Déclaration de M. François Léotard, président de l'UDF, sur le projet de budget 1997 et le soutien de l'UDF, à l'Assemblée nationale le 15 octobre 1996.

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Circonstance : Discussion générale du projet de loi de finances pour 1997, à l'Assemblée nationale le 15 octobre 1996

Texte intégral

À plusieurs reprises depuis la présentation et l'adoption par le conseil des ministres du projet de loi de finances pour 1997, l'UDF, dans ses différentes expressions, a apporté son soutien aux grandes orientations prises, à l'architecture générale des dépenses et aux objectifs des réformes proposées.

Ce soutien se traduit dans cette assemblée, de façon forte et cohérente. Mais cette approbation générale peut et doit s'accompagner de propositions, de questions permettant au parlement de jouer pleinement son rôle et au gouvernement d'améliorer son dispositif initial.

Nous n'oublions, sur aucun de ces bancs, que le parlement est né d'une autorisation donnée à l'État de lever des impôts nécessaires à son fonctionnement. Cette autorisation est à l'origine même de l'institution parlementaire. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que les amendements proposés et les propositions formulées recueillent, de votre part, une attitude ouverte et puissent faire l'objet d'un dialogue entre le législatif et l'exécutif.

Si nous pensons en effet que les efforts demandés à l'automne produiront des fruits au printemps, cela ne nous amène pas à cacher la gravité de la situation d'aujourd'hui.

Notre approbation ne peut être assimilée à une satisfaction quant à la situation générale de l'économie française, dont les gouvernements socialistes portent l'essentiel de la responsabilité dans la dégradation.

L'économie française est en situation « d'arrêt sur image » et semble hésiter à reprendre une route marquée par l'accumulation exceptionnelle de contraintes.

La production industrielle est de 5 points au-dessous de son niveau de 1990. L'investissement des entreprises a reculé de 30 points en 4 ans. Dans la loi de finances pour 1997, 90 milliards de dépenses de fonctionnement seront financées par l'accroissement de la dette et les charges du personnel continueront à croître. Dans le secteur des transports, la dette cumulée atteindra environ 10% de celle de l'État – 400 milliards de francs – et la contribution publique annuelle apportée à la SNCF et à la RATP sera du même ordre que le déficit de la sécurité sociale.

Enfin, après la réforme de l'impôt sur le revenu, que nous approuvons et voterons, notre taux maximal sera encore de 10 points environ au-dessus de celui de nos partenaires.

Même nos succès réels, et dont nous nous réjouissons dans le domaine de l'exportation, doivent être jugés avec une certaine lucidité. Notre progression nationale est moins rapide que celle du commerce mondial, c'est-à-dire que nous perdons des parts de marché.

L'Asie, l'Amérique du Nord, l'Amérique Latine et l'Afrique auront en 1997 des taux de croissance supérieurs aux nôtres.

C'est une situation que nous ne pouvons regarder avec satisfaction et c'est la raison pour laquelle nous soutenons votre effort qui va dans le sens de l'intérêt national.

Dès lors, il nous convient de poser trois questions devant nos compatriotes et la représentation nationale, lors de l'ouverture de ce débat budgétaire : le projet de budget est-il bon pour l'emploi, est-il bon pour l'Europe et est-il bon pour l'avenir ?

LE PROJET DE BUDGET EST-IL BON POUR L'EMPLOI ?

La réduction de la dépense publique est la condition première d'une lutte efficace contre le chômage. Et dans ce domaine, le gouvernement a pris une décision courageuse. Le président de la commission des finances, la grande majorité des commissaires ont répété cet adjectif, correspondant, à mon sens, à la réalité. Nous approuvons cette décision à la seule condition que l'on examine ce sur quoi porte l'effort et que nous fassions la distinction entre les quatre grandes catégories de dépenses – l'investissement, le fonctionnement, les interventions diverses et les mesures de solidarité –. Nous disons à cette tribune avec fermeté que s'il doit y avoir une autre politique, elle ne peut s'exonérer de cette exigence de baisse de la dépense publique. Toute nouvelle dérive de la dépense publique serait un bon sens économique et un acte profondément contraire aux intérêts du pays. Il serait utile dans l'intérêt même de notre démocratie, et je me tourne vers la gauche de cet hémicycle, que le débat de cette élection législative opte sur ce point essentiel : voulons non ou non augmenter la dépense publique dans notre pays ?

Je souhaite mettre en avant ce que l'on pourrait appeler la double équation des causes : la cause majeure de notre chômage est la faiblesse de notre croissance et la cause majeure de la faiblesse de notre croissance est l'excès de la dépense publique.

S'attaquer à la dépense publique, à sa dérive, c'est s'attaquer à la racine même du chômage. Il peut y avoir un traitement caritatif du chômage, ce n'est ni indigne, ni inutile, mais ce ne doit pas être la seule attitude de l'État. On ne lui demande pas de porter un jugement moral, que nous partageons tous sur le chômage, mais de ne pas contribuer, par son propre comportement, à son aggravation.

Je pense que nous pourrions aller plus loin que certaines des propositions qui nous sont faites dans le domaine de l'emploi. Est-il possible de programmer sur plusieurs années, comme sur l'impôt, la baisse du volume de la fonction publique, à l'instar du Canada, et d'envisager un volume qui pourrait être le quart du non remplacement des départs à la retraite ? Cela représenterait le double de l'effort fait en 97. Est-il possible de mieux distinguer dans les dépenses celles qui sont improductives de celles qui sont productives ? Nous sommes quelques-uns, à l'intérieur de la commission des finances et dans le pays, à avoir regretté ce qui est incontestablement un recul de l'investissement dans le projet de loi de finances pour 97 – de l'ordre de 15 à 16% –. Nous souhaiterions que sur ce sujet, cette mesure puisse être considérée comme exceptionnelle. Nous comprenons les difficultés qui vous ont amenés à rendre cette décision : il n'est pas bon pour le pays qu'elle soit poursuivie.

LES DÉPENSES PUBLIQUES NE SONT PAS SEULEMENT LES DÉPENSES DE L'ÉTAT.

Elles posent la question grave, pour tous les élus locaux présents ici en même temps qu'aux parlementaires – tous gestionnaires d'argent publique –, des transferts. L'augmentation de 1,95% de la DGE ne rend pas compte des charges nouvelles que la crise impose aux collectivités territoriales.

De même la réforme de la sécurité sociale, à laquelle nous avons adhéré, nous ne la considérons pas comme totalement achevée. Depuis le 1er janvier 1996, les assurés allemands choisissent librement leur caisse de sécurité sociale lesquelles sont mises elles-mêmes en concurrence les unes avec les autres

La dérive du financement des entreprises nationales pose encore un énorme problème à notre pays. Le total du déficit de la SNCF et de la RATP correspond à peu près à celui de la sécurité sociale. Je rappelle que ces chiffres ne sont pas comptabilisés dans les déficits soumis à l'examen de la monnaie unique ou même dans la dette mais elles sont malheureusement lourdement imputables à notre économie.

Enfin, la réforme fiscale et la baisse de l'impôt doivent avoir comme objectif principal la création d'emplois. Je voudrai la citer quelques faits qui me semblent préoccupants – un peu sur le mode de l'ironie – : 10 sur 11 joueurs de football de l'équipe de France, pour des raisons fiscales, jouent actuellement dans les clubs étrangers. Un cadre français transféré de Londres à Paris perdrait de l'ordre de 50 à 60% de son revenu les prélèvements français sont 6 points au-dessus de la moyenne de l'OCDE et 16 points au-dessus de ceux du Japon et des États-Unis.

Le problème de l'évasion fiscale n'est pas un problème inventé par les médias mais malheureusement connu de nos compatriotes. J'ai retrouvé la déclaration faite par votre prédécesseur à cette tribune lors du collectif budgétaire 95, sur lequel le président de la commission des finances avait émis un jugement assez sévère, elle nous disait ceci : « ce qui nous conduit à souligner ici une nouvelle fois le caractère temporaire des nouveaux prélèvements fiscaux. Je sais bien que l'idée de faire appel à des impôts provisoires peut faire sourire. Combien de « provisoires se sont transformés en définitifs ? » Nous souhaiterions que vous puissiez nous répéter que les augmentations du collectif 95 étaient provisoires.

LE PROJET DE BUDGET EST-IL FAVORABLE À LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE ?

Un décalage croissant apparaît dans l'économie mondiale pour ce qui concerne les intérêts de l'économie européenne. L'Europe se trouve, peu à peu, en décalage par rapport aux grands courants d'échanges. Les échanges entre les États-Unis et l'Asie sont devenus plus importants que ceux existant entre les USA et l'Europe. Par rapport aux grands espaces économiques américains et asiatiques, l'Europe doit impérativement, et de façon urgente, construire le sien. Mon sentiment est que l'on ne pourra pas mettre un terme à la surévaluation du franc et du mark que nous constatons tous, dans le cadre des politiques monétaires nationales.

L'UDF ne regrette en aucune manière d'avoir voté l'indépendance de la Banque de France, Les faits prouvent aujourd'hui que cette mesure était nécessaire. Notre effort de rigueur budgétaire est d'abord un effort de bon sens national. L'objectif de la monnaie unique a pour seule vertu de donner un sens à cet effort : celui d'un continent qui s'organise contre la brutalité des chocs monétaires et contre une concurrence extérieure qui étouffent nos emplois. La convergence des deux grandes économies continentales, française et allemande, est une condition de notre réussite commune. Il importe de pratiquer une étroite concertation budgétaire et fiscale entre les deux pays. Cette concertation doit faire apparaître une harmonisation de nos systèmes sociaux : gestion des retraites, marché du travail, système de formation notamment professionnelle, fiscalité de l'épargne, évolution de l'assurance maladie et des systèmes de soins. Comment ne pas regretter ce constat, les efforts de nos partenaires allemandes sur leur propre budget 97 seront supérieurs aux nôtres : – 2,5 en francs courants chez eux contre + 1,5 en francs courants chez nous, c'est-à-dire un écart de 4 points.

PROJET DE BUDGET EST-IL FAVORABLE À LA PRÉPARATION DE L'AVENIR ?

Il reste à poursuivre des actions de convergence avec nos voisins. Si nous avons été autant attachés à proposer un amendement sur la réduction de la TVA à la fin 97, ce n'est pas dans une autre perspective que celle d'harmoniser nos taux avec ceux de partenaires européens. Quelle sera la situation du secteur automobile en 1999 ou 2000, si nous conservons un taux de TVA de 5 points supérieurs à celui de l'automobile allemande ?

Un budget n'est pas une photo, mais un moment dans un film. Il est de notre devoir de placer le projet de loi que nous examinons en perspective. Je suis convaincu que la période 97-98-99 sera historique comme l'a été la période 57-58-59.

C'est notre volonté d'accéder à la monnaie unique et c'est notre intérêt national Nous avons à faire, dans ces trois années, les mêmes efforts d'intelligence, d'ouverture à l'autre et de lucidité qu'ont eu à faire les pères de l'Europe en mettant en place le marché commun.

Cette perspective est plurielle :

- le développement d'une économie compétitive, à fortes valeur ajoutée, à grand potentiel de recherche, dont la dimension exportatrice est reconnue comme un objectif constant ;
- l'insertion de notre pays dans le monde de l'après Maastricht, de l'après monnaie unique, associant la capacité d'innovation des Français à la grande aventure de la construction européenne ;
- la réalisation d'un espace social de vraie solidarité, refusant de donner à l'assistance le statut d'un choix de vie ou l'assimilant à un emploi.

Dans cette perspective, trois réflexions nous permettent de préparer l'avenir : la nécessité d'une vraie réforme fiscale, la question du budget 98 et les grandes réformes qui sont encore nécessaires.

Comme l'a dit le président de la commission des finances, la question de la réforme fiscale n'est pas close. Qui peut soutenir aujourd'hui que la fiscalité française est claire, équitable, tournée vers l'emploi et la croissance ?

Je souhaite que vous puissiez proposer au parlement une démonstration claire de ce que représente l'IRPP plus la CSG. Si nous aboutissons à la fin du processus de réforme à l'exonération de 240 000 français de l'impôt sur le revenu, il faut de toute urgence présenter l'impôt sur le revenu des français comme un tout intégrant l'impôt proportionnel et l'impôt progressif et comme un ensemble cohérent qui montrerait la volonté du gouvernement et du parlement de soumettre chaque français à l'effort de participation à la collectivité nationale.

La dépense publique est en effet un tout. À quoi servirait-il de maintenir ou de baisser les dépenses de l'État si le financement de besoins incontestables était transféré aux collectivités décentralisées sans autre réforme. Il faut donc que l'État ait une vision globale de l'impôt, il n'est pas seulement responsable de sa propre fiscalité, il l'est également d'un équilibre général de l'impôt. Comment répondre au plus près des besoins à une demande sociale légitime dès lors qu'elle n'est pas solvable par le marché ? L'avenir, c'est la nécessaire ténacité dans la baisse de la dépense publique. Vous aurez notre concours dans cette orientation. Faisons porter l'effort pluriannuel sur la diminution de la fonction publique ; c'est possible et d'autres le font autour de nous.

La crise française est d'abord une crise de l'argent public. L'argent privé, lui, est bien géré. Nous devons tirer de ce constat des conclusions et notamment la nécessaire réduction de la part de l'État dans la gestion de l'économie (poursuite des privatisations, baisse de la fonction publique liée à la réforme de l'État, réforme profonde de l'assurance-maladie remise en ordre des entreprises publiques).

Un chiffre résume sur 10 années, les mauvaises orientations prises par notre pays :

- les dépenses de personnel ont augmenté de 40% ;
- les dépenses en capital ont baissé de 35% en pourcentage des dépenses totales de l'État.

Il faut, à terme, cette double évolution, particulièrement pernicieuse pour nos concitoyens.

À travers ces chiffres, c'est une réflexion plus globale qu'il nous faut mener. La vraie question qui se pose aujourd'hui est celle de la place, du rôle et de l'efficacité de nos outils économiques nationaux dans une économie ouverte.

Les politiques traditionnelles – fiscales, budgétaires, monétaires – sont aujourd'hui confrontées à la mondialisation des échanges, à la délocalisation des emplois, à l'ampleur et à la brutalité des mouvements de capitaux.

Face à cette situation, véritablement sans précédent dans l'histoire économique, il n'y a que deux attitudes possibles :

– le repli sur soi, la « France-forteresse », l'abandon de l'objectif européen, le nationalisme économique et monétaire qui deviendra rapidement le nationalisme tout cour, c'est-à-dire le mélange d'arrogance et de pauvreté qui caractérise les pays faibles ;
– la volonté de transformer ces contraintes en chance et d'affronter le monde réel, tel qu'il est. Monde dont j'ai la faiblesse de penser qu'il présente pour la France plus de chances que de risques.

Vous avez choisi la deuxième attitude et nous nous en réjouissons.

L'emploi, l'Europe, l'avenir, nos concitoyens ont le droit de poser à la représentation nationale, et nous le devoir de poser au gouvernement, ces questions essentielles.

C'est parce que vous créez les conditions durables d'un redressement de l'emploi ;
C'est parce que vous avez le courage d'assumer l'ambition européenne de notre pays ;
C'est parce que nous savons tous ici qu'il n'y a aucun avenir pour les français dans le développement de la dette, dans la gangrène des déficits, et dans l'étouffement de l'économie par l'impôt ;
C'est pour cela que nous apportons notre concours.

Ce concours est lucide et fondé sur le sentiment qu'un dialogue est nécessaire entre le gouvernement et le parlement. Ce dialogue suppose de votre part une attitude ouverte quant à l'examen des propositions et des amendements que nous présentons.

Ce n'est qu'au prix de ce dialogue équilibré, conforme à l'esprit de notre démocratie, que nous pourrons ensemble répondre aux défis économiques et signer le contrat de croissance auquel vous nous appelez.