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La Tribune : Vous présentez ce matin, en Conseil des ministres, une réforme de la Direction du Trésor et de la gestion des entreprises publiques. Quels en sont les grands objectifs ?
Jean Arthuis : Il s’agit de permettre à l’État d’être un actionnaire responsable. Et d’appliquer au contrôle des sociétés qu’il possède les principes en vigueur dans le monde de l’entreprise : le gouvernement d’entreprise, la sincérité des états financiers, l’information. À cet égard, il ne sera plus question de s’exonérer de toute responsabilité en cas de défaillance de filiales de groupes nationalisés. En outre, au sein du ministère des Finances, la réforme prévoit clairement la séparation entre la fonction de régulation et la fonction de gestion des entreprises.
La Tribune : Et au-delà de ce ministère ?
Jean Arthuis : L’objectif est de veiller à coordonner les moyens de l’État, et de veiller, lorsqu’il y a plusieurs ministres exerçant la tutelle sur une entreprise, à ce qu’ils se concertent et agissent conjointement.
La Tribune : Cette réforme nécessitera-t-elle une loi ?
Jean Arthuis : Non, seuls quelques textes réglementaires devront être pris. C’est beaucoup plus une mesure de réorganisation interne. Elle répond à la volonté du Premier ministre de réformer l’État.
La Tribune : Ces décrets peuvent-ils être pris rapidement, dans les quinze jours à venir ?
Jean Arthuis : Absolument. Le travail est mené depuis des mois. Tout est prêt. C’est une réforme d’application immédiate.
La Tribune : À la fois en marge et au cœur de la problématique du Trésor, la question du « pantouflage » des fonctionnaires dans le privé est posée…
Jean Arthuis : Il faut effectivement éviter que des gens sortent de la fonction publique ou y reviennent sans garde-fous. Éviter aussi qu’à la sortie de l’ENA les anciens élèves entrent d’emblée dans les grands corps de contrôle.
La Tribune : Quel est l’état des finances publiques ? Selon les Quinze, des mesures seraient « éventuellement nécessaires » pour réduire les déficits français à 3 % du PIB cette année. Ces mesures sont-elles aujourd’hui nécessaires ?
Jean Arthuis : Il faut être vigilant. Mais je fonde beaucoup d’espoir sur les perspectives de croissance. La Commission des comptes de la nation a relevé, début avril, la faiblesse des investissements productifs. Or l’accélération du calendrier électoral, décidée par le président de la République, me paraît constituer le levier de l’investissement. Elle va nous éviter l’attentisme traditionnel dans les longs mois qui précèdent une élection programmée. Dans le monde entier la croissance est forte. Si l’Europe est en retrait, cela est lié à cette période transitoire, actuelle, du passage à la monnaie unique. Mais aujourd’hui, l’horizon s’éclaire, le mouvement est enclenché, la croissance est de retour.
La Tribune : En France, peut-on vraiment geler à nouveau les dépenses de l’État l’an prochain, comme le préconise Alain Juppé ?
Jean Arthuis : Il faut garder le cap. Cela n’est pas facile, mais si on le fait, c’est pour sortir d’un État boursouflé et aller résolument vers un État svelte et fort, capable de faire respecter les lois…
La Tribune : Certains, dans la majorité, réclament une inflexion libérale. Ils demandent notamment plus de flexibilité en matière de droit du travail. Le ministre du Travail, Jacques Barrot, se montre quant à lui très prudent. Quelle est votre approche ?
Jean Arthuis : Je crois qu’il faut introduire dans notre droit, nos pratiques, nos conventions, une certaine souplesse. Ceux qui cherchent cette souplesse, lorsqu’ils ne la trouvent pas, cèdent trop facilement à la tentation d’aller produire ailleurs ou d’entrer dans l’économie parallèle. Nous devons engager une démarche ordonnée et sereine et ne pas nous enfermer dans des rigidités qui se retournent contre ceux qu’on veut protéger.
La Tribune : Concrètement, que faut-il faire ?
Jean Arthuis : J’observe le travail au noir, qui prend de plus en plus d’importance. Ceux qui le pratiquent sont blâmables. Mais je me dis qu’il est peut-être préférable de baisser les impôts et d’alléger formalités et contraintes pour que toute cette économie parallèle sorte de la clandestinité et qu’on trouve là quelques points de croissance supplémentaires, et donc des ressources fiscales. Personne ne souhaite une société hypocrite qui se fixerait de hauts standards mais manifesterait autant de tolérance pour ceux qui ne les respecteraient pas. Il faut aussi sortir des illusions : à cet égard, comment assumer la hausse de 11 % du coût du travail que provoquerait le passage aux 35 heures, préconisé par le PS ?