Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à France-Inter le 6 décembre 1999, sur le bilan des négociations de l'OMC à Seattle.

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Média : France Inter

Texte intégral

Stéphane Paoli : Est-il possible que la mondialisation s’applique de la même façon au Nord et au Sud ? Aux riches et aux pauvres ? Qu’elle prenne en compte l’économie, le social et l’environnement ? Seattle n’a rien donné. Reste posée la question de la régulation équitable de l’économie du monde et de l’aménagement de la planète.
Invitée de Questions directes, D. Voynet, ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire. Même pas de communiqué à la fin de Seattle ?

Dominique Voynet : Même pas de communiqué, mais est-ce si grave? Je crois que par le passé il est arrivé que cette institution connaisse des retards à l’allumage. Je crois que l’évènement majeur de cette semaine dernière a été découverte par le grand public de ce qu’est l’OMC – l’Organisation Mondiale du Commerce. Une institution relativement récente, particulièrement opaque, particulièrement floue dans ses objectifs. Pour les anglo-saxons, elle a pour vocation de faciliter la libre circulation des biens et des services, pratiquement sans condition. Pour les Européens, il s’agit de réguler et d’organiser le commerce mondial, et s’assurer qu’il permet de sauvegarder l’emploi, dans le respect des règles sociales et de protéger l’environnement.

Stéphane Paoli : Mais alors l’élément nouveau c’est peut-être qu’une partie en tout cas du grand public, mais une partie importante du grand public a dit qu’il n’avait pas envie de l’OMC…

Dominique Voynet : Une partie importante du grand public a dit : pas de commerce sans garanties sur le plan social, sur le plan de l’environnement, sur le plan de l’équilibre du développement entre le Nord et le Sud. C’est vrai que, de façon un peu caricaturale peut-être, certains ont résumé cela en disant : non à l’OMC ! Mais personne n’imagine qu’on pourrait se passer d’une institution pour réguler le commerce. Donc le mot d’ordre qui était majoritairement partagé à Seattle par les mouvements citoyens, par les syndicats, par les paysans – quelle que soit leur nationalité – c’était plutôt oui à un commerce équitable, oui à un commerce qui nous permet de vivre dignement de notre travail.

Stéphane Paoli : Mais comment cela peut-il marcher, car c’est tellement hétérogène ? Quoi de commun entre les riches et les pauvres ? Quoi de commun entre le social et le libéralisme ? Quoi de commun entre l’environnement et la production ? Comment va-t-on faire pour que cela marche ?

Dominique Voynet : C'est ceux qui n’ont pas intérêt à ce qu’on régule le commerce mondial qui insistent sur les divergences d’approche et de points de vue. Je constate dans mon travail de ministre de l’Environnement, tous les jours, des points de convergence tout à fait intéressants entre les pays en voie de développement et les pays riches. Un exemple : les organismes génétiquement manipulées. A la suite de la mobilisation de l’opinion publique au niveau européen, on a vu que nous n’étions pas seuls. Les paysans indiens, les paysans du Brésil sont en train de se mobiliser contre les OGM. Et dans le cadre de la Convention des Nations unies qui est en train d’organiser le commerce des OGM et la libre circulation des OGM, on a vu une convergence d’intérêts entre les pays en voie de développement et l’Union européenne contre six pays qui auraient voulu déréguler, sans aucun contrôle. Evidemment on trouvait parmi ces six pays les Etats-Unis et le Canada.

Stéphane Paoli : En attendant, on les entend assez peu ces pays émergents dans des sommets comme ceux de Seattle. Il y en a qui parlent pour eux, notamment l’Europe.

Dominique Voynet : C’est organisé d’une façon complètement incompréhensible et scandaleuse. C’est-à-dire que vous avez d’un côté 200 délégués américains, des dizaines de délégués européens, et puis chacun des pays en voie de développement est représenté par une, deux, trois personnes qui n’ont évidemment pas la possibilité de se démultiplier dans les divers lieux de la négociation, qui ont très peu d’informations, qui sont obligés de la glaner dans les couloirs, et qui éprouvent beaucoup de difficultés à ne pas se laisser instrumentaliser par les plus puissants d’entre eux – l’Inde, le Pakistan, le Brésil, l’Egypte. Ce sont des pays qui acquièrent dans ces négociations un poids tout à fait considérable. Demain ce sera le cas de la Chine qui rentre à l’OMC et qui s’arroge d’une façon un peu hâtive le droit d’être le porte-parole de ces pays en voie de développement dont les intérêts ne sont pas forcément les mêmes.

Stéphane Paoli : 134 pays, comment cela peut-il marcher ? Il y avait eu une réunion à Genève, juste avant Seattle. On avait vu qu’ils étaient incapables de se mettre d’accord, simplement sur un ordre du jour. Etait-il même concevable d’imaginer qu’en quatre jours, à Seattle, on allait résoudre tous les problèmes ?

Dominique Voynet : Par le passé, les problèmes se sont souvent résolus d’une façon assez spéciale. L’épuisement des négociateurs les conduit à faire des compromis qui leur sont ensuite vigoureusement reprochés par leurs opinions publiques. Ça n’a pas été le cas à Seattle. Le négociateur européen, le français P. Lamy, commissaire en charge du commerce international, a tenu bon, il respecté le mandat qui lui avait été confié par l’Union. Nous avions dit clairement, pour nous qu’il n’y ait pas d’accord à Seattle n’est pas catastrophique. Ce qui le serait c’est qu’il y ait un accord réduit aux acquêts de l’OMC – l’agriculture et les services – sans traitement des nouveaux sujets que sont l’environnement et les droits sociaux.

Stéphane Paoli : Faut il réinventer autre chose ? Madame Barshefsky qui a négocié pour les Américains dit…

Dominique Voynet : Négocié c’est un bien grand mot car Madame Barshefsky, qui était à la fois la négociatrice des Etats-Unis et la présidente de ce round de Seattle, a relativement peu assumé ce rôle ; elle a eu une attitude très…

Stéphane Paoli : Américano-américaine…

Dominique Voynet :  … très centrée sur les intérêts américains.

Stéphane Paoli : Elle a une phrase quand même extraordinaire ; elle a dit :  « Trop de pays, de trop de dossiers, trop de trop » !

Dominique Voynet : C’est faux !

Stéphane Paoli : C’est ce qu’elle dit !

Dominique Voynet : C’est faux ! Comment organiser le commerce au niveau international avec quelques pays seulement et pas avec tout ceux qui sont concernés, notamment les pays en voie de développement qui son en train d’acquérir sur la scène internationale une place en matière de commerce et d’exportation de leurs produits. Non, je crois que jeter le bébé avec l’eau du bain ce n’est pas une bonne chose. Par contre, changer les règles de fonctionnement de l’OMC et faire en sorte que ce travail soit mené de façon plus transparente, avec un contrôle politique plus grand.

Stéphane Paoli : Avec des négociateurs élus ?

Dominique Voynet : Pas forcément mais avec un contrôle politique plus…

Stéphane Paoli : Mais on a tellement vu le rôle des citoyens dans la rue, là… Il y a même eu des questions à Radio-Com d’auditeurs qui nous disaient : ceux qui négocient nous représentent ou ils représentent les intérêts économiques de certaines puissances ?

Dominique Voynet : J’imagine qu’une partie des citoyens considèrent que le représentant de la société civile européenne était plutôt J. Bové que les ministres présents. Il se trouve que ce sont les gouvernements qui concluent des accords, qui marquent leur accord, et qui rendent compte devant le citoyen. Je crois que la pression de la rue, dont je me félicite et sans arrière-pensée, aide à maintenir intacte la vigilance des ministres et des négociateurs. Elle ne peut pas la remplacer.

Stéphane Paoli : Et l’environnement ? On n’en a pas beaucoup parlé là-bas ?

Dominique Voynet : L’environnement, deux problèmes différents : il s’agissait pour nous d’obtenir la reconnaissance des accords multilatéraux sur l’environnement, qui ont été passés dans le cadre des Nations Unies qui nous semble l’instance de régulation internationale la plus légitime, la plus large, la plus vaste. Il s’agissait aussi d’obtenir le respect du "principe de précaution", qu’il s’agisse de décliner ce principe dans le domaine de la sécurité alimentaire ou de la sécurité de l’environnement de façon plus large. Nous y tenon beaucoup, nous ne voulons pas être forcés pour des raisons commerciales à valider n’importe quelle pratique au détriment de la santé des citoyens.

Stéphane Paoli : Les enjeux sont-ils mondialisés maintenant : pour la forêt mondiale, pour la planète, pour la mer, pour l’océan ? Va-t-on commencer à parler de tout cela dans les Sommets ?

Dominique Voynet : Les grandes conventions internationales des Nations Unies traitent de ces questions. Qu’il s’agisse de climats et des effets de serre, de désertification, de protection des forêts, de circulation des déchets dangereux, de protection des animaux en voie de disparition. Ce n’est pas à l’OMC, qui a vocation à s’occuper du commerce, de devenir le nouveau gendarme international en matière d’environnement. Par contre ce gendarme il manque sérieusement. En effet, dans le domaine du travail on a le bureau international du travail – le BIT –, dans le domaine de l’enfance, on a l’UNICEF, dans le domaine de la culture on a l’UNESCO, dans le domaine de l’environnement on a pas de grande structure. Le programme des Nations Unies pour l’environnement n’a pas la même statut, la même légitimité internationale.

Stéphane Paoli : En attendant le rendez-vous de janvier, prions la loupe et regardons ce qui se passe dans le XXe. Vous êtes satisfaite de l’élection de M. Charzat, avec tout de même une participation incroyablement maigre ?

Dominique Voynet : Elle est "maigre" en soi…

Stéphane Paoli : 64 % d’abstention

Dominique Voynet :  …elle est confortable pour ce qui concerne les partielles. Traditionnellement le taux d’abstention et toujours plus élevé. Je note la bonne mobilisation des électeurs de la majorité, les excellents reports des électeurs des Verts et du Parti communiste sur M. Charzat. Mais c’est vrai qu’on ne peut pas tirer énormément de conclusions avec ce qui s’est passé dans le XXe. Peut-être pourrait-on noter qu’il n’y a pas de discrédit par rapport à l’action gouvernementale et peut-être une certaine impatience à l’égard des municipales.

Stéphane Paoli : La bataille de Paris est ouverte ?

Dominique Voynet : La bataille de Paris et probablement ouverte mais ça va se faire de faire de façon assez tranquille, assez sereine. M. Charzat n’avait pas à rougir de son bilan municipal. C’est le cas des maires progressistes dans cette ville. Donc je crois que la bataille de Paris va se préparer très tranquillement.

Stéphane Paoli : Oui ? Vous avez un petit sourire… Bon. Les femmes en politique ?

Dominique Voynet : Elles peuvent être formidables et elles peuvent être aussi médiocres, aussi mesquines que les hommes. On n’est pas…

Stéphane Paoli : C’est la petite phrase de M. Alliot-Marie quand elle a dit : "Je déteste Jospin, je vais le marquer à la culotte"? C’est un peu…

Dominique Voynet : La détestation n’est pas excellent moteur en politique. La foi dans ses propres idées, dans ses convictions, dans sa capacités à mobiliser ses propres troupes, me parait être plus intéressante que la détestation, la haine, ou l’irritation. Moi je souhaite à M. Alliot-Marie d’avoir beaucoup de force de caractère et beaucoup de capacité surtout à entraîner ses compagnons de lutte à s’intéresser à nouveaux aux questions de fond et pas aux petites questions politiciennes qui occupent l’essentiel de la scène depuis deux années maintenant.

Stéphane Paoli : Paris, ça vous fait envie ou pas ?

Dominique Voynet : Pas du tout ! Je crois que c’est vraiment trop de crocodiles dans un petit bocal pour l’instant.