Interviews de M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, à RTL le 8 décembre 1996 et à La Chaîne Info le 12, sur les perspectives d'une politique de sécurité et de défense concertée entre la France et l'Allemagne, la lutte contre le terrorisme, et le projet de conseil de stabilité entre pays de la zone euro.

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Circonstance : 16ème conseil franco-allemand de défense et de sécurité à Nuremberg (Allemagne) le 9 décembre 1996 (sommet franco-allemand)

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde - La Chaîne Info - RTL - Télévision

Texte intégral

Entretien du ministre délégué aux affaires européennes, M. Michel Barnier, au Grand Jury RTL – Le Monde. – Extraits (Paris, 8 décembre 1996)

RTL – Le Monde : (L'Europe et le terrorisme).

Michel Barnier : Demain, à Nuremberg, le chancelier allemand et le Président français évoqueront notamment l'Europe de la sécurité. Il en sera d'ailleurs beaucoup question dans la lettre commune qui sera rendue publique demain, puisque c'est un des enjeux de la Conférence intergouvernementale.

Les autres pays européens sont aussi concernés par les attentats, ce qui n'était pas le cas il y a une dizaine d'années. Lorsque les Brigades Rouges frappaient en Italie, lorsque l'ETA frappait en Espagne, lorsque pesaient les menaces de la fraction année rouge en Allemagne, on n'avait pas le sentiment que les autres étaient concernés. Aujourd'hui, lorsque la France est touchée ou lorsque d'autres le sont, nous sommes tous concernés. Donc nous agissons et nous ripostons ensemble immédiatement par la coopération policière et judiciaire.

RTL – Le Monde : (L'Europe de la sécurité et de la liberté de circulation).

Michel Barnier : J'étais, il y a quarante-huit heures, à Strasbourg avec le secrétaire d'État allemand à l'intérieur pour visiter le système informatique de Schengen.Nous avons là un outil commun à sept pays européens - c'est un début - qui a enregistré, en l'espace de quelques mois, 4,5 millions d'informations européennes non seulement sur les voitures volées, mais aussi sur les personnes recherchées. L'Europe de la sécurité est en marche.

Dans la réforme du traité de l'Union européenne, nous voulons faire du « troisième pilier » un vrai pilier de justice et de liberté. Nous voulons que la liberté de circulation, qui est un grand objectif entre Européens, aille de pair avec la sécurité. Contre la drogue, contre le terrorisme, contre le blanchiment de l'argent, contre les mafias, contre le grand banditisme, nous devons agir ensemble, c'est-à-dire nous àonner un socle de législation et d'action communes.

Visas, asile, émigration, sur ces trois sujets qui touchent à la liberté de circulation, nous voulons progresser si l'on progresse simultanément sur la sécurité.

RTL – Le Monde : (L'Europe est-elle impopulaire ?).

Michel Barnier : Je parcours actuellement beaucoup la France dans le cadre d'un dialogue national qu'Alain Juppé m'a demandé d'engager et je ne rencontre pas l'impopularité que l'on dit. J'ai le sentiment que des hommes politiques utilisent l'Europe et en parlent mal, de manière trop facile et parfois démagogique. Quelquefois, ils se donnent la main dans une sorte de danse du scalp autour du totem. Ce n'est pas bien d'abîmer une telle idée, peut-être la seule grande idée capable de rassembler les Français.

Mais pourquoi voulez-vous personnaliser les choses ?

RTL – Le Monde : ... Mais c'est Helmut Kohl et Jacques Chirac qui l'ont fait. Ils souhaitent qu'une personne incarne...

Michel Barnier : Non, non... Mais vous allez beaucoup plus loin, vous citez des noms. La question n'est pas là, vraiment pas. La question est de savoir si nous serons capables d'avoir, sur quelques grands sujets communs de politique étrangère, nos relations avec la Méditerranée. nos relations avec la Turquie, nos relations avec la Russie, la capacité de parler d'une même voix et que quelqu'un s'exprime. Voilà ce qu'est ce « M. ou cette Mme Politique étrangère », qui doit préparer le travail des quinze pays ensemble, analyser les situations et pas seulement dans la crise ou dans l'urgence. Regardez l'impuissance qu'a été la nôtre en Bosnie jusqu'à ce que Jacques Chirac et John Major réagissent. Eh bien, il faut en tirer les leçons.

RTL – Le Monde : En un mot, les institutions, vous savez que beaucoup de choses sont bloquées pour l'instant. Est-ce que la France est favorable à la disparition du vote à l'unanimité ?

Michel Barnier : Non, nous sommes favorables de voter plus souvent à la majorité. C'est un des points institutionnels en discussion. Je voudrais simplement dire avant que nous nous séparions, qu'on ne peut pas élargir l'Union européenne avec les institutions actuelles. Donc, à partir du travail qu'ont fait les Irlandais, il faut ajouter une ambition et pouvoir élargir l'Union européenne dans quelques années, avec de nouvelles institutions. C'est cela l'enjeu de cette Conférence intergouvernementale, qui n'est pas terminée. Nous avons encore six mois de travail.

RTL – Le Monde : (CIG et réforme des institutions européennes).

Michel Barnier : Il faut faire une vraie réforme institutionnelle. Nous n'aurons pas trop d'une année pour nous comprendre car nous sommes 15 autour de table et nous devons conclure à l'unanimité.

Il faut une commission qui soit vraiment collégiale. Elle est trop nombreuse. On ne sait plus bien qui fait quoi. La France a proposé qu'elle soit réduite à 10 membres.

Il faut un nouveau système de vote au sein du conseil des ministres. Les cinq plus grands pays - Allemagne, France, Italie, Espagne et Angleterre - représentent 300 millions d'habitants sur un total de 360. Or, ces pays ont moins de la moitié des voix. Quand l'Europe sera élargie, ce système de vote sera encore plus injuste. En fonction d'une pondération plus juste, nous sommes prêts à voter moins souvent à l'unanimité et davantage à la majorité qualifiée.

Enfin, la France et l'Allemagne ont proposé une idée très importante celle de la coopération renforcée.

La réforme, sur ces problèmes-là n'avance pas suffisamment. On peut fonctionner avec le statu quo à 15, mais ce ne sera pas possible à 25 ou 27.

RTL – Le Monde : (Manifestations de Belgrade).

Michel Barnier : Ces manifestations sont très impressionnantes et même assez émouvantes. La réponse ne peut être de la part des autorités de Belgrade celle de la force ou de la répression. Nous pouvons dire au président Milosevic et à son gouvernement que nous sommes tous très attentifs et très vigilants. La République fédérale de Yougoslavie, la Serbie demande à la communauté internationale un soutien. L'Union européenne avait elle-même décidé d'accorder un certain nombre d'avantages commerciaux à la Serbie. Il est clair que ces avantages ou ces soutiens économiques et commerciaux ne pourraient pas être accordés à Belgrade si l'on voyait se mettre en place une menace contre la démocratie ou contre ces manifestants. Je pense que les chefs d'État et de gouvernement, à Dublin, parleront entre eux de ce qui se passe à Belgrade et de la réponse commune de l'Union européenne pour préserver toutes les chances de dialogue et de la démocratie en Serbie.


Entretien du ministre délégué aux affaires européennes, Monsieur Michel Barnier, avec LCI - extraits (Paris, 12 décembre 1996)

LCI : Première chose Michel Barnier, le pacte de stabilité, la France - on l'a entendu - veut plus de souplesse que l'Allemagne ; pensez-vous la convaincre et comment ?

Michel Barnier : Les ministres des finances en discutent en ce moment même à Dublin. J'ai bon espoir qu'ils aboutiront ce soir, au terme de leurs discussions, à un accord sur l'un des points de la mise en œuvre de ce pacte de stabilité qui est, en réalité, un pacte de confiance entre les pays qui auront la monnaie unique entre eux. Il faut que la discipline, la cohérence reste solide et que, ayant respecté certains critères, ayant fait certains efforts, la monnaie unique étant créée, on ne reparte pas, ici ou là, dans moins de discipline mettant en cause la solidarité collective. Donc, c'est un pacte de confiance entre les pays qui auront la monnaie unique et c'est une manière de protéger nos entreprises et de protéger aussi les épargnants. Il reste un point - on peut rentrer dans les détails - sur ce que seront les modalités des situations exceptionnelles, parce qu'il peut arriver qu'un pays est une crise, une secousse particulière. J’espère que nous aboutirons ce soir, mais beaucoup de progrès ont déjà été fait, notamment sur une idée, qui était à l'origine une idée française, et que les Allemands ont accepté de mettre en œuvre, qui est le système monétaire européen nouveau qui liera pendant un certain temps les pays qui auront la monnaie unique entre eux et puis ceux qui ne l'auront pas encore. Donc, vous le voyez le dialogue franco-allemand, dont on parle beaucoup, n'est pas déséquilibré et je refuse l'idée qu'on diffuse, ici ou là, d'un pays qui imposerait à l'autre ses conditions. Ce n'est pas comme cela que les choses se passent. J'étais à Nuremberg aux côtés du chef de l'État lundi, avec le chancelier Kohl. Je vous promets que ce dialogue est très équilibré. C'est un dialogue franc, entre amis qui se parlent, qui négocient mais qui ont un souci commun de l'avenir de l'Union européenne.

LCI : Y compris sur les questions monétaires ? On sait que l'Allemagne souhaiterait un euro fort, que la France n'est pas forcément sur cette même ligne.

Michel Barnier : Mais nous souhaitons, nous Français et Allemands et les autres qui nous rejoindrons, un euro, une monnaie unique stable, solide.

LCI : Stable ou forte ?

Michel Barnier : … Solide, fort, que diraient les épargnants aujourd'hui qui nous font confiance, qui attendent et pas seulement les agriculteurs, les employés, les entreprises qui savent le coût des dévaluations compétitives dans le passé, si on leur disait aujourd'hui : « l'euro sera faible » … ? L’euro doit être une monnaie stable, une monnaie qui fasse jeu égal et sinon plus, avec le dollar américain. Mais nous avons une discussion et la France souhaite - le Président de la République le redira sans doute demain et après-demain - que, à côté de la Banque centrale européenne qui restera indépendante, avec ses prérogatives, il y ait la capacité pour les ministres, pour les hommes politiques, de parler d’économie… Il doit y avoir un centre de réflexion et peut-être même de décisions.

LCI : C'est là que l'Allemagne n'est pas d’accord.

Michel Barnier : Mais nous discutons avec eux, je crois que le chancelier Khôl a bien compris se soucie d'un accompagnement politique de la monnaie unique.

LCI : L'Allemagne a des alliés là-dessus, ou c'est un peu tout le monde contre Bonn ?

Michel Barnier : Non, les choses ne se passent pas vraiment comme cela à propos de la monnaie unique future. L'Allemagne a une vision qui tient à la solidité du mark. Mais je crois qu'ils comprennent bien aujourd'hui ce souci, que nous sommes nombreux à exprimer, que les hommes politiques gardent la capacité de réfléchir ensemble, de décider ensemble, du volontarisme économique.

LCI : Un autre dossier qui intéresse les Français après l'attentat du RER : la sécurité. Est-ce que vous pensez comme Charles Pasqua, qu'elle ne fonctionne pas ?

Michel Barnier : Il y a une Europe de la sécurité mais qui est imparfaite, qui fonctionne quand les gouvernements veulent bien travailler ensemble. Je pense à l'Espagne et à la France, quand le terrorisme a frappé l'Espagne. Nous avons beaucoup travaillé ensemble et eu des résultats ensemble. Il y a Schengen entre sept pays seulement de l'Union, qui ont mis leur politique de visas, d'asile. Il y a, à Strasbourg, un ordinateur commun qui enregistre toutes les données, toutes les voitures volées dans ces sept pays, toutes les personnes recherchées. Mais ça ne suffit pas. On peut lutter contre le terrorisme ·et aussi contre la drogue, contre le grand banditisme, contre les mafias, on peut lutter seul, nous le faisons avec nos lois, notre police, notre justice, mais je crois qu'on peut lutter encore plus efficacement si on lutte avec les autres.

Alors dans cette négociation de la Conférence intergouvernementale il y a ce sujet de la sécurité des citoyens qui doit avancer en même temps que celui de la liberté de circulation. C'est un des grands sujets, un des grands chantiers de cette Conférence intergouvernementale.

LCI : Charles Pasqua montre du doigt la Belgique, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, justement, qualifiées de base arrière des réseaux terroriste et islamiste.

Michel Barnier : Moi, je ne veux montrer du doigt personne. Nous avons besoin des Allemands, des Anglais, des Espagnols pour rechercher les personnes qui mettent en cause notre propre sécurité et nous devons être prêts, aussi, à aider les autres, quand il y a des attentats en Allemagne ou en Italie. Le temps n'est pas si loin, souvenez-vous des Brigades Rouges ou d'autres... la bande à Bader en Allemagne. Donc, nous sommes solidaires, c'est une menace globale et l'un des progrès que nous devons faire, Jacques Chirac et Helmut Kohl l'ont dit il y a 3 jours à Nüremberg, porte sur cette Europe de la sécurité qui doit progresser en même temps que la liberté de circulation.

LCI : Alors ils ont dit aussi qu'ils souhaitaient un « M. Politique étrangère » pour mieux représenter l'Europe. Quel serait le profit de cette personne ? Est-ce que Valéry Giscard d'Estaing, par exemple, correspondrait ?

Michel Barnier : La construction européenne a commencé il y a quarante ans, avec la communauté du charbon et de l'acier et je compte sur les doigts d'une demi-main, les occasions de débat populaire. Le seul grand débat qui ait eu lieu est celui de Maastricht. Jacques Chirac garde l'idée de consulter à nouveau les Français sur une nouvelle question liée à la construction européenne. Naturellement pas la monnaie unique, cette question a été tranchée par le vote des Français. Mais les occasions ne manqueront pas. Les nouvelles institutions, l'Europe de la défense, l'élargissement : les sujets ne manqueront pas. C'est au Président de la République de choisir le moment et le sujet.

LCI : (La monnaie unique).

Michel Barnier : L'idée de la monnaie unique est peut-être plus impopulaire chez certains hommes politiques que chez les Français eux-mêmes. Les Français en ont assez des dévaluations des autres pays qui viennent détruire des emplois chez eux. Ils en ont assez de donner de l'argent aux banquiers en commissions de changes.

LCI : (Le bilan de la Conférence intergouvernementale).

Michel Barnier : La ligne de partage au sein des pays européens, dans la Conférence intergouvernementale, est le niveau de l'ambition. On ne peut pas accueillir de nouveaux membres avec les institutions actuelles. à moins de faire de l'Europe une grande zone de libre-échange.

Nous voulons d'une Europe qui soit un marché avec une monnaie unique, mais aussi et surtout une puissance politique, démocratique et culturelle. On ne pourra réussir l'élargissement avec le statu quo que souhaitent beaucoup de nos partenaires. Cela nous permet de dire que l'ambition n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Nous allons donc essayer, à Dublin, et dans les mois qui viennent, de rehausser l'ambition.

LCI : (Politique et monnaie).

Michel Barnier : Nous discutons avec les Allemands. Il est vrai que nous n'avons pas, à propos de la monnaie. la même idée culturelle. Les Allemands sont attachés au mark, parce que le mark est leur épargne. Je ne vois d'ailleurs pas pourquoi nous n'aurions pas le même sentiment. Les Allemands sont très attachés à la stabilité du mark et ils veulent que l'euro soit aussi stable. Nous devons partager ce souci. Nous discutons avec les Allemands sur l'accompagnement politique de la monnaie unique. Je ne crois pas que les gouvernements doivent laisser faire. Le seul conseil d'administration de la Banque centrale européenne et s'en remettre à la seule loi des critères. Les gouvernements doivent garder la capacité de réfléchir ensemble, de se concerter, de donner des impulsions économiques. C'est ce qu'a proposé M. Arthuis avec l'idée d'un conseil de stabilité et de croissance. C'est une idée qui avance et à laquelle tient beaucoup le président de la République. Une banque centrale européenne indépendante aura intérêt à l'échange avec les gouvernements. Cela renforcera son indépendance.

M. Giscard d'Estaing ne suit plus ces questions depuis quelque temps et je crois qu'il ne mesure pas bien le degré d'équilibre et de franchise du dialogue entre le chancelier Kohl et le président de la République. La France dialogue de manière très équilibrée avec l'Allemagne et les autres pays.