Interview de M. Jack Lang, député européen, membre du bureau national du PS, à TF1 le 17 novembre 1996, sur les propositions du PS en matière d'emploi, la croissance économique et la politique culturelle.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Mme SINCLAIR : Les hommes politiques n'ont pas vraiment la cote. Jack Lang, lui, reste populaire. Il sera mon invité à 7 sur 7 dans deux minutes.

Que dit-il, lui, l'ancien ministre de la Culture, face à la très sévère condamnation du groupe de rap NTM ?

Que dit-il, lui, le professeur de droit international, face à la tragédie humaine du Zaïre et du Rwanda ?

Comme vous le voyez, l'actualité et multiple et Jack Lang va s'exprimer sur tous ces sujets.

Le Zaïre
NTM
Les manifestations et les grèves
Le feuilleton de l'affaire Tibéri

A tout de suite, pour un 7 sur 7 avec Jack Lang.

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Mme SINCLAIR : Bonsoir à tous. Bonsoir, Jack Lang.

M. LANG : Bonsoir.

Mme SINCLAIR : Je le disais il y a un instant, je reçois aussi l'ancien ministre de la Culture qu'on a envie d'entendre ce soir à la fois sur NTM qu'on censure, ou sur Malraux qu'on encense. Je voudrais d'abord avoir votre sentiment, votre réaction sur les images les plus terribles qu'on ait vues depuis longtemps. Des centaines de milliers d'hommes, de femmes, de vieillards, d'enfants, qui marchent une fois de plus à travers une Afrique dévastée par la guerre.

Nouvel exode. Sur 50 kilomètres, c'est un flot interrompu de réfugiés, une impressionnante marée humaines. Par centaines de milliers, les Hutus rwandais rentrent au pays qu'ils avaient fui deux ans auparavant par peur des représailles du pouvoir Tutsi. Morts de fatigue et de faim, à la merci des épidémies, ils sont accueillis dans un nouveau camp par le gouvernement de Kigali venu en personne les rassurer mais aussi vérifier leur identité.

De l'autre côté de la frontière, le camp zaïrois de Muganga, le plus grand du monde, s'est entièrement vidé. Seuls gisent quelques cadavres. Et une nuit de combat, les rebelles Tutsis ont réussi à chasser les miliciens Hutus vers l'intérieur du pays.

Responsables du génocide de 94, ces extrémistes s'abritaient derrière les réfugiés qu'ils utilisaient comme bouclier humain.

Ce brusque revirement de situation pose de nouvelles questions sur l'envoi d'une force internationale qui venait tout juste d'être mandatée par l'ONU pour une mission strictement humanitaire de quatre mois. Le principe de cette intervention ne serait pas remis en cause, quoi que les Américains parlent déjà de réduire le nombre de leurs soldats. Mercredi prochain, l'ensemble des pays concernés va donc se réunir pour rediscuter de la meilleure façon de porter secours aux réfugiés et de surveiller les conditions de leur retour.

Si le sort d'un million de Rwandais a fini par faire sortir la communauté internationale de son indifférence, ils sont encore 800 millions dans le monde à souffrir de la faim, 60 % sont des femmes et des enfants. Réunis à Rome pour le premier Sommet Mondial sur l'Alimentation et l'Agriculture, 190 pays se sont fixés comme objectif de réduire ce nombre de moitié d'ici l'an 2010, un objectif réaliste pour le Secrétaire Général de l'ONU mais honteux selon le Cubain Fidel Castro qui s'est lancé dans une grande diatribe contre l'égoïsme des pays riches, une déclaration qui a détonné au sein de cette grande messe au ton jusque là très consensuel.

Mme SINCLAIR : Alors, Jack Lang, d'abord les images du Zaïre et du Rwanda, et cette marée humaine si spectaculaire de gens qui rentrent chez eux. On ne sait pas dans quelles conditions ?

M. LANG : Ce sont des images qui parlent d'elles-mêmes et qui montrent que le retard des puissances, des Etats puissants, à se mettre en mouvement, est criminel puisque chaque jour qui passe, ce sont autant de morts, autant de personnes qui sont au bord de la disparition.

Réjouissons-nous cependant qu'une décision ait été prise par les Nations Unies et félicitons au passage la France qui a été, je crois, à l'initiative de cette décision des autorités internationales. En même temps, il est une fois de plus attristant de constater que l'Europe a été impuissante, inerte, inexistante…

Mme SINCLAIR : On va dire le combien de fois ? A chaque fois ?

M. LANG : Oui, mais c'est une situation dans laquelle… Cela tient d'abord du comportement de certains pays, de certains gouvernements qui se soumettent à l’imperium américain, pas seulement sur ce plan, sur tant d'autres plans… Je l'ai vécu la semaine dernière encore au Parlement Européen à propos des règles concernant la télévision, e trop de députés – il y a des gouvernements conservateurs – ont accepté des règles qui en réalité permettent aux Etats-Unis de dominer l'ensemble du système européen. Et c'est humiliant, en effet, pour l'Europe. Et dans ces circonstances…

Mme SINCLAIR : Humiliant pour l'Europe, mais de fait c'est l'Amérique qui veut intervenir et l'Europe n'a pas les moyens…

M. LANG : L'Europe aurait pu. Je crois qu'il y aurait eu des possibilités pour que l'Europe intervienne. Bref, la France a proposé, il faut s'en féliciter mais c'est en définitive, comme vous le dites vous-même, les Etats-Unis qui disposent.

Mme SINCLAIR : Alors les rapprochements terribles de l'actualité puisque la même semaine se tenait, on vient de le dire, le sommet de la FAO contre la faim et ces images effroyables du Zaïre et du Rwanda, 850 millions d'hommes aujourd'hui n'ont pas assez de nourriture. Je voudrais juste donner ces paroles de Jacques Diouf, le Directeur Général de la FAO, qui s'est plaint de la réduction du budget cette année de la FAO en disant ceci : « Ce budget est inférieur au coût de six jours de nourriture pour chiens et chats dans neuf pays développés et représente moins de 5 % des dépenses annuelles en produits amaigrissants effectués par les habitants d'un seul pays développé ».

M. LANG : Et j'ajouterais, si vous le permettez, que les Etats-Unis, qui sont l'une des grandes puissances alimentaires du monde ne paient même pas pleinement leur cotisation à la FAO. Ce n'est pas normal. Ce n'est pas normal que les Etats-Unis ne jouent pas le jeu international, en particulier dans la lutte contre la faim.

Mme SINCLAIR : Alors, on va voir le reste des images, ici en France, et notamment l'avalanche de réactions, ce week-end, après la condamnation très sévère du groupe de rap NTM pour des paroles, pour des propos prononcés sur scène, du jamais vu en France depuis longtemps. Claire Auberget, Alain Badia.

Six mois de prison, dont trois ferme, plus six mois d'interdiction de jour, le tout pour avoir outragé la police. NTM a écopé du maximum. C'est un jugement du Tribunal correctionnel de Toulon sans précédent. Il fait scandale. Le groupe fait appel.

… Chez nous, la police, déjà c'est un truc légitime. C'est une espèce de réponse légitime. Cela n'a jamais voulu dire… Nous on n'a jamais appelé au meurtre de l'individu ou quoi que ce soit, ça exprime plutôt une réponse à une provocation qui est faite à des jeunes comme moi ou comme d'autres…

Le gouvernement demande également au Parquet de faire appel. La Gauche dénonce une justice à deux vitesses. Les associations des Droits de l'Homme s'indignent de ce retour à l'ordre moral. Même chez les policiers, certains syndicats trouvent la sanction disproportionnée. Il n'y a qu'à Droite et l'extrême-Droite, bien sûr, qu'on se félicite de cette décision.

Décision qu'il est nécessaire de restituer dans son contexte politique. NTM a été condamné à Toulon, l'une des trois villes tenues par le FN, et si NTM a la haine des flics, il l'a aussi de l'extrême-Droite. C'est d'ailleurs à l'occasion d'un concert en juillet 95, destiné à protester contre l'élection de Jean-Marie Le chevalier que les deux chanteurs ont insulté les policiers, les traitant entre autres de Fascistes qui assassinent.

L'été dernier, ce même groupe a été déprogrammé du Festival de Chateauvallon à la demande conjointe du Maire de Toulon et du Préfet du Var, Jean-Charles Marchianu, un RPR proche de Charles Pasqua, qui ne partage sans doute pas que les goûts musicaux du Front National.

Les rapeurs ne sont pas les seuls à faire les frais de cette censure insidieuse et efficace. Récemment, un hommage à l'écrivain Marek Halter est apparu inopportun à Jean-Marie Le Chevalier qui lui a préféré Brigitte Bardot, proche, comme chacun sait, de ses idées.

D'ailleurs le parti de Jean-Marie Le Pen ne s'en cache pas. Il s'est lancé à la reconquête des esprits égarés, pense-t-il, par le cosmopolitisme et l'impérialisme américain, car au FN le combat politique est aussi un combat culturel.

Mme SINCLAIR : Alors, Jack Lang, revenons d'abord sur l'affaire NTM. Au terme d'un week-end de polémique, qu'est-ce que vous avez envie de dire ce soir sur cette condamnation sans précédent ?

M. LANG : D'abord, je constate, avec une certaine satisfaction, qu'il y a eu tout de même des réactions majoritairement hostiles à cette décision, aussi bien du côté de la presse que du côté d'un certain nombre d'organisations politiques et même de la part de policiers. La décision prise est une décision qui n'est pas acceptable. Elle peut même être ressentie par des jeunes en particulier comme révoltante, et d'autant plus que le rap c'est, je dirais, l'expression musicale des opprimés et je ne regrette pas d'avoir moi-même dans les débuts accompagné leurs premiers pas les premiers groupes de rap et notamment NTM.

Ce qui s'est passé là à est vécu, je le crois, par beaucoup de ces jeunes comme un acte de répression sociale. Et la société officielle donne l'impression d'être une fois de plus, si j'ose dire, à coté de ses pompes…

Mme SINCLAIR : Est-ce que vous craignez… Le Maire de Saint-Denis craint que cette décision mette le feu aux poudres d'une certaine manière. Est-ce que vous partagez ses craintes ?

M. LANG : Il ne faut pas dramatiser surtout…

Mme SINCLAIR : Si on avait voulu dresser les jeunes, on n'aurait pas fait autrement…

M. LANG : Certainement. Je ne voudrais pas enclencher un phénomène, disons, de réactions… Je pense d'ailleurs que beaucoup de jeunes ont plus de maîtrise d'une situation qu'on ne le croit du côté de certains officiels. D'abord, on est indigné contre une censure et, personnellement, c'est un des combats de ma vie. Je me suis battu contre la censure hors de France et en France. J'ai aboli, en particulier, la censure cinématographique en France et je souhaite que notre pays reste la patrie des écrivains, des artistes et des poètes…

Mme SINCLAIR : Est-ce que cela veut dire que, au fond, les paroles prononcées ne vous posent aucun problème ? est-ce que vous faites partie au fond de ceux qui disent : « Ce ne sont pas des paroles neutres et on ne peut pas forcément tout dire » ou est-ce que vous dites : « C'est l'expression violente d'une société qui elle-même est violente » ?

M. LANG : Naturellement, si vous mettez le doigt dans l'engrenage qui consisterait à dire que dans un libre, ou dans un film, ou dans un morceau de musique, il y a tel ou tel aspect qui porterait atteinte à je ne sais quel principe, alors vous ouvrez la porte à la censure, aux interdits, et progressivement s'installe dans la société une sorte de répression morale. Et cette tentation a toujours existé. Je me suis permis de citer André Malraux qu'on encense, en effet, comme vous le dites, et lorsque Jean Genet est représenté au Théâtre National de France, à l'Odéon, en plein coeur de Paris, une pièce « Les Paravents » qui mettait en cause, de façon vive, les militaires pendant la Guerre d'Algérie, André Malraux a demandé aux forces de police de protéger le spectacle. Il s'est opposé à ceux qui voulaient l'interdire, et je crois qu'il a bien fait.

Mais disons que ce groupe, comme quelques autres groupes, c'est, si j'ose dire, un baromètre et ce n'est pas en cassant le baromètre que l'on fera tomber la fièvre sociale. Et c'est vrai qu'il y a ici ou là des situations explosives. Il y a même, dans un des textes de NTM, une assez belle phrase disant « d'une jeunesse, vous avez brûlé les ailes », et d'une certaine façon, les différents responsables politiques, et plus spécialement, il faut le dire, depuis quatre ans où la politique de reconstruction des banlieues a été en partie mise sur le côté, ne parlons pas de la politique pour l'emploi, tout à l'heure nous en parlerons à propos du programme économique du Parti Socialiste, mais sur un point précis…

Mme SINCLAIR : Cela ne date pas de quatre ans la crise des banlieues. Elle est très ancienne et tous les gouvernements s'y sont cassés les dents. Reconnaissez-le…

M. LANG : C'est vrai, et on ne peut pas se contenter d'un simple ripolinage. Il faudra s'attaquer à la racine du mal. Mais il n'en reste pas moins que s'agissant de choses qui étaient faites dans le passé, je veux dire les crédits éducatifs dans les zones éducation prioritaire, les crédits culturels, les crédits sociaux, les crédits sportifs sont amputés gravement depuis quatre ans, et du coup les associations qui sont aux avant-postes qui sont le meilleur des contre-poisons, le meilleur des antidotes face aux idées des extrémistes, se trouvent paralysées et asphyxiées.

Par conséquent, moi je considère que, d'une certaine manière, l'actuel gouvernement par son immobilisme et sa passivité est responsable en partie de cette violence urbaine avec tout son cortège de drogue, d'insécurité et de violence, dont sont parfois aussi victimes des policiers.

Mme SINCLAIR : Est-ce que vous ne globalisez pas là un petit peu ? Quand Philippe Douste-Blazy dit aujourd'hui « contrôler la vie culturelle, c'est comme ça que commence la dictature », c'est une phrase forte et c'est une façon de condamner ce qui se passe, la décision condamnant NTM, et quand il décide d'aller vendredi prochain à Toulon avec Marek Halter, qui est justement persona non grata par le Maire de Toulon, Monsieur le Chevalier, vous dite : c'est bien ? Vous reconnaissez que c'est bien, qu'il agit contre ce courant de pensée ?

M. LANG : Ce que vous rapportez comme propos, je l'approuve, mais en même temps je ne peux pas ne pas dire deux mots sur ce que j'appellerai le trio de Toulon : le Maire Front National, le Préfet de la République, représentant du Gouvernement, donc du Ministère de la culture et de l'ensemble des Ministères et le Juge. Et si on regarde de près ce qui se passe, un maire Front National qui décide, c'était dans son esprit, de censurer, d'interdire, d'empêcher, de limiter, de couper les crédits…

Mme SINCLAIR : Du Festival de Chateauvallon…

M. LANG : De toutes sortes d'associations, de groupements de Chateauvallon, et puis par ailleurs un Préfet qui, au mois de juin dernier, a interdit (c'est lui qui a commis le premier acte de censure, sans qu'aucune autorité de la République ne proteste) qui a interdit la programmation du groupe NTM et donc par conséquent on a capitulé en quelque sorte. J'essaie de m'imaginer…

Mme SINCLAIR : Le Directeur de cabinet a été licencié…

M. LANG : Oui, quelques mois plus tard. Je ne veux pas du tout me citer en exemple mais quand on est dans un gouvernement, face à un acte de censure comme cela, on dit au Premier Ministre : « Ou bien vous révoquez ce Préfet qui commet un acte de censure, ou bien je me retire » ; Vous savez, dans cette période où on voit, petit à petit, les idées extrémistes avancer par contagion successive, relisons « peur et Misère du Troisième Reich » de Bretch. Ce sont les petites lâchetés mises bout à bout qui aboutissent progressivement à la prise du pouvoir par les extrémistes.

Ajoutons d'ailleurs que ce ne sont pas les seules municipalités Front national qui doivent être mise en cause. Elles sont à mettre en cause gravement. Il y a aussi toute une série d'autres municipalités qui se conduisent très mal. Je pense par exemple à la Municipalité de Verdun qui appartient à des partis de la majorité actuelle qui a interdit des livres, qui a interdit Heider Muller qui est un des grands dramaturges européens et qui a commis d'autres actes de censure. Je crois qu'il est important que sur ce plan de gouvernement dise : « La liberté est une est indivisible quelle que soit la couleur politique de la municipalité ».

Quand à Marek Halter, il faut dire que vraiment… Je trouve qu'on ne s'est pas assez indigné. Voilà un Maire qui, sur le territoire de la République, profère un édit fatois, si j'ose dire, d'excommunication à un grand écrivain, un homme tout simplement, qui le bannit, qui l'interdit de droit de citer. Je pense qu'il faut absolument empêcher cela. A Toulon, comme ailleurs, la loi de la République doit s'appliquer et Marek Halter a invité Lionel Jospin et moi-même et j'ai appris tout récemment que l'on interdirait de parole les représentants de la Gauche, ce que je ne peux pas imaginer. Il est souhaitable que dans une pareille circonstance, s'expriment d'une seule voix toux ceux qui dans ce pays veulent la liberté et notamment la liberté de création.

Mme SINCLAIR : Donc il y aura à Toulon, avec Marek Halter, l'actuel ministre de la Culture, un ancien ministre de la Culture, puisque vous y serez et que vous souhaitez prendre la parole…

M. LANG : Je n'y suis pas invité. D'autres ont été invités et je souhaite que l'ensemble des familles de pensées soient présentes.

Mme SINCLAIR : Est-ce que vous souscrivez à l'éditorial de Gérard Dupuy dans Libération hier matin, qui disait : « Il vaut mieux, en France, déclamer sur l'inégalité des races que péter les plombs face à ceux qui la proclament » ?

M. LANG : On ne peut pas ne pas constater que les appels à la haine, à l'exclusion, ne sont jamais condamnés quand ils viennent des extrémistes, notamment de Droite. Qu'on s'attaque là à un groupe de jeunes qui, dans un contexte particulier qui est celui précisément de la violence urbaine, expriment un raz le bol, une protestation et une révolte. Deux poids, deux mesures.

Suite à l'affaire Tibéri. C'est une histoire de fou, résume sidéré Laurent Davenas, Procureur du Parquet d'Evry. A son retour de vacances, il découvre que son adjoint a profité de son absence pour ouvrir une information judiciaire à l'encontre de Xavière Tibéri, l'épouse du Maire de Paris. Mais ce n'est pas tout. Cet alpiniste chevronné apprend aussi que le gouvernement, pris de panique, s'est lancé à sa recherche sur les cimes de l'Himalaya dans l'espoir de stopper la procédure. Un hélicoptère a même sillonné en vain la région, révèle le Canard Enchaîné, qui raconte avec force détails cette aventure rocambolesque confirmée officiellement. Ces nouveaux développements en disent long sur la politisation d'un dossier ultra sensible qui réserve peut-être encore d'autres surprises.

Mme SINCLAIR : Jack Lang, qu'est-ce que vous pensez de ce roman feuilleton ?

M. LANG : C'est une histoire de fou, j'ai peine à le croire. On se dit : « mais, est-ce vraiment vrai ? »

Mme SINCLAIR : Cela a été confirmé.

M. LANG : En tout cas, si c'est vraiment vrai, je crois que Monsieur Debré a devant lui un grand avenir de scénariste de série B…

Mme SINCLAIR : Cela vous fait surtout sourire ? Vous prenez cela sur le thème de la plaisanterie ? C'est une drôle d'histoire ?

M. LANG : On peut aussi évidemment, c'est mon cas aussi, s'en indigner. Lorsqu'on… on parlait tout à l'heure des jeunes, on se dit : Tout de même, quel exemple, quel exemple donne le pouvoir politique à ces jeunes qui aujourd'hui se trouvent dans la difficulté, dépenser de l'argent pour envoyer un hélicoptère, pour prévenir le Procureur de telle sorte que celui-ci puisse ne pas engager la poursuite contre telle ou telle personne…

Mme SINCLAIR : J'ai envie de vous dire : ce n'est pas la première fois… Peut-être si, c'est la première fois qu'on envoie un hélicoptère, mais ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique essaie de contrecarrer la marche de la justice et les socialistes le savent bien, qui l'ont vécu, quand même…

M. LANG : Ce n'est pas la première fois, mais pas avec cette insistance, et je dirai ces méthodes. C'est pourquoi, dans les 150 propositions que nous avons formulées dans notre texte sur la démocratie, figure notamment toute une série de propositions sur la justice et que nous appliquerons si nous l'emportons, l'année prochaine. Et en particulier, nous sommes décidés à couper le lien entre la Chancellerie et le Parquet, donner aux magistrats du Parquet leur indépendance, la première chose, et la deuxième chose, nous sommes décidés – parce que c'est corrélatif – à donner aux justiciables de vrais droits qui permettent de garantir leur dignité et leur honneur.

Donc ce sera une réforme que nous engagerons dès les premiers mois de notre arrivée au pouvoir.

Mme SINCLAIR : Là, j'ai aussi envie de vous dire : c'est un peu toujours ce qu'on dit dans l'opposition et vous aviez 14 disons 14 moins 4, 10 ans pour le faire, si vous l'aviez voulu. Tout le monde le sait qu'il faut séparer le Parquet du pouvoir.

M. LANG : C'est vrai. Il y a eu tout de même la réforme de l'instruction qui a permis – malheureusement elle a été remise en cause – de dissocier la fonction d'enquêteur et la fonction de juge des libertés, c'est-à-dire nous reviendrons sur ce sujet un peu plus tard, si nous arrivons au pouvoir. Je dirai que nos réformes de la justice ont porté sur toute une série de choses importantes, la peine de mort… mais sans doute, je le reconnais, nous ne sommes pas assez attaqués aux dysfonctionnements de la justice de tous les jours, et c'est, à mon avis, le point important, la tâche importante qu'attend la gauche demain.

Mme SINCLAIR : Et puis qui redonnerait peut-être un peu de foi dans les hommes politiques dont la probité est un élément de doute chez les citoyens aujourd'hui. Les citoyens ont l'impression que les hommes politiques sont malhonnêtes et pour les hommes politiques ça pèse lourd…

M. LANG : C'est vrai, c'est un peu l'impression qui est donnée, alors que 99 % des élus sont des gens intègres et honnêtes. Je pense aux centaines de milliers d'élus locaux qui se dévouent chaque jour et qui accomplissent leur métier avec beaucoup de dévouement. Et il y a une injustice finalement à faire rejaillir sur la classe politique toute entière les fautes commises par quelques moutons noirs. Je crois que vous avez raison. Le jour venu, il faudra que les choses soient claires et nettes, que le pouvoir politique n'ait plus aucun moyen de se mêler de ce qu'on appelle les affaires.

Mme SINCLAIR : On va voir dans un instant la suite de l'actualité et notamment tout ce qui est économique et social et vous allez nous dire si le programme du Parti Sociale est crédible et applicable dans la France d'aujourd'hui. On se retrouve tout de suite après la pub.

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Mme SINCLAIR : Reprise de 7 sur 7 en compagnie de Jack LANG. On va voir le reste de l'actualité de la semaine avec Claire Auberget et Alain Badia.

Un géant est né. C'est un mariage heureux. AXA et l'UAP s'unissent pour devenir le numéro deux de l'assurance dans le monde, juste derrière le Japonais Nippon Life. C'est AXA, en pleine forme financière, qui absorbe UAP dont la cote était au plus bas. Cette fusion est la plus importante jamais réalisée en France. Un joli coup signé Claude Bébéar qui deviendra le patron du futur ensemble. Avec 300 milliards de chiffre d'affaires annuel, 100 000 employés et une parfaite complémentarité sur l'étranger, il aura tous les atouts pour faire face aux défis de la mondialisation.

Polémique. A peine ouvert, le Crazy George's doit fermer boutique, sur ordre du ministre des Finances, le temps de refaire ses étiquettes et sa publicité pour mieux informer le public sur ce magasin pas comme les autres. Sa clientèle, les pauvres, exclus de la société de consommation. Son système de vente, la location avec option d'achat, permet de repartir avec une télé pour quelques dizaines de francs par semaine, télé qui au bout de trois ans aura finalement coûté près du double du prix normal. Légal, ce système est-il moral ? A Droite, comme à Gauche, certains dénoncent une exploitation scandaleuse de la misère. Le groupe britannique s'en défend. Il affirme, au contraire, réduire la fracture sociale en permettant à tous de consommer.

Violence en Guyane. Il faut satisfaire les étudiants de Cayenne, a demandé Jacques Chirac. Le feu couve en Guyane depuis maintenant trois semaines. Tout a commencé par une grève des lycéens pour dénoncer leurs mauvaises conditions d'enseignement. Très vite, le mouvement a été débordé par les casseurs. Sept jeunes ont été condamnés à des peines allant jusqu'à huit mois de prison ferme, ce qui a provoqué, mardi dernier, de nouvelles émeutes. Aujourd'hui, le calme semble revenu. Deux ministres, celui de l'Education et des DOM TOM seront dépêchés, prochainement, sur place afin de calmer les esprits et tenter de rassurer une population dont la moitié a moins de 25 ans et dont le quart est au chômage.

Manifestations. Pour marquer le premier anniversaire de la lutte contre le Plan Juppé sur la Sécu, samedi, des manifestations ont eu lieu dans près de 70 villes de France. Le plus gros rassemblement, à Aurillac, dans le Cantal, réunit des milliers de personnes derrière Louis Viannet sur le thème du plein emploi et de la désertification des campagnes. Pendant ce temps-là, à Paris, Marc Blondel défile avec ses troupes et celles de la FSU.

Décidément, la CGT et FO ont toujours autant de mal à s'entendre sur la conduite de ce mouvement au succès limité. Vendredi, la journée de grève a peu perturbé le trafic à la RATP et le secteur bancaire s'est faiblement mobilisé. Pagaille, en revanche, à Air Inter Europe, où les syndicats de pilotes en guerre avec leur direction n'ont pas jugé utile de déposer un préavis.

Mme SINCLAIR : Jack Lang, finalement, des mouvements de grève moins suivis que l'année dernière, est-ce que cela veut dire que les Français qui sont mécontents n'en sont pas, pour autant, prêts à se mobiliser ?

M. LANG : Il faut voir les choses sur la durée. Faire grève n'est pas un plaisir, comme vous le savez, pour ceux qui utilisent ce droit. Mais, au-delà des grèves, il y a toute une série d'expressions et de manifestations qui montrent qu'aujourd'hui beaucoup de gens, dans notre pays, en ont un peu raz le bol.

Mme SINCLAIR : Il y a des problèmes ailleurs qu'en France et on regarde quand même ce que font les autres pays. Là, à l'occasion de l'élection de Clinton, tout le monde a regardé et parlé du modèle américain, alors modèle américain où une société finalement a créé beaucoup d'emplois, fait diminuer le chômage, montré une certaine vitalité, une activité économique relancée. Quel regard vous portez, vous, sur l'Amérique, sur le plan de l'emploi notamment ?

M. LANG : L'Amérique est l'Amérique, si j'ose dire, et l'Europe est l'Europe. Nous n'avons pas les mêmes traditions ni la même histoire. Il n'est pas questions de contester la vitalité, le sens de l'initiative, la capacité à s'adapter des Américains à une entreprise américaine. En même temps, il faut savoir que de nombreuses créations d'emplois en Amérique se sont faites au prix d'une précarité et aussi d'une faiblesse de rémunération qui, ici même, ne seraient pas acceptées, ne seraient pas acceptables.

Mme SINCLAIR : Mais, quand même, vous ne regardez pas ? … Je crois qu'il y a une sorte de mépris, en France, d'une certaine Gauche, qui dit : cette société américaine est une société uniquement de précarité. Il y a quand même une certaine vitalité.

M. LANG : C'est vrai qu'il y a une vitalité, qu'il y a une capacité d'innovation, de transformation, et je crois que nous devons essayer de tirer le meilleur des Etats-Unis et surtout de nous prémunir du pire, en particulier du faible respect sur le plan droit social. Et la France et l'Europe ont à imaginer un autre modèle de développement.

Mme SINCLAIR : Le Parti Socialiste est en train d'imaginer cet autre modèle de développement puisque vous êtes en train de mettre la dernière main à un projet économique, un programme économique. Globalement, on a dit que c'était plutôt un coup de barre à gauche et disons une sorte d'abandon de la culture de gouvernement que vous aviez eu tant de mal à imposer ou plutôt à vous imposer comme étant des bons gestionnaires.

M. LANG : D'abord, un mot. Le Parti Socialiste travaille. Il travaille dans un bon climat, sous l'impulsion de son Premier Secrétaire Lionel Jospin et chacun a à coeur d'apporter sa contribution.

Mme SINCLAIR : Vous croyez que cela se sait au-delà du périphérique parisien ?

M. LANG : On travaille en permanence, on fait des pieds au mur. Mais mis bout à bout, le travail accompli, l'Europe d'abord au mois de mars dernier, les propositions sur la démocratie, maintenant les propositions sur l'économie, tout cela montre que le Parti Socialiste est redevenu une ruche à idées. Par ailleurs, comme vous l'observez vous-même, je dirais, la Gauche à travers ses travaux retrouve son âme. Et je crois qu'au moins on pourra dire que ce n'est plus du pareil au même. Droite, Gauche, disaient certains, blanc bonnet et bonnet blanc.

Aujourd'hui, la Gauche a retrouvé le chemin qui était le sien en combattant avec fermeté l'ordre social injuste qui est le nôtre, et en proposant de mettre en mouvement la société. Disons qu'il faut se réjouir de la réactivation du débat d'idée. Mieux vaut la polémique à l'indifférence, les querelles politiciennes.

Mme SINCLAIR : Disons, qu'en gros, il y a deux critiques faites à ce programme, une addition lourde pour les dépenses publiques ou pour les entreprises et puis une sorte de retour à l'idée magique de l'Etat tout puissant. Alors commençons peut-être ^par l'addition lourde. Finalement est-ce que vous ne changez pas beaucoup la barque des entreprises qui ont devoir embaucher des jeunes, augmenter les salaires, réduire le temps de travail sans diminuer les salaires, faire face à des charges plus lourdes. Vous croyez que les entreprises françaises sont capables de faire face à cela ?

M. LANG : D'abord, on a raison de se poser toutes ces questions. C'est un signe de bonne démocratie. On doit interroger les partis politiques. Après tout, nous sommes les seuls à faire des propositions aujourd'hui. Alors qu'on nous pose des questions, c'est signe que l'on écoute ce que nous avons à dire et à proposer pour le futur.

Ces propositions sont des propositions, ce qui veut dire qu'au cours des prochains mois, elles seront affinées, adaptées, et que le moment venu le programme qui sera le nôtre, pour les élections législatives, tiendra compte et des débats et de la conjoncture économique et de l'héritage éventuel que nous laisseront les actuels responsables gouvernementaux.

Mme SINCLAIR : C'est-à-dire que vous êtes sensibles aux critiques qui sont faites sur l'addition un peu lourde, économiquement parlant ?

M. LANG : Parlons concrètement. De quoi parle-t-on ? Je crois qu'il vaut mieux rentrer dans le vif du sujet. Il ne faut pas nous contenter de généralités. Notre ambition, si vous voulez, elle est de trouver une voie nouvelle entre le socialisme étatiste, qui a fait son temps, et le socialisme gestionnaire dans lequel nous avons eu parfois tendance à nous endormir dans les années 92-93. Et c'est voie nouvelle, je dirais, c'est celle d'un socialisme libérateur des énergies, des talents et des initiatives. Et pour que cela devienne réalité, il faut deux types de choses, que les gens le croient, il faut que cela devienne réalité. Il faut premièrement des mesures immédiates, applicables dans les premiers mois d'un nouveau gouvernement et, deuxièmement, une vision d'ensemble d'une nouvelle société.

Mme SINCLAIR : Et troisièmement, une croissance, une capacité de l'économie à pouvoir suivre ces propositions…

M. LANG : Bien sûr. Mais le redémarrage de la croissance fait partie de ces mesures immédiates. Alors quelles mesures immédiates ? On peut comprendre que nos concitoyens soient un peu sceptiques ou incrédules à l'égard des programmes politiques. Ils ont été les témoins de partis politiques ou de candidats qui ont déchiré leurs programmes une fois élus, comme on déchire un chiffon de papier. D'ailleurs c'est assez scandaleux que l'on ne respecte pas le contrat qui est passé avec le peuple. Moi, j'ai été élevé à l'école de Pierre Mendès France et un contrat avec le peuple, ça se respecte.

Donc, nous sommes décidés, le jour venu, à faire que nos engagements seront des engagements respectés et pleinement respectés. Face à l'immobilisme dans lequel nous sommes, une France dans la mélasse, 180 000 chômeurs de plus en un an, création d'emplois solde net 0 plus 0, charrettes de licenciements. On le constate malheureusement tous les jours. Il faut redonner confiance et, si j'ose dire, redonner la pêche au pays et redonner l'envie d'avoir envie.

Mme SINCLAIR : Exemples ? Crédibilité de cet exemple.

M. LANG : Exemple. L'emploi, et en particulier l'emploi pour les jeunes. Nous avons mis au point, naturellement il sera amélioré, affiné, un programme national pour l'emploi des jeunes, et ce programme national pour l'emploi des jeunes comporte deux volets. Parlons, par exemple, du premier volet. Je peux vous dire que je sais, par expérience, comme Maire d'une ville, celle de Blois, que c'est un programme raisonnable, pragmatique et réaliste. Nous proposons de créer, en deux ans, 350 000 emplois de proximité ou de qualité de vie et le Maire que je suis, comme tous les Maires de France, savent bien qu'il y a dans nos communes d'immenses besoins, santé, sécurité, assistance scolaire, environnement.

Le Maire que je suis pourra demain, avec le nouveau gouvernement, passer un contrat. Je m'engage, en tant que Maire de Blois à créer ou à faire créer 300 emplois. C'est le flot national que nous allons créer pour encourager les emplois et les mises en place et, un peu, partout, à travers le pays, ce mouvement s'enclenchera…

Mme SINCLAIR : Ce n'est pas déjà les emplois de ville qu'ils ont créés aujourd'hui par Eric Raoult et Jean-Claude Gaudin ?

M. LANG : C'est homéopathique. C'est tellement… C'est un peu de la roupie de sansonnet…

Mme SINCLAIR : Si on peut le faire, si c'est crédible, si c'est possible, pourquoi cela ne se fait pas ?

M. LANG : Je ne comprends pas pourquoi cela ne se fait pas.

Mme SINCLAIR : Il n'y a pas de raison que personne ne l'ait imaginé…

M. LANG : Si, parce que certains choix ont été faits, et je reviens à votre question. Comment financez-vous ? Quand on décide, comme l'a fait l'actuel gouvernement, de consacrer chaque année 50 milliards de francs, au minimum, à verser des exonérations à des entreprises pour qu'elles créent des emplois et qui n'en créent pratiquement, c'est de l'argent, c'est du bois jeté au feu en vain. Ces 50 milliards gâchés, perdus, vous les affectez à ce programme national pour l'emploi des jeunes, pas seulement les emplois de proximité mais aussi les 350 000 emplois qui seraient créés par les entreprises dans le cadre d'une véritable formation de ces jeunes, vous trouvez la solution. Mais là il y aura une volonté, une détermination, une envie de sortir les jeunes de la difficulté et du chômage.

Mme SINCLAIR : Mais est-ce que cette foi inébranlable dans le rôle de l'Etat, est-ce que ce n'est pas un peu hors de saison et un peu à contre-courant de ce qui se passe aujourd'hui en Europe, y compris chez des partis de Gauche amis qui ne font pas les mêmes choix que vous ? Je pense notamment à Tony Blair, qui est le leader travailliste dont on dit qu'il pourrait bien gagner les élections de Grande-Bretagne et qui, aujourd'hui, dit très clairement : « L'Etat ne peut pas assurer la sécurité de l'emploi en légiférant ».

M. LANG : Je n'ai pas dit que nous allions légiférer sur tout et la politique de demain serait une politique qui, au contraire, s'appuiera sur les initiatives. Je le disais à l'instant, les initiatives des élus locaux, les initiatives des entreprises qu'il nous faut encourager. Si vous voulez, je crois que indépendamment de ces mesures d'urgence qu'il faudra prendre tout de suite, emploi des jeunes, incitation à la croissance par la relève du pouvoir d'achat ou par des investissements publics, en particulier, nous revenons à NTM, pour la reconstruction des banlieues et la lutte contre les ghettos.

Il y aura toute une série d'actions qui seront des actions à moyen terme qui feront appel à toutes les énergies de la société. Par exemple, chacun sait qu'aujourd'hui nous passons d'un système à un autre, d'un monde qui était marqué par certaines caractéristiques et à un monde dans lequel le savoir, l'intelligence, bref le capital humain sera au coeur du développement économique. Ce passage d'un monde à l'autre n'est pas facile. Vous connaissez ce mot de Gramchi, le théoricien communiste italien disant à propos de la crise : « C'est lorsque l'on passe de l'ancien qui a du mal à mourir, au neuf qui a du mal à naître ».

Et c'est vrai qu'on a du mal parfois à imaginer une nouvelle société dans laquelle les nouvelles technologies, libérer l'homme est une tâche difficile, le temps de travail va se réduire inévitablement, quoi qu'on fasse, et ce qu'il nous faut préparer c'est une société nouvelle dans laquelle des nouvelles industries liées au savoir, liées aux loisirs, liées à l'intelligence permettront de créer de nouveaux emplois, de nouvelles activités.

C'est pourquoi l'une des tâches sur lesquelles nous devons encore travailler dans les prochains mois consistera à réfléchir à la manière de mettre en valeur le capital humain. Moi je pense, personnellement, qu'il nous faut envisager une véritable révolution éducative, qui ne soit pas seulement quantitative, mais aussi quantitative. Nous parlions tout à l'heure des Etats-Unis. Je peux vous indiquer qu'une des raisons, quand même, du chômage comparé entre la France, d'un côté, et d'autre part, l'Allemagne et les Etats-Unis, c'est qu'il y a en réalité beaucoup plus de diplômés sur l'ensemble des classe d'âge en Amérique ou en Allemagne, et nous devons rattraper un certain nombre de retards qui ont été accumulés depuis 1945. Il nous faut changer et les méthodes et les programmes, de telle sorte que l'on fasse appel davantage à l'esprit d'initiative des jeunes, à l'esprit d'équipe des jeunes, à l'esprit d'expérimentation pour préparer ces jeunes à l'imprévu d'une nouvelle société.

Mme SINCLAIR : Est-ce qu'aujourd'hui les Français qui sont quand même plus critiques aujourd'hui qu'hier, on a du mal à leur dire : demain, on rasera gratis...

M. LANG : Je n'ai pas dit cela.

Mme SINCLAIR : Est-ce que les Socialiste sont crédibles aujourd'hui, sur l'emploi,

M. LANG : C'est vrai que sur la question de l'emploi nous avons été nous-mêmes victimes d'une illusion voici quelques années. Nous avions pensé que le seul retour à la croissance, et nous n'étions pas les seuls, toute la société était victime de cette illusion que ce retour à la croissance serait créatif d'emplois. Nous nous apercevons aujourd'hui qu'il faut absolument et le retour à la croissance, c'est-à-dire à la création de richesse, et des mesures particulières, spécifiques, dans le domaine de la formation, dans le domaine de l'investissement, dans le domaine de la création d'entreprises pour encourager en particulier tout le tissu de PME-PMI qui sont aujourd'hui parmi les meilleurs créateurs d'emplois.

Mme SINCLAIR : Mais au-delà de cela, Jack Lang, est-ce que vous sentez aujourd'hui prêts à gouverner ? Autrement dit, est-ce que vous avez le sentiment que les Français vous ont absous, j'allais dire pardonné ? Non pas vos grandes fautes, mais enfin vous savez très bien la désaffection du pouvoir socialiste en 93 a été violente, est-ce que vous avez l'impression qu'aujourd'hui ils ont passé l'éponge, les Français ?

M. LANG : Une des raisons pour lesquelles il y a eu cette claque, qui était à mon avis justifiée, c'était que beaucoup de responsables socialistes étaient engoncés ou enfoncés dans une sorte de conformisme ou d'esprit de fatalité et d'abandon face à la conjoncture nationale ou internationale. J'ai l'impression, aujourd'hui, que l'esprit d'aventure collective est de retour, que les socialistes sont décidés à aller de l'avant, à être anticipateurs des événements, préparateurs des changements. Voilà l'état d'esprit qui est le nôtre. Par ailleurs, je pense qu'il y a des propositions pratiques, concrètes. En tout cas, excusez-moi de vous le dire, pas question de raser gratis.

Mme SINCLAIR : Vous ne l'aviez pas dit. C'est moi qui le disais…

M. LANG : C'est vous qui le disiez, mais je rectifie car, au contraire, je pense qu'il faut absolument dégager des marges de manoeuvre, mener la lutte contre les gaspillages et, en particulier mener la lutte contre les déficits de la dette publique qui est devenue insupportable, ce qui exigera d'ailleurs de notre part toute une série d'initiatives internationales pour faire réévaluer le dollar, pour faire en sorte que nous entreprises ne soient plus pénalisées, et pour faire baisser les taux d'intérêt grâce à une partie de bras de fer avec les Allemands, de telle sorte que la dette publique ne pèse pas aussi lourd sur l'ensemble des finances publiques françaises.

Mme SINCLAIR : J'arrête un peu votre enthousiasme, là, sur le projet économique socialiste dont visiblement vous êtes porteur avec ferveur. Vous travaillez aujourd'hui aux côtés de Lionel Jospin. On a du mal à imaginer deux personnalités aussi différentes que vous et lui. Comme ça se passe ?

M. LANG : Bien. Il a eu la gentillesse de me confier la responsabilité des travaux sur la démocratie. J'ai consacré trois mois, au printemps dernier, sur ce sujet qui me tient à coeur. Je suis un peu un enfant qui a été élevé à l'école de Pierre Mendès France et je crois beaucoup à la démocratie. Nous en sommes loin. Et puis ce que j'apprécie – certes nous sommes différents, nous avons deux styles différents, mais je dis tant mieux ! Il est bon qu'une formation politique soit composée de tempéraments divers, qui puissent se compléter. Chacun a son style, chacun a son tempérament. Mais ce que j'apprécie beaucoup dans la façon dont les choses sont conduites aujourd'hui, c'est le bon climat de travail qui est assuré dans un certain esprit d'amitié qui avait quitté nos murs, voici quelques années, dans un esprit, je dirais, d'unité. C'est très positif.

Je crois qu'un parti politique qui se prépare à gouverner doit le faire sérieusement, avec méthode et nous en avons pris le chemin et on le doit en grande partie à Jospin, mais à tous ceux qui avec lui essayent de préparer notre mouvement et la Gauche en général, à gouverner, et à gouverner dans l'esprit de réussir.

Mme SINCLAIR : Avant de parler de littérature, peut-être d'André Malraux, une question d'actualité que j'ai oublié. La Guyane et les manifestations qui s'y sont produites. Jacques Chirac a demandé qu'on réponde positivement aux revendications des étudiants. Vous dites : tant mieux ? Rapidement, sur le sujet.

M. LANG : Tant mieux, mais pourquoi faut-il que les deux ministres concernés, je crois le ministre de l'Education nationale et le ministre des DOM-TOM…

Mme SINCLAIR : Ils y vont…

M. LANG : Ils auraient dû y être dès aujourd'hui, ou dès hier, et surtout pourquoi avoir abandonné cet endroit sans donner notamment aux jeunes, les moyens de formation dont ils ont besoin. C'est un problème général. Si vous voulez, sur le plan de l'éducation, l'actuel ministre est un homme qui ne manque pas de talent d'expression. Il ne manque pas de bonne volonté, mais malheureusement nous vivons aujourd'hui, depuis quatre ans, dans une sorte d'immobilisme. Rien ne bouge. Parfois même c'est une régression puisque, vous l'avez observé, les postes et les crédits sont dans plusieurs domaines en diminution.

Mme SINCLAIR : Il vous répondra parce qu'il sera à votre place la semaine prochaine.

Alors cette semaine était celle des prix littéraires. Le Goncourt est allée à une femme, à un premier roman et une maison d'édition qui n'a pas l'habitude d'être primée. On voit là donc les images. C'est Pascal Roze pour « Chasseur Zéro », publié par Albin Michel, qui a obtenu le Goncourt.

Puis, transition, c'est dans six jours, samedi prochain, Jack Lang, que André Malraux entrera solennellement au Panthéon. Et vous-même vous publiez cette lettre à André Malraux, chez Hachette, Edition n°1. En effet, vous vous adressez directement à Malraux et c'est à l'homme de lettres, au rebelle ou au ministre que… finalement qui vous fascine le plus ?

M. LANG : Celui qui me fascine le plus, c'est sans doute l'écrivain, homme d'aventure, l'homme qui à travers ses aventures, politiques ou personnelles, en Indochine, en Espagne, un peu partout dans le monde, en France même, a réussi à être, je crois, l'image du rebelle, du révolutionnaire et qui parfois a été, en son temps, préfigurateur et anticipateur.

Mme SINCLAIR : Ce n'est pas un petit peu présomptueux de s'adresser à Malraux ? Et finalement, on ne se sent pas un peu tout petit de dire : « Moi, Jack Lang, voilà, je vous parle. André Malraux. Je vous fais même un certain nombre de reproches ». Cela ne vous a pas gêné, comme genre ?

M. LANG : Il aurait été plus présomptueux d'écrire un livre qui aurait été une sorte de thèse ou une sorte d'ouvrage scientifique, que je n'aurais pas pu d'ailleurs écrire, faute de temps, et par ailleurs il y a le merveilleux ouvrage de Jean Lacouture, une très belle biographie, l'ouvrage que vient de publier Léotard qui est un excellent livre…

Mme SINCLAIR : Vous, c'est un livre d'impulsions…

M. LANG : J'ai eu envie… Justement, j'ai choisi le ton de la lettre, c'est un ton direct, un ton plus humain, un ton plus chaleureux. Je n'ai pas voulu m'adresser à Malraux, comme on s'adresse à un monument. Aujourd'hui, on est en train de le transformer en monument. On le statufie, on le sanctifie. J'ai préféré m'adresser à un être vivant avec toutes ses contradictions, ses moments forts, ses moments plus faibles. Ce que je ne souhaiterais pas, c'est que cette Panthéonisation soit synonyme d'une deuxième mort pour Malraux mais que ce soit, au contraire, le commencement d'une nouvelle vie spirituelle ou intellectuelle. Je ne voudrais pas que l'on écrase sous les couronnes de fleurs à la fois le subversif, le rebelle, dont on pourrait s'inspirer parfois aujourd'hui, et d'autre part l'homme d'ordre qu'il a parfois été, en particulier – et là je n'ai pas été d'accord avec lui – lorsqu'il a été chantre d'une construction en particulier ou d'un régime politique, à mon goût, trop autoritaire ou trop paternaliste qu'il nous faudra un jour réformer.

Mme SINCLAIR : On sent bien dans votre livre que vous vous demandez quels seraient les combats de Malraux aujourd'hui. Est-ce que vous ne sollicitez pas un peu quand vous dites : « Aujourd'hui, le héros des Conquérants, ce serait le sub-Commandante Marcos ou bien aujourd'hui, il prendrait fait et cause pour le zaïre » ? Est-ce que ce n'est pas un peu facile parce que, après tout, on pourrait dire aussi que Les Misérables aujourd'hui seraient des SDT ? On peut toujours tirer toute l'oeuvre littéraire du passé et la transposer aujourd'hui…

M. LANG : Certes, c'est une part d'artifice. En même temps, c'est un homme qui a été pleinement présent dans son temps qui s'est livré – comme le dit Bernard Henri Lévy – à une sorte de corps à corps avec l'histoire. Donc retransplanté aujourd'hui, c'est un homme qui sans doute, vis-à-vis des questions qui se posent à nous, d'impérialisme économique et culturel, des révoltes au Mexique ou en Inde, des sans-papiers ici en France, d'autres phénomènes de société, ce qui se passe dans les banlieues aujourd'hui, ne seraient pas indifférent.

Peut-être il y a une part d'artifice à vouloir lui prêter je ne sais quelle intention ou attitude. D'ailleurs j'ai été assez prudent sur ce plan, il me semble. Non ?

Mme SINCLAIR : vous le signaliez vous-même. Un petit hommage à la biographie de Jean Lacouture au Seuil, et puis à ce très beau livre signé Jean-François Léotard qui s'appelle « Signé Malraux », qui est une biographie mais plus qu'une biographie, une façon de comprendre le Malraux…

M. LANG : Qui est un très beau livre…

Mme SINCLAIR : Faire comprendre un peu ce qui a déterminé un petit garçon qui était entouré de femmes dans une épicerie de la banlieue parisienne et qui, au fond, explique sa revanche sociale et la façon de vouloir être Malraux qui est le plus grand de ses personnages.

M. LANG : C'est fait avec beaucoup de doigté et d'intelligence, comme toujours chez Léotard. Si je puis me permettre, au moment où on va célébrer et sanctifier Malraux…

Mme SINCLAIR : Vous y serez au Panthéon ?

M. LANG : Je crois que j'y serai. Nous y avons été invités les uns et les autres par le Président de la République et nous irons. Nous irons, samedi prochain. Je voudrais dire, quand même, qu'il faut aussi mettre en accord les célébrations avec le présent, question que vous me posiez à l'instant.

Je me suis abstenu, vous le savez, depuis plusieurs années, depuis que j'ai quitté le gouvernement, de mettre en cause mes successeurs ou la politique culturelle. Mais il est un point sur lequel je voudrais lancer un appel. Dans le budget, pour 1997, 30 % des crédits des Monuments Historiques seront supprimés, et les églises, les cathédrales, les monuments vont subir de plein fouet cette diminution. Les Français ont montré à l'automne dernier – ils étaient 8 millions à visiter les monuments historiques – à quel point ils sont attaché à leur patrimoine et à leur histoire.

Et je dis au Président de la République, sur ce point précis, rectifiez le tir. Si vous voulez être fidèle à Malraux, rétablissez les crédits des monuments historiques. Il en va de ces monuments en péril. Il en va aussi des entreprises de restauration, et des métiers d'art, restaurateurs, tailleurs de pierres, et si vous ne prenez pas cette décision, c'est tout un pan de notre mémoire qui risque d'être atteint. Alors faites au moins sur ce plan un geste qui sera, j'en suis sûr, apprécié des Français.

Mme SINCLAIR : C'était l'appel de Jack Lang. Je voudrai, pour terminer, signaler et cela intéressera tous ceux que l'actualité intéresse – et quand on regarde 7 sur 7 on est intéressé par l'actualité – paraît chez Plon un superbe album qui s'appelle La Une, la Une du Monde, les Unes les plus importantes entre 1944 et 1996. Alors, très vite, il y a celle de la mort de Staline, il y a Dien Bien Phu, l'arrivée de Pierre Mendès France, il y a de Gaulle, son élection, son départ, il y a Kennedy assassiné, il y a la lune où on a marché sur la lune, bien sûr, il y a l'élection de François Mitterrand, bien entendu Jack Lang et puis Maastricht, Maastricht qui conditionne beaucoup de notre avenir aujourd'hui pour le meilleur pour certains, pour le pire, pour d'autres et qui nous ramène à la France d'aujourd'hui.

Jack Lang, je vous remercie d'avoir participé à cette émission.

Dimanche prochain, je recevrai François Bayrou.

Dans un instant, le Journal de 20 heures de Claire Chazal.

Merci à tous.

Bonsoir.