Texte intégral
Mes chers collègues, mes chers amis, monsieur le ministre.
Monsieur le ministre, le forum que vous honorez de votre présence et que vous allez ouvrir dans un instant se doit d’être exemplaire. Parce qu’il a été organisé en partenariat avec les acteurs directs du secteur, les associations et les syndicats professionnels des biotechnologies et de l’industrie pharmaceutique, mais aussi et surtout avec les jeunes. Avec les doctorants, avec les jeunes docteurs et je voudrais saluer l’implication forte de l’association Biodoc. La présence, monsieur le ministre, massive de jeunes dans cet amphithéâtre porte témoignage que ce forum est bien leur réunion. La deuxième raison réside dans le secteur des biotechnologies. Les biotechnologies sont au cœur des technologies nouvelles et nous savons l’intérêt que vous portez à ces technologies, les biotechnologies sont en effet porteuses de richesses, en biens, en services dans le secteur de la santé, dans le secteur de l’agro-industrie et dans la possibilité de traiter un certain nombre de problèmes liés à l’environnement, mais c’est surtout parce que les biotechnologies sont une richesse pour l’emploi et l’emploi hautement qualifié. Les biotechnologies peuvent en effet offrir aux jeunes diplômés de l’université française et aux plus diplômés d’entre eux, c’est-à-dire aux docteurs, des emplois. Enfin, troisième raison, certains esprits chagrins pourraient nous interpeller en disant : pourquoi organiser un forum sur les formations et les métiers des biotechnologies, alors même que ce secteur est encore insuffisamment développé dans le tissu industriel de notre pays. Alors, monsieur le ministre, pour reprendre une déclaration que vous faites en indiquant qu’il est nécessaire de créer une industrie de l’éducation, nous pensons que nous ne mettons pas la charrue avant les bœufs en organisant un forum sur les métiers des biotechnologies. C’est en effet en essayant de détecter ces nouveaux métiers et en y adaptant les formations que nous pouvons contribuer à développer ce secteur très important.
Ce forum est le premier. Déjà un deuxième est envisagé, c’est pour ça aussi qu’il doit être exemplaire, et sur ce deuxième forum, l’université d’Auvergne qui est pressentie pour en assurer l’organisation s’est déjà fortement mobilisée.
Claude Allègre : Monsieur le directeur, mesdames, messieurs, lorsqu’on devient ministre, il y a une recette que développait autrefois Bernard Potier, qui disait : dans un premier temps vous critiquez ce qu’a fait votre prédécesseur, cela vous donne deux mois, ensuite vous organisez un colloque sur la recherche, cela vous donne six mois, et puis si cela ne donne toujours rien, vous recommencez. Comme vous voyez, je n’ai pas tout à fait cette méthode d’approche. Je regarde les choses qui me paraissent être bonnes, utiles et importantes dans ce qui a été fait avant moi et je n’ai aucun scrupule à continuer le travail qui a déjà été fait. Voilà un exemple de cette attitude : le forum des biotechnologies, qui a été préparé par le ministère et par les acteurs des biotechnologies, bien avant qu’il y ait un changement de gouvernement, était une bonne initiative et je voulais marquer par ma présence le fait que, d’une part, je soutenais complètement cette initiative et que, d’autre part, je continuerai à soutenir ce secteur. D’abord, puisqu’il y a beaucoup de gens très jeunes dans cette salle, ce qui est réconfortant et sympathique et en même temps très encourageant, je voudrais simplement rappeler un petit épisode et à partir de là essayer d’en tirer une leçon. Il s’est trouvé que j’appartiens à la génération qui a vu le développement de la biologie moléculaire bien que ma spécialité n’était pas dans ce domaine. Comme vous le savez tous j’espère, les équipes françaises ont joué un rôle très important, et notamment Jacques Monod. Jacques Monod, quelque temps après avoir obtenu, avec François Jacob et André Le Goff le prix Nobel, a écrit un livre « Le Hasard et la nécessité » qui a été un best-seller en son temps, dans lequel il disait : « Quand on rêve de pouvoir modifier le code génétique ou l’ADN, c’est un rêve vain car on n’y arrivera jamais. » Et il expliquait par le détail pourquoi on ne pouvait pas arriver à cela. Cinq ans après, il y a eu les premières manipulations génétiques, sans aucune mesure avec ce qu’il imaginait, c’est-à-dire qu’il imaginait que ces manipulations se feraient avec un scalpel atomique ou ionique, et naturellement les manipulations génétiques ont eu lieu avec des techniques purement biologiques qui n’avaient plus rien à voir avec les ciseaux moléculaires. Donc ceci, simplement pour vous montrer à quel point la recherche est quelque chose d’imprévu, de soudain et de non-conventionnel. Je dis parfois que l’électricité n’a pas été inventée à la suite d’un programme interministériel sur le développement de la bougie. Par conséquent, dites-vous bien que dans tous les programmes organisés par tous les ministères du monde, le futur de la biotechnologie est dans vos têtes, dans votre imagination, dans votre esprit d’initiative, dans l’idée que vous aurez pour inventer de nouvelles expériences, de nouvelles technologies et probablement – je parle surtout aux plus jeunes dans cette salle – quand vous aurez cette idée, et que votre professeur, votre directeur, vos collègues, vous diront qu’elle est idiote. À moins que, dans les créations scientifiques, on commence par vous dire, si vous avez une idée vraiment originale, elle est fausse, cela ne peut pas marcher. Ensuite on vous dit, si jamais vous persévérez : ça n’a aucun intérêt. Et puis vous continuez, on dit : il y a déjà quelqu’un qui a eu cette idée avant vous. Alors il faut passer outre, il faut croire à ce qu’on a envie de faire, et c’est comme cela qu’on réussit à faire quelque chose. D’une manière générale, dites-vous bien et ce que je vais vous dire est terrible, chaque fois que vous avez une idée, si vous avez des applaudissements unanimes, c’est que cette idée est une moyenne de l’opinion traditionnelle et probablement qu’elle n’est pas très originale. Si des gens commencent à vous dire que ça ne marche pas, c’est peut-être que vous avez une idée originale, mais ce n’est pas garanti, parce qu’il y a aussi des idées idiotes. Donc la difficulté d’inventer, c’est de trouver l’originalité, la persévérance, la force de ce que l’on croit, mais de ne pas perdre son temps dans des idées ridicules.
Les biotechnologies – vous êtes donc tous rassemblés dans ce cadre – ont un double intérêt qu’il ne faut jamais oublier. C’est à la fois une merveilleuse technique pour faire de la recherche fondamentale et c’est une technique pour comprendre le vivant. Vous avez la chance de vivre dans une période formidable qui est cette période où on explore le vivant, avec des méthodes totalement originales, le développement de la biologie n’imite en rien le développement de la physique, même de la chimie. Ce sont des techniques spécifiques, c’est un mode de raisonnement extrêmement abstrait et qui pourtant ne fait pas appel à un immense appareil mathématique. C’est donc une exploration complètement nouvelle et d’ailleurs il est assez intéressant de regarder que les deux grands domaines qui se sont développés ces dernières années, c’est-à-dire la biologie et l’informatique sont toutes les deux basées sur un mode de raisonnement qui est la combinatoire. Ce sont de petites opérations élémentaires mais qui combinées à la fois en séquences et dans l’espace finissent par donner une véritable révolution. Donc vous êtes au cœur de cette révolution des biotechnologies qui, je le disais d’abord, a un intérêt de recherche fondamentale. Et en même temps un intérêt considérable de recherche appliquée, puisqu’on peut, à l’aide des biotechnologies, soigner, trouver de nouveaux médicaments, de nouvelles plantes, détecter des maladies, séquencer et connaître davantage le génome humain. Bref, des perspectives immenses et qui je vous l’assure, pour quelqu’un de ma génération, n’étaient même pas pensables il y a seulement vingt-cinq ans. C’est une perspective extraordinaire. Donc je voudrais d’abord dire à tous que vous vivez, et naturellement vous ne l’appréciez pas parce que quand on vit un événement on ne l’apprécie pas pleinement, que vous vivez une période extraordinaire, que vous vivez un âge d’or du développement de la biologie. Là aussi je ne voudrais pas revenir à un problème d’histoire. On a cru avant la naissance des biotechnologies, que la biologie moléculaire était tombée dans un creux parce qu’on disait – c’était l’aphorisme de François Jacob : tout ce qui est vrai pour la bactérie est vrai pour l’éléphant – qu’à partir du moment où on avait compris le fonctionnement des chérichiacolies, très rapidement on allait tout comprendre. On s’est aperçu, comme le dit Pierre Chambon, que ce qui est vrai pour l’éléphant parfois n’est même pas vrai pour la bactérie. Donc les choses sont beaucoup plus compliquées et c’est cette richesse qui a été découverte. La biologie moléculaire s’est tassée et puis il y a eu les manipulations génétiques, et puis il y a eu cet extraordinaire essor des biotechnologies. Et vous êtes maintenant au cœur d’une discipline qui est à la fois une discipline fondamentale et appliquée. Il ne faut surtout pas perdre ce double aspect, et il n’y a pas d’aspect noble et d’aspect non noble. Tout est noble là-dedans. Trouver un médicament pour soigner des millions d’hommes, c’est aussi noble que de trouver le code de je ne sais quel bout d’ARN ou d’ADN.
Bien sûr l’Europe a joué un rôle fondamental dans le développement de la biologie moléculaire, et je comprends l’amertume de gens qui sont mes contemporains, qui constatent que sur le plan des biotechnologies, l’Europe n’a pas tout à fait suivi cette essor. On me donnait des chiffres, il y a dans les biotechnologies à peu près 150 000 personnes employées aux États-Unis, pour toute l’Europe il y en a à peine 30 000. Donc cela veut dire que pour un marché qui est plus grand que le marché américain, le développement n’est pas suffisant. En même temps il n’est pas ridicule. Et je voudrais vous dire que la situation française est à la fois bonne et mauvaise. Elle est insuffisante, mais la recherche faite dans ce secteur est de grande qualité et reconnue mondialement. Donc vous n’êtes pas en train de courir derrière l’Amérique. Vous êtes sur un chemin, en même temps que les chercheurs américains. Vous avez des laboratoires excellents, vous avez des leaders reconnus mondialement. Mais maintenant il faut faire en sorte que cette recherche, qui est tout à fait remarquable, se transfère – et j’ai cru comprendre que c’était le but de ce forum – vers des applications, vers une véritable industrie, vers le développement de PME-PMI innovantes. Et c’est ce à quoi ce forum est dédié, et c’est à cela, que nous voulons contribuer avec les moyens dont nous disposons. D’abord, en donnant des moyens pour créer des entreprises ou développer des entreprises. Je dirai donc plusieurs choses. D’abord les biotechnologies sont au cœur des priorités du développement technologique et scientifique du gouvernement. Comment inciter, comment faire en sorte que des créations d’entreprises se fassent ? D’abord je dirai, contrairement à ce que peut-être on a tendance à penser en France, que cela dépend d’abord de vous. Ne vous attendez pas à ce que nous fabriquions une mécanique, une machine à sous de fabrication d’entreprises. Ce que nous pouvons faire, c’est bâtir un environnement, des mesures qui permettent la création d’entreprises. Mais des entreprises qui seraient créées par un processus bureaucratique auraient peu de chances de survivre dans la compétition à la fois économique et scientifique. Donc la première chose c’est à vous de prendre l’initiative. Mais je sais aussi que, tout comme moi, vous êtres les descendants de ceux qui n’ont pas traversé l’Atlantique, donc le rêve du cow-boy partant vers l’ouest, ce n’est pas ce qui a animé votre jeunesse. Par conséquent, vous avez tous tendance à dire : mais si je fais ça, comment ça se passera, est-ce que je serai assuré, est-ce que je ne vais pas me retrouver à la rue, est-ce que je ne vais pas me trouver en prison parce que j’aurai fait faillite, etc. Par conséquent, je sais ça aussi et c’est pour cela que nous devons mettre sur pied un certain nombre de mécanismes qui permettent d’inciter à cette création d’entreprises. Nous mettrons en place très prochainement, avec mon collègue Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, un système de capital-risque pour les doctorants, c’est-à-dire un système qui permettra à ceux qui s’en sentent capables, à la fin de leur thèse, de créer des entreprises, seul ou à plusieurs. Et, parallèlement à cela, nous allons accélérer les efforts, à la fois législatifs et à la fois universitaires, pour mettre les jeunes en état de créer ces entreprises. Ça veut dire d’abord que la législation sur les stock-options pour les entreprises innovantes va être rétablie à cette session parlementaire comme elle était. C’est une mauvaise action de la majorité précédente qui n’était pas à une contradiction près et qui tout en se vantant de libéralisme avait taxé les stock-options ; ceci rendait impossible la création d’entreprises innovantes parce que, naturellement, si vous n’avez pas le système des stock-options vous êtes obligés d’avoir une masse salariale extrêmement élevée. Donc rétablissement des stock-options. Deuxièmement, un système juridique qui permettra d’avoir accès à ce capital auquel vous avez droit si vous voulez créer une entreprise.
Mais il y a tout un problème d’ordre juridique. C’est pourquoi nous avons demandé à l’ANVAR d’accélérer la mise en place de cellules qui permettront de conseiller ceux qui veulent créer des entreprises, de les aider, de leur donner un support administratif. Et puis, ce qui existe aussi dans certains endroits – par exemple au troisième cycle de biologie moléculaire de Paris VI-Paris VII, mais également à l’université de Clermont-Ferrand –, de faire en sorte qu’à l’intérieur des études de biologie moléculaire et de biotechnologie, vous ayez, les uns et les autres, des bases de formation financière et juridique pour savoir comment on peut monter une entreprise, comment on peut entreprendre des choses, comment on peut fabriquer un fonds de développement. Là-dessus, je lis souvent des choses, y compris de la part de scientifiques tout à fait respectables et éminents, disant : en France les banques ne prennent pas de risques. Alors je vous rassure tout de suite, les banques américaines ne prennent pas de risques non plus. Le capital-risque, ce ne sont pas les banques, contrairement à ce qu’une vision naïve peut faire penser. L’adage : les banques ne prêtent qu’aux riches, c’est vrai en Amérique comme c’est vrai ici. Donc ce n’est pas là que se situe le capital-risque. Il se situe par une mise en commun – dans une université que je connais bien, le MIT –, dans laquelle des professeurs deviennent eux-mêmes les participants du capital-risque. Lorsqu’ils voient un de leurs collègues éminents créer une entreprise, ils croient à ses talents et ils donnent de l’argent pour cette création d’entreprise. Donc l’État va aider mais il y a un développement important de ce capital-risque qui est distinct du problème bancaire proprement dit. Encore faut-il que le système bancaire permettre aux PME-PMI d’élaborer un système de prêt qui ne soit pas à des taux qui découragent le développement de l’entreprise. Nous avons demandé à Henri Guillaume, qui est l’ancien président de l’ANVAR, de faire un rapport pour favoriser la création d’entreprises. La deuxième chose que nous allons faire dans ce domaine, c’est que sur un certain nombre de zones en France – je n’aime pas bien appeler ça des zones franches technologiques – des dispositions fiscales permettent aux entreprises innovantes d’être exonérées d’un certain nombre de charges, soit sur le paiement des brevets qui seraient payés par l’État, soit sur des exonérations de charges. Nous sommes en train de travailler d’une manière très intense sur cette question de création d’entreprises. Mais tous les jeunes, tous les chercheurs ne vont pas créer des entreprises non plus. Le deuxième point est la mobilité des chercheurs, des organismes de recherche vers l’industrie, et pourquoi pas dans les deux sens. Nous allons faire en sorte que les chercheurs soient encouragés à travailler en liaison avec le privé, que la réglementation soit moins contraignante et moins tatillonne. Par exemple on pourrait admettre, pour encourager la création d’entreprises, non pas cette fois au niveau des chercheurs mais des leaders d’équipes, de donner, comme c’est le cas dans certaines universités américaines, une franchise d’un ou deux ans. Elle permettrait d’utiliser les moyens du laboratoire pour créer son entreprise, étant entendu qu’après un certain temps l’entreprise devrait aller s’installer en dehors du laboratoire. Donc il y a là tout un système qui doit être sûrement repensé.
Je crois que vous avez aussi, dans ce secteur des biotechnologies à vous préoccuper de questions de management, de questions financières, à favoriser la création d’entreprises, permettre des liens entre les laboratoires publics et les laboratoires privés, permettre une mobilité des hommes, parce que c’est la seule manière de transférer vraiment de la technologie. Mais vous avez aussi à vous préoccuper des problèmes d’éthique. Il faudrait faire très attention au problème suivant : les problèmes d’éthique existent en biotechnologie. C’est vrai qu’il y a des risques quand on manipule des organismes. Lorsqu’on manipule des molécules, on a des risques de faire naître des choses étranges, y compris des virus. Il ne faut pas le nier. Le nier c’est aller contre le mur. D’un autre côté, il faut faire attention, ce risque il ne faut ni le nier ni le refuser. Nous vivons dans une société à risques. Le risque zéro n’existe pas. Mais il ne faudrait surtout pas que nous nous trouvions dans un monde dans lequel nous Français, parce que nous sommes purs et durs, nous refusions un certain nombre de manipulations génétiques, par exemple sur le maïs, et qu’en même temps nous importions le maïs américain obtenu par les mêmes manipulations. Car c’est ce qui est en train de nous guetter. L’éthique en Europe est un problème des Européens, qu’ils doivent aborder encore une fois avec vigueur, mais sans naïveté. Et vous êtes au début d’une grande compétition économique mondiale, avec ces technologies, donc il vous faut vous préoccuper des questions d’éthique. Il faut vous en préoccuper rigoureusement, mais elles doivent se traduire des deux côtés de l’Atlantique, et quand il y a un certain nombre de choses anormales, il faut aller le dire ailleurs.
Je voudrais terminer en posant une autre problématique, qui n’est pas souvent posée mais que nous avons essayé d’initier récemment avec madame Briand au cours d’un voyage à l’étranger. Je crois que le monde est un village. La recherche française est une recherche de qualité, mais nous avons un peu de mal à la transformer en commerce. Pourquoi ne pas s’associer, sous forme de laboratoires mixtes qui seraient faits non pas en France mais dans d’autres pays. Nous allons essayer de créer un laboratoire mixte franco-indien dans les biotechnologies, dans lequel il y aura des chercheurs français et indiens qui travailleront en Inde et qui pourront essayer de développer derrière une industrie de la biotechnologie. Ce qu’on fait en Inde, pourquoi ne pas le faire en Russie, pourquoi ne pas le faire en Chine, pourquoi ne pas le faire au Japon, et pourquoi ne pas le faire en Amérique ? Donc la capacité des chercheurs français, dorénavant ce n’est pas seulement la fabrication de produits commerciaux et industriels, c’est aussi la fabrication de matière grise. Et par conséquent il faut penser à ce problème largement. Autrement dit, dans les créations d’entreprises, il y a les créations d’entreprises ici, mais il y a les créations d’entreprises ailleurs. Peut-être apprendrons-nous un certain nombre d’habitudes et peut-être serons-nous des acteurs de cette mutation générale.
Voilà ce que je voulais vous dire, en vous assurant que de toute manière il y aura un soutien des initiatives telles qu’elles ont été amorcées pour lesquelles je veux féliciter les deux personnes qui sont autour de moi et qui ne sont pas étrangères à cela. Je crois qu’il y a une volonté de la part de beaucoup d’industriels français de se lancer dans ce domaine, il va y avoir près d’Evry un centre sur le séquençage du génome humain, qui va se développer en partenariat entre le secteur universitaire, le secteur médical, le secteur industriel, le CNRS. Je pense que des pôles de ce type vont se développer en France. J’ai vu déjà qu’il s’en développait un grand nombre. Il y a le côté agricole qui est un problème très important, il y a le côté santé… Donc vous avez un champ extraordinaire devant vous, champ qui sera soutenu et qui je pense bénéficiera d’une grande priorité de la part eu gouvernement. Ce que je voulais vous dire en ouvrant ce colloque, c’est vous souhaiter bonne chance et vous dire qu’en tant que ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, je puis assurer à tous un soutien complet dans vos entreprises, de la part du gouvernement, en n’oubliant jamais ce proverbe français : aide-toi, le ciel t’aidera.
M. Alary : En préambule, je voudrais remercier les organisateurs de ce colloque de nous avoir invités à partager avec vous quelques idées introductives sur ces deux jours de discussions. Quelques idées sur les mutations profondes que vivent les biotechnologies appliquées aux sciences de la vie et notamment en Europe. Nous sommes un cabinet de consultants en management et technologie, ce qui nous donne une perspective double sur les biotechnologies. Premièrement, nous avons un recul et une vision des tendances industrielles lourdes depuis des années, dans le monde entier, en matière de stratégie, d’investissement, de partenariat, d’orientation de programmes R&D, de financement. Mais nous avons aussi une perception à travers les projets que nous menons des compétences, c’est-à-dire le savoir-faire, la formation, mais aussi le savoir-être, c’est-à-dire la manière de mettre en œuvre les compétences, les qualités personnelles. Et c’est bien sûr plutôt sur ce deuxième aspect que je vais insister. Nous avons nous-mêmes trois centres de recherche, ce qui est assez inhabituel pour des consultants, ce qui nous donne une coloration R&D particulière dans le monde des consultants.
Je voudrais vous montrer quelques chiffres. Je ferai très rapidement un survol des chiffres-clés de ce secteur des biotechnologies au sens large, ensuite je parlerai des métiers principaux des biotechnologies aujourd’hui, et nous avons identifié cinq catégories, et je terminerai en donnant quelques idées sur les tendances qui se dégagent, en insistant encore une fois plus particulièrement sur les qualités, les compétences, savoir-faire et savoir-être qui nous paraissent cruciaux pour réussir dans les métiers de la biotechnologie.
Alors pour faire écho à la remarque de monsieur Allègre, c’est vrai que le constat de départ est un constat de retard. Retard en Europe du secteur des biotechnologies par rapport aux États-Unis, que l’on mesure par différents indicateurs, que ce soit le nombre d’entreprises, que ce soit le chiffre d’affaires généré par ces entreprises, que ce soit les dépenses de R&D qui sont bien évidemment un indicateur important de la découverte, du succès commercial ultime. Et que ce soit également par exemple par le nombre d’entreprises de biotechnologie en Europe, avec une certaine avance que vous connaissez certainement au Royaume-Uni, qui est un pays où le financement est plus abondant, se dirige plus volontiers vers ses firmes, et où les entreprises se créent peut-être de manière plus facile que dans d’autres pays d’Europe.
Si on regarde depuis vingt ans, quelles sont les applications aujourd’hui des biotechnologies, eh bien la grande part, ce sont les applications pharmaceutiques, médicales, biologiques, diagnostiques, disons dans le monde de la santé. Mais il y a évidemment une tranche non négligeable qui est celle de l’agriculture, les semences, les plantes transgéniques, les applications tout à fait étonnantes, moins visibles encore que les applications médicales mais qui certainement dans les années à venir seront amenées à prendre un essor considérable. Pour ce qui est de la partie médicale, il y a déjà sans doute beaucoup de produits qui sont soit commercialisés par des grandes firmes internationales, françaises, allemandes, américaines, mais aussi beaucoup de produits en développement, de plus en plus, par des firmes parfois petites, indépendantes, ou par des firmes affiliées à des grandes sociétés multinationales et ce qui caractérise souvent ces nouveaux produits, c’est qu’ils s’adressent à des indications, à des applications médicales non satisfaites jusqu’à présent, donc a priori des innovations véritables. Et leur nombre ne fait qu’augmenter. Donc c’est un témoin, un signe qu’effectivement les biotechnologies, après environ 20 ou 25 ans de démarrage, commencent à produire et à mettre sur le marché des applications des produits qui sont de véritables innovations et qui apportent une valeur ajoutée considérable dans le domaine médical.
Ce retard, c’est vrai que c’est une course, une globalisation, une compétition mondiale. Si on regarde quelques indicateurs d’activités, c’est vrai que par exemple les dépenses de recherche par employé, les compagnies européennes sont peut-être un peu derrière les compagnies américaines, mais il y a des dépenses considérables faites également en Europe, des dépenses énormes, des risques considérables pris, et là encore ce retard n’est nullement un handicap définitif. Avec l’incertitude qui pèse de toute façon par définition sur la recherche, même si l’on part plus tard, on n’a pas forcément moins de chances de découvrir et de trouver des applications majeures.
Alors l’Europe est quand même un continent où les biotechnologies sont en train d’exploser. L’année 96 a probablement été un tournant, les liens entre les centres de recherche et d’enseignement et les firmes sont de plus en plus étroits, ils se multiplient, ils se resserrent. Le taux de retour sur investissements élevés que connaît ce secteur attire de plus en plus d’investisseurs. Par exemple il y a dix, treize ans, en Angleterre le montant des financements atteignait quelque chose comme six à sept millions de livres, on en est aujourd’hui à presque deux cents millions de livres et ce chiffre est plutôt dans une courbe exponentielle. Les compagnies américaines investissent de plus en plus sur le marché européen, ils ont peut-être une longueur d’avance, ils ont plus d’argent, le marché européen est un énorme marché, ils sont loin de le négliger, ils y investissent. Et puis il y a une création massive de micro-entreprises, de mono-entreprises qui en fait sont un peu le tissu et sont certainement une force vitale considérable pour le développement des biotechnologies en Europe.
Alors il y a l’autre face de la pièce, il y a des obstacles considérables à ce développement en Europe. La législation européenne sur les OGN n’est pas souple, loin de là. Elle est certainement un frein et un obstacle, sans jugement éthique de ma part, c’est une constatation. La protection des brevets est une chose essentielle, c’est le cœur de l’activité, les investisseurs, le succès commercial ultime ne peut dépendre que de brevets garantis. Il y a évidemment une composante de l’opinion publique qui de manière diffuse a peur des biotechnologies. Il y a donc un effort considérable des industriels, de la recherche, des chercheurs, à populariser, si je puis dire, à faire des efforts pour améliorer l’image et communiquer ce qu’est la biotechnologie, en pratique qu’est-ce que c’est.
Les entreprises pharmaceutiques européennes sont les principaux sponsors, les principaux financiers des entreprises de biotechnologie et il y a un petit risque pour elles de disparaître. De toute façon dans les phases émergentes il y a beaucoup d’entreprises qui naissent, beaucoup d’entreprises qui meurent, c’est normal et c’est vrai que ce sont probablement les grands groupes européens qui, au vu des succès de certaines sociétés, peuvent finalement les absorber. Il y a déjà pas mal d’exemples qui se sont produits.
Je voudrais parler maintenant des métiers. Quels sont les principaux métiers de ce secteur des biotechnologies ? Encore des chiffres pour démarrer qui font écho à ce qui a été déjà dit ce matin, c’est qu’effectivement c’est un petit secteur, et qui dit petit secteur émergent dit que les métiers ne sont pas vraiment stabilisés, c’est-à-dire qu’on ne peut pas décrire de manière homogène comme on le ferait dans une industrie solide, stable, énorme et industrie mature, comma la métallurgie, l’automobile, des métiers bien décrits. Ici on est dans des petites entreprises où certes les personnes ont des métiers, des formations, mais sont parfois amenées à faire des choses diverses. J’ai regroupé les métiers en cinq entités, avec encore une fois la précaution de dire : attention, il y a beaucoup de pointillés entre tous ces métiers. Il y a des métiers de recherche, de découverte, de développement, évidemment, qui sont à la base de tout. Il y a ensuite des métiers qu’on pourrait appeler la protection des brevets, la gestion des contrats, la valorisation de la découverte, éminemment importants. Il y a évidemment le financement, qui englobe ici le financement initial, le financement des nouveaux projets, la gestion de la trésorerie, le retour sur investissement. Il y a évidemment à soi tout seul une rubrique qui est le management, la gestion au quotidien des biotechnologies. Et enfin il y a tout ce qui est le tissu autour de l’entreprise elle-même qui sont les consultants, les conseils, les partenaires.
Il n’y a pas dans cette liste les métiers de l’information, l’informatique, la bio-informatique, qui sont évidemment des outils essentiels et en pleine mutation. C’est vrai que ces métiers de l’information sont des connaissances de base de nos jours qui sont incorporées et incluses dans les autres métiers. Des chercheurs, des managers qui ne posséderaient pas des connaissances importantes dans le domaine de l’information, de la bio-information, des bio-informatiques, seraient probablement dépourvus de compétences de base. Alors je vais peut-être enfoncer des portes ouvertes, à savoir que les métiers de la recherche, de la découverte, connaissent une complexification croissante. C’est un métier de participation, de direction de programmes de recherche, souvent très pointus, souvent les chercheurs sont à l’origine de l’entreprise elle-même. Donc ce n’est pas simplement de la recherche pure, fondamentale, c’est de la recherche appliquée, c’est aussi de la recherche en vue de la création d’une entreprise, c’est-à-dire d’une valeur qui se concrétise autour de la création d’une entreprise. Évidemment les techniques évoluent de manière considérable, imprévue, imprévisible. Qui dira, pour faire écho à ce que disait monsieur Allègre ce qui dans trois ans (…). Donc il y a une pénurie importante, ce qui est une bonne nouvelle en un sens, de chercheurs qualifiés. Les qualités recherchées, c’est-à-dire plus sur le côté compétences, le savoir-faire mais le savoir-être aussi, c’est évidemment la formation de base qui doit être extrêmement adaptée aux besoins. C’est la maîtrise des techniques, c’est la remise en question fréquente, c’est la capacité de gérer des projets complexes. Gérer un projet c’est difficile parce que ça suppose en même temps de l’anticipation, du pragmatisme, des priorités, c’est une chose très difficile parfois pour certains chercheurs. Une formation permanente c’est une remise en question à tous moments et cette notion de persistance et de vision, pour tirer les cinq qualités essentielles que je vois dans les métiers de la biotechnologie.
Pour ce qui est de la protection des brevets et des contrats, c’est un métier qui est bien connu, il y a des juristes spécialistes des brevets, le droit des brevets est relativement bien connu, donc il n’y a pas à proprement parler de spécificité en biotechnologie, sauf qu’il faut une compétence technique dans le domaine. J’attirerai peut-être votre attention sur ce sujet : la compréhension des contraintes du business, notamment la liberté d’opérer « freedom to operate » qui est un terme très important dans le monde des biotechnologies, c’est-à-dire la capacité, lorsqu’une entreprise se lance, d’imaginer que son futur n’est pas bloqué par des positions intellectuelles de brevets par d’autres. Donc ne pas se lancer dans des programmes coûteux, risqués, s’apercevoir au bout d’un certain temps que finalement on ne peut pas avancer dans telle direction parce qu’il y a une autre équipe, ou une autre société qui a déposé des brevets ou qui a pris des positions qui bloquent. C’est un sujet absolument majeur. Sinon ce sont des métiers où il faut gérer des relations avec des organismes de recherche publics, parapublics, il faut gérer des relations avec des partenaires. Les qualités recherchées ici sont des capacités aussi d’innovation, de négociation, outres les capacités techniques bien sûr, un suivi de l’évolution des textes, qui bougent assez vite.
La situation du marché est à peu près la même pour la recherche. Il y a peu de spécialistes juridiques qui ont une expérience de la biotechnologie. La demande est très forte et un grand connaisseur, quelqu’un qui a une vision et une connaissance d’un secteur des biotechnologies, du monde concurrentiel, et de l’aspect juridique, est une personne rare, qui vaut très cher.
Alors, bien sûr, parlons de finances. La finance c’est le financement d’abord. Le financement initial, la conviction de l’investisseur qui n’est pas toujours la banque, qui sont des fonds d’investissement, des personnes privées, des collègues, des collatéraux qui croient dans le projet et investissent. Le financier, dans la biotechnologie, c’est quelqu’un qui communique d’abord, avec les investisseurs potentiels, il prépare, il écrit des documents qui essaient de convaincre les investisseurs, il participe activement aux levées de fonds, il a une activité financière normal dans l’entreprise de gestion des finances de l’entreprise, bien évidemment. Ici il faut évidemment être un très bon financier. Il faut connaître les mécanismes très nombreux de levées de fonds sur différents marchés, en fonction des différents canaux de financement qui existent, selon les pays, selon les types de fonds disponibles. Il faut une capacité de vente, c’est-à-dire de conviction. La vente d’un projet de recherche c’est pas de la vente à proprement parler mais ça en est quand même, c’est de la conviction, c’est être capable de dire : mon projet a tel risque, telles opportunités, mais in fine vous pouvez investir parce que voici les perspectives. Il faut aussi de l’innovation, il y a des montages financiers complexes. Il y a des manières originales et diverses de drainer l’argent nécessaire qui doit s’investir dans les biotechnologies plutôt que d’aller dans d’autres secteurs. C’est une compétitivité permanente du placement de l’argent. Ici, il y a relativement peu de spécialistes, mais ce ne sont pas les techniques qui manquent. Les financiers sont parmi les gens les plus adroits et inventifs qui voient donc je pense qu’il n’y a pas de souci majeur à se faire sur les techniques et sur l’attractivité que représentent les biotechnologies, sur la capacité de faire un métier financier avec succès.
Alors le quatrième point est le management à proprement parler. Un manager dans une entreprise est un stratège, c’est quelqu’un qui dirige, qui mélange le long terme, le moyen terme, le court terme, donc ce sont des qualités communes au management, la définition de la stratégie, la définition des projets, la recherche de partenariats, le manager qui dirige ou qui est dans l’équipe dirigeante et doit faire ça. Et bien sûr il doit gérer les hommes. Dans une petite structure de deux personnes comme dans une multinationale, les ressources humaines sont toujours les ressources principales, avant les autres ressources. Ici la situation du marché est très difficile, il y a peu de managers qui s’aventurent – c’est quand même une aventure. Certains viennent des grands secteurs pharmaceutiques, par exemple médicaux. Ils n’y réussissent pas toujours, beaucoup de mal à s’adapter au changement de style, au changement d’environnement, à la prise de risque. Et les qualités qu’on recherche chez ces managers, c’est effectivement le goût pour le risque. C’est la créativité, la capacité de négociation, de conviction, s’il a déjà une expérience, même brève, d’avoir été dans une entreprise débutante, c’est une grande qualité. Habileté à gérer les crises, c’est le pain quotidien des managers. Il faut une résistance, j’appelle même ça une résilience, c’est presque une qualité mécanique, de résister aux déceptions, aux échecs, aux abandons, aux surprises, et ça c’est dur. Et c’est là qu’on mesure souvent les managers qui ont vraiment du cran et du sang-froid et qui contre vents et marées maintiennent leur idée.
Le dernier groupe de métiers, c’est tout ce qui gravite autour. Jamais on n’a vu, depuis ces dernières années, autant la création d’un tissu, d’une nébuleuse de liens complexes entre l’entreprise elle-même – d’ailleurs l’entreprise n’est pas forcément une entreprise, ça peut être un individu qui a son propre statut, qui s’associe avec quelqu’un d’autre. Donc ces prestataires, ces partenaires externes sont très nombreux. Eux-mêmes ne sont pas toujours des grandes entreprises ou des grands cabinets, ce sont parfois des gens très spécialisés, des individus, et leur rôle est de conseiller, d’apporter une vision différente, un contrepoids, de trouver des solutions innovantes lorsqu’il y a des problèmes, des solutions techniques, des solutions managériales. Et c’est apporter une aide très pointue dans des métiers connexes, par exemple les affaires réglementaires dans le monde médical, c’est un domaine extrêmement délicat, en évolution, qui nécessite vraiment des connaissances qui s’élargissent sans arrêt. Trouver un expert qui fait une prestation pointue sur une question d’affaires réglementaires, c’est très précieux. L’intérêt quand on est prestataires de ces firmes, c’est qu’on n’est pas dans la firme de biotechnologie mais on est très près, donc se crée un climat souvent amical, proche et on a l’impression de faire partie de l’entreprise elle-même. Ici les qualités du prestataire sont des qualités standard, des qualités d’écoute, de compréhension, de propositions d’aides, de connaissances précises et de valeur ajoutée. Il n’y a pas à proprement parler de prestataires spécialisés en biotechnologie. Il y a quelques sociétés de conseil, il y a des techniciens qui reprennent les métiers dont j’ai parlé, les affaires réglementaires, les brevets, mais on ne peut pas parler d’un secteur véritable. Ceci dit, on sent très bien que de même que l’industrie décolle en Europe, parallèlement le secteur qui gravite autour est en pleine explosion aussi. Donc là aussi il y a des métiers, des activités en plein développement.
Alors je voudrais donner quelques idées sur le futur de ces métiers. L’évolution des effectifs, si on parle d’abord quantité, combien de personnes dans ce secteur ? Incontestablement on est peut-être en retard, mais la croissance est réelle, même si elle est difficile dans certains pays, comme en France je crois, c’est-à-dire l’attractivité. Le passage vers ces entreprises de biotechnologie est lent, il est quand même en développement fort, il y a des facteurs favorables, il y a des créations d’entreprises, c’est un facteur mécanique très net, il y a des aides qui se mettent en place, des supports dans tous les pays européens, et par la Communauté européenne elle-même. Et puis le développement du marché du capital à risque, encouragé par des États, ou par des mécanismes financiers, par des banques ou des fonds d’investissements, est aussi en plein développement. Mais il y a des freins aussi. C’est l’aversion pour le risque, l’esprit d’entreprise limité, tant pour les financiers que pour les créateurs qui sont dans leur tête, pour reprendre cette image que j’ai beaucoup appréciée, sont eux-mêmes finalement ceux qui font la biotechnologie. Ce n’est pas la finance, ce n’est pas la banque, c’est l’idée et le développement de l’idée.
La volonté politique, c’est un sujet extrêmement épineux qui vaudrait une présentation à soi tout seul, que ce soit dans le domaine de la bioéthique, les déclarations se succèdent dans le domaine médical, sans parler par exemple de la biotechnologie végétale, les OGM et des plantes transgéniques où là c’est encore un sujet d’une difficulté politique considérable en Europe. Je lisais l’autre jour un chiffre absolument effarant, il y a 10 millions d’hectares de plantes transgéniques aux États-Unis cultivés. Donc ça fait 100 000 km2, ça fait 1/5e de la France en soja, en maïs… Sans autre commentaire. C’est un chiffre incroyable.
Les tendances de ces métiers, c’est cette notion de complexification. Ce sont des industries émergeantes et dans les industries émergeantes, c’est une combinaison de complexifications, c’est-à-dire de directions de recherche qui échouent, de transversalité entre différents métiers qui est très complexe, pour arriver sur des produits, des technologies stables et qui vont atteindre le marché. Donc on est dans un contexte de complexification. Dans la recherche, dans la gestion des brevets, dans la finance, avec un bémol, où même si c’est complexe, les fonds s’investissent de plus en plus. Donc les techniques pour drainer ces fonds et faire soutenir les entreprises de biotechnologie sont présentes. Le management, la commercialisation, ce sont aussi des défis considérables, des défis souvent humains, c’est-à-dire des capacités personnelles des managers et des personnes dans les entreprises, à s’investir, à accepter la prise de risque et à survivre.
Dans cette phase de maturation que l’on vit, il y a des nouveaux métiers qui vont apparaître. Ces notions de veille technologique et de veille concurrentielle quand l’intensité du secteur concurrentiel augmente, de plus en plus d’entreprises, de plus en plus de technologies, c’est très important de savoir ce que font les autres. En fait il faut y penser en permanence, il faut se comparer. C’est très difficile parce qu’on est concentré sur son propre projet, on pense qu’il est bon, on dépense beaucoup d’énergie et souvent on n’a pas le temps de penser aux autres. Sauf éventuellement dans des communications scientifiques qui sont des passerelles bien connues, y compris dans les biotechnologies, les articles, les publications, mais qui ne dévoilent pas le fond de l’activité. Il est probable que ces fonctions de veille technologique qui existent déjà dans l’industrie vont certainement se développer beaucoup dans les biotechnologies. Les fonctions plus classiques d’autres secteurs, qui sont plus ou moins mises entre parenthèses au début, le contrôle de gestion, la gestion de la production, la communication, les ressources humaines, je ne dis pas que ce n’est pas important, mais c’est vrai que ce n’est pas le business à proprement parler, et que ces fonctions-là s’agrègent au fur et à mesure lorsque l’entreprise prend de l’essor et commence à réussir. C’est une entreprise comme une autre, elle est gérée comme une autre et les fonctions traditionnelles petit à petit voient le jour.
Et puis le lobbying qui est défini comme la capacité de faire avancer les dossiers, de les gérer, auprès des décideurs. Ça veut dire la connaissance des niveaux politiques dans les pays, des niveaux de l’administration, des financements. Ce sont des métiers qui existent déjà dans des entreprises mûres, mais qui dans la biotechnologie peuvent être cruciaux. C’est-à-dire qu’au fond, même si on a un très bon projet, on a tout qui marche bien, ça n’est que la moitié du chemin. S’assurer que la bonne signature va être donnée au bon moment, que le bon financement va être là, c’est du lobbying. Et ce sont des métiers qui pour l’instant sont faits soit par le dirigeant lui-même, le créateur, soit par des prestataires, mais c’est un métier très peu développé et qui pourtant est extrêmement important.
Donc les partenaires des biotechnologies eux-mêmes, qui sont partie intégrante, sont en train de développer des services et des aides aux biotechnologies adaptés à cette phase de croissance. Savoir analyser des portefeuilles de biotechnologie, savoir gérer les crises, aider ces entreprises à préparer des business-plans spécifiques. C’est un peu un mot magique, qu’est-ce que c’est un business-plan, c’est un document qui va convaincre, qui va expliquer la prise de risque, expliquer l’intérêt de ce qu’on fait, qui va convaincre. Ce sont des documents plus ou moins standard, que les financiers aiment bien voir, qui sont très importants pour convaincre et pour cristalliser ce qu’est l’entreprise, ce qu’il y a derrière et à quoi va-t-elle aboutir. La recherche de partenariat, c’est déjà le cas, par définition, ça ne peut qu’augmenter les alliances, les partenariats croisés, toutes les formes de partage de technologies, d’innovations, c’est un domaine en pleine explosion. Et je pense qu’il y a beaucoup de métiers dans ces domaines de prestations aux industries de biotechnologie.
Je voudrais résumer en conclusion les cinq qualités essentielles qui à mon avis sont incontournables pour réussir dans les métiers des biotechnologies, qui peuvent être pris en compte par la formation, encore que la formation s’adresse souvent plus au savoir-faire technique qu’au savoir être, c’est-à-dire la capacité à mettre en œuvre le savoir-faire. Et parmi ces cinq qualités, je parlerai en premier de la capacité de mutation, c’est-à-dire anticiper, vivre et survivre aux ruptures, aux discontinuités, aux imprévus des projets de biotechnologie au quotidien. Deuxième qualité essentielle que je vois, ce qu’on pourrait appeler la pensée stratégique. C’est-à-dire dans des secteurs industriels très jeunes, émergents, comme les biotechnologies, la capacité de conserver une certaine vision des objectifs, des avantages de ce qu’on a par rapport aux autres et de pérenniser ceci dans un contexte très difficile. C’est-à-dire finalement d’échapper à des zigzags, à des hésitations, à des remises en question qui peuvent ou tuer le projet ou l’affaiblir et le rendre non compétitif et sans chance d’atteindre le marché final. Alors bien sûr l’esprit d’entreprise, le sang-froid, le refus du découragement, le terme de résilience, que je reprends, c’est une idée de résistance physique parce que c’est beaucoup de travail, morale, intellectuelle, considérable. La communication en interne, avec les collègues, les proches. Bien sûr en externe aussi, les partenaires, communiquer des choses motivantes, des choses validées, c’est-à-dire validées au sens qu’il faut faire attention à ne pas trop communiquer dans les secteurs concurrentiels, donc de ne pas être emporté par un certain enthousiasme et de faire très attention à ne communiquer que ce qu’il faut communiquer. Sinon on risque des mises sur le marché ou des partages d’informations qui sont au cœur de la valeur de l’entreprise et qui peuvent être copiées, contournées, utilisées, et finalement affaiblir la position de l’entreprise. Et puis dernière qualité, ce que j’appellerai le fil rouge, c’est-à-dire qui est plus peut-être une qualité pour les créateurs mais qui vaut pour toutes les personnes employées dans les biotechnologies, c’est cette idée de maintien de l’idée à la base de la création. C’est une technologie, une manière de faire, une méthodologie, un produit, c’est cette capacité à maintenir le fil rouge quoi qu’il arrive, donc de distinguer, de simplifier un peu aussi. C’est une qualité très difficile, c’est-à-dire de ne pas céder et ne pas s’embourber dans des considérations techniques compliquées, de toujours faire un effort de simplification, pour dégager quelle est la valeur du projet, quel est son avantage ultime, et garder ça par devers tous les problèmes qui peuvent surgir.
Voilà, je vous remercie de votre attention.
Michel Renaud :Je suis vice-président de l’université de Rennes. J’ai une question qui va peut-être enchaîner sur la prochaine table ronde. On a vu qu’une bonne analyse des cinq métiers, et je pense qu’on est d’accord que c’est l’émergence de l’ensemble des métiers qui tournent autour de la biotechnologie, la question qui me semble fondamentale, parce qu’ici nous avons essentiellement des doctorants ou des post-doctorants d’origine biologique, ou dans les sciences du vivant, c’est : est-ce que ces formations et ces métiers sont pour ces gens-là. C’est-à-dire que je crois qu’il y a une réponse de fond qu’il faudrait apporter : est-ce que ces métiers sont pour des gens qui ont une formation de base qui est étrangère à la biologie et qui essaie de recoller avec la biologie, ou est-ce que ces formations sont d’origine dans la biologie, puis avec des transferts ou des additions de formations qui vont derrière. Je crois que c’est un problème-clé parce qu’on voit bien que la démarche, selon qu’on la fait dans un sens ou dans un autre, n’aboutit peut-être pas au même mélange ni à la même efficacité et il serait intéressant de voir comment les pays qui sont en avance dans le système ont réglé ce problème, par rapport à la France qui réagit beaucoup par territoires.
M. Alary : C’est effectivement un sujet qui sera sûrement débattu après. Je pense que les métiers de la R&D, c’est-à-dire les métiers scientifiques, constituent, contre vents et marées, les métiers de base des biotechnologies et que je serai dans le deuxième cas de figure, c’est-à-dire que les métiers que j’ai décrits s’adjoignent aux métiers de la R&D. Autrement dit, dans les biotechnologies aux phases extrêmement initiales des projets, avant même qu’on puisse parler de pérennité et de succès, je pense que les savoir-faire en R&D et la confiance dans le projet initial restent le succès. Quand on regarde les effectifs des biotechnologies aux États-Unis, en Europe, dans les premières phases, ce sont des gens de R&D, qui ont certes des qualités peut être financières, qui connaissent, qui sont aussi très avertis des questions de brevets, de propriété intellectuelle, mais néanmoins c’est leur propre savoir-faire, leur propre conviction, leur propre charisme, leur capacité à entraîner les autres, qui va faire la différence. Donc je pense que certes il est important d’avoir des formations techniques sur ces compartiments des métiers de j’ai décrits, mais je crois que rien ne remplacera la pertinence et la solidité de l’idée de base, qui est une idée scientifique à la base.
Anne-Sophie Liat : Je suis en troisième année de thèse génétique humaine et je travaille à l’hôpital Necker dans une unité INSERM. Vous avez dit qu’il y avait un nombre insuffisant de diplômés de très haut niveau chez les chercheurs. Alors je suis assez surprise parce qu’il y a beaucoup de chercheurs qui ne trouvent pas de travail.
M. Alary : La remarque que j’ai faite est évidemment une constatation, c’est-à-dire que les entrepreneurs de biotechnologie qui ont besoin de ressources, ont du mal à en trouver. Alors ce n’est pas parce qu’il y a une offre et une demande que forcément les deux vont coller, parce qu’entre la formation adaptée aux besoins et le passage à l’acte, il y a énormément de choses qui se passent. Et je crois que la constatation est quand même qu’il y a beaucoup d’entrepreneurs en biotechnologie, en France aussi, dans d’autres pays, non pas parce que la main-d’œuvre n’est pas qualifiée, mais il n’y a peut-être pas de mécanismes ou d’attractivité ou de passage à l’acte qui fait qu’il y a des réponses nombreuses qui arrivent lorsque des appels d’offres sont faits, des annonces, des recrutements, mais je ne crois pas qu’il y ait forcément une grande densité, surtout en France, mais c’est vrai en Allemagne, en Italie, c’est moins vrai en Angleterre et en Hollande, qu’il y ait une adéquation pour l’instant de la demande et de l’offre.
Je ne peux que confirmer cette vision des choses, à la fois en tant que chef de laboratoire qui cherche souvent des post-doc et trouve rarement ce qu’il faut en France, et deuxièmement en tant qu’entrepreneur puisque les multiples sociétés créées en France ont parfois des difficultés à trouver les personnes appropriées. Alors j’ai formé moi-même 32 docteurs en sciences, donc je sais combien il y a de docteurs en sciences formés en France, mais le problème est que le docteur en sciences a été formé et en même temps a été spécialisé. Et c’est justement l’un des buts des écoles doctorales que nous avons créées en France, pour vous montrer qu’au-delà de la spécialisation, il faut aller vers d’autres métiers, et le problème est qu’on est spécialisé, on a un excellent spécialiste de la citruline, du métabolisme, mais qui ne sait pas ce qu’est un brevet. Ou bien vous avez quelqu’un qui est un fantastique immunologiste mais c’est un immunologiste de cellules T, qui n’a aucune notion de l’immunochimie quantitative. Tout cela sont des problèmes qu’on ne découvre que lorsqu’on a fini sa thèse, lorsqu’on a fait un premier post-doc et lorsqu’on essaye de trouver l’emploi. De même que le chef de laboratoire qui cherche le post-doc a besoin de quelqu’un assez multivalent de même l’entrepreneur qui crée sa société a besoin des gens qui ont un peu de polyvalence, et ça malheureusement nous l’avons perdu en vous spécialisant. Donc c’est bien sûr le débat central de cette réunion, on va y revenir amplement, mais je crois que monsieur Alary a raison.
Pierre Mansson : Je suis à la fois formateur, professeur à l’INSERM Toulouse et à l’École des mines de Paris et je suis également entrepreneur et directeur scientifique de la société Bioreup que j’ai créée il y a treize ans. Donc je connais l’amont et l’aval de ces choses, j’espère.
J’ai retenu trois mots-clés : diversité, pluridisciplinarité et adaptabilité. Je ne voudrais pas que l’arbre cache la forêt. Je ne voudrais pas qu’on ne parle que de biologie moléculaire. Biotechnologie pour moi ça va beaucoup plus loin, c’est aussi le génie biochimique. Aujourd’hui je place mes étudiants beaucoup plus dans le domaine de l’agro-alimentaire, de l’environnement, de la santé que dans le domaine stricto sensu de la biologie moléculaire. L’acception de biotechnologie par une PME agro-alimentaire ou par une société high-tech en thérapie génique, ce n’est pas la même chose. Je crois qu’il est essentiel de vous sensibiliser à l’interfaçage. Ce domaine est essentiellement pluridisciplinaire, il va falloir discuter avec plein de gens qui ont des formations, des cultures, des vocabulaires complètement différents, soit des informaticiens, des physiciens, des spécialistes de brevets, de finances. Adaptabilité, monsieur le ministre l’a dit, il y a vingt-cinq ans on n’avait rien prévu, donc dans vingt-cinq ans tout aura changé. Donc il va falloir surtout apprendre à s’adapter et ne pas croire que c’est la formation initiale qui va vous mettre sur des rails pour la vie éternelle. Non, certainement pas. Donc on va axer ce débat sur une discussion au niveau des entreprises, des formations. Je souhaite que les entreprises nous disent les compétences dont elles ont besoin, les profils qu’elles recherchent, et surtout qu’elles nous disent quels sont les critères décisifs dans le choix de la personne qui va être recrutée. Au niveau des formations, il faudrait dire quels sont les enseignements, quel est l’interfaçage avec l’industrie au niveau des stages, des intervenants dans la formation, quels sont les projets pédagogiques des industriels et surtout quels sont les débouchés.
Je pense qu’on pourrait organiser le débat en deux grands domaines. D’abord commençons par le domaine des agro-transformations, le domaine de l’environnement. Et ensuite nous viendrons au domaine de la santé qui aujourd’hui est potentiellement le plus prometteur.
Donc je passerai d’abord la parole à Philippe Sicard qui nous présente la société Roquette, une société qui transforme de l’amidon à l’échelle de millions de tonnes. Philippe Sicard fait partie de ces gens qui ont la double sensibilité, c’est un ancien chercheur du CNRS, il est également formateur puisqu’il s’occupe de l’École centrale.
Philippe Sicard : Merci. Je ne m’attarderai pas trop sur ma fonction de formation à l’école Centrale car j’ai toujours considéré que les biotechnologies à Centrale, c’était quelque chose de très particulier. Le centralien étant d’abord un ingénieur généraliste de très haut niveau et essentiellement pertinent dans le domaine des sciences dures et de la mécanique, donc il y a des transfuges à l’intérieur de Centrale qui en ayant ras-le-bol des maths et de la physique au bout de deux années de tronc commun décident d’allers vers des horizons nouveaux comme par exemple les sciences de la vie. Et à ce moment-là nous leur disons très simplement : nous allons vous former à un langage et un mode de raisonnement qui ne vous sont pas habituels. Et au bout d’un an ce sera à vous de décider si vous voulez continuer l’expérience, par exemple aller jusqu’à préparer un doctorat ou alors vous pourrez diverger et retourner à vos occupations centraliennes habituelles puisque sur votre diplôme il n’est pas fait mention de votre option. Donc vous n’êtes pas compromis. Voilà. Alors revenons à la société que je représente aujourd’hui, la société Roquette, deuxième amidonnier européen, qui regroupe 4 800 personnes et qui a un chiffre d’affaires de 11 milliards de francs, qui est présente dans un certain nombre de pays avec des usines un peu partout en Europe et aux États-Unis et qui a des besoins tout à fait diversifiés car nous faisons à partir de l’amidon que nous extrayons soit de pommes de terre, de maïs ou de blé, cent produits différents qui trouvent des applications dans plus de 90 % des industries existantes. Donc nous sommes présentes à peu près partout et nous sommes obligés à nous consacrer à des thématiques aussi disjointes que les bouts de forage en milieu pétrolier, la confection de la pâte dentifrice, les excipients pharmaceutiques ou la nucléation du prolipépilène. Voyez que ce sont des thématiques très diversifiées, mais il y a tout de même une place importante réservée aux sciences de la vie, aux biotechnologies, et je vais énumérer les domaines dans lesquels nous rencontrons des gens susceptibles d’avoir une formation analogue à la vôtre. Alors il y a bien évidemment la R&D, qui est importante chez nous, et en particulier la microbiologie et la génétique. Il y a le domaine des fermentations et du génie enzymatique et nous avons une analytique très orientée vers les bioproduits. Ensuite, il y a un département qui s’occupe de biotoxicologie car nous avons des produits qui vont dans l’alimentation humaine, des produits nouveaux qui doivent être évalués en fonction de leur toxicité ou plutôt de leur absence de toxicité. Il y a un domaine de plus en plus important, c’est la nutrition et le rôle de la nutrition dans le domaine de la santé et dans la prévention de certaines maladies. Ensuite nous nous intéressons évidemment aux problèmes d’environnement, après avoir été pendant longtemps le plus gros pollueur de la région Nord-Pas-de-Calais, nous avons dans ce domaine considérablement réduit nos ambitions et nos performances, donc nous passons inaperçu. Il y a le domaine des brevets, nous avons des spécialistes brevets du domaine des biotechnologies et nous avons aussi une juriste scientifique orientée dans le domaine des biotechnologies, en particulier nous surveillons tout ce que font nos concurrents dans ce domaine. Il y a le domaine des affaires réglementaires et nous avons été très sensibilisés à l’affaire des OGM et du maïs transgénique, il est clair que la Roquette a été coincée entre les semenciers et les utilisateurs de nos produits, les uns ayant omis de nous dire que finalement nous utilisions sans le savoir déjà du maïs transgénique parce que nos approvisionnements avaient été contaminés par les champs expérimentaux, et nos gros clients comme Danone, Unilever et Nestlé nous demandant de jurer sur la Bible que nous n’utilisons pas de maïs transgénique pour faire notre amidon et les dérivés qui en découlent. Bref, une sorte d’imbroglio très difficile à vivre. Et puis nous retrouvons des gens formés aux biotechnologies dans le domaine de la production et demain il y aura Thierry Marcel qui viendra présenter son parcours professionnel qui est tout à fait représentatif de ce qu’on peut espérer faire à partir d’un doctorat et même d’un post-doc dans le domaine de la génétique moléculaire, et il aboutit au domaine de la production. Donc c’est tout à fait ouvert, flexible. Ensuite nous avons un domaine technico-commercial avec un docteur en génétique moléculaire qui maintenant fait la promotion de nos produits dans les industries de fermentation, ce qui représente un tonnage considérable car nous vendons des centaines de milliers de tonnes de produits comme matières premières dans les fermentations dans le monde entier. Et enfin nous avons un domaine application qui requiert des compétences dans le domaine des sciences de la vie.
Donc vous voyez que c’est une très large ouverture. Alors comment tout cela s’articule par rapport aux formations que vous représentez ? Eh bien nous ne sélectionnons non pas des formations parce qu’on se moque du contenu des enseignements, on sait que les gens qui sortent avec le diplôme sont des gens formés. Nous voulons des caractères, des personnalités, des gens qui présentent des qualités humaines, qui ont une ouverture d’esprit, une adaptabilité pour pouvoir occuper plusieurs fonctions successives dans l’entreprise, des gens qui ont une motivation personnelle assez forte et qui sachent communiquer, car même au niveau de la recherche il y a besoin de communication. Il faut arriver à convaincre la direction de l’intérêt de ce que vous faites.
J’ai dit à peu près tout ce que je pouvais vous dire. Vous savez, il n’y a pas de solution générale à vos problèmes, il n’y a que des solutions individuelles, donc qui dépendent de votre propre personnalité.
Jean-Marc Audic : Je suis à la Lyonnaise des Eaux, exactement Suez-Lyonnaise des Eaux, un groupe à taille mondiale, avec énormément d’activités. Une partie de l’activité concerne l’eau, principalement production et distribution de l’eau potable, traitement et rejet des eaux résiduaires. Les métiers de base dans la Lyonnaise des Eaux ne sont pas, notamment pour la partie des cadres, à dominante biotechnologie, c’est à dominante technique mais c’est aussi des gens dont les métiers principaux et les compétences qui sont reconnues, sont des compétences de management, des compétences au niveau des finances, des compétences au niveau de la communication. Donc, globalement, non ciblé sur la biotechnologie. Alors maintenant, associé à ça, il y a tout de même un centre de recherche. Je représente, au niveau de ce grand groupe de la Lyonnaise des Eaux le centre de recherche, où il y a 200 personnes qui font effectivement de la recherche. Et là on retrouve, même dans un domaine de l’environnement, au moins une personne qui fait de la biologie moléculaire. Donc vous voyez que même des outils de biotechnologie pointus peuvent s’insérer dans une démarche au niveau de l’environnement, environnement qui obligatoirement, et c’est important par rapport à la technicité que l’on peut promouvoir pour essayer de répondre au marché de l’environnement, c’est un marché limité, dans le sens qu’il y a très peu de valeur ajoutée aux produits. Quand vous imaginez par exemple une station d’épuration traitant des eaux résiduaires pour les remettre dans le milieu naturel, c’est certain que l’eau qui ressort de ces stations d’épuration, on peut difficilement lui affecter un coût. Ce coût sera par défaut, c’est-à-dire le plus bas possible, puisque c’est quelque chose qu’on ne vend pas. Donc les moyens à mettre en œuvre pour réaliser cette transformation qui part d’un produit non maîtrisé, pour sortir quelque chose qui doit être maîtrisé en terme de qualité et qui doit répondre aux contraintes de l’environnement. Alors cette absence de valeur ajoutée très forte au produit fait que globalement les outils qui vont être mis en œuvre pour réaliser cette transformation sont des outils où le domaine de la biotechnologie au sens de biologie moléculaire, de sélection de bactéries ou d’organismes ou d’éléments permettant d’aller plus loin ou de produire plus, ne peuvent pas s’insérer compte tenu du coût associé à ça. Donc on a une approche un peu différente, c’est-à-dire de maîtrise des systèmes par des actions extérieures, de façon à développer un environnement biologique permettant de réaliser les épurations. Donc c’est plutôt des gens qui vont avoir une approche beaucoup plus systémique du procédé et dont la biotechnologie est une composante forte, tout simplement parce que c’est une formation qui permet d’avoir à l’esprit un délai entre une action et une réponse. Et c’est là où cette formation d’esprit, au-delà de ce qui est réalisé, est très importante et on la recherche de façon prioritaire dans les embauches faites au niveau du centre de recherche.
Pour revenir au profil des gens que l’on va prendre dans un centre de recherche, dans ce centre il y a deux populations. Une population majoritaire qui va rester relativement peu de temps au niveau du centre de recherche, qui sont être responsables d’un projet finalisé dans le temps, donc ce sont des gens qui ont une compétence technique dans le domaine de la biotechnologie, mais qui vont surtout assurer un management, vont contrôler les dépenses financières et vont s’assurer que le projet débouche vers quelque chose de valorisable ou d’être capable de dire que le projet ne débouchera pas. Ce sont des gens qui vont donc rester peu de temps au niveau du centre de recherche et qui ensuite vont évoluer au niveau de la société et donc vont plutôt avoir des activités qui vont s’éloigner progressivement du domaine strict de la technique. Alors par rapport à cette population majoritaire, il y a quelques individus, dont je fais partie, qui vont rester de façon plus importante au niveau du centre de recherche et qui vont avoir besoin de plus de bagage technique et de concrétiser réellement ce bagage au niveau d’une carrière et au bout d’une quinzaine d’années dans la recherche, l’évolution se fera en dehors de la recherche. Alors cette évolution potentielle des carrières au sein de la Lyonnaise va donc illustrer le profil des candidats que l’on reçoit. Majoritairement, il faut donc un profil pour la plupart des gens qui se base sur une compétence assez générale et plutôt un profil de généraliste. Alors pas toujours au sens Centrale ou Polytechnique, il y a d’autres écoles d’ingénieurs, d’autres formations, même universitaires, qui permettent d’avoir cette approche de généraliste. On n’a pas besoin de spécialistes d’un domaine très pointu. Et associée à cette formation généraliste, une thèse qui va permettre à la personne de comprendre ce qu’est la recherche. Et là encore on donnera peu d’importance au sujet spécifique, mais plutôt au fait d’avoir fait cette formation.
Le dernier point, il est évident qu’on est dans une entreprise internationale, mondiale, c’est-à-dire avoir fait une partie de sa formation à l’étranger, avoir fait sa thèse aux États-Unis, en Europe…