Interviews de M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des PME du commerce et de l'artisanat, dans "Le Parisien" du 1er janvier et "La Croix" du 4 janvier 1997, sur la nouvelle réglementation sur les artisans boulangers, le respect du repos hebdomadaire pour les terminaux de cuisson, et la condamnation des prix du pain anormalement bas.

Prononcé le 1er janvier 1997

Intervenant(s) : 

Média : La Croix - Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien : 1er janvier 1997

Le Parisien : 1997 va-t-il enfin sonner le glas des fausses boulangeries ?

Jean-Pierre Raffarin : Nous nous sommes donné les moyens d’assurer la promotion de la boulangerie artisanale. Deux mesures, prises en 1996, sont déjà appliquées. L’appellation boulangerie est désormais réservée aux seuls artisans qui fabriquent eux-mêmes leur pain selon les méthodes artisanales. Les commerçants avaient un an pour se mettre en conformité avec l’arrêté pris en décembre 1995. Les services de la concurrence (DGCCRF) viennent tout juste de commencer leurs contrôles et une trentaine de contrevenants ont été rappelés à l’ordre. À terme, entre 3 000 et 5 000 boulangeries devraient changer de nom dans les semaines qui viennent. Une deuxième décision concerne le respect du repos hebdomadaire pour les terminaux de cuisson : 82 départements respectent le texte. Moins d’une quinzaine compte encore quelques récalcitrants : on va passer aux mesures coercitives.

Début janvier, deux autres mesures vont compléter le dispositif. La première découle de la loi Galland sur la concurrence (juin 1996) et condamne la pratique des prix anormalement bas. La seconde vise la qualification professionnelle préalable (loi sur l’artisanat de juillet 1996) : pour ouvrir une boulangerie, il faudra, dorénavant, être titulaire d’un CAP de boulangerie artisanale. Le décret va être publié dans les tout prochains jours. Une circulaire va être envoyée aux préfets pour qu’ils veillent à la mise en place de l’ensemble du dispositif.

Le Parisien : La notion de prix anormalement bas est-elle une arme efficace ?

Jean-Pierre Raffarin : Le gouvernement s’est engagé à lutter contre les prix prédateurs « pathologiquement bas ». Aujourd’hui, il est impossible de fabriquer une baguette de manière artisanale en dessous de 2 F ou 2,50 F, compte tenu du coût de la matière première et si l’on respecte toutes les phases de la fabrication traditionnelle. Ceci ne signifie pas qu’on ne trouvera plus de baguette à ce prix-là. Mais le consommateur devra être informé de ce qu’il achète vraiment, à savoir un pain fait industriellement avec de la pâte surgelée ou un pain artisanal.

Le Parisien : Cela suffira-t-il à sauver la boulangerie ?

Jean-Pierre Raffarin : Avec les opticiens, les boulangers sont déjà ceux qui résistent le mieux à la crise du commerce. Grâce à l’action de sensibilisation sur la qualité du pain, les Français ont pris conscience du problème. C’est parce que la profession a fait un effort pour qualifier la boulangerie artisanale que l’on a pu les protéger. C’est une question de survie. J’ai bon espoir : 1997 sera la première grande année de la boulangerie artisanale. Ce type d’action va se développer avec d’autres métiers de bouche comme la boucherie ou la pâtisserie. Un fonds de promotion de 50 millions de francs a été voté à cette fin dans la loi de finances 1997.


La Croix : 4 janvier 1997

La Croix : Sera-t-on dorénavant certain, quand on entre dans une boulangerie, de trouver du pain fabriqué par le boulanger lui-même et selon les « règles de l’art » ?

Jean-Pierre Raffarin : C’est notre objectif pour l’année 1997. Pour valoriser la boulangerie artisanale, nous avons pris plusieurs mesures, dont celle de réserver l’appellation boulangerie aux artisans boulangers. L’artisan boulanger s’engage à fabriquer le pain selon les règles de la fabrication artisanale, notamment sans additifs et sans pâton surgelé, en procédant en plusieurs phases. Sinon, il devra changer d’appellation, laissée à son libre choix. Pour défendre cet artisanat et la qualité du pain, il est très important d’informer le consommateur des différences qu’il peut y avoir entre un pain simplement chaud et un pain frais. Il ne s’agit pas de condamner le pain industriel mais d’assurer une vraie transparence.

La Croix : Les boulangers sont-ils prêts à appliquer cette nouvelle législation ?

Jean-Pierre Raffarin : C’est un décret de décembre 1995 qui entre aujourd’hui en application. Les professionnels ont donc eu un an pour s’y conformer et, dans une grande majorité de départements, beaucoup d’entre eux se sont déjà mis en conformité avec ce nouveau dispositif.

La Croix : Qu’en est-il de la baguette à 1 F ?

Jean-Pierre Raffarin : La loi sur la concurrence qui combat les prix abusivement bas est entrée en application, elle aussi, le 1er janvier. Proposer une baguette à 1 F, comme on le voit régulièrement dans les grandes surfaces, ne sera plus possible, sous peine d’être déféré au Conseil de la concurrence pour concurrence déloyale.

La campagne engagée depuis un an sur la qualité artisanale du pain a déjà conduit les professionnels à des pratiques plus raisonnables, car il est clair que cette campagne a la sympathie de l’opinion. Et les consommateurs font la loi dans le commerce…

La Croix : La boulangerie est-elle un secteur en difficulté ?

Jean-Pierre Raffarin : Au contraire, c’est un secteur exemplaire. D’abord parce qu’il a bien résisté aux grandes surfaces par rapport à d’autres qui se sont fait peu à peu dévorer. Il a réussi à conjuguer la qualité et la proximité. Il reste 35 000 boulangeries en France qui restent actives et bien gérées. La boulangerie doit avoir une mission d’exemplarité pour les autres commerces et pour que les professionnels s’engagent dans cette mission de défense de la qualité qui est la légitimité de l’artisanat.

La Croix : Comment ferez-vous appliquer ces nouvelles mesures ?

Jean-Pierre Raffarin : Tous les préfets vont recevoir des instructions dans les jours qui viennent pour mobiliser les services de l’État concernés (inspection du travail, services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). Mon souhait est que le programme soit appliqué partout d’ici au 16 mai, qui sera la fête nationale du pain.