait de la politique son métier et, donc, qui est fasciné par le pouvoir.

M. Bazire : Le premier mot qui me vient à l’esprit en pensant à lui, c’est le dynamisme et l’entrain.

Il m’a dit un jour qu’il aurait pu être cycliste. Je suis sûr qu’il aurait fait cela avec beaucoup d’ardeur et beaucoup de courage.

M. Devedjian : Il a commencé très jeune. Depuis il a pris quelques coups. Il s’est assagi, et je crois que c’est maintenant qu’il devient bon.

M. Mancel : Un échec en politique marque toujours les hommes ou les femmes qui en sont victimes. Mais à partir où cela ne se reproduit pas trop souvent, c’est parfois très utile.

M. Glavany : Quand on est si jeune et que l’on est déjà ancien ministre, c’est vrai que c’est traumatisant ! Mais, enfin, être député-maire de Neuilly, la ville la plus riche de France, c’est une traversée du désert qui ne doit pas être très pénible pour lui.

M. Chevènement : Il a eu le tort d’être balladurien, et c’est un grand tort quand on est RPR.

Cela dit, l’évolution de Monsieur Chirac ne lui donne-t-elle pas quelque part raison ?

M. Raoult : Je crois qu’il est important que Nicolas joue un rôle dans la vie politique. Il joue un rôle aujourd’hui. Il jouera un rôle demain, mais à toute chose, son temps.

M. Duhamel : Alors, réactions ?

M. Sarkozy : Il y a ceux qui m’aiment, ceux qui m’aiment moins. Quand on fait un métier public comme l’engagement politique, il faut accepter le jugement, même quand il est brutal. C’est facile de l’accepter lorsqu’il est positif. Cela l’est moins lorsqu’il est négatif. Mais j’ai appris cela aussi.

Ce que je veux simplement dire à ceux qui m’aiment comme à ceux qui m’aiment moins, c’est que si j’ai choisi de continuer la vie politique, c’est parce que, jamais je ne me suis senti aussi libre qu’aujourd’hui. Et j’ai envie de profiter cette liberté pour essayer de faire partager mes convictions sans prudence et sans calcul. Après tout, je ne tiens pas du tout à décevoir les responsables socialistes qui ont bien voulu donner leur avis sur moi.

Mme Chabot : Avis maintenant des Français interrogés par l’institut IPSOS.

On leur demande quels sont les mots qui vous viennent spontanément à l’esprit, et donc à la bouche, pour qualifier Nicolas Sarkozy ?

Regardez les résultats :
Les mots positifs : 22 %
       - compétent ;
       - intelligent ;
       - sympathique ;
       - dynamique.

Les mots négatifs : 29 %
       - arriviste ;
       - malhonnête ;
       - incompétent ;
       - prétentieux ;
       - hypocrite ;
       - sournois.

Les mots neutres : 22 %
       - jeune ;
       - ancien ministre balladurien ;
       - droite.

Ce sont vos qualificatifs de fonction du passé.

    Sans opinion : 42 %

Un mot ?

M. Sarkozy : Non, c’est un jugement contrasté et ce n’est pas anormal.

Vous savez, nous avons un engagement qui est très difficile : nous devons convaincre. Convaincre sur des idées qui ne sont pas faciles et qui, en général, ne vont pas dans le sens que souhaite entendre immédiatement l’opinion publique.

C’est un des rares métiers, la vie politique, où, finalement, en permanence, ceux qui vivent le même engagement que vous, doivent vous critiquer, c’est-à-dire l’image d’unanimisme n’est pas le même.

Vous savez, quand vous êtes chef d’entreprise et même quand vous êtes journaliste, vous faites votre métier le mieux possible mais on n’attend pas forcément des autres qu’ils passent leur temps, matin, midi et soir à vous critiquer. Nous, c’est comme cela, c’est la démocratie. Encore une fois, il faut l’accepter. Mais il est normal que les images soient contrastées.

Mme Chabot : Autres questions concernant votre avenir et un éventuel retour de Nicolas Sarkozy au gouvernement : les Français interrogés par IPSOS disent :
    Oui : 30 %.
    Non : 47 %.
    Sans opinion : 23 %.

Il y a un petit désamour, là, avec les Français, non ?

M. Sarkozy : Oh, je trouve que 30 %, finalement, si c’est ce que faisait le RPR, ce n’est pas si mal !

M. Duhamel : Vous êtes dans les 30 %.

M. Sarkozy : Oui, enfin, si je suis dans les 30 % ! Moi, je suis plutôt victime de la question que l’on me posera : d’y rentrer ou de ne pas y rentrer. Au moment où on me la posera, je verrai ce que je dirai !

M. Duhamel : Pensez-vous que le gouvernement peut aller d’ici aux élections, en un an en gros, c’est, en tout cas, élargir le gouvernement et le renforcer ?

M. Sarkozy : Honnêtement, je ne considère pas que les problèmes de personnes soient les problèmes les plus importants. Cela compte. Mais je considère qu’il y a d’autres problèmes de fond avant.

Autrement dit, je crois que le débat approfondi sur la politique à suivre me paraît absolument nécessaire, avant un débat approfondi sur les hommes ou les femmes qui doivent l’incarner.

Mme Chabot : Éventuellement, vous rentrerez, après ce débat, au gouvernement, si on vous le propose ?

M. Sarkozy : Écoutez, si on me pose la question, j’y répondrai bien volontiers.

Mme Chabot : Revenons aux questions d’actualité.

Actualité
Mme Chabot : Alors, évidemment, vous avez évoqué la polémique sur la loi Debré, tout à l’heure dans le journal de 20 heures avec Daniel Bilalian, mais je voudrais que nous y revenions tout de même, en vous demandant si, au fond, cet article 1 qui demande aux Français qui ont hébergé des étrangers de déclarer leur départ, cela ne vous choque-t-il pas, en tant qu’avocat, qu’au fond, les Français jouent un peu le rôle de la police ou remplissent le rôle de l’administration ?

M. Sarkozy : Je crois qu’il ne faut pas confondre. Il faut d’abord savoir ce que l’on veut, ce qu’il y a d’essentiel et puis ce qu’il y a d’accessoire.

Je voudrais, grosso modo, trois choses :

La première est que notre gouvernement, notre pays se dote des moyens pour lutter efficacement contre l’immigration clandestine qui est l’un des grands problèmes de la France.

Avions-nous besoin d’une nouvelle loi pour renforcer notre arsenal juridique ? La réponse est oui.

La deuxième chose que je souhaite, c’est que, dans le même temps, la France n’oublie pas cette tradition d’intégration dont j’ai moi-même profité, puisque mon père est arrivé de Hongrie en 1949. Cette tradition d’intégration, c’est une chance, c’est un atout pour notre pays. J’y tiens.

Mais l’intégration se fera d’autant mieux que l’immigration clandestine sera maîtrisée.

La troisième chose, qui est à mon avis aussi importante, c’est que je voudrais, pour une fois, que le Front national ne profite pas de ce débat.

Finalement, entre laxisme et l’extrémisme, entre l’angélisme et le racisme, il y a une position d’équilibre, raisonnable et de bon sens à tenir : il me semble que la loi Debré répond à ces conditions.

M. Duhamel : Comment jugez-vous le mot d’ordre des artistes et des intellectuels, qui est donc un mot d’ordre de désobéissance civique ?

M. Sarkozy : Je ne peux pas accepter cette idée, parce que la désobéissance civique faisant référence à une autre période de notre histoire, qui m’a passionné, j’ai écrit la biographie de Mendel, à l’époque où la France était occupée, où il n’y avait pas de Parlement, où le gouvernement était illégitime, aujourd’hui nous avons un gouvernement légitimement issu des urnes, nous avons un Parlement élu démocratiquement, une majorité et une opposition. Si l’on commence à expliquer à nos concitoyens que quand une loi vous déplaît, parce qu’elle vous déplaît, parce que vous n’êtes pas d’accord, il suffit d’appeler à la désobéissance civique ou civile, ne nous étonnons pas, après, qu’on donne des milliers et des dizaines de milliers d’électeurs de plus au Front national. Donc, je ne peux pas accepter cette démarche, même si je comprends, par ailleurs, la démarche d’un certain nombre d’artistes et de créateurs lorsqu’ils soutiennent le directeur de Châteauvallon parce qu’il est inadmissible que l’on essaie de contrôler la création en France.

Mme Chabot : Nicolas Sarkozy, député, souhaite-t-il que le texte vienne en l’état en deuxième lecture à l’assemblée ou souhaitez-vous qu’il soit modifié, comme a l’air de le proposer aujourd’hui Pierre Mazaud, en commission de façon à répondre aux objections soulevées par le texte tel qu’il est aujourd’hui ?

M. Sarkozy : Je vous ai dit mon accord de principe, permettez-moi de rajouter peut-être un argument : je ne comprends pas bien pourquoi on considèrerait comme normal que depuis 15 ans, à la demande d’un gouvernement socialiste, on soit obligé de déclarer la venue chez soi d’un étranger et qu’on considère comme anormal de déclarer le départ de son domicile du même étranger.

Autrement dit, c’est plus logique d’être totalement contre les certificats d’hébergement. Mais avoir la position qui consiste à dire, c’est la logique de déclarer son arrivée et ce n’est pas logique de déclarer son départ, c’est curieux !

Mme Chabot : On dit que le contrôle, ce n’est pas au citoyen de le faire, en fait c’est cela ?

M. Sarkozy : Cela, c’est un autre problème !

Je pense que, à la fois le débat parlementaire et en même temps le contrôle du juge constitutionnel puisque, de toute façon, il sera saisi, les dirigeants du Parti socialiste l’ont annoncé, devront nous amener à nous prononcer sur les modalités.

Finalement, qu’est-ce qu’il y a d’important dans cette affaire ? C’est qu’on ne se serve pas des visas de moins de trois mois et des certificats d’hébergement pour créer une véritable filière d’immigration clandestine. Autrement dit, j’arrive légalement et puis comme personne ne contrôle si je suis reparti, cela permet de créer un volant d’appel pour l’immigration clandestine considérable. Donc, ce qui est important, c’est l’idée.

Dans les modalités, je pense qu’il existe d’autres solutions. Ces solutions pourraient être, si l’on est choqué que ce soit l’hébergeant, le citoyen lui-même qui doive déclarer le départ à la mairie, on pourrait peut-être se demander si tel ou tel service de l’État ne pourrait pas le faire.

M. Duhamel : Alors, globalement maintenant, sur la politique de l’immigration : au fond, le gouvernement a une politique de restriction pour ce qui est de l’immigration légale, régulière et une politique de coercition pour empêcher l’immigration clandestine, interdite, illégale. Ces orientations-là vous vont-elles ?

M. Sarkozy : Cela me va tout à fait. Je considère que l’on doit lutter avec une très grande fermeté contre l’immigration clandestine. J’affirme que l’on peut lutter contre l’immigration clandestine avec une très· grande fermeté pour des raisons humanitaires.

M. Duhamel : C’est-à-dire ?

M. Sarkozy : Parce que ceux qui souffrent le plus d’une immigration clandestine non contrôlée, ce sont les étrangers en situation régulière. Car ce sont eux qui paient les pots cassés.

Alors, j’ajoute que l’angélisme en la matière – je mets en garde ! – parce que cela produit l’effet strictement contraire à ce qui est recherché. Pour le reste, je ne suis pas un adversaire de l’immigration régulière parce que je considère que cela a été l’une des forces de la France d’avoir des vagues d’immigration successives. Mais nous sommes en droit de savoir qui nous voulons accueillir sur notre territoire et pourquoi ? Et, il me semble que cette position équilibrée est celle que nous devons tenir. En définitive, aux antipodes du laxisme socialiste et de l’extrémisme du Front national.

Mme Chabot : Alors, là, vous êtes tout à fait, sur ce point, d’accord avec Alain Juppé.

En revanche, à Vitrolles, lorsque le Premier ministre a demandé au candidat UDF de se retirer au second tour, vous avez dit que c’était une mauvaise stratégie, pourquoi ?

M. Sarkozy : Sur Vitrolles, je comprends la position d’Alain Juppé, car, finalement, qu’est-ce que voulait le Premier ministre ? Il ne voulait pas qu’en maintenant le candidat de la majorité, on puisse lui mettre sur le dos le fait de l’élection de Madame Mégret. Maintenant, on a vu !

Je pense que la seule position possible, c’est, pour la majorité, de renforcer son identité. Car, finalement, si tant d’électeurs de la droite républicaine, raisonnable, classique, sont partis à l’extrême-droite, c’est parce qu’ils ont le sentiment, à tort ou à raison, qu’entre les socialistes et nous, il n’y avait pas assez de différence.

Je suis absolument opposé au consensus fade, au consensus mou. Je ne suis pas socialiste et je n’ai pas l’intention de le devenir. La majorité doit développer son identité. Si vous acceptez cette idée que quand la droite est forte, l’extrême-droite n’existe pas, vous en tirez donc la conclusion qu’à l’avenir, il faudra que, quand nos candidats peuvent se maintenir, ils se maintiennent.

Moi, je n’ai pas envie de voter pour le Parti socialiste, parce que je ne le suis pas, et je n’ai pas envie de voter pour le Front national.

Prenez l’exemple de Vitrolles, c’est assez intéressant : on retire notre candidat, le candidat socialiste est donc contre les lois Debré, qu’y comprennent nos électeurs de la majorité ? Vous le voyez bien ! Ce n’est pas la même chose.

Donc, je dis que maintenant, on sait ce qui s’est passé à Vitrolles, je souhaite que les candidats de la majorité restent.

J’ajoute un dernier point : c’est que cela aurait permis que la candidate du Front national soit élue avec moins de 50 % des voix, et qu’en tout état de cause, je pense que ce serait une bonne chose.

M. Duhamel : Mais on aurait dit que c’était grâce à vous ?

M. Sarkozy : C’est la raison pour laquelle je vous dis ma position, c’est pour l’après-Vitrolles. Maintenant, il y a 4 villes au Front national. J’ajoute un dernier mot : il est assez contradictoire de dire que le Front national a le droit de présenter des candidats et de s’affoler lorsqu’il a des élus.

M. Duhamel : Justement, nous allons regarder maintenant les réponses à deux questions de notre sondage à propos du Front national :

Est-ce un parti comme les autres ?
    Oui : 47 %.
    Non : 51 %.
    Sans opinion : 2 %.

Avez-vous quelque chose à dire là-dessus ?

M. Sarkozy : Non, mais la question est un peu biaisée, si vous me le permettez, parce que qu’est-ce que cela veut dire un parti comme les autres ? Un parti comme les autres, si c’est un parti qui présente des candidats et qui veut avoir des élus avec des électeurs, il est assez normal qu’il y ait près de la moitié des Français qui répondent : oui, c’est un parti comme les autres.

Je pense que l’on fait trop d’honneur au Front national en ne le combattant que pour des raisons idéologiques. Je crois que surtout la caractéristique du Front national, c’est de n’avoir aucune réponse crédible sur les vraies questions qui se posent aux Français.

M. Duhamel : Maintenant, nous allons regarder la deuxième question :

Doit-il avoir des députés à l’assemblée ?
       - une bonne chose : 45 % ;
       - une mauvaise : 40 % ;
       - ni l’un, ni l’autre : 5 % ;
       - sans opinion : 10 %.

Pour vous, il vaudrait mieux qu’ils y soient ou qu’ils n’y soient pas ?

M. Sarkozy : C’est les Français qui vont le décider !

M. Duhamel : Non, mais bien sûr ! Mais vous avez quand même un avis ?

M. Sarkozy : Mais je ne considère pas que ce soit une bonne chose pour l’équilibre de notre République que des courants de pensée qui, qu’on le veuille ou non, existent, puissent se sentir totalement exclus à jamais de la représentation parlementaire dans un système de démocratie.

Mme Chabot : Êtes-vous prêt comme François Léotard ou Philippe Douste-Blazy à vous engager vraiment dans la bataille contre le Front national ?

M. Sarkozy : Depuis que je suis candidat, cela ne remonte pas à hier, 1983, j’ai toujours eu un candidat du Front national contre moi. J’y suis d’autant plus prêt…

M. Duhamel : Il fait combien en général ?

Mme Chabot : En ce qui concerne la ville de Puteaux, il fait près de 20 % et en ce qui concerne la ville de Neuilly, il fait 10 %.

Mme Chabot : Passons à l’économie : la revendication de ceux qui bloquent les transports dans plusieurs villes de France sur les 35 heures ou la retraite à 55 ans, vous dites définitivement, c’est exagéré ?

M. Sarkozy : J’essaie de faire comprendre surtout une idée très simple, nous gagnons une année d’espérance de vie tous les 4 ans, que nous avons, aujourd’hui, à peu près 4 actifs pour 1 retraité, que, dans quelques années, nous aurons un actif pour un retraité.

Aujourd’hui, il y a 600 000 personnes par an qui partent à la retraite, en 2005, il y en a 900 000. Si nous voulons garantir un minimum de qualité de vie aux retraités et si nous voulons continuer à créer des emplois sans accabler ceux qui produisent, d’impôts et de cotisations, nous ne pouvons pas réduire l’âge de départ à la retraite.

Je vais vous dire autre chose : le débat de demain, inéluctable, en France comme ailleurs, ce sera l’allongement de la durée de vie active.

J’ajoute un dernier mot : c’est que je vois le travail comme un facteur d’épanouissement, non pas comme une contrainte et une aliénation.

M. Duhamel : On sait que vous êtes sceptique aussi à propos du partage du travail, ce qui veut dire que si vous voulez faire reculer le chômage, comme tout le monde le veut évidemment, à ce moment-là, il faut créer plus d’emplois. Avez-vous des recettes pour que l’on crée plus d’emplois ?

M. Sarkozy : Non, mais d’abord, je voudrais savoir quel est le pays au monde où l’on considère que l’on pourra gagner plus en travaillant moins ? Quel est le pays au monde, à quelle époque de son histoire, qui a créé plus d’emplois en travaillant moins ?

L’obsession socialiste qui consiste…

M. Duhamel : Dans l’histoire, cela a existé !

M. Sarkozy : Je ne parle pas du progrès technique et de l’amélioration de la productivité. Mais l’obsession socialiste qui consiste à vouloir partager la pénurie, répartir cette pénurie est une absurdité. Je ne crois en aucun cas que la réduction du temps de travail puisse créer des richesses. En revanche, l’annualisation du temps de travail, le temps partiel, l’assouplissement des règles d’organisation du travail sur l’année, alors, là, je suis tout à fait pour.

Mme Chabot : On parle d’embellie en ce moment : les Français retrouvent le moral, les perspectives sont meilleures. Vous partagez ce sentiment d’optimisme ?

M. Sarkozy : Oui, il y a une amélioration de la situation économique qui est due à trois phénomènes :
       - une croissance économique mondiale forte ;
       - la montée du dollar ;
       - les premiers effets bénéfiques de la politique menée par Alain Juppé.

Je voudrais d’ailleurs dire à ce propos, que rien n’est acquis en la matière. Le Premier ministre l’a dit lui-même, et que même avec 2,3 % de croissance, on ne fera pas reculer fortement le chômage. Donc, je considère qu’il faut accompagner, soutenir, développer ces premiers résultats et ce retour de la croissance en allant plus vite et plus fort dans la baisse des impôts, ce qui n’est pas incompatible avec le respect des critères de Maastricht, et en acceptant de discuter des freins que fait peser l’absence de dialogue social sur la création d’emplois.

Mme Chabot : Alors, maintenant, deux questions posées par nos confrères :

La première par Éric Zemmour du Figaro.

Politiquement incorrect :

Éric Zemmour : Bonsoir, Monsieur Sarkozy, on parle régulièrement de votre entrée au gouvernement. Pourtant, il semble qu’il y ait un veto de posé à l’Élysée, notamment par Madame Chirac elle-même. Dans ces conditions, êtes-vous prêt à affronter une traversée du désert qui durerait 7 ans ?

M. Duhamel : Déjà, vous y croyez ou pas à cette histoire de veto ?

M. Sarkozy : D’abord, vous comprendrez que ce serait parfaitement ridicule que je réponde au veto qui aurait été posé par je ne sais qui…

M. Duhamel : On ne va pas tourner autour du pot : est-ce que vous pensez que les cicatrices de la campagne présidentielle sont telles que votre éventuel retour au gouvernement serait impossible ou pas ?

M. Sarkozy : Monsieur Duhamel, ma conception, puisque vous m’interrogez, est très simple : le délit d’opinion dans une démocratie n’existe pas. J’ai soutenu Monsieur Balladur en toute transparence et en toute clarté. J’ai été fier d’être à ses côtés. La campagne présidentielle, c’est le passé. Au deuxième tour, j’ai, avec mes amis de la majorité, tout fait pour que ce ne soit pas un candidat socialiste qui soit élu, et je me suis réjoui de l’élection de Jacques Chirac.

Pour le reste, la question, encore une fois, ne m’appartient pas.

Quant à la traversée du désert, vous savez, tout cela est relatif. Il faut avoir du ridicule. Il y a tant de misère et tant de gens qui ont une situation moins enviable que la mienne, moi, je n’ai pas de traversée du désert, je me bats pour faire avancer mes idées.

J’ai la chance formidable de pouvoir passer par les médias, de pouvoir m’exprimer pour essayer de faire partager ces convictions. Croyez-moi, je ne vais pas me gêner.

Mme Chabot : Je vous signale que notre ami Éric Zemmour vient de publier : « Le coup d’état des juges », c’est un livre qui a suscité déjà quelques polémiques et qui traite du nouveau. Pouvoir ou de la nouvelle place des juges dans la société.

Deuxième question : François Berger de L’Événement du jeudi.

Françoise Berger : Vous avez suivi successivement : Achille Peretti, Charles Pasqua, Jacques Chirac que vous avez trahi quand même assez largement, et Édouard Balladur.

Vous avez toujours cultivé ouvertement le cynisme et l’ambition, ne croyez-vous pas, Monsieur Sarkozy, que vous êtes pour quelque chose dans la désaffection des Français vis-à-vis des hommes politiques ?

M. Sarkozy : Voilà une question posée avec un sens de la modération qui ne dépare pas dans la rédaction de L’Événement du jeudi !

Bon, écoutez, les jugements, là encore ! Il y a une chose que je n’accepte pas, c’est le mot « trahison ». Je n’appartiens à personne. Je n’ai connu qu’une seule formation politique, et je dirai à notre amie de la rédaction de L’Événement du jeudi, que je n’ai même pas fait mon petit complexe gauchiste à l’époque, et je n’ai même pas connu d’expérience de l’Extrême-droite. Je n’ai connu qu’une seule formation politique dans ma vie : la formation gaulliste depuis 22 ans.

Et puis, en 1995, on a eu à choisir entre Balladur et Chirac. Alors j’aimerais savoir, si 57 999 000 Français avaient le droit de choisir et, moi, si je n’avais pas le droit de choisir ?

J’ajoute, Arlette Chabot, que je l’ai fait en toute transparence, en toute clarté. Je ne suis pas un homme à avoir un pied dans un camp et un pied dans l’autre. Je m’en suis expliqué avec Jacques Chirac. Je l’ai combattu parce que je croyais que c’était l’intérêt de la France, et je n’ai aucunement l’intention de m’en excuser.

S’agissant de l’ambition, là encore…

Mme Chabot : Vous dites que vous êtes ambitieux, souvent !

M. Sarkozy : Sans doute, je porte une responsabilité dans l’image de l’ambition…

M. Duhamel : Vous assumez ? Dans des interviews précédentes, vous l’avez dit ?

M. Sarkozy : Monsieur Duhamel, je n’ai pas hérité de la circonscription de mon père, on ne m’a jamais proposé un poste, je ne sors pas des grands corps de l’État…

M. Duhamel : Ce serait mal ?

M. Sarkozy : Ce ne serait absolument pas mal, mais, enfin, disons que je n’étais pas prédisposé à faire de la politique. Je n’appartenais même pas à un milieu où l’on faisait de la politique. Donc, oui, il a fallu me battre. François Berger dit que c’est de l’ambition. On pourrait dire plus gentiment…

M. Duhamel : Est-ce que c’est mal l’ambition ?

M. Sarkozy : … que c’est de la volonté.

Quand c’est de l’ambition, non ! Vous savez, c’est toujours pareil, c’est une question de mesure, en tout cas, il en faut beaucoup.

Mme Chabot : Enfin, le métier d’homme politique, aujourd’hui on dit que les Français, effectivement, il y a une désaffection, on le critique. Alors, professionnel de la politique, ils aiment moins, que répondez-vous à cela ?

M. Sarkozy : Pourquoi la politique serait le seul domaine où il ne faudrait pas de professionnels ? Cela vous arrive, vous, d’aller voir un médecin qui est un amateur à l’occasion ?

Mme Chabot : Non. Je ne serais pas là peut-être !

M. Sarkozy : Est-ce que cela vous rassure de prendre un prestataire de services qui soit un amateur ? Nous avons la responsabilité d’un pays, d’une région, d’un département, d’une ville. C’est un engagement de toute une vie. C’est parfaitement normal. Et, en l’occurrence, vous savez, le débat sur la césure entre les Français et la politique, c’est un classique qui a existé à bien des époques. Moi, je ne me contente pas de le décrire, mais j’essaie de jouer mon rôle en apportant dans le débat politique des idées.

Mme Chabot : Alors, maintenant, nous allons revenir sur votre passé, sur vos engagements, sur vos choix.

Et d’abord, Nicolas Sarkozy tout petit. Vous l’avez dit : fils d’émigré hongrais, élevé par sa mère, avec deux frères, à Paris tout de même, dans les beaux quartiers.

Repères

Mme Sarkozy (mère) : Il était très coléreux, assez bagarreur avec ses frères, mais vraiment sympa en ce sens qu’il avait quelque chose de très caractéristique : il n’avait peur de rien.

Guillaume Sarkozy : Je dirais le résumé de Nicolas, c’est qu’il a toujours eu envie.

Alors, envie, gamin, il avait sûrement envie de choses qui n’étaient pas possibles, ce qui devait générer et ce qui générait d’ailleurs des colères homériques.

Et, je crois que le fait d’être plus petit que nous, cela jouait un grand rôle dans son envie. Parce qu’il ne pouvait pas se démarquer par la taille forcément, donc, il se démarquait par le pouvoir, par l’envie d’arriver de faire des choses.

Mme Sarkozy (mère) : Il était assez dissipé, mais travaillant bien, sans excès, mais bien.

Guillaume Sarkozy : Il y a deux personnages qui ont eu un rôle très important, je dirais, dans sa construction, qui étaient notre grand père qui était un gaulliste de toujours, et qui était un vieux jardinier que nous avions à la campagne, qui s’appelait Morvan, qui avait fait la guerre de 14, et il nous racontait les tranchées.

Et Nicolas, a 4 ans, je me souviens, on était dans le jardin, Morvan nous racontait la guerre et les Allemands qui chargeaient. Je suis sûr que cela a beaucoup marqué Nicolas, et cela lui a donné un côté très national, très fort.

Mme Sarkozy (mère) : Je pensais qu’il serait soldat parce qu’il avait la manie de faire des défilés militaires. Il y avait des soldats plein la chambre, des bâtiments militaires. J’ai toujours pensé qu’il serait soldat.

Moi, personnellement, j’ai un peu peur de la politique et j’ai été très contente que Nicolas revienne à Neuilly, dans sa mairie où il est très bien. Je ne suis pas terriblement ambitieuse, alors ce n’est pas de moi qu’il tient !

Guillaume Sarkozy : Quand on est construit pour avancer, quand on a envie d’avancer, l’échec aide à rebondir. Cela arrive dans tous les moments de la vie. Et, au contraire, cela donne un certain recul par rapport aux choses, et je crois que c’est ce qui lui manque un peu ! Et cela lui a donné certainement une profondeur plus importante.

Cecilia Sarkozy : Il est devenu ce qu’il aurait dû être. Je crois qu’il n’y a que les expériences qui enrichissent un homme, les bonnes et les mauvaises. Et, je crois que Nicolas avait besoin de vivre toutes ses expériences pour se trouver lui-même. Je pense qu’effectivement, il a pris du recul, de la profondeur, mais je pense qu’il s’est trouvé lui-même sa propre personnalité. En fait, il a eu beaucoup de succès très jeune, et je crois qu’une vie est faite de bons et de mauvais moments, et que c’est cela qui forge un homme. Et, donc, il lui manquait peut-être cette dimension-là ! Et maintenant, il est complet, si je puis dire.

M. Duhamel : En un mot : avoir à rebondir en traversant des échecs, c’est vraiment une grande chance ?

M. Sarkozy : De toute manière, il vaut mieux le prendre bien que mal. Bien sûr, ce sont des gens qui m’aiment et que j’aime…

M. Duhamel : Oui, ils sont plutôt favorables.

M. Sarkozy : Mais cela explique aussi que l’on peut faire face à beaucoup de choses quand on a la chance, comme moi, d’avoir une famille assez solide.

Mme Chabot : Alors deuxième Repères signé Nathalie Saint-Cricq : c’est plutôt l’itinéraire d’un enfant gâté de la politique.

Repères

Nicolas Sarkozy entre au RPR

Journaliste : Ce soir, nous avons avec nous Nicolas Sarkozy qui est étudiant, il a 23 ans.

Nicolas Sarkozy : Je voudrais profiter de cette émission pour lancer un appel à tous les jeunes qui nous regardent aujourd’hui. Je sais bien que cela ne fait pas toujours moderne de dire : « On est gaulliste ». Je sais bien que l’on dit « pis que pendre » sur le RPR et sur Jacques Chirac. Eh bien, nous, ici, ce soir, nous sommes là pour rétablir la vérité et pour expliquer le sens de notre combat.

1981 : Président du comité de soutien des jeunes RPR.

Nicolas Sarkozy : Les jeunes attendent que Jacques Chirac soit le président de la République dont la France a besoin, qu’il sache parler le langage de l’ambition et de l’espoir.

1983 – Neuilly.
1988 – Campagne présidentielle.
1993 – Palais de l’Élysée.

Journaliste : Sur proposition du Premier ministre, Monsieur Édouard Balladur, le président de la République a nommé les membres du gouvernement : Monsieur Nicolas Sarkozy, ministre du budget, porte-parole du gouvernement.

M. Sarkozy : C’est cruel physiquement… Finalement, on s’aperçoit qu’on vieillit plus vite qu’on ne l’imagine soi-même.

M. Duhamel : En 1988, vous avez soutenu Jacques Chirac, en 1995 vous avez soutenu Édouard Balladur. Pourquoi avez-vous soutenu Édouard Balladur plutôt que Jacques Chirac ?

M. Sarkozy : D’abord, j’ai soutenu Jacques Chirac en 1995 au deuxième tour.

M. Duhamel : Au deuxième tour d’accord, mais enfin, vous avez fait un choix pour le premier.

M. Sarkozy : J’ai été le porte-parole d’Édouard Balladur, j’ai été son ministre. Édouard Balladur ayant décidé d’être candidat, il n’était pas anormal, à partir du moment où je restais à ses côtés au gouvernement, que je sois avec lui.

M. Duhamel : Je ne disais pas que c’était anormal. Simplement pourquoi l’un plutôt que l’autre ?

M. Sarkozy : Parce que j’avais une harmonie de pensée totale, sur tous les sujets, avec celui que j’avais choisi comme candidat.

M. Duhamel : C’est une réponse.

Mme Chabot : On vous a vu, c’est vrai, beaucoup avec Jacques Chirac au cours de ces années. Avez-vous, non pas des regrets de carrière, mais des remords d’homme quand vous revoyez ces images ou quand vous vous retrouvez en face de Jacques Chirac ?

M. Sarkozy : Attendez… Je n’ai connu qu’une seule famille politique, j’ai connu, avec Jacques Chirac plus d’échecs que de succès, j’ai été à ses côtés dans des moments extrêmement difficiles : j’ai été à ses côtés au moment de la fronde Pasqua/Séguin, j’ai été à ses côtés au moment des Rénovateurs, j’ai été à ses côtés au moment de la première élection présidentielle ; je vais même vous dire : j’ai adhéré au RPR, ce qui était l’UDR à l’époque, en 1975 quand lui avait repris le secrétariat général. Je n’ai pas pensé non plus qu’entre Édouard Balladur et Jacques, il y ait un tel fossé. Est-ce que vous trouvez que le virage idéologique de choisir Balladur plus que Chirac est si important ?

Mme Chabot : Non, c’était les sentiments personnels, les liens personnels.

M. Sarkozy : Les sentiments personnels, Arlette Chabot, vous me permettrez de les garder pour moi. Je ne suis pas persuadé qu’on fasse avancer le débat public en allant à la télévision pour les donner.

Mme Chabot : Troisième Repères et troisième moment fort : c’est la victoire programmée à la victoire ratée.

L’heure de vérité – 8 janvier 1995 : M. Sarkozy : Moi, je suis convaincu que même s’il y a une compétition, Édouard Balladur l’emportera. Imaginez le choc que cela représenterait, dans un pays comme la France, habitué à tellement de divisions, si nos idées pouvaient être rassemblées derrière un seul candidat et si, dès le premier tour, on pouvait assembler.

Matignon – 18 janvier 1995 : M. Balladur : J’ai décidé de présenter ma candidature à la présidence de la République.

M. Sarkozy : Mes chers amis, depuis deux ans, les épreuves ne lui ont pas manqué. C’est à vous, ce soir, de lui dire que vous êtes prêts à continuer avec lui pour le septennat qui vient.

M. Bazire : Nicolas, lui, a mis une fois encore tout son courage et toute sa capacité de travail au service de la campagne. Il s’est démultiplié en province, un peu partout, pour essayer de faire passer nos idées.

23 avril 1995 – Second tour : M. Balladur : C’est Monsieur Jospin et Monsieur Chirac qui seront présents au deuxième tour. Je voterai pour Jacques Chirac et je demande à tous ceux qui m’ont soutenu de le faire ici. C’est ainsi qu’ils sauront le mieux se faire entendre.

M. Duhamel : Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

M. Sarkozy : D’abord, je vois quelque chose qui a marché : c’est la loyauté d’Édouard Balladur qui dit tout simplement, sans ambiguïté : « Je n’ai pas gagné le premier tour, il faut de toutes nos forces soutenir Chirac ».

M. Duhamel : Et pourquoi n’a-t-il pas gagné le premier tour ?

M. Sarkozy : Je pense que c’est parce que lui et nous n’avons pas assez compris que, pour gagner, il fallait savoir se battre davantage.

Mme Chabot : Vous avez été trop sûr de vous ? On vous a vu à cette Heure de vérité où vous souhaitiez qu’il n’y ait qu’un candidat au premier tour, au RPR…

M. SARKOZY : Je pense que Jacques Chirac a bien fait de ne pas m’écouter, mais que, à mon avis, le raisonnement risque de servir pour une prochaine élection présidentielle.

Mme Chabot : Et aujourd’hui, vous êtes toujours proche d’Édouard Balladur ?

M. Sarkozy : Oui. Y a-t-il une raison pour que je ne le sois pas ? C’est sans doute un de mes défauts, qui peut être une qualité de temps en temps : je ne suis pas un homme à faire les choses à moitié. Quand je choisis un engagement, j’essaie de l’assumer. Je pense que dans la vie politique, on souffre souvent d’une absence de conviction et parfois d’une absence de courage. On peut me reprocher beaucoup de choses, mais ni celui-ci, ni celui-là.

Mme Chabot : Maintenant, vous allez avoir la possibilité de développer l’idée ou les idées auxquelles vous tenez le plus.

Idée

M. Duhamel : Vous nous avez dit, d’entrée de jeu, que l’idée que vous vouliez développer ce soir, c’était l’affirmation des valeurs de la majorité. Un peu plus précisément maintenant, que pouvez-vous nous donner comme exemples, même rapides, mais comme exemples pour illustrer cela ?

M. Sarkozy : Je suis frappé de la confusion qui règne dans le débat politique : on ne sait plus très bien qui est quoi, qui veut quoi. Je prends un exemple : dans le débat sur l’émigration, on n’a pas entendu les socialistes. Je n’ai pas les valeurs des socialistes, mais Monsieur Jospin pourrait avoir une autre stratégie que celle qui consiste à se taire sur tout.

Finalement, j’ai souhaité qu’on mette le débat…

M. Duhamel : Il s’est exprimé cet après-midi.

M. Sarkozy : Oui, c’est bien tard, alors que le débat sur le projet de loi Debré a déjà près d’un mois…

J’ai souhaité qu’on mette le projecteur en quelque sorte sur les valeurs de la majorité parce que sinon, nous sommes condamnés à proposer des mesures techniques dont les Français ne voient ni l’utilité, ni la finalité.

En résumé, je souhaite que nous nous battions pour construire une société où chacun, quel qu’il soit, quelles que soient ses origines, puisse assurer dans l’échelle sociale, la promotion de sa famille et de lui-même. Je souhaite que, grâce à son mérite, grâce à son travail, il en soit récompensé par cette promotion sociale. Je veux une société de promotion, pas une société de nivellement. Je voudrais que des valeurs comme l’équité prime sur celle de l’égalité.

Je voudrais qu’on reconnaisse au travail un facteur d’épanouissement et non pas un facteur d’aliénation. Je voudrais qu’on comprenne que quand je réclame une accélération de la réforme fiscale et de la baisse des impôts, ce n’est pas simplement un argument économique, c’est tout simplement la conception que j’ai de la société dans laquelle je veux vivre. À quoi servirait d’avoir de l’espoir si je n’ai pas l’espoir, demain, d’améliorer la situation de ma famille ? Et est-ce qu’il est anormal qu’on ait la juste récompense du travail que l’on investit ?

Si je devais résumer les choses, je me bats pour que, sur la ligne de départ de la vie, chacun d’entre nous ait autant que faire se peut les mêmes chances, mais je ne veux pas que sur la ligne d’arrivée, tout le monde arrive à la même heure et dans les mêmes conditions. À l’inverse, je souhaite qu’on repousse les valeurs de nivellement qui sont finalement des valeurs qui font reculer notre pays.

Mme Chabot : Sur ces valeurs, nous avons proposé une liste de valeurs aux Français que nous avons interrogés par l’intermédiaire d’IPSOS. Regardez le classement : liberté, tolérance, travail, solidarité, égalité ; c’est un premier classement de cinq valeurs. Et très loin derrière, en tout cas différenciées, ordre, laïcité, patriotisme et mérite.

Quand on regarde dans le détail par familles politiques, on s’aperçoit qu’il y a vraiment des valeurs de droite : c’est vrai que le travail, par exemple, évidemment, est plus fortement mis en avant à droite – UDF­RPR, Front national ; la solidarité est une valeur mise en avant chez les électeurs de gauche ; l’égalité est presque aussi forte à gauche qu’au Front national. En revanche, l’ordre est à 50 % cité par les électeurs du Front national.

Parmi ces valeurs, vous avez dit le travail, le mérite…

M. Sarkozy : Oui, le dynamisme et plutôt que la liberté, je préfère la responsabilité. Je suis tout aussi convaincu que n’importe quel électeur du Parti socialiste de l’importance de la valeur de la solidarité, mais ce que je conteste, c’est l’ordre des choses. Nous avons la responsabilité de créer les richesses avant de les partager, nous avons la responsabilité de créer les emplois avant de gérer la pénurie et finalement, ce que je souhaite, c’est une société où chacun se sentirait libre d’avoir la juste récompense du travail qu’il engage, car moi, je fais confiance à l’homme.

Mme Chabot : Dans l’article que vous avez publié ce matin dans Le Figaro, vous dites au fond que l’UDF, le RPR, la majorité doivent mettre en avant leurs valeurs face à la gauche pour mieux combattre le Front national. Vous avez l’impression que la droite a oublié ces valeurs ?

Mme Chabot : Non, mais je pense que sur un certain nombre de thèmes… Par exemple, la loi Robien est, non seulement une erreur économique, cela n’a rien à voir avec Gilles de Robien pour qui j’ai du respect par ailleurs, mais c’est en même temps une erreur stratégique totale. Si la droite elle-même se fait l’apôtre du partage du temps de travail, voulez-vous me dire pourquoi est-il nécessaire de faire une alternance entre la gauche et la droite ? Sur la réforme fiscale, si jamais nous devions jouer petits bras sur la baisse des impôts, pourquoi voulez-vous qu’il y ait une différence entre un parti de droite et un parti de gauche ?

J’ajoute que, dans ma conception du rôle d’un homme politique, celui-ci sait très bien qui l’écoute. Naturellement que la concertation est indispensable, mais il doit aussi avoir le courage de faire partager sa part de vérité. J’ai essayé de le faire sur la retraite, et je pourrais prendre d’autres exemples.

Regardez l’éducation nationale, c’est extraordinaire : je suis de ceux qui pensent que c’est un droit pour chaque bachelier d’avoir l’enseignement supérieur. Je ne veux pas de sélection juste après le bac. Je pense que chacun a le droit d’aller à l’enseignement supérieur. Mais je veux rappeler que le budget de l’enseignement supérieur, c’est 45 milliards de francs ; que le budget des bourses, c’est 6 milliards de francs ; que le budget des différentes allocations comme l’ALS, c’est une vingtaine de milliards de francs. Nous sommes en droit d’exiger que la contrepartie de ce droit à l’enseignement supérieur, c’est le devoir pour chaque étudiant de travailler. En bref, dans un pays qui a 3 500 000 chômeurs, je pense qu’il y a d’autres priorités que le salaire de l’étudiant ou même le statut social de l’étudiant.

Mme Chabot : Voilà pour vos valeurs dont vous allez pouvoir débattre et que vous allez pouvoir confronter avec votre contradicteur : vos valeurs face à celles du Front national, Monsieur Bruno Mégret qui est délégué général du Front national.

M. Sarkozy : Bonsoir, Monsieur Mégret.

Mme Chabot : Bonsoir.

M. Mégret : Bonsoir.

Mme Chabot : Comme d’habitude, nous vous demanderons d’abord de réagir aux propos de Nicolas Sarkozy et vous, de défendre, de mettre en avant les deux ou trois valeurs auxquelles vous croyez.

M. Duhamel : On peut commencer, par exemple, par ce que vous disiez à propos de la valeur du travail et de vos choix économiques.

M. Mégret : Je voudrais dire d’abord que, peut-être de façon un peu paradoxale, il y a beaucoup de choses que j’approuve dans ce que Nicolas Sarkozy vient de dire.

D’abord, s’agissant de la confusion dans le débat politique français, je crois que dans la classe politique, il y a en effet une très grande confusion. Ensuite, lorsqu’il parle des valeurs du travail, lorsqu’il parle de la nécessité de la responsabilité, de la liberté d’entreprendre, de l’émulation, de la récompense selon le mérite, de la baisse des charges fiscales, nous sommes tout à fait d’accord.

Si bien qu’à mon avis, le vrai problème n’est pas là. Le vrai problème, et c’est une des vraies causes de la confusion que vous n’évoquez pas, Monsieur Sarkozy, c’est le problème de l’impuissance du politique. Car le vrai problème, c’est que tout ce que vous avez dit et que je crois tous vos amis partagent, y compris Monsieur Chirac et Monsieur Juppé, tout ce que vous avez dit n’est pas mis en œuvre. Or, la politique, c’est par définition l’exercice d’une action sur le réel, la maîtrise des événements, l’inflexion des évolutions en cours ; ce n’est pas le commentaire ou le verbe.

Je crois que c’est parce que la classe politique n’est plus capable d’agir qu’elle est frappée par les deux maux qui sont, à mon avis, les plus graves en politique, à la fois par l’impuissance et par la corruption, qu’elle est engagée dans un processus de décadence et qu’elle ne répond plus aux aspirations des Français par incapacité à exercer le politique au sens noble du terme. C’est ça le problème de fond.

M. Duhamel : Impuissance et corruption ?

M. Sarkozy : C’est un point de désaccord fondamental que j’ai avec Monsieur Mégret. Finalement, dans la vie, il y a deux manières de voir les problèmes : il y a une manière positive et j’essaie d’être de celle-ci, et une manière négative.

Monsieur Mégret, une fois que vous avez dit cela, vous n’avez pas fait avancer le Freesbee…

M. Mégret : Je vais vous expliquer.

M. Sarkozy : Vous n’avez rien fait avancer du tout.

M. Mégret : Bien sûr que si.

M. Sarkozy : La preuve, permettez-moi de vous le dire, c’est que si c’était si facile, cela fait bientôt deux ans que dans trois grandes villes de France, nous avons des élus et des maires du Front national, et qu’est-ce qui a changé ? Rien du tout. Je me suis amusé à regarder, à la suite de l’élection de Vitrolles de votre femme, un peu ce qui s’était fait à Toulon. La seule chose que j’ai vue, c’est que les impôts ont augmenté. C’est une gestion pépère, poussive, sans ambition…

M. Mégret : Non, non, ce n’est pas vrai.

M. Sarkozy : Donc, finalement, vous avez des grands mots, un peu redondants…

M. Mégret : On se demande pourquoi le Front national fait peur dans ces conditions…

M. Sarkozy : Mais vous ne me faites pas peur.

M. Mégret : Je suis heureux de vous l’entendre dire. Si c’est le seul argument que vous avez à avancer par rapport à ce que je viens de vous dire, c’est un peu court…

M. Sarkozy : J’ai deux ou trois désaccords très forts avec vous.

1° La vision que vous avez de la France : vous avez une vision de la France qui s’apparente à la ligne Maginot.

M. Mégret : C’est totalement faux.

M. Sarkozy : Vous refusez l’Europe, la mondialisation ; vous refusez l’ouverture des frontières, la possibilité pour les jeunes d’aller travailler à l’extérieur ; vous refusez…

M. Mégret : C’est faux.

M. Sarkozy : … cette réalité incontournable, Monsieur Mégret, que nous sommes la 4e puissance exportatrice du monde, qu’il y a 2 Français sur 5 qui travaillent pour l’export. C’est un premier désaccord, mais considérable.

M. Mégret : Laissez-moi vous répondre sur ce point.

M. Sarkozy : Allez-y.

M. Mégret : Tant que vous aurez des idées du Front national, la vision caricaturale qui vous fait plaisir, vous ne comprendrez jamais rien au Front national. Nous n’avons pas de vision de repli de la France sur elle-même, nous avons, au contraire, une très haute ambition pour notre pays. Et lorsque, c’est vrai, nous remettons en cause la mondialisation, lorsque nous remettons en cause l’Europe de Maastricht et l’idéologie mondialiste qui vise finalement à détruire notre nation…

M. Sarkozy : Qu’est-ce que cela veut dire derrière les mots ?

M. Mégret : Vous avez évoqué la question économique : c’est celle du libre-échangisme mondial. Vous nous dites que 2 Français sur 5 travaillent pour l’exportation, c’est vrai, mais combien d’emplois ont été détruits à cause de l’importation ? Combien d’emplois sont actuellement détruits à cause des délocalisations ?

M. Sarkozy : Qu’est-ce que vous proposez, concrètement ?

M. Mégret : Ce que nous proposons, Monsieur Sarkozy, c’est de remettre en cause le libre-échangisme mondial et le nouvel ordre mondial tel qu’il est actuellement pratiqué.

M. Sarkozy : Cela veut dire que chaque produit français que nous allons exporter sera taxé.

M. Mégret : Laissez-moi terminer. Cela veut dire qu’il faut, au lieu du système actuel qui est celui de la concurrence sauvage, où on met en concurrence sans aucune protection des produits fabriqués dans des pays à très bas coût de main-d’œuvre, sans lois sociales, sans protection de l’environnement, et les produits qui sont fabriqués dans nos propres pays, il faut mettre en œuvre une politique de régulation des échanges internationaux et la France, le jour où le Front national prendra les responsabilités du pouvoir…

M. Sarkozy : Concrètement, cela veut dire quoi ? Expliquez-moi une mesure…

M. Mégret : Concrètement, cela veut dire que la France remettra en cause ce nouvel ordre mondial, engagera des actions diplomatiques pour le contester et que, ce faisant, loin d’être isolée, elle sera rejointe par beaucoup d’autres pays qui souffrent du libre-échangisme mondial.

M. Sarkozy : Permettez-moi de vous poser une question…

M. Mégret : Laissez-moi terminer…

M. Sarkozy : Juste un mot, parce que…

M. Mégret : Cessez de m’interrompre à tout moment, laissez-moi aller au bout de mon propos.

M. Sarkozy : Qu’est-ce que cela veut dire : remettre en cause ? J’essaie de vous aider à préciser votre pensée.

M. Mégret : Vous n’avez pas besoin de m’aider, je me débrouille très bien tout seul.

Ce qui veut dire que la France, loin d’être isolée, loin de s’être repliée sur elle-même, sera à la tête d’un grand courant international pour proposer autre chose comme organisation de la planète que le nivellement généralisé que vous refusez à l’intérieur, mais que vous acceptez en un immense melting-pot international, qui sera le produit du libre-échangisme mondial et de Maastricht et que la France, dans une vision à la limite d’ailleurs gaullienne, retrouvera, avec la volonté de rompre avec ce qui nous est imposé de l’extérieur, à la fois un rôle et une grandeur qu’elle a totalement perdus puisqu’actuellement, elle suit comme un petit toutou les pays européens et les Américains partout où ils vont.

M. Sarkozy : On a vu la bulle gonfler, on s’est dit qu’il allait y avoir un contenu formidable dedans, et puis rien, de l’air… Permettez-moi de vous dire que la remise en cause de l’ordre mondial, cela ne signifie rien du tout. Cela veut dire quoi ? Qu’on va interdire à un Français d’acheter une voiture qui soit autre chose qu’une PSA ou une Renault ?

M. Mégret : Les droits de douane, cela existait, Monsieur Sarkozy.

M. Duhamel : Chacun son tour, Monsieur Mégret.

M. Sarkozy : Sur les droits de douane, à la minute où nous mettons des droits de douanes sur les autres, la réponse est immédiate : il y aura des droits de douanes sur tous nos produits. Je suis bien d’accord que la mondialisation ne présente pas que des avantages, mais en solde, c’est un avantage formidable pour la France. Pourquoi ?

M. Mégret : Que font les Japonais, Monsieur Sarkozy ? Ils ont une démarche protectionniste…

M. Sarkozy : Je ne souhaite pas, Monsieur Mégret, que nous ayons une société qui ressemble à celle du Japon où, quand on n’est pas depuis quatre générations né au Japon, on n’a pas le droit de prendre la parole et où, par ailleurs, les Japonais n’ont pas le droit d’acheter des produits des autres, et où…

M. Mégret : Que je sache, ce n’est pas un pays rétrograde sur le plan économique. C’est la première puissance commerciale du monde.

M. Sarkozy : Monsieur Mégret, permettez-moi de finir… et où le processus économique fait que les Japonais doivent acheter 30 % plus cher ce que les Japonais vendent aux autres pays du monde. La France a vocation…

M. Mégret : Ce qui est bien la preuve que l’on peut avoir une démarche protectionniste et en même temps, exporter de façon vigoureuse à l’étranger.

M. Sarkozy : Est-ce que vous souffrez que je puisse dire un mot ?

M. Mégret : Je vous en prie…

M. Sarkozy : La France a vocation à être leader en Europe. Nous ne pouvons pas nous refermer sur nous-mêmes.

Deuxièmement, la France est la quatrième puissance exportatrice du monde ; c’est dire que, partout dans le monde, on gagne. J’ajoute que sauver des emplois artificiellement ne conduit qu’à une seule chose, retarder la création d’emplois dont on a besoin. Le modèle que vous voulez construire est un modèle rabougri, rétréci…

M. Mégret : C’est totalement faux. Ce sont des mots, ce sont des invectives, vous n’avez que cela à la bouche quand vous parlez au Front national. Je vais vous dire une chose…

M. Sarkozy : Si ce sont des invectives…

M. Duhamel : Monsieur Mégret, vous répondez brièvement à Monsieur Sarkozy, et comme il a dit qu’il avait trois divergences avec vous…

M. Mégret : J’en ai d’autres…

M. Duhamel : Trois principales aujourd’hui… Quand on aura fini avec celle-là, il faudra passer à la deuxième.

M. Mégret : Ce que je voudrais dire, c’est qu’on voit bien, en écoutant Monsieur Sarkozy, un des aspects frappants du décalage qui existe entre la classe politique et les Français. Monsieur Sarkozy nous explique, ce qui est exact, que la France est le quatrième exportateur du monde, que notre balance commerciale est excédentaire. Il pourrait rajouter que notre taux d’inflation est relativement bas, que le franc est fort, que les critères de Maastricht sont en voie d’être maîtrisés. Très bien, et il s’en félicite.

Mais dans le même temps, vu du côté des Français, c’est l’explosion du chômage, c’est la précarité généralisée, y compris dans les services publics, c’est la montée des sans domicile fixe, c’est la pression à la baisse des bas salaires, c’est-à-dire une régression sociale comme on n’en a jamais, sans doute, vu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Voilà la réalité. Il n’y a pas que les indicateurs économiques globaux, macro-économiques, qui comptent, Monsieur Sarkozy ; il y a la souffrance des Français qui est essentielle et qui est la cause première de tous les maux que nous connaissons actuellement dans notre société. Je ne dis pas que vous ne le voyez pas, je ne vous fais pas cette injure…

M. Sarkozy : Je vous en remercie.

M. Mégret : Je dis que vous ne l’intégrez pas dans vos préoccupations politiques et que vous êtes de ce fait décalé par rapport à la réalité vécue des Français.

M. Duhamel : Nicolas Sarkozy, vous répondez et vous passez au second thème en même temps.

M. Sarkozy : Là encore, une déclaration, une pétition de principe disant que je suis décalé et que vous, vous ne le seriez pas. Je ne vois pas au nom de quoi… Je n’ai rien contre vous, mais permettez-moi de vous dire que je ne vois pas au nom de quoi vous vous permettez de dire que je connaîtrais moins bien la réalité de la France que vous.

M. Mégret : C’est votre discours qui me conduit à l’affirmer, le discours que vous venez de tenir.

M. Sarkozy : Mon discours, c’était un discours sur la réalité de la capacité de la France à être un pays conquérant et dynamique.

J’ajoute les deux derniers points que j’ai comme différences, et qui sont formidables. Moi, je ne pense pas, à la différence de beaucoup de mes amis, que vous avez de mauvaises solutions ; je pense que vous n’avez pas du tout de solutions.

M. Mégret : Pfft !…

M. Sarkozy : Et je voudrais prendre un exemple, celui du programme fiscal. J’ai été ministre du budget pendant deux ans ; alors permettez-moi de vous dire qu’une personne qui dit qu’on peut supprimer l’impôt sur le revenu – 330 milliards – et supprimer la taxe professionnelle – 150 – milliards –, soit au total quelques 500 milliards, sans expliquer comment on le finance, je dis que cette proposition n’a aucun rapport avec la réalité.

Deuxième exemple : cette espèce de frénésie des élus du Front national de vouloir aseptiser toute forme de création culturelle partout où vous avez l’once d’un pouvoir. Il faut expurger les bibliothèques des bouquins qui ne vous plaisent pas…

M. Mégret : C’est de la désinformation.

M. Duhamel : Vous allez répondre, alors, laisse-le parler.

M. Sarkozy : … Il faut gérer les créateurs de façon à ce que tous les spectacles répondent au critère du bon goût vécu par les élus du Front national. Finalement, vous êtes à la culture un peu ce que la restauration rapide est à la gastronomie.

M. Mégret : D’accord.

M. Sarkozy : Il faut tout aseptiser, tout contrôler, tout maîtriser…

M. Mégret : Tout cela est totalement faux.

M. Sarkozy : Et, finalement, moi, j’ai une conception de la société qui est différente de la vôtre, moi, je fais confiance à l’homme, je suis pour la liberté, et son corollaire, la responsabilité.

M. Mégret : Alors, parlons-en de la liberté.

M. Sarkozy : Et je ne veux pas qu’on contrôle, si peu que ce soit, le processus de création culturelle.

Mme Chabot : Sur le plan économique, l’impôt sur le revenu, la taxe professionnelle, la fiscalité.

M. Mégret : Monsieur Sarkozy parle de 500 milliards de ponction fiscale en moins. Je ne vais pas me lancer dans un long développement, je dirai simplement : « nous avions la volonté politique de bloquer en francs courants l’ensemble des budgets publics pendant 7 ans, compte tenu du taux différentiel de l’inflation et de la croissance, cela vous dégage une plus-value de 500 milliards de francs ». Je ne dis pas que c’est la recette, mais je dis que l’ordre de grandeur permet de le justifier.

M. Sarkozy : Vous m’expliquerez cela. Quand Juppé a bloqué les dépenses, il n’a pas dégagé 50 milliards de francs sur cette année, c’est faux !

M. Mégret : C’est cumulatif sur 7 ans, bien évidemment…

M. Sarkozy : … Combien par an ?

M. Mégret : On n’a pas le temps. Je vous réponds sur la culture.

M. Sarkozy : Expliquez-moi, je voudrais essayer de comprendre. Cela fait combien par an ? Le blocage des dépenses, cela fait combien par an ?

M. Mégret : Je vous réponds sur la culture, sinon je ne pourrais pas vous répondre sur les autres points.

Mme Chabot : Sur la taxe professionnelle aussi.

M. Sarkozy : Je voulais savoir combien il faisait d’économies en bloquant les dépenses par an ? Je n’arrive pas à avoir la réponse.

M. Mégret : Je vous dis : « en 7 ans, en valeur cumulée, cela fait 500 milliards de francs ». Vous prendrez votre calculette, vous le ferez vous-même.

Deuxièmement, s’agissant de la culture, tout ce que vous dites est totalement faux, c’est purement et simplement faux. Je ne vous incrimine pas, peut-être êtes-vous, vous-même, abusé par ce que racontent certains médias. Mais, dans cette affaire, le Front national entend simplement défendre la neutralité culturelle. Il est totalement scandaleux que, dans l’affaire Châteauvallon, on utilise une institution culturelle, un théâtre, pour en faire une place forte politicienne, partisane, contre le Front national. C’est intolérable !

Dans l’affaire des bibliothèques, nous n’avons supprimé aucun livre. Nous nous sommes simplement contentés de rajouter les livres qui étaient censurés, c’est-à-dire les livres de penseurs proches du Front national.

Il y a une chose qui me paraît essentielle, vous avez évoqué la liberté…

M. Sarkozy : J’aurais aimé savoir quels sont les penseurs du Front national ?

M. Mégret : Plaisantez, plaisantez, Monsieur Sarkozy, c’est tout ce que vous savez faire.

M. Sarkozy : Non, mais qu’est-ce qu’un penseur du Front national ?

M. Mégret : … La liberté, Monsieur Sarkozy, vous avez évoqué ce mot. Il faut que les Français sachent qu’aujourd’hui, la liberté n’est plus totalement assurée du fait des agissements de la classe politicienne. Comment se fait-il que 15 % de Français n’aient pas la liberté d’être représentés dans les institutions de la République ? Comment se fait-il qu’au nom d’une prétendue lutte antiraciste…

M. Sarkozy : … Pourquoi ?

M. Mégret : Laissez-moi terminer.

M. Sarkozy : Non, mais pourquoi n’êtes-vous pas représenté ? La preuve, c’est que, quand vous avez des électeurs, vous avez des élus.

M. Mégret : Au nom d’une prétendue lutte antiraciste, les Français sont aujourd’hui bâillonnés, ne peuvent plus s’exprimer librement…

M. Sarkozy : Et pourquoi ?

M. Mégret : Au point que, par exemple, un conseiller municipal du Front national de Dunkerque est condamné à 5 mois de prison avec sursis, simplement pour avoir publié dans une revue, un petit dessin où l’on voyait un immigré tenant, d’un côté, une carte d’identité française…

M. Sarkozy : … C’est quelle revue ?

M. Mégret : C’était la revue municipale de Dunkerque.

M. Duhamel : C’est cela que je voulais que vous disiez.

M. Mégret : … et, de l’autre, une carte d’électeur algérienne, avec cette notion : « c’est cela la double nationalité ».

M. Sarkozy : Monsieur Mégret, pourquoi êtes-vous bâillonné ? Expliquez-nous ? Mais répondez à mes questions.

M. Mégret : Je ne suis pas là pour répondre à votre interrogatoire, Monsieur Sarkozy, je suis là pour débattre avec vous. Vous me laissez terminer.

M. Sarkozy : Quand les électeurs veulent avoir des élus du Front national, ses élus sont là.

M. Mégret : Troisièmement, savez-vous qu’on a interdit, depuis un an, plus de syndicats en France que pendant la IVe et la Ve République jusqu’à aujourd’hui ? Et, cela, c’est votre fait. Eh bien, je dis que la liberté, aujourd’hui, de votre fait, est mise en cause, car, dans les pays totalitaires, on a toujours une liberté totale de dire ce qui plaît aux puissants. Les gens de votre mouvement peuvent s’exprimer librement, ceux du Front national sont bâillonnés.

M. Duhamel : Nicolas Sarkozy, vous répondez en substance. Ensuite, on passe un autre point du débat qui est le sentiment national, puisque c’est une des valeurs que vous avez mise en avant et sur laquelle, apparemment, vous n’avez pas absolument les mêmes idées.

M. Sarkozy : Vous voyez, c’est un élément très important de la stratégie du Front national, se présenter en victime. Il y aurait, d’un côté, la classe politique…

M. Mégret : Nous sommes des victimes.

M. Sarkozy : … qui aurait tous les droits et, de l’autre, les pauvres gens du Front national et leurs élus qui n’auraient aucun droit. Permettez-moi de vous dire, Monsieur Mégret, je ne veux pas être désagréable avec vous, ce n’est pas de ma faute si vous avez été empêché de vous présenter à Vitrolles.

M. Mégret : Je ne vous parle pas de ça, je vous parle des 15 % de Français qui n’ont pas d’élus à l’Assemblée nationale.

M. Sarkozy : Si vous n’avez pas pu vous présenter à Vitrolles, c’est parce qu’il y a eu une décision…

M. Mégret : On pourrait parler de cela en détail, mais je crois que ce n’est pas du niveau du débat.

M. Sarkozy : Si cela vous gêne, vous me le dites !

M. Mégret : Cela ne me gêne pas du tout, je peux vous en parler longuement.

M. Sarkozy : Alors, permettez-moi de vous dire que si vous n’avez pas pu vous présentez, c’est parce qu’un tribunal de la République, indépendant, a considéré que vous ne deviez plus être éligible pendant un certain nombre de temps.

M. Mégret : Pour des raisons totalement arbitraires qui vont justifier, d’ailleurs, le nettoyage de la loi.

M. Sarkozy : Ah ! Bon ! J’ai cru le nettoyage des magistrats. Cela veut donc dire que, après la classe politique, vous mettez en cause les magistrats.

Deuxième élément : chaque fois que vous avez des candidats qui peuvent être élus, on voit ce qui s’est passé à Orange ou même ce qui s’est passé à Vitrolles, vous n’êtes aucunement bâillonnés. On ne peut tout de même pas être responsables, avec le même mode de scrutin qui a permis, pour nous, d’avoir des députés, que, vous, vous n’en ayez aucun pour l’instant.

M. Mégret : C’est une réponse de pharisien, Monsieur Sarkozy.

M. Sarkozy : Non, non…

M. Mégret : … totalement ! Les Français savent ce qu’il en est.

M. Duhamel : On termine sur ce point.

M. Sarkozy : J’ajoute qu’en ce qui me concerne, le débat idéologique sur le thème : le Front national ne doit pas avoir d’élus, est un débat ridicule. Si les Français veulent des élus du Front national, ils sont assez grands pour le savoir. Moi, je souhaite qu’au contraire, point par point, programme contre programme, personnalité contre personnalité, on démonte le raisonnement du Front national.

M. Duhamel : Alors, sentiment national.

Mme Chabot : Sentiment national, c’est une valeur, vous l’avez déjà un peu évoqué, avec une question posée sur l’immigration, sur la proximité avec les idées du Front national. Sur ce thème, question IPSOS posée à un certain nombre de Français :
Plutôt proches : 28 %.
Plutôt éloignés : 66 %.
Sans opinion : 6 %.

Je dois dire qu’une enquête comparable avait été publiée par Libération au mois de septembre, et il y avait, à l’époque, 6 % de plus de personnes interrogées qui se disaient « proches du Front national ». Donc, apparemment, il y a moins de Français qui sont proches du Front national aujourd’hui sur la question de l’immigration.

M. Sarkozy : Sur la question de l’immigration, la différence qu’il y a entre eux et nous est assez simple : le Front national, n’ayant pas de solution crédible, n’a qu’un seul intérêt, désigner des boucs émissaires…

M. Mégret : Vous vous étonnez que le Front national augmente !

M. Sarkozy : … Il faut trouver un coupable. Le coupable, c’est un jour la mondialisation, un autre l’Europe de Maastricht, et un troisième les immigrés. Donc, au lieu de résoudre calmement un problème réel, celui de la maîtrise de l’immigration clandestine…

M. Mégret : Votre discours est caricatural.

M. Sarkozy : … le Front national prend en otage un certain nombre d’hommes et de femmes, qui sont des êtres humains, qui ont les mêmes droits que nous, pour les montrer à une population exaspérée par ses difficultés quotidiennes, pour en faire des victimes et des boucs émissaires. On a vu ce que cela a donné à d’autres périodes de notre histoire ! C’est un raisonnement que je ne peux pas accepter.

M. Mégret : Je ne pensais pas que vous étiez à ce niveau de débat, Monsieur Sarkozy. Vraiment, je pensais que vous étiez plus intelligent que cela ! Vous me décevez beaucoup.

M. Sarkozy : Ah ! Mais tiens ! C’est peut-être la première bonne nouvelle de la soirée.

Et même à ce point-là, je pense qu’en ayant une attitude qui montre les immigrés comme autant de boucs émissaires, on fait reculer la résolution de ce problème. Et je dis à ceux qui nous regardent que pour résoudre des problèmes aussi sérieux, difficiles, complexes, que l’immigration clandestine, il faut que ce soit des gens de raison et de bon sens qui aient la responsabilité du gouvernement, et non pas des gens qui exploitent la misère humaine.

M. Duhamel : Bruno Mégret.

M. Mégret : Dans la mesure où Monsieur Sarkozy continue à caricaturer totalement nos positions, je voudrais souligner combien le problème est différent de la manière dont il le pose. Le problème est que nous sommes confrontés à une pression migratoire de très forte envergure, compte tenu notamment de la différence de natalité entre les peuples européens et les peuples notamment du nord de l’Afrique et du reste du Tiers Monde, et que ce phénomène est un danger majeur pour l’existence même de la survie de notre nation et de son identité. Non pas que la France ne soit pas prête à accepter un minimum d’immigration et à l’assimiler, comme vous l’avez vous-même souligné tout l’heure, nous ne sommes pas opposés à cela, à condition que cela ne mette pas en cause notre identité, c’est-à-dire, à condition que cela reste en-dessous du seuil de tolérance, pour reprendre un terme qui n’est pas de moi. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, le flux d’immigrés a totalement dépassé ce seuil de tolérance et qu’il faut organiser un contre-flux, faute de quoi nous serons submergés.

Que nous reproche-t-on dans cette affaire ? On nous reproche le racisme, mais où est le racisme dans tout cela ? Il n’y a rien de raciste.

Jamais, notre politique d’immigration n’a été basée sur la race, elle est basée sur le critère de la nationalité. Et de surcroit, ce qu’on nous reproche, en l’assimilant au racisme, c’est le principe de la préférence nationale qui est pourtant un principe essentiel, faute de quoi, il n’y a pas de communauté nationale.

C’est un principe capital. Comment voulez-vous qu’une nation existe s’il n’y a pas de différence de droits entre ceux qui en font partie et ceux qui n’en font pas partie ? Eh bien, si la préférence nationale est du racisme, comment se fait-il alors que Monsieur Kohl qui, que je le sache, n’est pas fasciste, ni néo-nazi, ait proposé pour l’Allemagne, la préférence nationale pour les Allemands en Allemagne en matière d’emploi ? Quand ça sera fait en Allemagne, qu’allez-vous faire ? Vous allez exclure Monsieur Kohl ? Vous allez exclure l’Allemagne de l’Europe de Maastricht ? Ou bien allez-vous reconnaître que le Front national avait raison et qu’après tout, il n’y a aucun racisme dans son programme ?

M. Duhamel : Nicolas Sarkozy.

M. Sarkozy : Monsieur Mégret, je ne vous ferai pas l’injure de vous mettre en contradiction avec les déclarations et les jeux de mots douteux de Jean-Marie Le Pen…

M. Mégret : Je ne vois pas le rapport ! D’abord, il n’y a pas de jeux de mots douteux.

M. Sarkozy : Vous savez très bien Monsieur Mégret que, dans tout cela, il y a les propositions que vous pouvez faire, les textes du Front national, et puis la colorisation de tout cela…

M. Mégret : Mais quelle colorisation ? C’est vous qui la faites, la colorisation !

M. Sarkozy : Est-ce que je peux terminer ?

M. Mégret : Mais non ! Mais parlons de faits objectifs !

M. Sarkozy : Ce n’est quand même pas moi qui glausse sur l’inégalité des races ou sur Durafour… crématoire.

M. Mégret : Les inégalités entre les races, mais c’est une évidence, cela ! Les inégalités entre les races, je ne vois pas où est le problème ?

M. Sarkozy : Vous me permettez de développer trois mots ?

Ce qui colore les propositions du Front national, et peut-être qui les caricature, c’est que vous avez à la tête de votre mouvement un homme qui ne sait pas maîtriser ni ses expressions, ni ses propositions…

M. Mégret : Ce n’est pas vrai !

M. Sarkozy : Vous ne pouvez pas nous reprocher de penser… – ce serait bien la première fois que vous défendez Jean-Marie Le Pen ! –…

M. Mégret : C’est le genre de démarche… Je sais que c’est très habituel dans vos rangs d’avoir des querelles internes, ce n’est pas le problème du Front national.

Mme Chabot : Nicolas Sarkozy va terminer là-dessus.

M. Sarkozy : … l’un des vrais points de désaccord : c’est l’affaire de la préférence nationale. S’il s’agit de dire qu’un citoyen français a plus de droits civiques, en termes de droit de vote notamment, qu’un étranger qui n’a pas voulu s’intégrer, je peux être d’accord !

M. Mégret : Ah ! Il y a du progrès !

M. Sarkozy : Ce n’est pas la même chose d’être un citoyen et de ne pas l’être, et c’est pourquoi, pour le droit de vote, je considère que le droit de vote est un élément de la citoyenneté.

En revanche, sur l’emploi, je voudrais souligner l’absurdité d’une politique qui consisterait à taxer les entreprises qui engageraient des étrangers, car cela veut dire que, dans le même temps, les centaines de milliers de Français qui travaillent à l’étranger, et qui font beaucoup pour la grandeur de la France et la prospérité de son économie, seraient eux aussi interdits de travailler en Angleterre, en Italie…

M. Mégret : C’est faux !

M. Sarkozy : … en Allemagne ?

Cela veut dire que tous ceux qui nous regardent et qui ont des enfants, on devrait leur mettre une taxe si leurs enfants veulent aller apprendre une langue étrangère ou travailler ailleurs ?

Cette conception, Monsieur Mégret, rétrograde, rétrécie, frileuse de la société française n’est pas la mienne.

M. Duhamel : Nicolas Sarkozy et Bruno Mégret, on voit bien sur quoi vous n’êtes pas d’accord ! On va donc en rester là comme c’était prévu. Vous aurez eu au moins l’occasion, sur plusieurs thèmes, de montrer vos différences.

M. Sarkozy : Je vais dire juste un mot à Monsieur Mégret. Je considère qu’il est de notre devoir de débattre avec des hommes et des femmes du Front national car, à partir du moment où ils ont la qualité et le droit pour s’organiser en parti politique et présenter des élus, je n’apprécie pas une stratégie qui est une stratégie de diabolisation, « je refuse de parler », ou une stratégie de complaisance. Soit l’on est fier de ses convictions, et j’essaie de l’être, dans ce cas-là, on les confronte, soit on ne l’est pas, et dans ce cas-là, on ne les confronte pas.

M. Mégret : Il restera, Monsieur Sarkozy, à prendre en compte le programme du Front national tel qu’il est et non pas tel que vous le voyez ou prétendez le voir !

Mme Chabot : En vous remerciant tous les deux – nous remercions Bruno Mégret – pour ce débat.

Et maintenant, nous allons, en quelque sorte, faire le bilan de l’action de Nicolas Sarkozy.

Bilan

Mme Chabot : Le bilan, généralement cela commence par un succès : de quoi êtes-vous, au fond, le plus fier ? Ce que vous avez fait de mieux à votre avis ?

M. Sarkozy : Je me suis cassé la tête avec cette histoire, parce que si l’on donne un fait précis, ce n’est pas très modeste.

M. Duhamel : On le demande à chacun de nos invités.

M. Sarkozy : On n’est pas obligé de tomber dans tous les pièges. Finalement, s’il y avait une chose dont j’étais un peu fier, c’est que je n’avais aucune prédisposition pour faire de la politique, pour essayer de faire passer mes idées, de me battre pour mes convictions et que, 22 ans après, je suis arrivé, à force de beaucoup de volonté, à pouvoir faire entendre ma voix. Et, finalement, avoir été utile dans le concert politique, c’est une de mes fiertés.

J’ai voulu faire ce métier, j’ai voulu cet engagement. Je me suis battu pour cela. J’ai commencé au plus bas niveau de la vie militante, en distribuant des tracts. Il n’y avait aucune raison que je puisse, un jour, être ministre ou responsable politique national. Finalement, peut-être que cet exemple montre que, vraiment quand on veut quelque chose, on le peut, y compris dans la vie politique.

Mme Chabot : Avant de passer à des choses plus détendues, dernière épreuve : ce qui constitue aux yeux de beaucoup, dans la majorité même et ailleurs, ce qui est vu comme votre échec.

« M. Juppé : Il y a deux points noirs très graves : d’abord, le fléau du chômage et, ensuite, un déficit calamiteux – je reprends le mot que j’ai utilisé cet après-midi – des finances publiques, beaucoup important que ce que nous prévoyions.

M. Chirac : Début 1993, nos principaux partenaires, notamment les Anglais et les Allemands, ont engagé avec beaucoup de courage une politique de réduction des déficits, c’est-à-dire d’une gestion rigoureuse de leurs finances publiques. Et c’est un exercice auquel, aujourd’hui, nous sommes contraints de nous livrer.

M. Saint-Etienne : Il y a deux points positifs dans le bilan de la gestion Balladur-Sarkozy en 1993-1994 : d’une part, il y a eu un apport de trésorerie aux entreprises, au bon moment, alors qu’il y avait un ralentissement conjoncturel qui aurait pu être tout à fait dommageable.

Il y a eu également des mesures intelligentes prises concernant le rétablissement des équilibres à long terme des régimes de retraite pour le secteur privé, mais il y a un énorme point noir qui est celui de la gestion des finances publiques. Il y a eu un dérapage des finances publiques qui a été initié en 1991-1992, avant l’arrivée d’Édouard Balladur et de Nicolas Sarkozy au pouvoir, mais il y a eu une continuation de ce dérapage. Donc, il y a eu une gestion des finances publiques très déficiente pendant cette période cruciale de 1993-1994 lorsque l’on compare les performances de la France par rapport à celles des autres grands industriels. »

Mme Chabot : Vous vous souvenez, situation calamiteuse. En gros, vous avez fait croire que vous réduisiez vraiment le déficit et ce n’était pas vrai.

M. Sarkozy : Je ne ferai pas de polémique, surtout avec Alain Juppé qui est mon ami…

Mme Chabot : Avec le président de la République.

M. Sarkozy : … et quand je dis que c’est mon ami, je le pense. Je voudrais simplement rappeler deux choses :

Lorsque nous sommes arrivés avec Monsieur Balladur, la France connaissait la récession la plus grave depuis 18 ans. Nous n’étions pas à 1 % de croissance, nous étions à moins 1,8 de récession. La France connaissait un taux de chômage de 35 000 chômeurs de plus par mois. Voilà la situation que nous avons trouvée.

Alors, je sais bien que tous les médecins qui n’ont comme seule ambition que de voir la France mourir guérie me demandaient de faire souffrir la France avec une potion amère. Je n’ai eu sous les ordres de Monsieur Balladur qu’une seule préoccupation : retrouver le plus rapidement possible le chemin de la croissance pour réduire le chômage. Un an après, Arlette Chabot, la croissance était passée de moins 1,8 à plus 2,5, et pendant 10 mois consécutifs, le chômage a reculé en France.

Vous connaissez ce proverbe : « Quand je m’ausculte, je m’inquiète. Quand je me compare, il m’arrive de me rassurer ».

Mme Chabot : Maintenant, nous allons parler de ce que vous faites quand vous ne faites pas de la politique, c’est-à-dire de vos passions.

Ailleurs

Mme Chabot : C’est une chose connue, Nicolas Sarkozy, vous aimez le sport ?

M. Sarkozy : Oui, j’aime beaucoup le sport. D’ailleurs, le premier journal que je lis tous les matins avant tout autre, c’est L’Équipe. Je crois que je connais par cœur tous les numéros de L’Équipe.

Mme Chabot : Nous avons demandé à deux sportifs de haut niveau de venir nous rejoindre. Je sais que vous jouez au tennis, et donc nous avons demandé à Mary Pierce de venir parler du tennis avec vous. Et puis, comme vous aimez le football, il y a aussi Patrice Loko du Paris-Saint-Germain qui va venir nous rejoindre.

Bonsoir à tous les deux, merci d’être là.

Nous allons commencer peut-être par le tennis, spécialité aussi d’Alain Duhamel, et regarder quelques balles formidables de Mary Pierce.

Reportage

Mme Chabot : Vous regardez les matches de tennis à la télévision ?

M. Sarkozy : Oui, bien sûr que je regarde les matches de tennis, naturellement.

M. Duhamel : Cela est l’Open d’Australie, la finale et la victoire.

C’est le plus beau souvenir ?

Mlle Pierce : Je pense que oui ! Un match contre Graf, c’est le meilleur match de ma vie, de ma carrière jusqu’à maintenant.

M. Duhamel : Cela était moins bien !

Mlle Pierce : C’était sympa aussi.

M. Duhamel : Nicolas Sarkozy, vous jouez au tennis ?

M. Sarkozy : Oui, je joue au tennis…

M. Duhamel : … Un peu moins bien ?

M. Sarkozy : Pas avec Mary Pierce, mais je joue avec le plus grand plaisir. Je voudrais que vous compreniez, Patrice Loko et Mary Pierce, Patrice Loko le sait puisque je vais pratiquement à tous les matches du Paris-Saint-Germain, que nous sommes un certain nombre dans la vie politique à vraiment aimer le sport. Et, moi, j’aime le sport pour deux raisons :

D’abord, parce que c’est indispensable pour l’équilibre d’une société.

Et, deuxièmement, parce qu’on ne mesure pas la difficulté d’être un sportif de haut niveau aujourd’hui. Pas simplement une difficulté physique, pas simplement une difficulté sportive, mais une difficulté pour résister à la pression.

Et je suis très content de vos deux invités parce que – je ne veux pas être indiscret, bien sûr – ils sont à la fois des sportifs de haut niveau qui ont eu à affronter, chacun, dans leur vie des grandes épreuves. C’est une école de volonté formidable. Et, finalement, pour quelques minutes de joie, une finale de coupe, la finale du grand chelem, il y a des montagnes et des montagnes de travail, de souffrance, de doute, parfaitement anonymes, que ceux qui vous regardent et qui rêvent avec vous, ne comprennent pas, ne perçoivent pas toujours. Moi, c’est ce que j’aime dans le sport.

Mme Chabot : Mary Pierce, c’est vrai qu’un match perdu, c’est comme une élection perdue pour un homme politique, il ne faut jamais se décourager, il faut se dire qu’on fera mieux la prochaine fois ?

Mlle Pierce : Exactement, il faut toujours essayer, il faut toujours travailler dur, avoir l’envie, l’espoir et il faut travailler.

Mme Chabot : Qu’est-ce qui vous motive ? Comment vous motivez-vous vraiment ?

Mlle Pierce : J’adore le sport, j’adore jouer au tennis et je n’aime pas perdre.

M. Duhamel : Oui, c’est cela, vous aimez gagner ?

Mlle Pierce : Exactement.

M. Duhamel : Quand vous sentez que cela va un peu mieux que le mois dernier, mais enfin que vous n’êtes pas encore tout à fait au niveau des cinq-six premières…

Mlle Pierce : … Cela va mieux !

M. Duhamel : Je sais bien que cela va mieux en ce moment, mais qu’est-ce que vous vous dites pour continuer à vous motiver ?

Mlle Pierce : Exactement cela, il faut continuer. Par exemple, moi, je sens que cela va bien, donc c’est cela qui me motive en ce moment et j’espère que, bientôt, que cela ira.
M. Duhamel : Vous avez l’impression, quand vous regardez un match de football…

Mlle Pierce : … Oui, bien sûr, j’aime tous les sports.

M. Duhamel : Vous avez l’impression qu’ils réagissent un peu comme vous ? que c’est le même ressort ?

Mlle Pierce : Oui, c’est très marrant parce que tous les sports se rassemblent, pour moi, dans ma tête, donc je peux regarder les autres sports, et il y a certaines choses qui se ressemblent.

M. Duhamel : Vous aussi, vous regardez du tennis, par exemple ?

M. Loko : Oui, ce qu’elle dit est vrai. À chaque fois qu’on fait un match de foot ou du tennis, il y a toujours la pression qui vient, c’est très important. C’est cela qui déstabilise un petit peu et je crois que c’est cela qu’il faut essayer de surmonter au mieux.

Mme Chabot : Vous allez même regarder un peu de football grâce à François Bravo qui a ramassé un certain nombre de buts magnifiques marqués par des Français qui jouent dans d’autres équipes en Europe, hors de France, et puis des Français qu’on aimerait bien garder dans les équipes françaises.

Reportage

Mme Chabot : Patrice Loko, vous restez au Paris-Saint-Germain ?

M. Loko : Oui, on continue, on a beaucoup d’étapes à surmonter en ce moment, et je crois que cela va de mieux en mieux. J’espère que cela va continuer avec une personne comme vous qui venez régulièrement au Parc des Princes.

M. Sarkozy : C’est très important ce qui se passe. Grâce à l’Europe, on va être obligé de baisser les impôts…

(Madame Chabot rit)
M. Sarkozy : … non, mais je vais vous expliquer pourquoi : Aujourd’hui, il y a l’Europe… un jeune footballeur français peut aller dans n’importe quel club. Pourquoi voulez-vous, alors que sa carrière est si courte… il faut bien voir qu’avec la répétition des matches, aujourd’hui, si on arrive à faire 10 ans au plus haut niveau, sans pépin de santé, c’est le bout du monde ! La question : si nous gardons une fiscalité confiscatoire, nous n’aurons plus nos grands sportifs chez nous, on ne pourra plus faire rêver les gens dans les stades, il n’y aura plus de monde aux guichets…

M. Duhamel : … Vous parlez de cela entre les sportifs de haut niveau qui savent qu’ils ont une période limitée et qu’ils ont des revenus élevés, mais que cela ne durera peut-être pas ? Vous en parlez quelquefois ? Vous comparez un peu entre les pays ?

Mlle Pierce : Ce qu’on gagne ? Les impôts, etc. ?

M. Duhamel : Oui, les impôts.

Mlle Pierce : Pas beaucoup. C’est vrai qu’il y a certaines filles qui disent : « c’est incroyable, moi, je paie 50 %, la moitié, avec tous les frais qu’on a, c’est dur », mais…

M. Duhamel : … ce n’est pas l’essentiel ?

Mlle Pierce : Non, moi, je ne parle pas beaucoup de cela.

M. Sarkozy : Non, mais il y a beaucoup de joueurs qui ne vivent plus en France, .je parle surtout chez les garçons, de joueurs français, et finalement le processus est le même. On garde nos jeunes joueurs de football, je voudrais qu’on garde nos chefs d’entreprise, je voudrais qu’on garde tous ceux qui peuvent créer du rêve, de la richesse, du dynamisme. Moi, j’aime la France, je veux que ce soit un pays qui vive. Pas un pays où ceux, qui ont envie de faire plus que les autres, qui ont envie de se battre plus que les autres, soient obligés de partir. Parce que, moi, je ne suis pas fier quand Djorkaeff ne peut pas rester au PSG parce qu’on n’est pas capable de le payer alors que le PSG, qui est dirigé par un remarquable président, Michel Denisot…

Mme Chabot : … C’est votre ami, c’est votre copain. Cela n’enlève rien à ses mérites.

M. Sarkozy : Ce n’est pas parce que c’est mon ami qu’il a gagné une Coupe d’Europe. Permettez-moi de vous dire que ce n’est pas souvent qu’un club de foot…

M. Duhamel : C’est grâce à ses joueurs.

M. Sarkozy : … gagne une Coupe d’Europe sans être en faillite. Et je voudrais justement que la France soit le pays qui accueille le dynamisme et ceux qui ont envie de faire.

M. Duhamel : En un mot, vous, vous nous dites ce que vous souhaitez pour les sportifs et en un mot, ce que les sportifs attendraient d’un politique. Si vous aviez une chose à demander chacun, une seule.

Mme Chabot : En dehors de la fiscalité, peut-être !

M. Duhamel : En dehors de la fiscalité, une seule chose. Que diriez-vous ?

M. Loko : Je vois que vous essayez de sauvegarder les gens qui font rêver le public. Je crois que, pour nous, c’est une bonne chose.

Mme Chabot : Heureusement qu’il y a les sportifs parce que les hommes politiques ne font plus rêver, mais, vous, vous faites encore rêver. C’est cela ?

M. Duhamel : Heureusement qu’il y a les hommes politiques…

M. Sarkozy : … les journalistes sportifs de L’Équipe.

M. Duhamel : Mary Pierce ?

Mlle Pierce : Je ne suis pas très poétique, je ne sais pas quoi dire.

M. Duhamel : Qu’attendez-vous ? Une seule chose. Pas un avantage pour vous ? En règle générale ? Que diriez-vous ?

Mme Chabot : Qu’ils viennent vous voir.

M. Sarkozy : Pas simplement voir…

M. Duhamel : … Qu’ils soient dynamiques ? Qu’ils soient honnêtes ?

Mlle Pierce : Honnêtes.

M. Duhamel : Cela est une réponse.

M. Sarkozy : Cela me semble d’ailleurs la moindre des choses.

D’ailleurs, Mary Pierce, honnêtes dans la vie politique comme dans la vie sportive. Quand on est en haut de l’affiche, cela présente beaucoup d’inconvénients, beaucoup de désavantages, mais aussi des avantages et des contraintes. Et parmi celles-ci, sans doute l’honnêteté, la franchise. L’honnêteté, ce n’est pas simplement vis-à-vis de l’argent et de la corruption, c’est aussi être droit dans ce qu’on pense, ne pas mentir dans ce qu’on dit, être authentique dans sa manière d’être. Oui, j’accepte tout à fait cette demande.

Mme Chabot : Remercions beaucoup Mary Pierce et Patrice Loko d’être venus nous rejoindre.

Merci à vous, Nicolas Sarkozy.

M. Duhamel : Bonsoir.

M. Sarkozy : Je peux demander quelque chose à Patrice Loko ?

M. Duhamel : Si c’est un autographe, il vous le donnera, Mary Pierce aussi.

M. Sarkozy : S’il avait un ou deux maillots, cela m’arrangerait pour mes fils.

Mme Chabot : Vous vous arrangez après.

Merci, Nicolas Sarkozy. Merci à vous.

Bonsoir et au mois prochain.