Texte intégral
Intervention introductive de M. Strauss Kahn, Ministre de l’Économie, des Finances et de l'Industrie.
C'est avec un réel plaisir que je vous accueille ici, et avec un grand intérêt que je vais participer avec vous aux réflexions sur le thème de la convergence qui nous réunit ce matin. Je vous remercie d'ores et déjà d'avoir accepté notre invitation. Je suis en effet convaincu que l'importance et la complexité du sujet méritent que chacun puisse exprimer son point de vue afin de contribuer au débat.
Comme vous le savez, les questions que soulève la Commission Européenne tombent à point nommé : comme l'a annoncé le Premier Ministre à Hourtin, le Gouvernement met en place le Plan d'Action gouvernemental pour la Société de l'Information ; la Ministre de la Culture et de la Communication élabore un projet de réforme de l'audiovisuel, le ministère de l’Économie des Finances et de l'Industrie a pour sa part engagé des actions afin de développer le commerce électronique sur la base du rapport de Francis Lorentz.
La convergence englobe l'audiovisuel, les technologies de l'information et les télécommunications : c'est-à-dire si c'est un enjeu majeur pour la France, mais également pour l'ensemble des États Membres de l'Union Européenne.
La convergence est aujourd'hui techniquement possible : voilà un point sur lequel la plupart d'entre nous devrait être d'accord. Grâce aux technologies numériques, de nombreux réseaux permettent de véhiculer indifféremment la voix, les données, les images. L'exemple qui vient naturellement à l'esprit est celui d'Internet : ce réseau est le support du World Wide Web, mais permet aussi de diffuser de la radio, des images animées, et des conversations téléphoniques.
Il est sans doute prématuré d'affirmer que la convergence est aujourd'hui une réalité économique. Les nouveaux marchés sont en création, les entreprises prennent position, commencent à nouer des alliances. Les consommateurs découvrent tout juste les manifestations de la convergence : certains ont le choix pour s'abonner à Internet entre le câble ou le réseau téléphonique classique et bientôt, me dit-on, le satellite.
Il convient donc aujourd'hui de bien cerner les véritables enjeux de la convergence pour notre pays. En effet, ils sont d'importance :
- enjeu économique d'abord : la convergence favorisera l'émergence de nouveaux services et de nouveaux marchés. Ce sont autant d'occasions de développement pour les entreprises européennes. Ainsi, les nouvelles technologies de l'information et de la communication constituent un fantastique gisement de croissance et d’emplois. Or vous savez tous combien l'emploi constitue la préoccupation majeur du Gouvernement ;
- enjeu culturel et social ensuite : la convergence offre la possibilité de multiplier l'accès aux contenus culturels et éducatifs, favorisant ainsi leur diffusion au niveau européen et mondial.
Compte tenu de ces enjeux, le Gouvernement devra répondre aux questions posées par le Livre Vert de la Commission Européenne, et aura à s'interroger sur les choix réglementaires à effectuer.
Notre objectif sera de créer un contexte tenant compte des évolutions technologiques et permettant aux acteurs économiques et aux consommateurs de tirer parti de ces opportunités.
A l'évidence, des adaptations de nos réglementations seront nécessaires. Néanmoins, il ne me paraît pas souhaitable de remettre en cause les principes généraux de notre droit dans ce contexte.
Je pense que la convergence technologique va surtout permettre de dissocier de plus en plus les réglementations des infrastructures de celles des contenus.
La convergence des technologies ne doit pas signifier la confusion des réglementations.
Dans ce débat, la France entend affirmer la nécessité de maintenir la primauté des principes d'intérêt général auxquels elle est attachée :
- la protection du consommateur et la déontologie des contenus ;
- la diversité culturelle et le pluralisme d'expression ;
- la nécessité d'un service public fort dans l'audiovisuel ;
- la nécessité du service universel des télécommunications.
Voilà les quelques réflexions préliminaires que je voulais vous livrer en guise d'ouverture. Je souhaite que nos travaux de ce matin nous permettent à tous d'approfondir ces questions à partir du Livre Vert. Je crois que les enjeux en valent la peine.
Je vais d'abord passer la parole à la Ministre de la Culture et de la Communication qui, de retour de Birmingham, vous rendra compte de l'état d'esprit de nos partenaires européens sur ce dossier. Puis le Secrétaire d’État à l'Industrie vous précisera la démarche que nous allons suivre. Enfin MM. Lombard et Brun-Buisson conduiront vos débats.
Allocution de M. Christian PIERRET
Je voudrais tout d'abord remercier Mme Catherine TRAUTMANN d'être aujourd'hui parmi nous et de nous avoir donné des éléments précieux d'informations sur les réflexions en cours des ministres européens en charge du secteur audiovisuel. A l'occasion de la parution de ce livre vert, comme vous le savez la Commission européenne a, sur la base du livre vert élaboré sous l'égide de M. BANGEMANN, lancé une vaste consultation sur le phénomène de la convergence. Le premier temps de cette consultation doit s'achever à la fin du mois d'avril. Une synthèse sera réalisée par la Commission Européenne à l'été et permettra d'arrêter, pour la fin de 1998, un certain nombre d'orientations politiques par l'intermédiaire du Parlement Européen et du Conseil des ministres européens, après consultation du Conseil économique et social et du Comité des régions. Pour l'heure, cette consultation nous donne aujourd'hui l'occasion d'enrichir notre réflexion en la nourrissant de celles des acteurs de la convergence. Merci à vous tous d'avoir bien voulu répondre à l'invitation de Catherine TRAUTMANN, de Dominique STRAUSS-KAHN et de moi-même.
Le texte de la Commission invite les États membres de l'Union européenne, ainsi que tous les acteurs des secteurs concernés, à réfléchir sur le sens des évolutions technologiques en cours et à venir, ainsi que sur l'impact que ces évolutions pourraient avoir sur la réglementation.
Catherine TRAUTMANN a eu l'occasion d'évoquer ce sujet avec ses homologues européens et j'ai déjà eu moi même l'occasion de m'exprimer sur le sujet lors du Conseil des Ministres des Télécommunications qui s'est tenu le 26 février 1998 à Bruxelles. J'avais alors indiqué à quel point il me paraissait nécessaire de laisser le temps indispensable à une mise en œuvre sereine de la réglementation du secteur des télécommunications, car il serait mauvais de revenir trop tôt sur des mécanismes qui viennent à peine d'être organisés.
Le débat communautaire doit à mon sens se concentrer sur les attentes de nos citoyens et le renforcement des atouts de nos entreprises.
L'objectif de cette table ronde est aujourd'hui de procéder à des échanges constructifs sur ces différents sujets et les questions qui vous ont été transmises devraient utilement structurer nos travaux. Je vous en rappelle les termes tout en détaillant les enjeux qui y sont rattachés :
1) Quelles sont les répercussions sur le marché, les services et l'industrie des évolutions technologiques constatées ?
Comme l'a souligné, tout à l'heure, Dominique STRAUSS-KAHN, un certain nombre d'évolutions sont, en effet, aujourd'hui, indéniables : qu'il s'agisse des réseaux de télécommunications qui sont capables de distribuer des contenus, ou à l'inverse des réseaux de télédiffusion par câble qui permettent d'ores et déjà d'offrir des services de téléphonie vocale, l'un comme l'autre offrant d'ailleurs l'accès à Internet. La question se pose de bien appréhender - l'ampleur des conséquences accompagnant ces évolutions et les enjeux qui s'y rattachent. Ceci nous amène naturellement à la deuxième question.
2) Existe-t-il aujourd'hui des obstacles, d'ordre réglementaire ou d'une autre nature, au développement des services innovants ?
Cette question doit être au cœur de nos préoccupations. Car, même si les incidences de la convergence sur l'emploi sont difficiles à évaluer, une présence forte des acteurs européens sur les marchés concernés sera au cœur de la croissance, de la compétitivité et de la création d'emplois dans les années à venir. Les acteurs, par l'évaluation des perspectives ouvertes aujourd'hui, doivent permettre aux pouvoirs publics de développer une politique incitative adaptée à la situation.
3) Quelles sont, alors, les décisions attendues en matière de réglementation, tant de la part des pouvoirs publics nationaux que des autorités européennes ?
A cet égard, il me semble important de souligner de prime abord que je ne crois pas qu'il faille surestimer la rapidité et l'ampleur de ce phénomène. Un bouleversement du cadre réglementaire en matière de télécommunications et d'audiovisuel n'apparaît donc pas nécessaire. Les évolutions techniques ne sauraient, à mon sens, être invoquées pour remettre en cause les finalités essentielles de ces réglementations et les dispositifs actuels de soutien à la création ou pour tenter, dans les négociations internationales, de restreindre l'autonomie des politiques nationales ou communautaires en matière sociale ou culturelle.
Notre réflexion doit cependant chercher à révéler quelles adaptations pourraient s'avérer nécessaire pour le cadre réglementaire de manière à prendre en considération les évolutions technologiques actuelles.
Plus largement,
4) Quelles sont les politiques attendues, au plan national et européen, de la part des pouvoirs publics nationaux et européens ?
Afin de favoriser l'émergence d'acteurs européens puissants et de préserver les intérêts des consommateurs, plusieurs axes de développement m'apparaissent aujourd'hui possibles :
S'agissant des infrastructures de réseaux, une politique adaptée devrait conduire à la suppression de la segmentation des marchés pour leur permettre d'atteindre une taille critique. Les thèmes abordés à l'occasion de la mise en place d'une telle politique sont nombreux : choix des blocs d'harmonisation des fréquences en matière de boucles radio, normalisation des technologies large bande et des interfaces des terminaux. Cette politique pourra utilement prendre appui sur les organisations nationales et internationales en charge de la normalisation et de la gestion des fréquences, ainsi que sur les initiatives du secteur privé, qui doit agir comme une force de proposition en terme de spécifications. Je pense, en particulier, aux travaux sur les mobiles, avec l'arrivée prochaine de l’UMTS, ou à la diffusion audiovisuelle numérique.
Par ailleurs, l'action commune gagnerait à se développer en matière d'innovation, de recherche et de développement, notamment au travers du 5ème Programme Communautaire de Recherche et de Développement. C'est un facteur clef permettant de hisser les acteurs européens au meilleur niveau mondial et de faire de l'Europe un pôle de croissance, d'innovation et de création d'emplois. En outre, le meilleur parti devra être tiré pour l'Europe des accords passés dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce et de l'action de l'Union Internationale des Télécommunications, notamment en ce qui concerne le degré d'ouverture réel des marchés tiers à nos entreprises.
De même, s'agissant des services et des contenus, la coopération européenne me paraît devoir veiller, dans le respect de la subsidiarité, au renforcement de l'industrie européenne des contenus et des services par la mise en œuvre de politiques de soutien adaptées. En outre, il me semble important de réaffirmer la nécessité que, au niveau communautaire, soient appliqués aux services mis à disposition du public, quel que soit le support par lequel ils sont acheminés (réseaux hertziens terrestres, câble, satellite, réseau internet...), un certain nombre d'objectifs d'intérêt général tendant notamment à fixer des règles en matière de déontologie des contenus, de pluralisme et de protection des consommateurs, à assurer un large accès à des contenus de qualité et à promouvoir la diversité linguistique et culturelle.
Vos différents apports se révéleront, je n'en doute pas, extrêmement précieux dans l'élaboration de la réponse de la France à la Commission Européenne. En vous en remerciant par avance, je laisse, maintenant, la parole à M. Didier LOMBARD, Directeur Général des Stratégies Industrielles, et M. Francis BRUN-BUISSON, Chef du Service Technique et Juridique de l'Information et de la Communication, qui vont conduire les débats.